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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 18 octobre 2000, n° 1999-13301

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ouest Automobiles (SA), Langlais (ès qual.), Priet (Consorts)

Défendeur :

Renault (SA), "Cogera" (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Renard-Payen

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Mihailov, Cocchiello.

T. com. Paris, 1re ch., du 21 avr. 1997

21 avril 1997

La société Ouest Automobiles dont les consorts Priet ont pris le contrôle en 1976, était depuis 1969 concessionnaire Renault dans la commune de Vernon et détentrice d'un contrat de concession à durée indéterminée conclu le 2 janvier 1986 qui a été résilié le 9 novembre 1992 à effet du 9 novembre 1993 ; le 30 novembre 1992 les sociétés Compagnie de Gestion Rationnelle des Stocks (la Cogera) et Diac ont par voie de conséquence résilié leur convention de financement.

Estimant que la société Régie Nationale des Usines Renault (actuellement et ci-après dénommée la "société Renault") et la Cogera avaient abusivement résilié le contrat de concession dans le cadre du préavis et retiré au concessionnaire le bénéfice du crédit-fournisseur, la société Ouest Automobiles et la SCI Saint-Claude ont assigné ces deux sociétés devant le Tribunal de Commerce de Paris où sont intervenus Maître Langlais en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Ouest Automobiles, Claude Priet Danièle Priet née Branthomme, Olivier et Pascal Priet (les consorts Priet).

Par jugement du 21 avril 1997 le Tribunal a:

- débouté la société Ouest Automobiles, Maître Langlais ès-qualités et les consorts Priet de leurs demandes,

- débouté la société Renault et la Cogera de leur demande de dommages et intérêts,

- condamné solidairement la société Ouest Automobiles, Maître Langlais, ès qualités, et les consorts Priet à payer à chacune des sociétés défenderesses la somme de 15.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens.

Appelants, la société Ouest Automobiles, Maître Langlais ès qualités d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Ouest Automobiles ainsi que les consorts Priet prient la Cour :

- par application des articles 1134-3 et 1135 du Code Civil de condamner solidairement les sociétés Renault et Cogera à payer à la société Ouest Automobiles la somme de 4.300.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de marge brute " essuyée " au cours de l'exercice 1993 et celle de 6.000.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de la valeur du fonds de commerce,

- par application de l'article 1382 du Code Civil de condamner solidairement les mêmes sociétés à payer aux consorts Priet en leurs qualités d'associés de la SCI Saint-Claude la somme de 1.073.000 F correspondant à la moins-value de leurs parts du fait de la perte de la concession,

- de désigner un huissier de justice "aux fins de se livrer aux constatations nécessaires au solde contradictoire du compte entre les parties",

- de condamner solidairement les sociétés Renault et Cogera à leur payer la somme de 60.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Les sociétés Renault et Cogera demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la société Ouest Automobiles et Maître Langlais de leurs demandes,

- déclarer les consorts Priet irrecevables, subsidiairement mal fondés en leur demande,

- condamner les appelants in solidum à leur payer la somme de 60.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Cela étant exposé,

I- Sur la résiliation du contrat de concession :

Considérant que la société Ouest Automobiles contestant le bien-fondé des critiques formulées dernièrement à son encontre sur ses performances commerciales, fait grief à la société Renault d'avoir résilié le contrat de concession au mépris des investissements entrepris s'exprimant tant dans l'absence de considération pour le nécessaire amortissement des investissements réalisés à hauteur de plus de dix millions de francs dans les quatre années ayant précédé la résiliation du contrat de concession que par l'obstacle mis à une cession amiable de l'entreprise ;

Que la société Renault, après avoir relevé qu'il est vain de s'attarder sur de prétendus griefs allégués puisque la société Ouest Automobiles a bénéficié du préavis contractuel de un an, réplique qu'elle n'est pas à l'origine du projet d'investissement et a été seulement consultée comme conseil et qu'elle n'avait pas à assurer la reconversion de son concessionnaire lequel n'a pas été empêché de céder son entreprise et a plutôt choisi de se reconvertir dans l'activité d'importation parallèle de véhicules ;

