Livv
Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 6 mars 1996, n° 18657-94

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cadiou

Défendeur :

Papeteries de Buxeuil (Sté), Annunziata France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

Me Hanine, SCP Valdelievre Garnier

Avocats :

Mes Couteau, Tordjmann

T. com. Paris, 17e ch., du 26 avr. 1994

26 avril 1994

Par contrat conclu le 22.9.1981 les Papeteries de Buxeuil ont confié à M. Cadiou un mandat exclusif en vue de la commercialisation auprès d'Auchan, de Continent et de Promodès de ses produits (des papiers domestiques et sanitaires).

Par courrier du 12.12.1991 les Papeteries de Buxeuil ont résilié ce contrat au motif que le chiffre d'affaires de leur agent commercial avait baissé de plus des 2/3 entre 1990 et 1991 après avoir été égal à zéro en 1988 et 1989.

C'est dans ces conditions que M. Cadiou a assigné en paiement de dommages et intérêts les Papeteries de Buxeuil devant le Tribunal de Commerce de PARIS qui par jugement du 26.4.1994 l'a débouté de ses demandes et l'a condamné à payer à la défenderesse la somme de 15.000F au titre de l'article 700 du NCPC.

Au soutien de l'appel qu'il a interjeté de cette décision, M. Cadiou fait valoir que :

- il a été victime de la part des Papeteries de Buxeuil d'une obstruction commerciale et d'une concurrence déloyale tant pour Promodès que pour Auchan ses clients;

- s'agissant de l'obstruction commerciale elle est établie dès lors que : 1°) pour Promodes il n'a pas eu connaissance des prix et n'a pu fournir les échantillons permettant de répondre à l'appel d'offre de cette société et a vu son action commerciale bloquée, les papeteries de Buxeuil arguant d'un litige avec Codec repris par la société Promodès pour suspendre toute vente et ensuite dénouer la situation après la rupture de son contrat et recevoir des ordres d'achat directement afin d'éviter de payer la commission contractuellement due 2°) pour Auchan (qu'il n a pu démarcher que depuis le rachat des Papeteries de Buxeuil par le Groupe Italien Annunziata permettant une plus grosse capacité de production insuffisante par le passé) la rupture de son contrat est intervenue alors qu'il avait obtenu un rendez vous et qu'il était interrogé pour la fourniture de papier "1er prix marque PAM" pour les zones 4 et 5 définis dans un télex du 25.11.1991 (ce qui ouvrait à son mandant la possibilité de fournir d'autres produits) et n'avait pu obtenir des Papeteries de Buxeuil leur position sur cette proposition d'entrée au motif fallacieux que le nom du distributeur concerné ne leur était pas précisé ;

- s'agissant de la concurrence déloyale elle s'est traduite par le fait que les Papeteries de Buxeuil ont en violation flagrante de son exclusivité mandaté un autre agent commercial, la société Lincoln, qui avait des relations contractuelles avec Buxeuil par le truchement d'Annunziata et a contacté la société Promodès.

- la dégradation de son chiffre d'affaires avec Promodès dans le deuxième semestre 1990 est en relation avec l'obstruction caractérisée des Papeteries de Buxeuil à son encontre et l'insuffisance du chiffre d'affaires de 1987 à 1989 est due au refus de cette société de signer le contrat de coopération de 1987 faute de satisfaire aux exigences acceptables de la centrale d'achat puis à des propositions de prix trop élevées enfin au blocage des livraisons du fait du non-paiement des factures Codec.

Il prie la COUR de :

- réformer le jugement déféré,

- condamner les Papeteries de Buxeuil à lui payer les sommes de 1°) 8.566.320 Francs au titre du préjudice subi du fait de l'obstruction commerciale et de la concurrence déloyale 2°) 420.000F montant du préjudice subi du fait de la non réalisation de l'offre Auchan 3°) 400.000F pour résiliation abusive du contrat à titre subsidiaire le montant du préjudice évalué après l'organisation d'une mesure d'expertise 4°) 30.000F au titre de l'article 700 du NCPC.

- ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluer les préjudices complémentaires qu'il a subi.

