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Décisions

CA Paris, 5e ch. A, 6 novembre 1996, n° 13409-94

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Janvier

Défendeur :

Havas Media Hebdos (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vigneron

Conseillers :

Mmes Jaubert, Percheron

Avoués :

SCP Gaultier-Kistner, Me Kieffer Joly

Avocats :

Mes Djian Lascar, Natali.

T. com. Corbeil-Essonnes, du 20 avr. 199…

20 avril 1994

Jacques Janvier a, suivant déclaration remise au secrétariat-greffe le 31 mai 1994, interjeté appel du jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 20 avril 1994 par le Tribunal de Commerce de Corbeil Essonnes qui a :

- déclaré recevable l'action diligentée par M. Janvier représentant la société de fait Publi-Banlieue,

- condamné la société Avenir Havas Hebdos à payer à M. Janvier la somme de 50.798 F à titre de redevances des 3ème et 4ème trimestres 1991 avec intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 9 décembre 1991,

- déclaré caduque à compter du 6 décembre 1991, pour disparition de cause, la convention enregistrée le 6 décembre 1978,

- débouté M. Janvier du surplus de sa demande et la société Avenir Havas Hebdos de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Avenir Havas Hebdos aux dépens.

Monsieur Janvier prie la Cour, réformant cette décision en ce qu'elle l'a débouté du surplus de sa demande, de condamner la société Avenir Havas Hebdos à lui payer la somme de 1.043.712,50 F au titre de cession de clientèle, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation. Il sollicite en outre la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Monsieur Janvier fait valoir au soutien de son appel que de 1960 au 30 juin 1978 la société de fait Publi-Banlieue, qu'il animait, a exercé l'activité de preneur de publicité en démarchant en exclusivité la clientèle située dans la zone d'action du journal Le Républicain, qu'en 1978 a été signé un contrat entre la société Libération-Presse qui éditait Le Républicain et Publi-Banlieue aux termes duquel cette dernière confiait à sa cocontractante la gestion de sa clientèle moyennant le versement d'une redevance, la société Libération-Presse s'engageant par ailleurs à acquérir tout ou partie de ladite clientèle sur simple demande de Publi-Banlieue, et que cet engagement n'a plus été respecté à compter d'avril 1991 par la société Havas (devenue porteur de parts majoritaire du journal en novembre 1988), cette dernière ayant refusé de verser les redevances échues postérieurement et d'acquérir la clientèle au prix calculé conformément à l'accord de1978.

Il soutient qu'il est recevable à agir dès lors que Publi-Banlieue a une existence réelle et qu'il en est associé et seul connu des tiers et que sa demande est fondée, les termes de la convention de 1978 étant clairs et précis et l'activité de Publi-Banlieue en qualité de preneur d'affaires ayant créé une clientèle qui lui appartenait.

La SA Havas Media Hebdos nouvelle dénomination sociale de la société Avenir Havas Hebdos (ci-après Havas) s'oppose aux prétentions de M. Janvier et forme appel incident du jugement entrepris pour voir :

- déclarer irrecevable l'action engagée par M. Janvier au nom de la société de fait Publi- Banlieue, une telle société n'ayant pas de personnalité morale et ne pouvant ester en justice,

- subsidiairement dire que la société Publi-Banlieue est inexistante et que la convention enregistrée le 6 décembre 1978 entre cette société et la société Libération Presse ne peut recevoir aucune application,

- plus subsidiairement de constater que M. Janvier ne peut agir qu'en son nom propre et pour un quart des sommes qui seraient dûes aux associés,

- sur le fond, de constater que la clientèle étant propriété de la société Libération-Presse, elle ne pouvait faire l'objet d'un contrat de gestion et encore moins d'une cession, de constater en conséquence l'absence de cause, sur le fondement de l'article 1131 du Code civil, de la convention litigieuse et de la déclarer nulle, et de condamner M. Janvier à lui régler la somme de 770.970 F à titre de restitution des redevances indues versées depuis 1978 et à lui restituer les sommes de 50.798 F et 12.447 F réglées en vertu de l'exécution provisoire dont était assorti le jugement entrepris, avec intérêts de droit à compter de leur règlement soit juillet 1994 pour la première et octobre 1994 pour la seconde ;

- très subsidiairement de confirmer le jugement entrepris.

