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Décisions

CA Rennes, 5e ch. prud'homale, 11 avril 2000, n° 99-01583

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Magne, Trémelot (ès qual.), Garage Le Morvan (SARL), Heim, CGEA de Rennes - AGS Centre-Ouest

Défendeur :

Rover France (Sté), Rose Automobiles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ploux

Conseillers :

Mmes Citray, Legeard

Avoués :

SCP Leroyer, Gauvain & Demidoff

Avocats :

Mes Bertin, Nicol, Stephan, François, SCP Gautier Faugère-Recipon Berthelot-Parrad Le Floch.

CA Rennes n° 99-01583

11 avril 2000

EXPOSE DU LITIGE

Messieurs Heim et Magne ont été embauchés respectivement le 15 novembre 1982 en qualité de réceptionnaire d'atelier et le 21 mai 1996 en qualité de vendeur par la SARL Lemorvan, concessionnaire Rover à Lannion laquelle a été déclarée en redressement judiciaire le 24 mars 1998 puis en liquidation judiciaire par jugement du 15 mai 1998.

Par lettres recommandées en date des 28 mai 1998 et 12 juin 1998 Maître Trémelot, ès qualité de liquidateur, a notifié à Monsieur Magne et à Monsieur Heim leur licenciement "à titre conservatoire", soulignant en effet que du fait de la poursuite du contrat de travail par Rover France en application des dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail, le licenciement devrait être nul puisque la SARL Le Morvan n'est plus l'employeur.

Messieurs Magne et Heim ont saisi le conseil des prud'hommes de Guingamp lequel aux termes de deux décisions du 20 janvier 1999 a :

- dit que la société Rover France-concession de Lannion constituait une entité économique autonome ayant son identité propre,

- dit que l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail devait s'appliquer,

- déclaré nul le licenciement prononcé par Maître Trémelot ès qualités de liquidateur de la SARL Le Morvan,

- dit que la société Rover France concession de Lannion devait mettre en œuvre la procédure de licenciement,

- dit abusive et sans cause réelle et sérieuse le licenciement de Messieurs Magne et Heim,

- dit qu'il y a eu non-respect de la procédure de licenciement,

- condamné la société Rover France - concession de Lannion à verser :

1°) à Monsieur Magne.

- 15.492 F au titre du non-respect de la procédure de licenciement,

- 30.984 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif sans cause réelle et sérieuse,

- 2.400 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

2°) à Monsieur Heim.

- 10.379,98 F au titre du non-respect de la procédure de licenciement,

- 129.559,16 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif sans cause réelle et sérieuse,

- 2.400 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

- dit n'y avoir lieu à remise de lettres de licenciement,

- ordonné à la société Rover France - concession de Lannion de remettre à Monsieur Magne et Monsieur Heim un certificat de travail et une attestation Assedic conformes à la décision sous astreinte de 100 F par jour de retard et par document à compter du 15e jour suivant la notification du jugement,

- mis hors de cause la société Rose Automobiles laquelle était déboutée de sa demande formulée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- mis hors de cause la CGEA de Rennes et l'AGS,

- dit que Monsieur Magne devait remettre entre les mains de Maître Trémelot ès qualités de liquidateur la somme de 15.587 F versée au titre du préavis à charge pour Maître Trémelot ès qualité de restituer cette somme au CGEA de Rennes,

- dit que Monsieur Heim devait remettre entre les mains de Maître Trémelot ès qualités de liquidateur de la SARL Le Morvan la somme de 3.092 F versée au titre du délai de réflexion à charge pour Maître Trémelot ès qualités de restituer cette somme au CGEA de Rennes,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- ordonné à la société Rover France concession de Lannion de rembourser à l'Assedic conformément aux dispositions de l'article L. 122-14 du code du travail les indemnités de chômage versées à Monsieur Heim dans la limite de six mois d'indemnités,

- condamné la société Rover France concession de Lannion aux dépens.

