Livv
Décisions

CA Nancy, 1re ch. civ., 21 septembre 1998, n° 94003930

NANCY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Thomas

Défendeur :

L'Est républicain (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Husson

Conseillers :

MM. Magnin, Cunin

Avoués :

SCP Cyferman-Chardon, SCP Bonnet-Leinster-Wisniewski

Avocats :

Mes Thibaut, Vohmann, Beaufort.

TGI Nancy, du 28 oct. 1994

28 octobre 1994

Débats :

A l'audience publique du 20 avril 1998.

L'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu le 18 mai 1998.

A ladite audience publique du 18 mai 1998, Madame le Président a déclaré le report du prononcé de l'arrêt à l'audience publique du 22 juin 1998, puis successivement à l'audience publique du 21 septembre 1998.

Et à l'audience publique de ce jour, 21 septembre 1998, la Cour après en avoir délibéré conformément à la Loi, a rendu l'arrêt dont la teneur suit :

Faits et procédure :

Monsieur Maurice Thomas exerce depuis dix-huit ans la fonction de colporteur-vendeur, dépositaire au bénéfice du journal l'Est Républicain ; il avait pour mission de vendre et distribuer sur le secteur de Saulxures-les-Nancy le quotidien l'Est Républicain ; depuis près de deux ans les relations se sont détériorées entre l'Est Républicain et Monsieur Thomas jusqu'à une lettre du 27 septembre 1993 du journal tendant à interrompre leur lien contractuel à la date du 1er octobre 1993.

Par exploit du 2 novembre 1993, Monsieur Thomas a fait assigner le journal l'Est Républicain devant le Tribunal de Grande Instance de Nancy en paiement de la somme de 573 698 F, toutes causes confondues, et celle de 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Thomas exposait à l'appui de sa demande que le contrat le liant à l'Est Républicain était un mandant d'intérêt commun qui en tant que tel ne pouvait être révoqué que pour une cause légitime et que l'Est Républicain n'apportait pas la preuve d'une faute justifiant la révocation de ce mandat.

Par jugement contradictoire du 24 octobre 1994, le Tribunal de Grande Instance de Nancy a débouté Monsieur Thomas de sa demande et l'a condamné à payer à la SA l'Est Républicain la somme de 80 011,15 F outre intérêts au taux légal à compter du jugement, outre la somme de 4 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Monsieur Thomas a relevé appel de ce jugement. Il formule devant la Cour les demandes suivantes :

- déclaré Monsieur Thomas recevable et fondé en son appel,

- y faisant droit ,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la société l'Est Républicain de sa demande reconventionnelle et décharger corrélativement Monsieur Thomas à des condamnations prononcées contre lui en principal, intérêts, frais et accessoires,

- faisant droit en revanche à l'appel principal :

- condamner l'Est Républicain à payer à Monsieur Thomas la somme de 573 698 F avec intérêts de droit à compter du 2 novembre 1993,

- condamner de même l'Est Républicain à verser à Monsieur Thomas une somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,

- le condamner enfin aux entiers dépens d'instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de la société civile professionnelle Cyferman-Chardon, avoués associés aux offres de droit.

Pour sa part, la SA l'Est Républicain conclut ainsi :

- déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par Monsieur Thomas,

- l'en débouter,

- confirmer en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- y ajoutant :

- condamner Monsieur Thomas à payer au concluant une somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour l'appel abusif et injustifié,

- le condamner en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile à payer au concluant une somme de 5 000 F pour les frais d'appel,

- le condamner en tous les dépens de l'appel desquels seront recouvrés directement par la société civile professionnelle Bonet Leinster Wisniewski, avoués associés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de l'arrêt :

Attendu qu'à l'appui de son appel, Monsieur Thomas fait valoir que l'Est Républicain lui avait consenti un mandat d'intérêt commun et que la rupture est intervenue de manière brutale et sans motifs réels alors que les incidents invoqués par l'Est Républicain sont manifestement dérisoires ;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que Monsieur Thomas, lié à la SA l'Est Républicain par un mandat d'intérêt commun pouvant être rompu soit par consentement mutuel soit pour une cause légitime, ne remplissait pas correctement la mission qui lui avait été confiée, à savoir qu'il devait encaisser en fin de mois auprès des lecteurs le prix des journaux à verser à l'Est Républicain, après soustraction de sa commission et régler les fournitures le 15 du mois suivant :

Que les pièces du dossier font apparaître que Monsieur Thomas agissait à sa guise de sorte que l'Est Républicain a reçu plusieurs plaintes de clients mécontents de ses services ;

