CA Paris, 5e ch. B, 27 novembre 1987, n° 85-15728
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
MF Alimentaire (SA)
Défendeur :
Sopegros (SA), Gourdain (ès qual.), Meille (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Edin
Conseillers :
MM. Schoux, Serre
Avoués :
SCP Teytaud, Me Varin
Avocats :
Mes Neret, Gamtelme.
Faits et procédure antérieure :
La Société pour l'Expansion des Grossistes (Sopegros), société anonyme à capital variable regroupant des commerçants distributeurs en alimentation, avait pour activité de négocier auprès des fournisseurs de produits alimentaires, les conditions de vente consenties par ces derniers aux adhérents de son groupement.
Par lettre du 28 novembre 1977, la société Etablissement Courrier, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société MF Alimentaire, (ci-après MFA ), s'est notamment engagée à payer à Sopegros :
1°) au profit des adhérents de Sopegros,
a) une remise de fin d'année égaie à 4 % du chiffre d'affaires global réalisé par le fournisseur avec les adhérents;
b) une remise individuelle de 1 % pour les adhérents dont le chiffre d'affaires était supérieur à 350 000 francs en 1978;
2°) au profit de Sopegros elle-même, une commission de gestion centrale égale à 1 % du chiffre d'affaires
Par jugement du 31 janvier 1979, le Tribunal de commerce de Paris a prononcé le règlement judiciaire de Sopegros.
Celle-ci, assistée de ses syndics, Maîtres Gourdain et Meille, a en 1982 saisi la juridiction consulaire d'une demande tendant au paiement, au titre de l'année 1978, d'une part de la commission de gestion, d'autre part des remises dues à 7 adhérents du groupement Sopegros au profit desquels la société était habilitée à agir en vertu d'un arrêt de cette Cour (25ème Chambre ) du 6 mars 1984.
Le jugement entrepris, faisant droit à cette demande, a condamné MFA à payer à Sopegros :
- au titre de la commission de gestion 41 452 ,71 francs, hors taxe, soit 49 162 francs 92 TVA comprise,
- au titre des remises, 14.962 francs 86 hors taxes, soit au total 64.125 francs 78.
Le tribunal, retenant que la somme de 14.962,86 francs allouée à Sopegros au titre des remises dues aux adhérents, tenait compte à concurrence de 46.720 francs 77 de la compensation avec une créance de MFA sur l'un de ces derniers, la société UFA, filiale de Sopegros également en règlement judiciaire, a dit que la créance de MFA sur UFA ne pourrait être retenue au passif de celle-ci que sous déduction de ladite somme de 46.720,77 francs.
MFA a été en outre condamnée à verser 1 500 francs à Sopegros par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Prétentions des parties :
MFA, appelante, conclut au débouté des prétentions des demandeurs.
Elle soutient :
- que Sopegros a manqué à son obligation de renseigner le fournisseur sur la solvabilité des adhérents du groupement et qu'elle devait garantir l'insolvabilité de ceux ci;
- que la commission de gestion était dépourvue de cause, ou avait une cause illicite en vertu de l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945 et de l'article 85 du Traité de Rome;
- que les remises aux adhérents n'étaient dues qu'autant que les factures correspondantes étaient réglées;
- qu'en tout état de cause, il y a lieu à compensation entre les sommes réclamées par Sopegros, et les créances de MFA sur UFA, en raison de la confusion ayant existé entre Sopegros et UFA.
