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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 22 mai 1998, n° 96-10737

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Syntex (SA)

Défendeur :

Action chimique thérapeutique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

SCP Gibou-Pignot-Grappotte-Benetreau, SCP Duboscq-Pellerin

Avocats :

Mes Sussman, Franchi-Dutard.

T. com. Paris, 6e ch., du 5 févr. 1996

5 février 1996

Courant 1992 la société Action chimique thérapeutique (ACT) est entrée en relation avec la société Laboratoires Syntex, filiale de la société américaine du même nom, qui vend en Asie du Sud-Est des produits pharmaceutiques.

La société ACT s'est ainsi chargée pour le compte de la société Syntex de la traduction de documents en langue vietnamienne, du suivi des formalités d'enregistrement des produits auprès des Autorités vietnamiennes, d'actions de promotion et du stockage des produits. Aucun contrat écrit n'a cependant été signé.

Fin 1993 les relations des deux sociétés se sont tendues et ont cessé en mars 1994.

Sur opposition à une ordonnance l'enjoignant de payer à la société Syntex la somme de 209 552 F qui lui avait été signifiée le 9 novembre 1994, la société ACT a reconnu sa dette mais a demandé reconventionnellement à la société Syntex une indemnité de 500 000 F pour rupture brutale et abusive de leurs relations contractuelles.

Par jugement du 5 février 1996 le Tribunal de commerce de Paris, sans qualifier pour autant la nature litigieuse des relations commerciales,

- a condamné la société ACT à payer à la société Syntex la somme de 209 552 F qu'elle reconnaissait devoir, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 6 juillet 1994,

- a condamné la société Syntex à verser à la société ACT 235 000 F de dommages et intérêts,

- a ordonné la compensation des créances réciproques, et a partagé par moitié entre les parties la charge des dépens.

La société Laboratoires Syntex a fait appel de cette décision dont l'exécution provisoire a été exclue.

Elle expose que la société ACT prenait sous son nom à elle les commandes auprès des clients, passait à son tour ses propres commandes à la société Syntex qui lui livrait et facturait les produits, et émettait ses propres factures qu'elle se faisait payer par ses clients acheteurs.

Elle soutient que la rupture de leurs relations qu'elle a accompagnée d'un préavis raisonnable de trois mois et demi, résulte des départs successifs de deux responsables de la société ACT et de l'embauche d'une personne incompétente pour les remplacer.

La société Syntex déplore que le Tribunal ait cru devoir allouer des dommages et intérêts à la société ACT sans avoir pris le soin de qualifier leurs relations contractuelles et de constater que la société ACT était un commissionnaire à l'exportation, agissant en son nom propre pour le compte de son commettant Syntex au sens de l'article 94 du Code de commerce et rémunéré d'un commun accord par une commission de 10 % du montant des commandes passées facturées en tant que " frais de distribution ".

La société Syntex observe qu'elle n'avait pas de relations avec la clientèle de la société ACT et soutient que le contrat de commission à durée indéterminée la liant à la société ACT pouvait être rompu sans motif et sans indemnité, sous réserve du respect d'un délai de préavis suffisant.

La société Syntex ajoute que parallèlement à ses ventes, la société ACT avait reçu une mission de promotion de ses produits, de suivi administratif et de traduction de documents et recevait à ce titre 10 % du montant des ventes directes opérées par la société Syntex au Vietnam sous la dénomination cette fois de " frais pour la participation à la promotion ".

La société Syntex soutient qu'un tel mandat était librement révocable par application de l'article 2004 du Code civil et que seul un abus de droit qui n'est pas allégué, pourrait justifier réparation.

L'appelante conclut en conséquence à la confirmation de la condamnation dont elle bénéficie concernant le solde du prix des produits qu'elle a livrés et facturés à la société ACT, mais à la levée de la condamnation à dommages et intérêts prononcée par le Tribunal. Elle demande 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour ses frais irrépétibles exposés en première instance, et une nouvelle somme de 20 000 F au même titre pour ses frais d'appel.

La société ACT conclut au contraire à la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l'appelante au paiement de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle expose :

- que jusqu'en décembre 1993, et malgré l'absence de contrat écrit, la promotion des médicaments dont elle était chargée, et la création d'un réseau de vente au Vietnam qu'elle a réalisée, ont été particulièrement efficaces, puisque le chiffre d'affaires est passé en deux ans de 456 000 F à 2 350 000 F ;

- que les tensions qui sont nées à compter de cette date s'expliquent par la concurrence que les Laboratoires Syntex lui ont faite en faisant intervenir sur le même marché une société IMC qui a pris à son service d'anciens salariés de la société ACT,

- que ses relations commerciales avec la société Syntex n'ont pas été rompues officiellement, mais à partir de mars 1994 la société Syntex n'a plus donné suite à ses commandes,

- que la société Syntex, pressée de prendre position, s'est contentée le 5 août 1994 de répondre qu'aucun accord n'était intervenu concernant la rupture et de déposer une requête afin que le Tribunal enjoigne la société ACT de lui payer 209 552 F de factures de marchandises livrées.

