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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 19 mars 1998, n° 5621-95

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société Ivoirienne de transport maritime

Défendeur :

Agena (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

Mes Binoche, Bommart

Avocat :

Me Simon.

T. com. Nanterre, 7e ch., du 12 mai 1995

12 mai 1995

Faits et procédure :

La société Ivoirienne de Transport maritime, dite SITRAM, société d'Etat de droit ivoirien dont le siège social est situé rue des Pétroliers à Abidjan et possédant des bureaux en France, 20, rue Jean Jaurès à Puteaux, exerçait avant sa mise en liquidation prononcée par décret présidentiel du 31 mai 1995, une activité de transporteur maritime.

Prétendant être investie depuis 1987 d'un mandat d'agent commercial en vue de développer la clientèle de SITRAM pour le transport des marchandises à destination des pays de l'ouest africain dit " enclavés " et parmi eux le Mali, le Burkina Faso et le Niger, et que SITRAM aurait abusivement rompu, sans indemnité, les relations par lettre du 29 juillet 1993 avec préavis de 3 mois, la société Agena a saisi le Tribunal de commerce de Nanterre d'une action en réparation du préjudice subi par elle du fait de cette rupture.

Par jugement en date du 12 mai 1995, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, la 7e Chambre de la juridiction précitée, faisant droit pour l'essentiel à l'argumentation d'Agena, a condamné la société SITRAM à payer à cette dernière la somme de 1 266 000 F à titre d'indemnité de rupture avec intérêts de droit à compter du 3 mai 1994, outre une somme de 40 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Appelante de cette décision, la société SITRAM, représentée par son liquidateur M. Koffi, fait tout d'abord grief aux premiers juges de ne pas avoir juridiquement qualifié la nature des relations qui ont pu la lier à SITRAM. A cet égard, elle soutient, comme elle l'avait fait devant le tribunal, que Agena ne peut se prévaloir ni d'un contrat écrit, ni d'une immatriculation au registre spécial des agents commerciaux et que cette société ne peut dès lors invoquer un contrat d'agent commercial au sens des dispositions du décret du 23 décembre 1958, seul applicable en la cause.

Elle ajoute que Agena ne rapporte pas davantage la preuve qui lui incombe de l'existence d'un mandat d'intérêt commun et qu'à supposer même que cette qualification puisse être retenue, elle avait un motif légitime de mettre fin aux relations contractuelles tenant à la reconnaissance par l'Union Européenne de droits de trafic propres aux pays ne disposant pas d'un accès à la mer, ce qui l'a contraint à constituer un consortium avec les armements des Etats enclavés et à rompre les relations qu'elle entretenait jusque là avec Agena.

Pour l'ensemble de ces motifs, elle considère que les prétentions émises à son encontre par la société Agena sont dépourvues de fondement et que ladite société doit en être déboutée.

Subsidiairement, pour le cas où son argumentation ne serait pas suivie, elle estime que Agena ne peut prétendre à une indemnisation qu'au jour de la fin de son mandat et que cette indemnisation ne peut excéder une année de commission diminuée de l'incidence de la clientèle disparue.

La société Agena conclut, pour sa part, à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a fait droit à sa demande d'indemnisation qu'elle tient pour due à titre principal, en raison du statut d'agent commercial dont elle est, selon elle, en droit de se prévaloir ou, subsidiairement, sur le fondement du mandat d'intérêt commun qui est, toujours selon elle, caractérisé en l'espèce, ajoutant que la société SITRAM ne peut utilement invoquer un motif légitime de rupture alors qu'elle s'est livrée à une véritable entreprise de désorganisation en permettant à une société concurrente de débaucher une partie de son personnel dans les mois qui ont précédé la décision de rupture, et ce, dans le seul but de s'approprier sa clientèle. Elle fait grief, en revanche, au tribunal d'avoir sous estimé son préjudice et demande que l'indemnité de rupture soit portée à 1 627 400 F et que lui soit allouée la somme de 300 000 F en réparation du préjudice commercial qu'elle a subi. Elle demande également à bénéficier de la capitalisation des intérêts de retard et réclame une indemnité complémentaire de 45 000 F " HT " au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Enfin, il convient de noter que la Cour a demandé aux parties, dans le cadre d'une réouverture des débats, de s'expliquer sur les conséquences du décret de dissolution de la société SITRAM et que, seule la société Agena a conclu de ce chef, estimant que cette mesure n'est d'aucune influence sur la présente procédure.

Motifs de la décision :

Sur la qualification des relations ayant existé entre les parties :

Considérant qu'il résulte des pièces des débats que, depuis le début de l'année 1987, la société SITRAM a confié à la société Agence Maritime Nordique, dite AMANOR, une mission de recruteur de fret pour les pays africains enclavés, moyennant une commission de 3 % sur le montant de chaque opération ; que, bien qu'aucun accord écrit ne soit venu consacrer ces accords, la réalité de ceux-ci ne saurait être contestée dans la mesure où elle ressort des états récapitulatifs produits dont la sincérité n'est pas discutée ; que, de surcroît, par lettre du 2 juin 1989, SITRAM a entendu officialiser les relations antérieures dont s'agit en écrivant à AMANOR " ...Nous vous confirmons votre rôle d'agent recruteur de fret à destination des pays enclavés de la côte occidentale d'Afrique c'est-à-dire le Mali, le Burkina Faso et le Niger ". " Vos services sont rémunérés par une commission de 3 % sur le montant net des frets que vous remettez à nos navires ".