Appel de ces décisions ont été interjetées par la société Rover France et Monsieur Magne.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Rover France expose qu'importateur en France des véhicules fabriqués par le groupe Rover pour les marques Rover et Land Rover, elle les distribue au travers d'un réseau de concessionnaires exclusifs, elle même ne disposant d'aucune succursale ; c'est ainsi que confrontée à la cessation d'activités de la SARL Le Morvan elle a pu, de nombreux mois après, conclure avec un autre concessionnaire, la société Rose Automobile laquelle s'est vue confiée la distribution des véhicules Rover mais aussi celle des 4 X 4 de marque Land Rover et ce pour un territoire plus étendu que celui de la SARL Le Morvan.

Elle soutient que le contrat de concession automobile ne peut constituer à lui seul une entité économique autonome au sens des dispositions de l'article L. 122-12 du code du travail dès lors que la reprise de l'activité économique ne s'accompagne pas d'un transfert au moins partiel des moyens matériels de mise en œuvre et d'exécution.

Elle observe en effet qu'une concession automobile est la réunion d'un ensemble complexe et interdépendant de moyens en vue de la satisfaction et de la fidélisation de la clientèle d'une marque automobile, moyens réunis par un garagiste professionnel et indépendant dont l'activité ne se limite pas à la seule activité de vente de véhicules neufs.

Elle estime en conséquence qu'une concession automobile est avant tout un garage c'est-à-dire un ensemble de moyens constituant une entité économique autonome poursuivant un objectif propre et ce indépendamment de la marque puisque du fait de la résiliation du contrat de concession, cette entité économique autonome peut se mettre à la disposition d'une autre marque automobile et poursuivre son existence avec les mêmes lieux les mêmes personnes et les mêmes moyens techniques.

Elle s'étonne de ce que le conseil des prud'hommes ait pu ainsi, sans d'ailleurs s'expliquer, considérer que du fait de la résiliation du contrat de concession, elle était devenue en sa seule qualité de concédant le successeur du concessionnaire démissionnaire alors même que l'activité de vente ne s'est pas poursuivie.

Elle ajoute que du fait de la liquidation judiciaire et de l'absence d'activité à transférer, l'article L. 122-12 n'avait pas vocation à s'appliquer, Maître Trémelot ayant en tout état de cause l'obligation de procéder aux licenciements des salariés lesquels ont été en l'espèce prononcés de manière régulière.

En conséquence, la société Rover France demande à la Cour de :

- constater, dire et juger :

- qu'aucune entité économique autonome n'a été transférée à la société Rover France,

- que le licenciement de Messieurs Magne et Heim ont été régulièrement prononcés dans le cadre de la liquidation judiciaire de la SARL Le Morvan,

- qu'elle ne devait pas appliquer la procédure de licenciement,

- qu'il n'y a pas lieu de prononcer la nullité des licenciements,

- quelle ne s'est rendue coupable d'aucun non-respect de la procédure de licenciement et n'a pas licencié abusivement Messieurs Magne et Heim,

- qu'il n'y a lieu d'ordonner la restitution de 3092 F avancés par le CGEA de Rennes,

- infirmer l'ensemble des dispositions des jugements du conseil des prud'hommes de Guingamp du 21 janvier 1999,

- ordonner la restitution des sommes indûment versées par elle sur le fondement du jugement du 21 janvier 1999 et dire que Maître Trémelot ès qualité et les AGS seront condamnées in solidum avec Monsieur Magne et Heim à ces restitutions,

- condamner in solidum Monsieur Magne, Maître Trémelot et les AGS aux dépens,

- les condamner sous la même solidarité à lui verser la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

En réplique, Messieurs Magne et Heim précisent que la SARL Le Morvan avait appris dès le 5 janvier 1998 l'intention de la société Rover France de confier les territoires de Saint-Brieuc, Guingamp et à terme de Lannion au concessionnaire BMW de Saint-Brieuc en l'occurrence la société Rose Automobile laquelle après avoir acquis le droit au bail de la société Morvan et les éléments corporels du fonds a elle même annoncé par voie de presse la réouverture de la concession Rover de Lannion Rose Automobiles le 6 juillet 1998,

Ils font valoir que les dispositions de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail de même que celles de CEE 77-187 du 14 février 1977 sont d'ordre public et ont vocation à s'appliquer dès lors qu'il existe un transfert d'une entité économique propre dont, s'agissant de l'activité de distribution exclusive d'une marque automobile sur un secteur délimité, les éléments constitutifs sont les suivants : droit de vente exclusif des véhicules de la marque, droit de vente des pièces de rechange de la marque, droit exclusif d'assurer l'ensemble des opérations d'entretien et d'après vente des véhicules de la marque dans le cadre de la garantie constructeur, activité de service après-vente, réparation et de négoce de véhicules d'occasions induite par l'activité de concession automobile exclusive, droit exclusif d'usage de la signalétique, droit d'exploitation sur un territoire défini de la clientèle attachée à la marque sur ce secteur.