Considérant qu'il est constant que lorsque les époux Priet ont repris la concession Renault de Vernon, ils disposaient de locaux vétustes et insuffisants pour exercer leur activité et qu'ils ont, vers les années 1988, envisagé la construction de locaux neufs de sorte qu'en 1991, la société Ouest Automobile était installée sur quatre sites, un lui appartenant et les trois autres étant la propriété respective des SCI Saint-Claude, Multipole et Saint-Jacques, la SCI Multipole ayant investi 2,2 millions de francs et la SCI Saint-Claude 5 millions de francs tandis que pour les mêmes locaux la société Ouest Automobiles investissait un peu plus de 1 million de francs (rapport financier de la Sovel expert-comptable) et projetait de nouveaux investissements;

Qu'en l'espèce, l'étendue de l'intervention de la société Renault dans les opérations ressort, d'une part, de l'attestation de Monsieur Levillain, architecte de la société Ouest Automobiles, qui indique avoir été en contact "avec les services conseils d'architecture de la RNUR lesquels (lui) ont remis des plans d'avant-projets devant servir de base à la construction de la concession de Vernon, pour le compte de la SCI Saint-Claude créée à cet effet par Monsieur Priet", d'autre part, de divers plans et études versés aux débats qui ont été élaborés courant 1989 et 1990 sous l'égide de la direction commerciale de la société Renault;

Que s'il est patent à l'examen de ces pièces que la société Renault a activement collaboré au projet de la SCI Saint-Claude initié un peu plus de trois ans avant la résiliation du contrat de concession, il n'en résulte néanmoins pas qu'elle ait incité son concessionnaire à réaliser ledit projet, ni qu'elle en ait subordonné l'exécution à la poursuite des relations contractuelles, ni même qu'il ait été conçu pour satisfaire aux seules exigences de la mise aux normes de Renault plutôt qu'à celles indispensables à l'exploitation normale de toute concession automobile;

Considérant que selon l'article 1-3 du contrat de concession, les droits qui résultent pour chacune des parties, de ce contrat "ne sont ni cessibles, ni transmissibles, sauf en cas de cession du fonds de commerce, et dans ce cas, sous condition de l'agrément préalable et écrit du constructeur";

Qu'un mois après la résiliation du contrat, Monsieur Priet a, lors d'une réunion tenue avec des représentants de la société Renault, fait savoir qu'il désirait céder son fonds de commerce et remis une étude d'évaluation, alors qu'à cette époque à sa connaissance la société Renault avait retenu les candidatures de Messieurs Meyt et Mouraille (lettres des 1er et 3 décembre 1993), que par la suite - le 13 mai 1993 - Monsieur Desormeaux a informé Monsieur Priet de ce qu'il était d'accord pour le rachat de la société "dans les conditions financières évoquées", qu'enfin Monsieur Duchemin devait reprendre la société tandis que Monsieur Jouannon se présentait comme le futur concessionnaire (lettre du 3 décembre 1993);

Que ces documents permettent seulement de constater qu'aucune des parties n'a fait de diligence pour aboutir à une cession du fonds au profit du concessionnaire choisi par la société Renault ni Monsieur Priet pour informer cette société de l'existence de candidats repreneurs, observation étant faite que la société Renault n'était pas tenue préalablement à la résiliation de rapprocher un éventuel futur concessionnaire de l'ancien même si l'on pouvait s'attendre à cette démarche de la part d'un concédant ayant été lié pendant de très nombreuses années avec le même concessionnaire dont il entendait résilier le contrat ;

Considérant en définitive que la société Ouest Automobiles ne démontre pas le caractère abusif le la résiliation;

II- Sur l'exécution du préavis:

Considérant que la société Ouest Automobiles reproche à la société Renault d'avoir, pour rendre sa propre reconversion impossible et réserver à son successeur - la société SVDA - l'intégralité de la clientèle fidélisée depuis 1969, entrepris de déstabiliser la concession en cours de préavis tant au plan financier, en particulier en réduisant les encours au mépris des dispositions des articles 4-1 et 5-3 du contrat de financement, en retenant le paiement de sommes qui lui étaient dues, et sur le plan commercial notamment en divulguant de façon anticipée l'information de résiliation;

Que la société Renault oppose que l'encours a été réduit de façon progressive dans le respect des clauses du contrat - il est passé de 90 jours en novembre 1992 à 60 jours en mars 1993 puis à 30 jours en juin 1993 - le paiement au comptant étant exigé à partir d'avril 1993 jusqu'en novembre 1993 date d'échéance du préavis et qu'elle est étrangère aux rumeurs afférentes à la future résiliation du contrat de concession;

Considérant qu'aux termes du contrat conclu avec la Cogera, la résiliation du contrat de concession entraîne celle du contrat de financement, le concessionnaire gardant pendant la durée du préavis prévu dans le cadre de la résiliation du contrat de concession la faculté d'utiliser les possibilités de financement mises à sa disposition par Cogera sans préjudice de l'article 4-1 qui énonce qu'" en cas de dégradation de la situation financière du concessionnaire et dans le cas où les conditions dans lesquelles s'effectue l'exploitation le justifieraient, notamment en cas de résiliation du contrat de concession par le concessionnaire ou le concédant, la Cogera se réserve la possibilité de fixer un encours maximum de financement, les véhicules ou pièces de rechange facturés en dépassement de cet encours devant, dans ce cas être réglés au comptant, et/ou de réduire la durée maximum des financements ";

Qu'il s'ensuit que la Cogéra était bien fondée à résilier le contrat de financement le 30 novembre 1992 à effet à la fin du préavis du contrat de concession et à réduire progressivement l'encours alors que la situation financière de la société Ouest Automobiles n'était pas dégradée, étant relevé que la Cogera était disposée à revoir le plan d'apurement dans la mesure où le concessionnaire fournirait une garantie bancaire à hauteur des financements qu'il souhaitait obtenir (courtier du 30 novembre 1992) et que Monsieur Priet, qui n'a pas engagé semblable démarche auprès de la Cogera, avait obtenu de la Diac le plan de réduction progressif de l'encours;

Considérant que la société Diac avait conclu une convention d'avance de trésorerie d'exploitation pour un montant plafonné à 3.500.000 F garantie par un billet à ordre de ce montant souscrit par la société Ouest Automobiles au bénéfice de la société Diac, Monsieur Priet, PDG de la société Ouest Automobiles se constituait donneur d'aval sur ce billet à ordre, qu'à la suite de la résiliation de cette convention la société Diac a accepté que le remboursement de l'avance ne soit effectué qu'à la fin du préavis, date à laquelle le billet à ordre a été régulièrement présenté au paiement et n'a permis le règlement que de la somme de 1 million de francs en conséquence de quoi la société Diac a, le 23 novembre 1993 fait dresser protêt et Monsieur Priet a, par jugement du 5 mai 1994 confirmé par un arrêt de la Cour d'Appel de Rouen du 9 octobre 1997, été condamné en tant que donneur d'aval à payer à la Cogera (venant aux droits de la société Diac) la somme de 1.091.651,60 F avec intérêts au taux légal à compter du 12 juillet 1994;

Que la société Ouest Automobiles soutient que la société Renault, qui n'ignorait rien de ses engagements avec sa filiale de financement, a délibérément retenu le paiement des sommes dues à la concession au titre de la reprise de la totalité du stock de pièces, de primes et de participations commerciales et feint de n'en avoir pas retrouvé la trace dans ses comptes provoquant sciemment la défaillance du concessionnaire - la société Renault lui devant 1.042.821 F qui aurait pu pratiquement couvrir la créance de la société Cogera d'un montant de 1.091.651 F étant précisé que le principe de la compensation était admis par les sociétés concernées, et les conditions de protestation de l'effet;