Sopegros assistée de Maitres Gourdain et Meille, syndics de son règlement judiciaire, requiert la confirmation du jugement, et la condamnation de MFA à lui verser 8.000 francs sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Cela étant exposé, LA COUR,
Sur la validité de la convention :
Considérant que l'obligation contractée par MFA, de verser à Sopegros une "commission de gestion", avait pour contrepartie la diffusion par cette dernière société, auprès de ses adhérent, des conditions de vente du fournisseur et la recommandation de celui-ci; qu'elle était également justifiée par la centralisation des remises par Sopegros; que cette obligation n'est donc pas sans cause;
Considérant, sur l'applicabilité de l'article 50 de l'ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945, et de l'article 85 du Traité de Rome, qu'il résulte des avis émis les 11 mars 1985 et 30 octobre 1986 par la Commission de la concurrence, que pourrait avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence en favorisant une baisse artificielle des prix et donc de constituer une entente illicite au sens de ces textes, le fait pour un groupement de distributeurs, pour partie concurrents entre eux, lorsqu'il ne prend aucun engagement d'achat au nom de ses membres, de globaliser le chiffre d'affaires de ceux-ci et de faire pression sur les fournisseurs qu'il référence pour obtenir d'eux des ristournes inconditionnelles supérieures à celles que les distributeurs appartenant au groupement avaient obtenues antérieurement à la constitution de celui-ci en n'offrant à ces fournisseurs, comme seule contrepartie, que l'assurance selon laquelle le groupement n'utilisera pas son pouvoir de refuser leurs produits nouveaux ou de les déférencer ou de ne pas les référencer à nouveau;
Mais considérant en l'espèce, qu'en favorisant la vente des produits de MFA auprès des adhérents du groupement, par l'obtention de conditions tarifaires dont ceux-ci ne bénéficiaient pas antérieurement à leur adhésion, l'accord du 28 novembre 1977 a permis à MFA des économies d'échelle entraînant un abaissement de ses prix de revient qu'il n'est nullement établi que Sopegros ait, après cet accord, exercé des pressions sur MFA pour obtenir d'elle des avantages supplémentaires sans autre contrepartie, le référencement de MFA par Sopegros n'ayant été suivi d'aucune menace de déréférencement;
Considérant que la commission de 1 % sur le chiffre d'affaires rémunérait la gestion centralisée des remises annuelles par Sopegros, qu'il devait les répartir entre les distributeurs aux lieu et place du fournisseur; qu'elle ne constituait pas un "droit d'entrée" ou une simple "prime de référencement"; que si le taux de cette commission était différent d'un fournisseur à l'autre, les éléments soumis à la Cour sont insuffisants pour faire ressortir l'existence de discriminations injustifiées par des circonstances tenant à l'importance de chaque fournisseur et aux conditions du marché des différents produits;
Considérant qu'il n'est pas non plus démontré que la globalisation du chiffre d'affaires pour l'assiette des remises, ait abouti à l'octroi d'avantages discriminatoires favorisant une distributeur adhérent au détriment d'un autre; que l'attribution, par le règlement intérieur de Sopegros, d'un secteur exclusif pour les distributeurs adhérents qui exerçaient sous une même enseigne, ne restreignait pas la concurrence à l'égard des autres distributeurs;
Considérant en outre, que les adhérents au groupement conservaient toute liberté de négocier eux-mêmes avec NFA, et de s'adresser à d'autres fournisseurs; que le chiffre d'affaires global de ces adhérents représentait seulement 2 à 3 % du total du commerce national de l'alimentation en gros, et que le groupement Sopegros ne disposait d'aucune position dominante;
Considérant que MFA n'est donc pas fondée à prétendre, soit que l'accord conclu par elle avec Sopegros constituait une convention ayant pour objet ou pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sens des articles 50 de l'ordonnance 45-1483 du 30 juin 1945 et 85 du Traité de Rome, soit que les agissements de Sopegros encourent la qualification de pratiques discriminatoires prohibées par les articles 37 et 38 de la loi 73-1193 du 27 décembre 1973 applicables en la cause;
Considérant que les moyens de nullité soulevés par MFA ne peuvent qu'être écartés;
Sur la commission de gestion :
Considérant que la lettre du 28 novembre 1977 formant contrat entre les parties ne contient aucune mention relative à une obligation de garantir la solvabilité des adhérents de Sopegros, à la charge de cette société; que Sopegros, qui négociait en faveur de ses adhérents les conditions générales et tarifaires de vente, ne contractait pas en leur nom les opérations individuelles d'achat; qu'elle ne peut être tenue pour un commissionnaire d'achat; que contrairement à l'assertion de MFA, elle n'a pas à garantir le paiement des dettes de ses adhérents; que d'autre part, aucune stipulation de solidarité entre Sopegros et ses adhérents ne ressort des éléments de la cause; que l'octroi de conditions de vente identiques aux divers adhérents n'implique aucune solidarité entre eux ou avec Sopegros pour les contrats individuels de vente passés avec chacun d'eux; que l'existence du groupement Sopegros, personne morale distincte de ses associés, n'a pu créer à l'égard de MFA aucune apparence de solidarité; que MFA ne peut donc exciper du non-paiement de fournitures à certains adhérents, pour échapper à sa propre obligation envers Sopegros de verser la commission de gestion;