Les Papeteries de Buxeuil opposent que :

- elles ont cessé en 1987 toute relation commerciale avec Promodès qui leur demandait un budget de référencement trop élevé et n'a pas répondu à une proposition de 2.700.000 F pour 300.000 colis par ailleurs pour 1988 et 1989 M. Cadiou n'a fait aucune offre,

- M. Cadiou a attendu le 11.4.1991 pour lui faire parvenir l'appel d'offres de la société Promodès alors que les éléments devaient être transmis avant le 20.3 et qu'il savait qu'elles n'avaient pas la capacité de faire face à une telle commande leur positionnement sur le marché des articles "premier prix" ne cadrant pas avec la marque Continent qui est supérieure ;

- contrairement à ce qu'affirme M. Cadiou, la reprise par la société Annunziata qui est une entité juridique distincte de la leur, n'était pas de nature à modifier leur capacité et leur type de production ;

- le fait qu'elles aient souhaité régler avec Promodès (qui avait acquis Codec) la question des produits Codynett qu'elles n'avaient pas livré à Codec en raison d'un impayé avant de conclure un nouveau marché ne saurait caractériser une quelconque obstruction commerciale ce d'autant que le courrier de Cap-Promodès du 20.12.1992 fait apparaître que M. Cadiou ne leur avait pas transmis les propositions de reprise du stock qui lui avaient été remises par Promodès.

- elles n'ont jamais mandaté la société Lincoln qui n'avait aucun lien contractuel avec elles et dont il est établi qu'elle a déposé son bilan le 27.12.1991.

- M. Cadiou ne démontre pas qu'elles aient refusé de fournir des échantillons et de renégocier des prix trop élevés ;

- en réalité M. Cadiou qui n'avait réalisé avec Auchan aucun chiffre d'affaires a fait mine de se rapprocher de cette société lorsqu'il a senti que la résiliation de son contrat était imminente et de surcroît a transmis une offre sans préciser le distributeur dont il n'a révélé le nom que huit jours avant la rupture ;

- en tout état de cause M. Cadiou ne saurait prétendre aux indemnités sollicitées alors que sa rémunération totale est passée de 264.203 F pour l'année 1990 à 87.993,99 F pour l'année 1991 et que son chiffre d'affaires était nul en 1990 et 1991.

- la demande additionnelle tendant à obtenir le paiement de la somme de 400.000 F pour résiliation abusive est irrecevable comme constituant une prétention nouvelle en appel. Au surplus la résiliation du contrat est justifiée compte tenu des résultats obtenus par M. Cadiou.

Elles demandent à la Cour de confirmer le jugement déféré et de leur allouer la somme supplémentaire de 20.000F au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.

Par conclusions du 21.8.1995 la société Annunziata France assignée le 3.7.1995 en intervention forcée par M. Cadiou demande à la Cour de lui donner acte de ce que par l'effet de la fusion absorption des Papeteries de Buxeuil qui ont été radiées du registre du commerce le 23.3.1995 elle se trouve par le fait substituée à cette société dont elle entend adopter les conclusions ;

CELA ETANT EXPOSE :

I. Sur l'irrecevabilité de la demande additionnelle en paiement de dommages et intérêts pour résiliation abusive du contrat :

Considérant que dans son exploit introductif d'instance M. Cadiou a demandé au Tribunal

1°) de condamner les Papeteries de Buxeuil à lui payer notamment "la somme de 420.000F au titre du préjudice subi du fait de la non réalisation de l'offre chez Auchan du fait de l'obstruction commerciale des Papeteries de Buxeuil et de la résiliation abusive qui a suivi

2°) de désigner un expert aux fins d'évaluer tous les préjudices complémentaires subis découlant du potentiel des marchés perdus du fait de l'obstruction commerciale de la concurrence et de la résiliation abusive du contrat d' agence ; de donner tous éléments pour apprécier le préjudice financier et personnel subi par l'agence commerciale de M. Cadiou du fait de sa destabilisation par l'obstruction commerciale, la concurrence déloyale et la résiliation abusive";

Qu'en demandant à la Cour de lui allouer la somme de 400.000F au titre du préjudice qu'il a subi du fait de la rupture abusive de son contrat ou à titre subsidiaire d'ordonner une mesure d'expertise aux fins d'évaluer ce préjudice M. Cadiou ne fait qu'expliciter une prétention déjà présentée en première instance ;

Que le moyen tiré de l'article 564 du NCPC n'est pas fondé;

Qu'il s'ensuit que la demande additionnelle sera déclarée recevable;

II. Sur l'intervention de la société Annunziata France ;

Considérant qu'il est acquis aux débats que les Papeteries de Buxeuil ont été reprises en mars 1991 par la société Italienne Annunziata.