Ils observent que la société Rover France qui dispose en France du monopole absolu d'organiser l'importation et la commercialisation des produits fabriqués par Rover Groupe est propriétaire des entités économiques constituées par les concessions dans la mesure où elle les administre et dispose d'un pouvoir de nomination et de résiliation ajoutant qu'elle est en relation directe avec la clientèle de chaque concession et qu'elle s'attribue contractuellement la gestion de la concession prise en tant qu'entité économique à l'occasion de chaque résiliation.

Ils estiment ainsi que l'entité économique se trouve transférée dans un premier temps au concédant qui en assure à titre précaire le contrôle et la gestion jusqu'à ce qu'il la retransfère dans un second temps à un nouveau concessionnaire désigné par lui à cet effet ce qui a été le cas en l'espèce puisque la concession Rover Lannion a pu être réouverte par M. Rose dès le 6 juillet 1998 et ce exclusivement grâce à la société Rover France.

Ils rappellent que le refus de poursuite des contrats de travail en violation des dispositions de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail constitue un licenciement abusif engageant la responsabilité de leur auteur, la société Rover France étant ainsi tenue de réparer l'intégralité de leur préjudice lequel a été sous estimé par le premier juge.

En conséquence, Messieurs Heim et Magne demandent à la Cour de :

Vu l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail,

Débouter la société Rover France et la société Rose Automobiles de leurs demandes, fins et conclusions,

A titre principal.

Confirmer les jugements entrepris en ce qu'ils ont constaté que la société Rover France a rompu abusivement leurs contrats de travail le 15 mai 1998 en violation des dispositions d'ordre public édictées à l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail,

Infirmer les jugements entrepris pour le surplus de leurs dispositions.

Statuant à nouveau.

Condamner la société Rover France à payer à Monsieur Heim pour les causes sus énoncées les sommes de :

- 200.000,00 F

- 3.092,00 F

- 36.308,44 F

- 23.424,88 F

Condamner la société Rover France à payer à Monsieur Magne pour les causes sus-énoncées les sommes de :

- 162.498,00 F

- 15.587,00 F

- 16.249,81 F

- 16.249,81 F

Condamner la société Rover France à leur remettre, sous astreinte de 1.000 F par jour de retard et par document à compter du prononcé de la décision à intervenir :

- un certificat de travail rectifié à effet du 15 mai 1998,

- une attestation Assedic à effet du 15 mai 1998,

Condamner la société Rover France au paiement d'une somme de 50.000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamner la société Rover France aux dépens de première instance et d'appel,

Très subsidiairement.

Dire que la société Rose Automobiles a rompu abusivement leurs contrats de travail en violation des dispositions de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail,

En conséquence,

Condamner la société Rose Automobiles à payer :

à Monsieur Heim pour les causes sus-énoncées, les sommes de :

- 200.000,00 F

- 3.092,00 F

- 36.308,44 F

- 23.424,88 F

à Monsieur Magne pour les causes sus-énoncées, les sommes de :

- 162.498,00 F

- 15.587,00 F

- 16.249,81 F

- 16.249,81 F

Condamner la société Rose Automobiles à leur remettre sous astreinte de 1.000 F par jour de retard et par document à compter du prononcé de la décision à intervenir :

- un certificat de travail à effet du 3 juillet 1998,

- une attestation Assedic à effet du 3 juillet 1998,

Condamner la société Rose Automobiles au paiement d'une somme de 50.000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamner la société Rose Automobiles aux dépens de première instance et d'appel.

Pour sa part, la société Rose Automobiles observe que l'article L. 122-12 du code du travail ne peut lui être opposé en l'absence de transfert du contrat de concession de la SARL Le Morvan à son bénéfice.