La société ACT soutient que les parties étaient liées par un mandat d'intérêt commun qui n'autorisait pas les Laboratoires Syntex à le rompre sans motif légitime. Elle conteste qu'il y ait eu un préavis de rupture, puisque la résiliation n'a jamais été notifiée à la société ACT.

La société Laboratoires Syntex conclut le 31 mars 1998 à l'irrecevabilité des nouvelles écritures de la société ACT signifiées la veille, postérieurement à la signature le 19 mars précédent de l'ordonnance de clôture de la mise en état.

La société ACT demande au contraire la révocation de l'ordonnance de clôture pour que soient admises ses conclusions qui ne font en réalité que reprendre celles du 16 mars après correction d'erreurs matérielles de secrétariat.

En cours de délibéré et après plaidoiries la société Syntex fait écrire le 1er avril 1998 par son avocat Maître Gérard Bembaron qu'elle n'a pas eu communication d'une lettre du 10 janvier 1994 que la société CAT lui aurait adressé et entend lui apposer.

Maître Christine Franchi-Dutard, avocat de la société ACT, répond à la Cour le 3 avril 1998 que cette lettre est mentionnée dans les bordereaux des pièces qui ont été communiquées le 30 mars 1995 au cours de la mise en état de première instance, qu'il y a été fait expressément référence dans ses conclusions et qu'elle fait donc partie des débats.

Motifs de la Cour

Sur les incidents de procédure

Considérant que la société Laboratoires Syntex a conclu le 1er juillet 1996 au soutien de son appel ; que par bulletin du 7 avril 1997 la clôture de la mise en état a été fixée au 20 février 1998 sur les plaidoiries au 19 mars 1998 ;

Que la société ACT a attendu le 16 mars 1998 pour conclure ; qu'afin d'assurer aux débats l'indispensable caractère contradictoire et avec l'accord du Conseil de la société Syntex, l'audience des plaidoiries a été déplacée exceptionnellement au 1er avril 1998 et la signature de l'ordonnance de clôture par deux fois reportée ;

Que les conclusions signifiées par la société ACT le 30 mars 1998 l'ont été onze jours après la clôture de la mise en état ; qu'elles sont tardives et irrecevables même si leur contenu est très proche de celui des écritures du 16 mars précédent, certes recevables bien que signifiées plus de vingt mois après celle de l'appelante ;

Considérant que la société Syntex conteste qu'elle ait eu communication d'une lettre de la société ACT du 10 janvier 1994 qui lui est opposée ; qu'elle en veut pour preuve les lettres qu'elle a adressées en vain en 1995 à Maître Monta, son mandataire près le Tribunal de commerce de Paris, pour lui demander d'interroger le Conseil de la société Syntex sur l'existence de cette lettre mentionnée sous astreinte le numéro 11 d'un bordereau de communication du 30 mars 1995 ;

Que la société ACT réplique à juste titre que ses conclusions du 22 juin 1994 devant le Tribunal se référaient expressément au courrier du 10 janvier 1994, qu'il en était de même de ses conclusions du 16 octobre 1995 et que le bordereau de pièces communiquées du 30 mars 1995 qui le mentionne en précisant le nombre de ses pages, n'a jamais été contesté ;

Que la lettre litigieuse fait partie des débats, pour avoir été régulièrement communiquée en première instance ce qui en rendait superflue une communication à nouveau en appel à défaut de demande expresse ;

Sur le fond

Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats et plus particulièrement des rapports de visite et des factures produits que la société ACT a reçu une mission de la société Syntex qui consistait à accomplir les formalités d'enregistrement des médicaments, à assurer la promotion des produits Syntex, à distribuer des échantillons, à informer les Laboratoires de l'évolution du marché vietnamien et à traduire et imprimer des fiches de posologie ;

Que la société ACT a été rémunérée de ces prestations par une commission de 10 % du prix tarifé et encaissé sur les ventes directement réalisées par la société Syntex et Vietnam, sous la dénomination dans les factures de " frais de participation à la promotion " ;

Considérant que parallèlement, la société ACT passait en son nom propre des commandes de produits pharmaceutiques à la société Syntex qi lui en assurait la livraison par l'intermédiaire d'un transitaire ou livrait directement la marchandise aux clients que la société ACT lui désignait ; que la société ACT recevait de la société Syntex une somme égale à 10 % du montant des commandes qui lui était facturée en tant que " frais de distribution " ;

Que les parties s'opposent sur la qualification juridique de leurs rapports en l'absence de contrat écrit, mais se rejoignent pour reconnaître que la société ACT n' a pas payé à la société Syntex des produits qu'elle lui a achetés et dont le prix s'élève à 209 692,90 F ; que les parties s'accordent sur la condamnation de la société ACT au paiement de 209 552 F avec des intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 1994 prononcée en première instance ;

