CA Paris, 5e ch. A, 6 septembre 2000, n° 1999-23510
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Automobiles Brusa-SDIL (SARL)
Défendeur :
Groupe Volkswagen France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard-Payen
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Varin-Petit, SCP Monin
Avocats :
Mes Hyest, Henry.
Par courriers du 10 juin 1999 signifiés ce même jour la société Groupe Volkswagen France (la société GVW) a, avec respect du préavis contractuel de 24 mois, résilié les trois contrats de concession à durée indéterminée la liant sur le secteur des Ulis (91) à la société Automobiles Brusa-SDIL (la société Brusa) respectivement pour les marques Audi, Volkswagen et Volkswagen Utilitaires.
Estimant abusive " la rupture du contrat de concession ", la société Brusa a assigné la société Groupe Volkswagen France devant le Tribunal de commerce d'Evry qui par jugement du 17 novembre 1999 a :
- déclaré mal fondée l'exception d'incompétence,
- dit l'intervention volontaire de Monsieur Lucas mal fondée par manque de qualité à agir et l'a débouté de ses demandes,
- dit qu'il n'y a pas rupture abusive des trois contrats de concession et que ces contrats sont valables jusqu'au 10 juin 2001,
- condamné la société GVW à payer à la société Brusa la somme provisionnelle de 200 000F pour non respect des clauses contractuelles,
- ordonné une mesure d'expertise aux fins d'estimer le préjudice né de la non-fourniture par la société GVW de véhicules de démonstration lors de la journée " portes ouvertes " des 18 et 19 septembre 1999 et de la prise de livraison au parc de Villers-Côtterets par la société Brusa des véhicules commandés à la société GVW.
Appelante la société GVW prie la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé qu'il n'y a pas rupture abusive des contrats et de le réformer des chefs relatifs à la provision et à l'expertise,
- débouter la société Brusa de ses demandes,
- dire qu'elle n'a commis aucune faute et que les relations contractuelles entre les parties ne sont pas rompues, celles-ci devant s'achever le 10 juin 2001,
- dire et juger en tout état de cause que s'il était jugé que les relations contractuelles sont rompues, la responsabilité en reviendrait à la société Brusa qui n'a pas fourni la caution demandée,
- juger très subsidiairement que la société Brusa ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue et qu'elle n'établit pas le lien de causalité entre ledit préjudice et les fautes invoquées,
- condamner la société Brusa à lui payer la somme de 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Brusa demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- constater les manquements et les obligations essentielles incombant à la société GVW ainsi que ses actes de déloyauté commerciale ;
- prononcer la résiliation des contrats aux torts et griefs de la société GVW,
- condamner en conséquence la société GVW à lui payer la somme de 24 537 820 F à titre de dommages et intérêts " pour non respect des contrats Volkswagen, Volkswagen Utilitaires et Audi " à ses torts et griefs ainsi que celle de 100 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par conclusions du 16 mai 2000 la société GVW poursuit le rejet des débats des pièces numérotées 77 à 85.
Cela étant exposé,
I. Sur le rejet des débats
Considérant que le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture la société Brusa a communiqué 7 pièces numérotées de 77 à 83 laissant ainsi la société adverse dans l'impossibilité de faire valoir ses observations ;
Que le respect du principe du contradictoire commande que ces pièces soient écartées des débats ;
II. Sur le non-respect par la société GVW de ses obligations contractuelles
Considérant que la société Brusa invoque cinq fautes à l'encontre de la société GVW : le refus d'accepter la caution proposée par la société ICD, des difficultés d'approvisionnement en véhicules neufs et pièces détachées, une absence d'assistance et de conseil, la non-livraison de véhicules de démonstration dans le cadre des journées portes ouvertes des 18 et 19 septembre 1999 et un détournement de clientèle ;
Considérant, en premier lieu, que pour bénéficier de conditions de règlement différé, la société Brusa - tenue contractuellement de disposer d'un cautionnement bancaire - a remis à la société GVW un acte de caution du Crédit Agricole à échéance du 31 décembre 1998 date à compter de laquelle la société GVW lui a demandé de lui remettre un nouvel acte, ce qui n'a pu être fait par suite du refus du Crédit Agricole de renouveler son engagement, qu'en conséquence la société GVW, dans l'attente de la fourniture d'une caution, a supprimé le crédit fournisseur de son concessionnaire, observation étant faite que le montant des impayés était alors supérieur à un million de francs ;
Que la société Brusa a en avril 1999 proposé la délivrance d'une caution par la société ICD à la société GVW qui l'a refusée et demandé l'aménagement du projet d'acte au motif que les clauses étaient plus contraignantes que celles de l'engagement de caution du Crédit Agricole ;
Que la société Brusa estime que ce refus est injustifié et procède d'une stratégie consistant à l'éliminer du Groupe Volkswagen France par asphyxie financière ;
Mais considérant que la société GVW avait, au regard des stipulations contractuelles, la faculté de résilier les contrats de concession dès lors que la société Brusa ne disposait plus du cautionnement d'un organisme bancaire (ce que n'est pas le cas d'ICD) et que de plus la société Brusa n'a donné de suite ni à un courrier de la société ICD indiquant qu'elle était disposée à négocier avec Volkswagen dans l'optique de la mise en place d'une garantie ni à celui de la société GVW du 7 septembre 1999 lui proposant un entretien et précisant attendre un nouveau projet d'acte dépourvu des clauses litigieuses ;