Que suivant l'extrait KBIS du 30.1.1995 elles étaient toujours inscrite à cette date au registre du commerce et constituant donc au moment du litige une société distincte de la société Annunziata.

Qu'il résulte de l'assignation forcée et des conclusions de la société Annunziata France qu'elles ont postérieurement au 30.1.1995 fait l'objet d'une fusion absorption par cette dernière société et ont été radiées du registre du commerce le 23.3.1995.

Que dans ces conditions en application de l'article L. 372.1 al 1 de la loi du 24.7.1966 relative aux sociétés commerciales la société Annunziata France se trouve substituée aux sociétés Papeteries de Buxeuil.

III. Sur les actes de concurrence déloyale :

Considérant qu'en se bornant à verser aux débats un courrier de la société Promodès en date du 17.12.1991 dans lequel un de ses interlocuteurs habituel, M. Dalibard, expose que la société commerciale Lincoln lui avait dit pouvoir lui faire des offres également pour les Papeteries de Buxeuil à la suite du rachat par Annunziata, M. Cadiou ne rapporte pas la preuve que les Papeteries de Buxeuil, société juridiquement distincte de la société Annunziata, avaient mandaté la société Lincoln pour prospecter Promodès et ce au mépris de la clause d'exclusivité stipulée à son contrat d'agent commercial ;

IV. Sur l'obstruction commerciale concernant la centrale Auchan :

Considérant que M. Cadiou qui détenait en vertu de son contrat d'agent commercial conclu le 22.9.1981 l'exclusivité pour la centrale d'achat Auchan n'a entrepris des démarches auprès de cette société que dix ans après la signature de son contrat ;

Que par télex du 25.11.1991 il a précisé aux Papeteries de Buxeuil devoir être reçu par "un leader de la distribution française" et leur a demandé de confirmer par retour les prix de produits figurant sur une liste susceptible d'intéresser ce distributeur;

Qu'en répondant le lendemain ne pouvoir "être en mesure de confirmer cette offre" ne sachant pas de quel distributeur il s'agit" les Papeteries de Buxeuil n'ont commis aucune faute;

Considérant que les Papeteries de Buxeuil ont opposé jusqu'à la lettre de rupture du 12.12.1991 un silence à leur agent commercial qui leur avait fourni le 29.11 l'information manquante;

Que cette attitude est la manifestation de la décision alors prise par elle de ne pas poursuivre leurs relations contractuelles avec M. Cadiou.

V. Sur l'obstruction commerciale concernant la société Promodes.

Considérant en premier lieu que les Papeteries de Buxeuil ont pour le contrat de l'année 1987 proposé un budget de référencement pour 360.000 colis (pièces N°9);

Qu'il n'a pas été répondu à cette offre ;

Que la cessation des relations contractuelles ne peut etre imputée à la société Papeteries de Buxeuil.

Considérant en second lieu que M. Cadiou a fait parvenir le 11.4.1991 aux Papeteries de Buxeuil un document du 25.2.1991 relatif à l'appel d'offres litigieux dans lequel il était demandé aux intéressés de fournir divers éléments avant le 20.3.

Qu'il leur a le 9.11 indiqué l'adresse des laboratoires Promodès.