Considérant que les parties se sont rencontrées le 14 décembre 1993, après que la société ACT eût découvert, à l'occasion de l'organisation d'un salon SNIP au Vietnam, qu'un de ses anciens chefs de vente, Mario Matti, qui avait négocié son départ à la retraite en juillet 1993, et d'autres anciens salariés se présentaient comme les nouveaux représentants des Laboratoires Syntex sous couvert d'une société IMC ;

Que cette dénonciation d'un détournement de clientèle et d'une violation de l'exclusivité de fait concédée n'a pas été démentie par la société Syntex lorsqu'elle a reçu la lettre de protestation de la société ACT du 10 janvier 1994 qu'elle a tenté d'exclure des débats d'appel sous la fallacieuse affirmation d'une absence de communication, pas davantage que l'accusation dans ce même courrier d'une collusion de la société Syntex qui aurait fourni à la société IMC des fiches de posologie normalement destinée à la société ACT ;

Que la société ACT a notifié à la société Syntex qu'elle refusait toute rupture des relations commerciales dont la société Syntex lui avait annoncé l'intention au cours de la réunion du 14 décembre 1993 trop succinct pour valoir réellement résiliation ;

Considérant que la société ACT a continué à prendre des commandes qui ont été livrées jusqu'à la fin du mois de mars 1994 ; que la rupture s'est trouvée ainsi consommée sans dénonciation expresse, la société ACT accusant simplement la société Syntex de la pousser à rompre à l'amiable sans dommages et intérêts ;

Que les documents produits permettent d'affirmer en définitive que les deux sociétés ne sont pas parvenues à s'accorder sur la cessation de leurs relations commerciales et que la rupture envisagée des la fin de décembre 1993 ne s'est concrétisée que plus de trois mois après ;

Considérant que la société ACT a d'abord prétendu qu'elle avait été l'agent commercial des Laboratoires Syntex au Vietnam et a réclamé par courrier du 8 août 1994 l'indemnisation de son préjudice chiffré à deux années de commissions sur le chiffre d'affaires réalisé ;

Qu'en appel elle admet qu'achetant pour revendre mais facturant aussi des prestations de service et percevant par ailleurs des commissions sur les ventes directes de son fournisseur, elle n'était pas à proprement parler un agent commercial dont elle n'avait pas accepté le statut ; qu'elle rejette la qualification de commissionnaire révocable " ad hoc nutum " que la société Syntex donne à leurs relations en n'en retenant que l'un des aspects ; qu'elle ne revendique aucune exclusivité mais soutient qu'elle était liée à la société Syntex par un mandat d'intérêt commun pour l'exécution duquel elle avait fait des investissements et dont la dénonciation lui ouvre droit à une indemnité ;

Que la société Syntex a reconnu le 5 août 1994 qu'il avait existé " une collaboration amiable pour la promotion de nos spécialités pharmaceutiques au Vietnam " ; qu'en associant une mission de promotion de ses produits par voies de démarches administratives d'importation, de traduction de documents et de publicité commerciale, à des livraisons directes des commandes aux clients de la société ACT et à un intéressement de cette société aux ventes directes de produits qu'elle même réalisait au Vietnam, la société Syntex France, filiale d'un groupe américain, a créé une synergie qui lui a permis de se créer une clientèle, a fait de la société ACT un élément majeur de l'introduction et de la distribution de ses produits au Vietnam et a utilisé dans la réalité la couverture d'une entreprise française pour faciliter des opérations d'importation au Vietnam que la nationalité de sa société mère pouvait compromettre ;

Que les parties étaient effectivement liées par un mandat à durée indéterminée dont l'intérêt commun interdisait à la société Syntex de le rompre sans indemnisation de la société ACT

Considérant que la société ACT a su dès la fin de décembre 1993 que les relations contractuelles allaient cesser ; que la durée du préavis dont elle a bénéficié à peine supérieure à trois mois est d'autant plus insuffisante qu'aucune dénonciation expresse n'a eu lieu et que la société Syntex n'avait pas de motif légitime de rompre même si la société ACT s'est fait justice à elle-même en retenant le prix des dernières livraisons;

Que le Tribunal a chiffré raisonnablement l'indemnité due par la société Syntex à la somme de 235 000 F qui correspond à la rémunération d'une année de collaboration ;

Que le jugement déféré doit en conséquence être entièrement confirmé;

Considérant que l'équité commande que l'échec de l'appelante en toutes ses prétentions soit sanctionné par l'indemnisation des frais irrépétibles que la société ACT a exposés en appel pour faire confirmer ses droits ;

Par ces motifs: Déclare irrecevables les conclusions de la société ACT signifiées le 30 mars 1998 ; Confirme le jugement du 5 février 1996 en toutes ses dispositions ; Condamne la société Laboratoires Syntex à payer à la société ACT 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; La condamne aux dépens de l'appel ; Admet la société civile professionnelle Duboscq Pellerin, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.