Que de surcroît le projet comportait effectivement des clauses plus contraignantes pour son bénéficiaire que l'engagement de caution précédent - il imposait notamment à la société GVW en contradiction avec les contrats de concession de mettre en demeure le débiteur défaillant par lettre recommandée avec accusé de réception - et la société GVW pouvait légitimement ne pas l'accepter ;
Qu'enfin le fait pour la société GVW d'avoir admis pour un autre concessionnaire - la société Cap Sud Auto - la caution de la société lCD en termes identiques que ceux du projet ne démontre pas sa mauvaise foi dès lors que, d'une part, le refus est intervenu postérieurement à l'acceptation et après que la société GVW a eu connaissance de litiges faisant apparaître que la société lCD était réticente à honorer ses engagements, d'autre part, il n'est pas justifié de situations identiques entre les deux concessionnaires concernés - il n'est notamment pas précisé si la société Cap Sud Auto avait avant la caution de la société lCD bénéficié d'un cautionnement comprenant ou non les mêmes clauses - que celles contenues dans cet acte ;
Qu'il s'ensuit que le premier grief n'est pas fondé et que l'argumentation tirée de la volonté de la société OMW d'éliminer la société Brusa de son réseau ou de la contraindre par la force à accepter le statut d'agent est inopérante ;
Considérant, en second lieu, que la société Brusa reproche à la société GVW de lui avoir refusé la livraison de véhicules neufs et d'avoir supprimé le Code informatique lui permettant la passation de commandes de pièces détachées ;
Mais considérant que ces griefs ne sont établis par aucune des pièces produites en particulier les constats d'huissiers permettent seulement d'affirmer, d'une part, que les véhicules neufs du fait de la non-acceptation de la caution de société lCD étaient disponibles en parc à Villers-Côtterets dans l'attente d'être livrés et d'autre part, que l'utilisation du Code d'accès était suspendue ce qui ne permet pas de déterminer à qui est imputable le dysfonctionnement étant de surcroît relevé qu'un autre Code permettait d'accéder au réseau de la société GVW et que la société Brusa n'a pas signalé l'incident à son cocontractant sauf dans le cadre du présent litige ;
Considérant, en troisième lieu, que la société Brusa se borne à faire valoir que la société GVW ne respecte pas son obligation de conseil et d'assistance depuis le début de l'année 1999 sans préciser quelles étaient auparavant les actions habituellement menées par le concédant, et celles qu'il n'a pas réalisées en 1999; qu'au surplus elle n'allègue aucun préjudice de ce chef ;
Considérant, en quatrième lieu, que dans le cadre des journées portes ouvertes des 18 et 19 septembre 1999, la société GVW a envoyé à ses concessionnaires une lettre circulaire les informant de cette manifestation et de la livraison à partir du 6 septembre d'un véhicule de démonstration Golf GTI TDI payable dans un délai de 90 jours, véhicule qui n'a pas été livré à la société Brusa au motif exposé dans les conclusions de la société GVW que la société Brusa ne pouvait être livrée que moyennant règlement au comptant;
Maisconsidérant qu'il ressort de ce document que les conditions de paiement étaient spécifiques à l'opération comme le relèvent justement les premiers juges;
Que la société GVW était donc tenue de livrer le véhicule de démonstration aux conditions précisées dans la lettre-circulaire qu'a reçue la société Brusa puisqu'elle l'a versée aux débats en première instance;
Considérant, en cinquième lieu, que dans le cadre de l'opération Indigo, la société GVW a transmis aux propriétaires de véhicules de marque " Audi " un numéro d'appel aux fins d'obtenir l'adresse du concessionnaire le plus proche de leur domicileet que selon la société Brusa l'opératrice ne la citait pas lorsqu'elle remplissait les conditions ;
Qu'il ressort des éléments fournis par Maître Lucas dans le cadre d'un constat, - qui s'il n'a pas été fait de façon régulière - apporte néanmoins l'indication corroborée par le courrier de Monsieur Héron de Ville Fossé que l'opératrice n'a pas indiqué à tout au moins à deux reprises le Garage Brusa, que dans ces conditions la société GVW a causé un préjudice à son concessionnaire;
Qu'enfin il n'est pas démontré que la société GVW ait orienté un client de la société Brusa vers le Garage Victor Hugo dès lors qu'il n'est pas contesté que ce fait se situe dans le cadre d'une opération de rappel de véhicules risquant d'être défectueux pour laquelle les clients étaient dirigés vers le concessionnaire le plus proche et non vers celui qui avait effectué la vente ;
III. Sur le préjudice
Considérant que le préjudice est constitué par la perte par la société Brusa d'une chance de réaliser un plus grand nombre de ventes laquelle, eu égard aux circonstances de l'espèce, ne justifie pas la rupture des contrats au torts de la société GVW ;
Que compte tenu des retombées commerciales habituelles des journées portes ouvertes avec véhicules de démonstration et de la portée des informations téléphoniques données, tempérées par le fait, d'une part, que la société Brusa n'a pas cru devoir insister auprès de la société GVW pour qu'elle respecte les avantages promis dans sa lettre circulaire, d'autre part, que l'opération Indigo ne concernait que la société Audi et s'est révélée défectueuse à deux reprises, la Cour dispose de suffisamment d'éléments pour fixer à 150.000 F le préjudice subi par la société Brusa ;
IV. Sur le surplus
Considérant qu'il n'est pas inéquitable de laisser les parties supporter leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant dans la limite de sa saisine, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé que la rupture du contrat n'était pas abusive, le réformant pour le surplus ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Condamne la société Groupe Volkswagen France à payer à la société Automobiles Brusa la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts ; Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Dit que chacune des parties supportera ses dépens de première instance et d'appel.