Mais considérant que ce n'est qu'à compter du 30 septembre 1993, qu'un débat sur les comptes s'est instauré entre la société Ouest Automobiles et la société Renault, que ces derniers ne pouvaient être définitivement arrêtés qu'à l'échéance du préavis (le 11 novembre 1993) pour les pièces en stock voire plus tard notamment pour une partie des primes, que de plus la société Ouest Automobiles n'établit ni que, sauf malveillance de la société Renault, les comptes tels qu'ils pouvaient être arrêtés au jour de la présentation de l'effet auraient dû présenter en sa faveur un solde créditeur de 3.500.000 F, ni en quoi la différence d'appréciation des deux parties après le 8 novembre 1993 sur le montant créditeur de la société Ouest Automobiles - 1.042.821 F pour cette société et 634.348 F pour la société Renault - a été un obstacle à l'exécution normale du préavis -le billet à ordre a été présenté à son échéance et le concessionnaire a pu recevoir en dépôt à la concession les voitures réclamées fin septembre 1993;

Qu'il ressort de ces éléments que les griefs de la société Ouest Automobiles ne sont pas justifiés;

Considérant enfin que les pièces produites émanant de tiers démontrent que, peu de temps avant la résiliation officielle du contrat de concession, des rumeurs se sont propagées sur cet événement de nature à nuire à la société Ouest Automobiles sans qu'aucune d'entre elles, ne permette d'affirmer que la société Renault ait été à l'origine de cette malveillance et ce dans l'intention de priver son concessionnaire de toute chance de céder son fonds à son successeur.

Considérant qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments le jugement sera confirmé;

III- Sur l'établissement définitif des comptes

Considérant que la société Ouest Automobiles soutient que la société Renault s'est abstenue de porter au crédit de son compte des sommes correspondant à la reprise du stock de véhicules neufs et de pièces de rechange ainsi que notamment aux participations commerciales dont l'intégration aurait pour effet de définir un solde en sa faveur de 1.042.821 F établi à partir de factures et d'avoirs émis par la société Renault;

Que la société Renault oppose que les primes ont été réglées et conteste devoir quelque somme que ce soit au titre de la reprise du stock de pièces sur le fondement de l'article 14-2 du contrat de concession;

Considérant que selon l'article 14-2 le constructeur a la simple faculté de reprendre les pièces qui lui ont été livrées et qui restent invendues;

Que c'est donc à bon droit que la société Renault a refusé neuf conteneurs de pièces, ce d'autant que le refus était dû au fait que certaines d'entre elles n'étaient pas gérées par la direction pièces rechange, d'autres ne correspondaient pas aux références annoncées, d'autres n'étaient pas commercialisables;

Que pour le surplus les éléments fournis par les parties étant insuffisants pour déterminer le montant exact des créances des deux parties, il y a lieu d'ordonner une mesure de constat dans les termes du dispositif de l'arrêt;

IV- Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Considérant qu'il est équitable d'allouer à chacune des sociétés Renault et Cogera la somme de 15.000 F au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et que s'agissant des demandes formées devant la Cour, il y a lieu de surseoir à statuer;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne les sommes réclamées par la société Ouest Automobiles au titre du solde de son compte, Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant, Ordonne une mesure de constat, Commet pour y procéder Maître Nakache, huissier de justice, domicilié 20, quai de la Mégisserie 75001 Paris, qui aura pour mission d'examiner les pièces produites par les parties, de se faire remettre toutes pièces utiles et de proposer à la Cour un compte entre les parties après avoir recueilli leurs observations, Dit que la société Ouest Automobiles devra consigner avant le 1er décembre 2000 au greffe de la Cour la somme de 3.000 F à valoir sur les honoraires, Dit que le constatant devra déposer son constat avant le 1er mars 2001, Sursoit à statuer sur les demandes formées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et sur les dépens.