Elle relève en effet que la SARL Le Morvan avait cessé toute activité avant même sa liquidation judiciaire qui a de plein droit entraîné la résiliation du contrat de concession lequel n'existait plus et ne pouvait lui être transféré.

Elle souligne qu'au moment de la saisine du conseil de prud'hommes et même lors des licenciements, elle n'était que concessionnaire BMW à Saint-Brieuc et non liée par un contrat de concession avec la société Rover France alors même qu'aucune vente de véhicule Rover n'est intervenue en juillet et août 1998 ni même septembre et octobre 1998.

Elle reconnaît avoir acquis certains éléments matériels appartenant précédemment à la SARL Le Morvan mais dans le cadre de l'article 156 de la loi du 25 janvier 1985 et non de l'article 155, la notion de fonds de commerce et donc d'unité de production ayant disparu avant même le prononcé de la liquidation judiciaire.

Elle ajoute n'avoir été avisée d'une quelconque nomination sur le secteur de Lannion qu'en novembre 1998 et encore en sa qualité de concessionnaire BMW Rover à Lannion ce qui était le principal intérêt pour elle de s'implanter dans cette ville.

Elle soutient en conséquence que l'activité de la SARL Le Morvan n'a été poursuivie par elle ni par la société Rover France et qu'en tout état de cause les demandes des salariés sont excessives, seules les dispositions de l'article L.122-45 du code du travail étant applicables en l'espèce,

Elle demande à la Cour de :

- confirmer les jugements déférés en ce qu'ils le mettent hors de cause,

- dire et juger qu'aucune entité économique autonome ne lui a été transférée, l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail étant inapplicable à son égard,

- débouter Messieurs Magne et Heim de toutes leurs demandes,

- condamner Messieurs Magne et Heim à lui verser chacun avec le CGEA - AGS à lui verser la somme de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- les condamner aux dépens.

Pour sa part, Maître Trémelot liquidateur de la SARL Le Morvan demande à la Cour de confirmer en toutes leurs dispositions les jugements rendus par le conseil des prud'hommes de Guingamp le 21 janvier 1999 et déclare s'associer aux explications de Messieurs Heim et Magne soutenant que la concession portant sur le territoire de Lannion précédemment exploité par la société Le Morvan constitue bien une entité économique autonome dont le transfert entraîne l'application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail, la survenance de la liquidation judiciaire ne constituant aucun obstacle à l'application de ce texte.

Elle observe que les dispositions de l'article L. 122-12-1 du code du travail invoquées par la société Rover ne constituent en aucune manière une dérogation au principe de transfert des contrats de travail et que dès lors il incombait à la société Rover de poursuivre les contrats de travail des salariés exclusivement affectés au sein de la société Le Morvan à l'exploitation de la concession Rover.

Pour ce qui concerne le centre de gestion et d'études AGS (CGEA) de Rennes, celui-ci demande à la Cour de :

- débouter Messieurs Heim et Magne de toutes leurs demandes qui seraient dirigées à l'encontre de l'AGS.

- décerner acte à l'AGS et au CGEA de Rennes de ce qu'ils s'associent à l'argumentation de Maître Trémelot ès qualité.

- mettre hors de cause le CGEA de Rennes et l'AGS pour les causes sus-énoncées.

- ordonner la restitution de l'indemnité de préavis et de la somme avancée au titre du délai de réflexion indûment avancée entre les mains de Maître Trémelot ès qualité.

- à défaut ordonner la compensation entre les sommes indûment avancées et les sommes dues aux salariés au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés.

Très subsidiairement :

décerner acte à l'AGS, de ce qu'elle ne consentira d'avance au représentant des créanciers que dans la mesure où la demande entrera bien dans le cadre des dispositions des articles L. 143-11-1, L. 143-11-2 et suivants du code de travail.

dire et juger que l'éventuelle indemnité allouée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile n'a pas la nature de créance salariale.

lui décerner acte de ce qu'elle n'est tenue d'avancer que les sommes correspondant à des créances définitivement établies par décision de justice, et ce conformément à l'article L. 143-11-7 dernier alinéa du code du travail.