Que dans son courrier du 17.12.1991 M. Dalibard, de la centrale alimentaire Promodès confirme à M. Cadiou que les Papeteries de Buxeuil n'ont pas été retenues dans le cadre du "marché marques Promodès" pour trois raisons dont l'absence de fourniture des échantillons et fiches techniques à leur service qualité;

Que M. Cadiou au vu des éléments de fait susvisés ne démontre pas que cette déficience soit imputable aux Papeteries de Buxeuil auquel il ne peut donc faire grief de n'avoir pas pu obtenir ce marché;

Considérant en second lieu qu'il résulte des télex et courriers échangés entre les Papeteries de Buxeuil et M. Cadiou d'une part et la société Promodès d'autre part que les papeteries de BUXEUIL, créancière de Codec société reprise par Promodès, ont négocié pendant plusieurs mois avec cette société et M. Cadiou et sous une forme qui n'était pas "anti-commerciale" la reprise du stock de produits Codynett commandés par Codec et ont précisé le 9.12. attendre la concrétisation des promesses faites pour l'écoulement de ce stock avant de proposer de nouvelles offres de fourniture;

Que dans son courrier du 20.1.1992 M. Lauthier dirigeant de la centrale alimentaire Promodès expose aux Papeteries de Buxeuil que son collaborateur, M. Dalibard a fait les efforts nécessaires pour trouver une issue positive à ce problème mais que "la rétention d'information sur ce sujet à l'égard des Papeteries a été préjudiciable pour une réaction rapide, M. Cadiou se gardant bien de (leur) faire remonter les demandes précises de M. Dalibard sur Codynett, préférant privilégier le référencement potentiel d'autres produits de (leur) gamme";

Que M. Cadiou ne démontre pas que les Papeteries de Buxeuil ont bloqué son action commerciale en arguant du litige Codynett pour pouvoir le dénouer après la résiliation de son contrat et se soustraire à leur obligation de lui payer ses commissions;

VI. Sur la demande de dommages et intérêts fondée sur l'obstruction commerciale et la concurrence déloyale :

Considérant qu'il résulte de l'ensemble des éléments versés aux débats que M. Cadiou ne rapporte pas la preuve des griefs allégués ;

Qu'il sera débouté de ses demandes de dommages et intérêts;

VII. Sur la résiliation abusive du contrat du 22.9.1981.

Considérant que les Papeteries de Buxeuil ont résilié le contrat de leur agent commercial au motif de l'insuffisance du chiffre d'affaires réalisé par ce dernier;

Qu'elles n'établissent pas que cette baisse de chiffre d'affaires soit consécutive à une activité insuffisante de M. Cadiou d'autant que celui-ci a maintenu des contacts avec la société Promodès et a permis la reprise des relations commerciales avec elle alors que les Papeteries de Buxeuil reconnaissent que l'interruption des relations était imputable à Promodès, qu'elles ont par la suite préféré privilégier le règlement du litige relatif à Codynett plutôt que de vendre de nouvelles fournitures, enfin que leur capacité de production étant insuffisante pour fournir plusieurs grandes centrales d'achat comme Promodès et Auchan. Que de plus la résiliation s'est faite sans préavis et sans que des critiques n'aient été adressées à M. Cadiou durant les dix ans d'exécution de son contrat ; Que la rupture est abusive;

Considérant que compte tenu du caractère brutal de la rupture, de la politique commerciale des Papeteries de Buxeuil durant l'année 1991 qui si, il n'est pas démontré qu'elle était destinée à réduire l'activité et donc le chiffre d'affaires de M. Cadiou, a toutefois eu cette conséquence, du montant des rémunérations de ce dernier en 1990 (264.203 Fttc) et en 1991 ( 87.993,99 Fttc) la Cour dispose de suffisamment d'éléments pour fixer à 330.000F le montant du préjudice subi;

VIII. Sur le surplus :

Considérant qu'il est équitable d'allouer à M. Cadiou la somme de 15.000F au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Que les Papeteries de Buxeuil qui succombent en leurs prétentions seront déboutées de leurs demandes fondées à ce titre ;

Par ces motifs : LA COUR confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit M. Cadiou mal fondé en ses demandes concernant l'obstruction commerciale et la concurrence déloyale; Le reformant pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant : - Déclare recevable et bien fondé la demande fondée sur la rupture abusive du contrat; - condamne la société Annunziata France venant aux droits de la société Les Papeteries de Buxeuil à payer à M. Cadiou la somme de 330.000F à titre de dommages et intérêts et celle de 15.000F sur le fondement de l'article 700 du NCPC. - ici condamne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du NCPC.