Elle poursuit en outre la condamnation de M. Janvier à lui payer les sommes de 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 30.000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que suivant convention non datée mais enregistrée le 6 décembre 1978 la société Publi-Banlieue représentée par son gérant Monsieur Jacques Janvier a confié à la société Libération-Presse SARL qui publiait le journal " Le Républicain " la gestion de sa clientèle à partir du 1er juillet 1978 pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties six mois au moins avant la date de renouvellement annuel et par lettre recommandée avec accusé de réception moyennant une redevance annuelle payable par trimestrialités, fixée pour la première année à 36.000 F et devant être calculée chaque année, à partir de la deuxième année c'est à dire le 1er juillet 1979, en appliquant le pourcentage de 6,71% aux salaires bruts versés aux courtiers en publicité opérant dans le département de L'Essonne pendant l'année civile précédente; que la société Libération-Presse s'engageait par cette convention à entretenir et gérer le portefeuille des clients de la société Publi-Banlieue en bon père de famille, la Société Publi-Banlieue s'engageant de son côté à n'exercer aucune activité d'aucune sorte pendant la durée du contrat ; qu'il était enfin prévu que, dans le cas où la société Publi-Banlieue demanderait à la société Libération-Presse de lui céder tout ou partie de la clientèle objet de ce contrat, la société Liberation-Presse s'engageait à s'en porter acquéreur dans un délai de six mois après la demande, le prix de la clientèle étant alors égal à la redevance perçue par Publi-Banlieue au cours des douze derniers mois multiplié par un coefficient de 12,50 ;

Considérant que cette convention a été exécutée jusqu'au 2ème trimestre 1991; que toutefois lorsque M. Janvier a, le 1er juillet 1991, demandé à la société Havas, qui avait pris en novembre 1988 le contrôle du Républicain, d'exécuter l'engagement d'acquérir souscrit aux termes de la convention susvisée, la société Havas a non seulement laissé sans suite cette demande, mais encore cessé de verser les redevances trimestrielles ; que c'est dans ces conditions que M. Janvier l'a fait assigner devant le Tribunal de Commerce de Corbeil Essonnes ;

Considérant que la société Havas soulève en premier lieu l'irrecevabilité de la demande au motif que l'assignation introductive d'instance a été délivrée par " Monsieur Jacques Janvier représentant la société de fait Publi-Banlieue " alors qu'une société de fait n'a pas de personnalité morale et ne peut ester en justice, et que Monsieur Janvier ne peut valablement conclure devant la Cour en son nom propre dès lors que, l'acte introductif d'instance liant les débats à cet égard, on ne peut changer de qualité en cours de procédure ;

Mais considérant qu'il résulte du libellé même de l'assignation que l'action n'a pas été engagée par la société de fait Publi-Banlieue mais bien par Jacques Janvier lui-même, peu important qu'il ait précisé représenter la société de fait Publi-Banlieue dès lors que, cette dernière étant en effet dépourvue de personnalité morale, toute action est nécessairement engagée par la ou les personnes physiques qui la composent ;que M. Janvier a d'ailleurs, en tant que de besoin, régularisé la procédure de première instance en précisant dans ses conclusions du 8 septembre 1993 qu'une société de fait n'ayant pas la personnalité morale il agissait personnellement en qualité d'associé de fait ;que le moyen n'est donc pas fondé ;

Considérant que la société Havas soutient en second lieu que la société Publi- Banlieue, dont la preuve n'est pas rapportée ni de statuts ni de l'existence des éléments constitutifs de toute société (apports, intention de s'associer, vocation à participer aux bénéfices et aux pertes) ni de la réalité d'une activité, n'a pas d'existence et que la convention litigieuse ne peut donc recevoir aucune application ;

Considérant sur ce point qu'il ne peut être exigé d'une société créée de fait, qui peut être prouvée par tous moyens, de disposer de statuts ;que son existence est établie en l'espèce par l'acte de cession de parts intervenu le 30 juin 1978 entre Madame Godet-La-Loi et M. Janvier, la lettre adressée le 5 septembre 1978 par M. Janvier à la Société Générale que la société de fait Publi-Banlieue, qui disposait d'un compte bancaire propre, était à compter de cette date composée de M. Janvier, son épouse et ses deux filles, la Cour observant que les apports ne sont pas nécessairement faits en numéraire mais peuvent l'être en industrie, comme en l'espèce puisque la preuve de l'activité de M. Janvier et de Publi-Banlieue est rapportée par les pièces versées aux débats (attestations de M. Cerda et Mme Pallu notamment), et que l'affectio sociétatis résulte de la mise en commun des produits de l'activité de la société au sein de la famille Janvier qui participait nécessairement aux bénéfices et aux pertes ;que cette existence était enfin consacrée par la connaissance qu'en avaient les tiers: banque, administration fiscale et la société Libération-Presse elle-même ;que le moyen se trouve dénué de pertinence ;

Considérant que la société Havas soutient encore que si l'action de M. Janvier est déclarée recevable, il ne peut s'agir que de l'action personnelle, pour sa seule part soit un quart en l'espèce en l'absence de justification d'une autre répartition des gains entre associés, de l'un des associés de la société de fait ;

Mais considérant que s'agissant d'une société créée de fait tout associé en est gérant et peut la représenter, chacun d'eux engageant tous les autres et étant mandataire de ceux-ci ;que M. Janvier a donc qualité pour demander, seul, l'exécution de la convention litigieuse, ce qu'avait d'ailleurs admis antérieurement la société Havas puisque jusqu'en avril 1991 c'est à Jacques Janvier qu'elle payait les redevances dues en vertu du contrat signé avec Publi-Banlieue ;