La CGEA de Rennes déclare s'associer à l'argumentation de Maître Trémelot mais observe, à titre subsidiaire, que la société Rose Automobiles nouveau concessionnaire de la marque Rover a été portée acquéreur du droit au bail et d'éléments corporels du fonds de commerce de la société Le Morvan ce qui lui a permis la poursuite de son activité.

Il estime en conséquence devoir être mis hors de cause ce qui lui permet de réclamer le remboursement des sommes indûment versées à Monsieur Magne et Heim au titre de préavis et du délai de réflexion.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Par contrat en date du 25 février 1997 la société Rover France a conclu avec la SARL Le Morvan à Lannion un contrat de concession exclusive Automobiles Rover étant précisé qu'il s'agissait en fait d'une mise en conformité avec le nouveau règlement européen ;

Dans le cadre d'une restructuration de son réseau de concessionnaires exclusifs indépendants, elle a par courrier du 12 mars 1998, notifié à la SARL Le Morvan, comme à l'ensemble de ses concessionnaires, la résiliation du contrat des concessions moyennant un préavis d'un an ;

Dès le 15 avril 1998, la SARL Le Morvan déclarée en redressement judiciaire le 24 mars 1998 revendiquait auprès de la société Rover France l'application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail au profit de ses salariés ce que contestait la société Rover France laquelle par courrier du 17 avril 1998 lui faisait part de la poursuite du contrat de concession jusqu'à la fin du préavis à savoir 12 mars 1999, conformément à la décision du représentant des créanciers ;

Le 23 avril 1998 le conseil de la SARL Le Morvan déclarant être mandaté par Maître Gautier administrateur judiciaire et agir en accord avec Maître Trémelot représentant des créanciers faisait part tant à la société Rover France qu'à la société Rose Automobiles de son intention d'organiser le transfert de l'intégralité de l'effectif salarié au sein de l'entreprise concessionnaire amenée à lui succéder pour représenter la marque sur le secteur ;

Le 30 avril 1998 la société Rover Groupe confirmait à Maître Gautier avoir l'intention et le souhait de confier à son concessionnaire de Saint-Brieuc, à savoir la société Rose Automobiles le territoire de la SARL Le Morvan sous réserve de l'accord de M. Rose lequel dépendait des conditions formulées par l'administrateur judiciaire et par elle ce qui demandait un minimum de temps ;

Le jour même du prononcé de la liquidation judiciaire soit le 15 mai 1998, Maître Trémelot signifiait à la société Rover France et à la société Rose Automobiles qu'à défaut de désignation d'un nouveau concessionnaire, la société Rover France devenait le nouvel employeur des quatre salariés de la SARL Le Morvan et qu'en tout état de cause il cessait de les prendre en charge après le 14 mai ;

Le 20 mai 1998, la société Rover France lui répondait qu'aucun protocole n'avait été conclu avec le concessionnaire de Saint-Brieuc pour lui concéder la représentation de la marque sur le territoire de la SARL Le Morvan et que dès lors, la société Rose Automobiles comme elle même ne pouvait être considérée comme son successeur, l'article L. 122-12 alinéa 2 leur étant inopposable ;

Cette position étant confirmée le 19 mai 1998 par la société Rose Automobiles, c'est dans ces circonstances que le licenciement de Monsieur Magne et Monsieur Heim leur a été notifié par le liquidateur ;

Par ordonnance du juge commissaire en date du 16 juin 1998, Maître Trémelot a été autorisé à céder à Monsieur Rose ou toute personne morale s'y substituant le droit au bail de la SARL Le Morvan, son matériel d'exploitation, du mobilier de bureau, l'ensemble du stock à l'exception des véhicules, la date de prise de jouissance étant fixée au 1er juillet 1998 ;

Si les quatre salariés de la SARL Le Morvan ont saisi le conseil des prud'hommes, deux se sont désistés à savoir, M. Le Hir mécanicien et Madame Le Goff secrétaire, lors de l'audience de conciliation dans la mesure où ils ont été embauchés par la société Rose Automobiles après avoir toutefois renoncé à l'application de l'article L. 122-12 du code du travail ;