Considérant que pas davantage n'est prouvée pour Sopegros une obligation de renseignement sur la solvabilité de ses adhérents; qu'à supposer d'ailleurs qu'une telle charge eut pesé sur elle, il n'est pas démontré qu'elle y ait manqué; qu'en effet, seule est spécifiée l'existence de dettes impayées par les sociétés UFA et Joubert; que pour UFA, placée le 31 janvier 1979 en état de règlement judiciaire, la date de cessation des paiements a été fixée par un jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 17 mars 1986, régulièrement produit, au 1er septembre 1978; qu'aucun élément n'établit que les dettes d'UFA envers MFA aient eu leur origine dans des ventes conclues après cette date; qu'en ce qui concerne Joubert, aucune indication n'est fournie sur l'origine des dettes et la cause des impayés;
Considérant que les moyens de garantie et d'inexécution opposés par MFA ne sont pas fondés; que le montant de la commission due par MFA, tel qu'il a été arrêté par les premiers juges, soit 41.452,71 francs hors taxe et 49.162,92 francs toutes taxes comprises n'est pas en lui-même contesté;
Sur les remises :
Considérant que la lettre du 28 novembre 1977 stipulait, à la charge de MFA, le versement de remises, l'une globale de 4 %, l'autre "individuelle de 1 % pour les clients réalisant plus de 350.000 francs de chiffre d'affaires en 1978"; que,dans l'intention commune des parties, ces avantages constituaient, non des réductions sur les prix pratiqués lors des ventes successives, mais des ristournes accordées par le fournisseur en fonction du chiffre d'affaires "réalisées", c'est-à-dire menées à leur terme par le paiement effectif du prix; que les sommes restées impayées par les clients ne sauraient donc être incluses dans l'assiette de ces remises; qu'il y a lieu en conséquence de déduire, comme l'a fait le tribunal, de la somme de 61 683 francs 63 hors taxes due au titre des remises totales, celle de 46.720,77 francs correspondant aux affaires traitées avec UFA et Joubert, débiteurs défaillants; que le solde, soit 14.962,86 francs hors taxes, est dû par MFA; que, toutefois, cette déduction, contrairement à ce qu'à décidé le jugement, ne remplit pas MFA de ses droits envers UFA dans le règlement judiciaire de cette dernière société, puisqu'elle ne fait que constater l'absence de dette de MFA à concurrence de son montant; qu'il ne convient donc pas de dire, comme l'a fait le tribunal, que "la créance de MFA ne pourra être "retenue au passif de UFA que sous déduction de (46.720,77 francs )"; qu'au surplus une telle décision ne serait pas opposable UFA et à ses syndics, non parties au présent litige;
Considérant que le tribunal, au titre des remises, n'a prononcé condamnation qu'au paiement de la somme de 14.962 francs 86, ne comprenant pas la TVA; que, Sopegros demandant la confirmation du jugement, il ne peut être alloué en sus une somme au titre de la taxe;
Sur la demande de compensation :
Considérant que, si le jugement du 31 janvier 1979 a prononcé le règlement judiciaire de Sopegros et d'UFA, il a décidé que les opérations seraient conduites sous deux masses distinctes; qu'aucune confusion des patrimoines n'a été retenue entre les deux sociétés et n'est actuellement établie; qu'en l'absence d'identité des parties, la compensation sollicitée par MFA ne peut être ordonnée entre, d'une part, la créance de Sopegros sur MFA, et, d'autre part, celle de MFA sur UFA; qu'il y a lieu de relever à cet égard, qu'en ce qui concerne les remises, au titre desquelles Sopegros agit pour le compte d'adhérents, la prétention au titre d'UFA a été écartée, ainsi que les motifs ci-dessus; qu'ainsi aucune compensation partielle de ce chef n'est possible;
Sur l'application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais, non compris dans les dépens, qu'ils ont dû exposer en justice;
Par ces motifs : Réformant partiellement le jugement entrepris; Condamne la société MF Alimentaire à payer à la société Sopegros assistée de Maîtres Gourdain et Meille, syndics de son règlement judiciaire : - la somme de 41 452,71 francs hors taxe, soit 49.162 ,92 francs taxe comprise, - la somme de 14.962,86 francs; Dit n'y avoir lieu de décider que la créance de la société MF Alimentaire ne pourra être retenue au passif du règlement judiciaire de la société UFA que sous déduction de la somme de 46.720,77 francs; Déboute la société MF Alimentaire de toutes prétentions plus amples ou contraires; Déboute la société Sopegros de sa prétention fondée sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; Condamne la société MF Alimentaire aux dépens de première instance et d'appel; Admet Maître Varin, avoué, au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.