Considérant que la société Havas soutient sur le fond que la convention objet du litige doit être déclarée nulle pour défaut de cause dès lors qu'elle a pour objet la gestion et la cession d'une clientèle qui n'était pas la propriété de Publi-Banlieue, laquelle n'avait exercé son activité qu'en qualité d'apporteur d'affaires c'est à dire de mandataire du journal le Républicain, qui facturait lui-même les annonceurs ;

Considérant que, la cause de l'obligation étant présumée, c'est à la société Havas qui allègue son absence de l'établir, par tous moyens ;

Considérant qu'il convient de se placer au moment de la formation du contrat soit en 1978 pour apprécier l'existence de la cause de l'obligation de la société Libération-Presse aux droits de laquelle se trouve la société Havas ;

Considérant qu'il résulte de l'attestation établie par M. Cerda, responsable de l'administration du journal Le Républicain de mars 1960 à décembre 1988, que de 1960 au 30 juin 1978 Publi-Banlieue exerçait l'activité de preneur de publicité et démarchait en exclusivité la clientèle située dans la zone d'action du Républicain ;qu'elle visitait la clientèle, prenait des ordres de publicité et les transmettait au journal qui facturait, insérait la publicité et lui versait 30% du chiffre d'affaire ;qu'il est établi par divers états établis par Le Républicain jusqu'au début de l'année 1980 que la société Publi-Banlieue était ducroire du paiement des factures par les annonceurs ;qu'enfin Madame Pallu, déclarant avoir été propriétaire avec son père Jean Bouvet d'un tiers des parts de la société Liberation-Presse avant leur cession à la société Havas certifie que la société de fait Publi-Banlieue était propriétaire de sa clientèle qu'elle n'avait cessé de développer depuis 1961 et qu'elle en a refusé le rachat que lui proposait le journal en 1978, préférant sa mise en gérance ;que ces allégations sont corroborées par la production de la lettre adressée le 19 mai 1978 à la société Publi-Banlieue par Le Républicain, qui écrivait à M. Janvier " après un examen attentif des conditions de collaboration de notre journal avec la société Publi-Banlieue que vous dirigez nous sommes désireux d'acquérir la majorité dans cette société. A cet effet vous nous obligeriez en nous indiquant si vous consentez à nous vendre tout ou partie des parts qui la composent et à quel prix " ;

Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est la société Publi-Banlieue qui, de 1960 à 1978, a seule prospecté et créé la clientèle d'annonceurs dont elle transmettait les ordres au journal qui les facturait directement, elle-même en étant ducroire ;qu'elle a donc agi en qualité de courtier ou régisseur de publicité, c'est-à-dire comme mandataire exclusif du support ;qu'il s'agit en l'espèce d'un mandat d'intérêt commun dès lors que l'un comme l'autre avaient intérêt à l'accomplissement du mandat, leur activité déployée pendant 18 ans dans le cadre d'une exclusivité réciproque ayant pour même finalité le développement de la clientèle et un accroissement de leurs profits respectifs en résultant, la rémunération du mandataire étant proportionnelle au chiffre d'affaires du mandant ; que la clientèle constituait donc le bien commun de la société Libération-Presse et de la société Publi-Banlieue, à laquelle il était loisible de la donner en gestion et d'envisager sa cession pour la part qui était la sienne, à des conditions financières librement déterminées par les parties;

Qu'ainsi la convention enregistrée le 6 décembre 1978 n'était pas dénuée de cause à la date de sa signature;

Considérant qu'il est en outre permis à la Cour, pour écarter la preuve de l'absence de cause, de relever le comportement ultérieur des contractants et d'observer qu'en l'espèce les redevances fixées par la convention pour gestion de la clientèle ont été effectivement acquittées, de 1978 à avril 1991, par la société Libération-Presse jusqu'en novembre 1988 puis par la société Havas elle-même à compter de cette date ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Havas à payer à M. Janvier la somme de 50.798 F représentant les redevances des 3ème et 4ème trimestres 1991 mais de le réformer pour le surplus et de condamner la société Havas à payer à M. Janvier la somme de 1.043.712,50 F, dont le montant calculé conformément aux stipulations contractuelles n'est pas discuté, au titre de la cession de clientèle prévue par la convention litigieuse, avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 1992, date de l'assignation valant mise en demeure ;

Considérant que la société Havas qui succombe doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Que l'équité ne commande pas l'application à l'espèce des dispositions de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :Déclaré recevable l'action de M. Janvier ; Condamné la société Avenir Havas Hebdos à payer à M. Janvier la somme de 50.798 F à titre de redevances des 3ème et 4ème trimestres 1991 avec intérêts au taux légal à compter de la sommation de payer du 9 décembre 1991 ; Condamné la société Avenir Havas Hebdos aux dépens ;Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, Condamne la société Havas media Hebdos SA à payer à Jacques Janvier la somme de 1.043.7l2,50 F avec intérêts au taux légal à compter du 24 mars 1992 ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Condamne la société Havas Media Hebdos aux dépens ; Accorde à la SCP Gaultier Kistner le bénéfice de l'article 699 du NCPC.