Le 12 octobre 1998, la société Rover France confirmait à la société Rose Automobiles l'extension de son territoire contractuel Rover, Landrover, MG de Saint-Brieuc au secteur de Lannion et ce dans le cadre de la reprise des éléments d'actifs de l'ancienne concession de Lannion Auto Seduction ;

L'article L. 122-12 du code du travail stipule "s'il survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, transformation du fonds, mise en société, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise" ;

Ce texte a ainsi vocation à s'appliquer lorsqu'il existe même en l'absence d'un lien de droit entre les employeurs successifs, un transfert d'une entité économique conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise ; constitue notamment une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre ;

En l'espèce, ce n'est pas effectivement le contrat de concession qui constitue en lui même l'entité économique autonome mais c'est l'activité de distribution des véhicules de la marque qu'il permet sur un secteur géographique déterminé ;

Il est constant que la liquidation judiciaire a entraîné la cessation du contrat de concession laquelle ne résulte pas de la résiliation faite par la société Rover France eu égard au préavis d'un an accordé aux cessionnaires.

De ce fait, si la société Rover France a retrouvé toute liberté en étant délivrée de ses obligations à l'égard de la SARL Le Morvan, il n'en résulte pas ipso facto qu'elle ait elle même assuré l'exploitation de l'activité de distribution sur le territoire anciennement concédé ;

En effet la société Rover France qui ne commercialise les véhicules fabriqués par le Groupe Rover qu'à partir des concessionnaires exclusifs indépendants n'a effectué aucun acte de gestion ou de commercialisation des véhicules au lieu et place de la SARL Le Morvan.Contrairement à ce que soutiennent les salariés, les dispositions du contrat de concession ne prévoient nullement la substitution du concessionnaire par le concédant dans la gestion de la concession en cas de résiliation du contrat. Si celui-ci prévoit des ventes directes réservées à la société Rover France, elles le sont au profit d'une clientèle très ciblée (sociétés de Rover, le personnel et sa proche famille, les fournisseurs de la société, les sociétés de locations de véhicules automobiles, les établissements et administrations de droit public, les pilotes professionnels de courses automobiles, les journalistes titulaires d'une carte de presse...) et ne peuvent être considérées comme une possibilité d'exercer une activité concurrentielle à celle de la SARL Le Morvan ayant en tout cas gardé son identité ;

Dans ces conditions le pouvoir de désigner un nouveau concessionnaire n'implique pas le transfert au concédant de l'entité économique autonome que constitue l'exploitation de la concession ;

L'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail est en conséquence inopposable à la société Rover France;

S'agissant de la société Rose Automobiles, force est de constater qu'elle a très rapidement assuré l'exploitation de cette concession après avoir acquis de la SARL Le Morvan des éléments d'actif et repris une partie du personnel ;

La décision du juge commissaire d'autoriser la cession d'éléments d'actifs de l'entreprise en liquidation judiciaire n'est pas de nature à faire échec à l'application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail, même après une suspension temporaire d'activité, les licenciements intervenant entre la liquidation judiciaire et le transfert étant sans effet ;

En l'occurrence, le fondement légal sur lequel est intervenu cette cession est sans incidence sur le litige et ce d'autant plus qu'elle a permis à la société Rose de s'installer dans les locaux de son prédécesseur afin de poursuivre son activité, en toute connaissance de cause puisque clans son courrier du 30 avril 1998, la société Rover France indiquait à Maître Gautier administrateur judiciaire de la SARL Le Morvan "nous avons bien l'intention et souhait de confier à un autre concessionnaire de Saint-Brieuc (la société Rose Automobiles) le territoire de la SARL Le Morvan". En conséquence, peu importe que la concrétisation de la convention de concession soit postérieure, cette concession au profit de la société Rose Automobiles étant effective dès juillet 1998. Ce n'est en effet ni par hasard ni par maladresse que la société Rose Automobiles a annoncé le 6 juillet 1998 par voie de presse "la réouverture de la concession Rover à Lannion ;

C'est à tort qu'elle se prévaut d'un secteur géographique plus étendu et d'un réseau de marques plus important (elle est également concessionnaire BMW) puisque l'activité de distribution des véhicules autrefois assurée par la SARL Le Morvan l'est désormais par elle, à partir des mêmes locaux ;