Que Monsieur Thomas avait en effet instauré des pratiques qui déplaisaient aux clients, à savoir qu'il exigeait de ceux-ci, par exemple, qu'ils règlent les factures avant la fin du mois alors qu'il est d'usage de ne percevoir le prix de journaux qu'en fin de mois ou dans les premiers jours du mois suivant ;

Qu'il a voulu imposer aux clients l'installation d'un tube "à l'américaine" pour y déposer le journal, menaçant même de ne plus livrer les journaux aux clients récalcitrants ;

Attendu par ailleurs que Monsieur Thomas a manqué à ses obligations dans le cadre de son propre mandat ;

Qu'en effet, il est établi qu'il s'est procuré de la trésorerie au détriment de l'Est Républicain, en ne payant pas aux échéances fixées les factures qui lui étaient adressées ; qu'il devait encaisser auprès des lecteurs le prix des journaux, en principe en fin de mois o au début du mois suivant, puis verser ensuite à l'Est Républicain, après prélèvement de sa commission, les règlements des fournitures le 15 du mois suivant ;

Or attendu que Monsieur Thomas n'a nullement respecté cette obligation ainsi que l'on relevé les premiers juges ; qu'il était en effet constamment en retard dans ses paiements ;

Que dès le 1er octobre 1992, l'Est Républicain a dû lui rappeler qu'il restait débiteur d'une somme de 134 000 F ;

Qu'un échéancier lui fut accordé, avec rappel, qu'après mis à jour de ses dettes, il devait respecter les dates d'échéances ;

Que Monsieur Thomas n'a nullement respecté cet engagement ; qu'il a même adressé à l'Est Républicain un chèque sans provision ;

Que c'est dans ces conditions qu'est intervenue la rupture du contrat liant les parties ;

Que la lettre du 27 septembre 1993 que lui a adressée l'Est Républicain rappelait à Monsieur Thomas l'origine du litige, les divers manquements du mandataire, les mises en garde et mises en demeure dont il avait fait l'objet en vain ;

Qu'il lui était rappelé qu'il restait débiteur d'une somme de 77 103,37 F ;

Attendu qu'il résulte de tout ce qui précède que les manquements reprochés à Monsieur Thomas, loin d'être dérisoires comme il le soutient, étaient de nature à compromettre totalement la confiance qui est à la base même du contrat de mandat;

Que par ailleurs, la rupture intervenue entre les parties était non seulement bien fondée mais régulière en la forme et exempte de tout caractère brutal ;

Qu'en effet, l'Est Républicain ayant adressé à Monsieur Thomas une lettre recommandée le 27 septembre 1993, reçue par l'intéressé le 28, une notification de rupture à effet du 1er octobre suivant respecte en l'espèce les conditions de forme prévues par les usages de la profession ;

Attendu en conséquence de tout ce qui précède que la rupture du contrat de mandat liant les parties était en l'espèce justifiée par un motif réel et sérieux et reposait donc sur une cause légitime, de sorte que Monsieur Thomas ne pouvait prétendre à aucune indemnité que ce soit ;

Qu'il y a lieu dès lors de le débouter de son appel et de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, étant par ailleurs observé que la créance de 80 011,15 F de l'Est Républicain sur Monsieur Thomas est totalement justifiée en son principe et son montant et correspond, ainsi qu'il en est justifié, aux factures dues à l'Est Républicain sur la vente des journaux ;

Qu'au demeurant, dans un courrier du 17 novembre 1993 adressé à son conseil, Monsieur Thomas a reconnu le montant de sa dette envers l'Est Républicain ;

Attendu que la demande en dommages et intérêts formée par l'Est Républicain n'étant pas justifiée, il y a lieu de l'en débouter ;

Qu'en revanche, l'équité commande qu'il soit fait en la cause application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Qu'il y a lieu de ce chef d'allouer la somme de 5 000 F à l'Est Républicain ;

Que Monsieur Thomas succombant en son appel en supportera les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevable mais mal fondé l'appel de Monsieur Thomas ; L'en déboute ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Condamne Monsieur Thomas à payer à la SA l'Est Républicain la somme de cinq mille francs (5 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne Monsieur Thomas aux dépens d'appel et autorise la société civile professionnelle d'avoués Bonet Leinster Wisniewski à faire application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile ; L'arrêt a été prononcé à l'audience publique du 21 septembre 1998 par Monsieur Magnin, Conseiller à la Cour d'appel de Nancy, ayant assisté aux débats et participé au délibéré, conformément à l'article 452 du nouveau Code de procédure civile, assisté de Madame Crociati, greffier.