Il y a donc bien eu transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité ce qui entraîne le maintien des contrats de travail du personnel de la SARL Le Morvan et rend sans effet les licenciements auxquels a procédé le liquidateur de celle-ci ;

Le refus de la société Rose Automobiles de conserver à son service Monsieur Magne et Heim caractérise une rupture abusive du contrat de travail et la rend redevable des indemnités de rupture (préavis et licenciement) et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

La Cour relève que si Messieurs Magne et Heim font respectivement état d'un salaire moyen mensuel de 16.249,81 F et 11.712,44 F, ils ne la mettent pas en mesure de vérifier cette allégation, l'ensemble des bulletins de paie d'une année n'étant pas produit. Or ce chiffre est différent de celui allégué par eux en première instance au cours de laquelle ils ont réclamé à titre de dommages une année de salaire avec prime ce qui donnait une moyenne mensuelle de 15.807,75 F pour Monsieur Magne et 10.796,64 F pour Monsieur Heim, chiffres voisins de ceux figurant sur les bulletins de salaire versés aux débats ;

Il sera en conséquence alloué à Monsieur Magne qui fait état, eu égard à une prise d'effet du licenciement fixé au 15 mai 1998 d'une ancienneté inférieure à deux ans (élément non contesté) une indemnité compensatrice de préavis égale à un mois de salaire soit 15.807,75 F et des dommages-intérêts égaux aux salaires versés les six derniers mois soit 96.741 F destinés à compenser, en application des articles L. 122-14-4 et 5 du code du travail tant le préjudice résultant de la rupture que le non-respect de la procédure de licenciement à compter de mai 1998 étant précisé que Monsieur Magne a retrouvé un emploi moins rémunéré (9.100 F brut) ;

Monsieur Heim peut prétendre quant à lui du fait de son ancienneté (16 ans) à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire soit 21.592 F, une indemnité de licenciement de 33.476,66 F et des dommages-intérêts évalués à 200.000 F, l'intéressé étant toujours en octobre 1999 indemnisé par l'Assedic ;

Si Messieurs Magne et Heim doivent rembourser les sommes versées dans le cadre du licenciement par Maître Trémelot, cette restitution ne correspond pas à un préjudice supplémentaire puisque ces sommes s'imputent sur les indemnités de rupture qui seront versées par la société Rose Automobiles laquelle devra remettre aux salariés un certificat de travail et une attestation Assedic ;

Les dépens seront supportés par la société Rose Automobiles qui devra verser à Messieurs Magne et Heim une indemnité de 10.000 F chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Ordonne la jonction des procédures enrôlées sous les n° RG 99-01583 et 99-01584, Réforme les jugements déférés, Met hors de cause la société Rover France et le CGEA AGS de Rennes, Déclare qu'en application de l'article L. 122-12 alinéa 2 du code du travail les contrats de travail de Messieurs Magne et Heim ont été transférés à la société Rose Automobiles, Déclare sans effet les licenciements prononcés par Maître Trémelot ès qualités de liquidateur de la SARL Le Morvan, Dit la rupture de ces contrats de travail imputable à la société Rose Automobiles et sans cause réelle et sérieuse, Condamne la société Rose Automobiles à verser les sommes suivantes : 1°) à Monsieur Magne : - 15.807,75 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, - 96.741 F à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et non responsable la procédure de licenciement, 2°) à Monsieur Heim : - 21.592 F à titre d'indemnité compensatrice de préavis, - 33.476,66 F à titre d'indemnité de licenciement, - 200.000 F à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, Dit que Messieurs Magne et Heim devront restituer à Maître Trémelot ès qualités de liquidateur de la SARL Le Morvan la somme de 15.587 F à Monsieur Magne et 3.092 F à Monsieur Heim et pour Maître Trémelot de les restituer au CGEA de Rennes, Ordonne à la société Rose Automobiles de remettre à Monsieur Magne et Monsieur Heim un certificat de travail et une attestation Assedic rectifiés au 1er juillet 1998, Ordonne le remboursement des indemnités Assedic versées à Monsieur Heim dans la limite de trois mois, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Rose Automobiles aux dépens et au versement à Messieurs Magne et Heim d'une indemnité de 10.000 F chacun en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.