Considérant qu'il est également justifié que Agena a absorbé sa filiale AMANOR le 22 décembre 1989 et qu'Agena a continué pendant plusieurs années à collaborer, en son propre nom, sur les mêmes bases que précédemment, avec SITRAM, et ce, jusqu'à la rupture intervenue le 29 juillet 1993.

Considérant qu'il s'infère de ces constatations l'existence d'un mandat d'intérêt commun ayant lié les sociétés en cause jusqu'à la rupture de leurs relations dans la mesure où l'activité de recherche de fret déployée par le mandataire pour le compte du mandant servait les intérêts des deux parties, en ce sens que la société SITRAM bénéficiait d'une activité commerciale accrue du fait de la clientèle qui lui était apportée par Agena et cette dernière de commissions proportionnelles aux affaires initiées par ses soins ; que toutefois, le défaut d'immatriculation de la société Agena au registre spécial des agents commerciaux interdit à cette dernière de se prévaloir du statut d'agent commercial tel que défini par le décret du 23 décembre 1958 seul applicable en l'espèce.

Considérant que le jugement dont appel sera, en conséquence, confirmé en ce qu'il a retenu l'existence en la cause d'un mandat d'intérêt commun, et les critiques formulées par la société appelante, quant à une prétendue insuffisance de motifs, rejetées.

Sur la rupture du mandat d'intérêt commun :

Considérant que le mandat donné dans l'intérêt commun du mandant et du mandataire ne saurait être révoqué par la volonté de l'une des parties intéressées, mais seulement de leur consentement mutuel ou pour une cause légitime reconnue en justice.

Considérant qu'en l'espèce, la société SITRAM prétend qu'elle a rompu les accords passés avec Agena pour un motif légitime tenant à la reconnaissance par l'Union Européenne de droits de trafic propres aux pays ne disposant pas d'un accès direct à la mer et l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de participer à un consortium constitué avec les armements des Etats enclavés, lesquels ont fait le choix de confier l'activité de recruteur de fret à un autre opérateur.

Mais considérant que la réorganisation alléguée ne fait qu'exprimer l'intérêt unilatéral de la mandante qui est, il convient de le rappeler, une société d'Etat et sa volonté " politique " de s'insérer dans une structure plus vaste à qui serait transféré le fonds de commerce constitué et développé en partie depuis 1987 grâce aux efforts de la société mandataire; que ces circonstances ne peuvent être tenues pour constitutives d'un motif légitime d'autant qu'il est établi que le consortium, constitué en association avec les pays enclavés après la dissolution de la société SITRAM prononcée par décret présidentiel, s'est adressé aussitôt à un nouveau recruteur de fret, à savoir la société Navitrans, concurrente directe de la société Agena, laquelle a débauché, comme il en est justifié, une partie du personnel de cette dernière, ce qui montre que le changement n'était pas dicté par des considérations économiques mais qu'il résultait d'une action concertée visant à éliminer la société Agena du marché dont s'agit; que s'il en avait été autrement, l'appelante n'aurait manqué de produire aux débats les délibérations de consortium lui imposant, comme il est prétendu, le choix d'un nouvel intermédiaire et d'éclairer autrement que par de vagues allégations non étayées, les raisons de ce choix.

Considérant que dans ces conditions, c'est à bon droit, que les premiers juges ont reconnu le principe du droit à indemnisation de la société Agena.

Sur le montant de l'indemnité :

Considérant tout d'abord que la société SITRAM n'a pas répondu à la demande de la Cour visant à établir quelles pourraient être les conséquences résultant du décret de dissolution prononcé par les autorités ivoiriennes ; que dès lors, il sera tenu pour acquis aux débats que la société Agena conserve, en vertu de l'absence d'effet extra-territorial des procédures de dissolution, un droit d'action à l'encontre de l'appelante représentée en cause d'appel par son liquidateur.

Considérant que, dans le cadre de son appel incident, la société Agena demande que l'indemnité à laquelle elle peut prétendre soit portée à 1 627 000 F.

Mais considérant que force est de constater que, pas plus que l'appelante, la société intimée n'apporte de critiques utiles au calcul opéré par le premier juge ; que l'évaluation du préjudice, telle que fixée par le tribunal, sera en conséquence adoptée par la Cour, étant précisé que la société Agena ne justifie pas d'un préjudice autre et notamment de l'existence d'un préjudice commercial que l'indemnité de rupture a précisément vocation à réparer.

Sur les autres demandes :

Considérant que la société Agena est fondée à réclamer la capitalisation des intérêts courant sur les intérêts de retard, comme le lui permet l'article 1154 du Code civil, et ce, à compter du 5 octobre 1995, date de la première demande en justice.

Considérant que, de même, il serait inéquitable de laisser à la société intimée, la charge des frais qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour ; que l'appelante sera condamnée à lui payer une indemnité complémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, étant précisé que s'agissant d'une indemnité compensatrice et non d'un honoraire, il n'y a pas lieu à application de la TVA.

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société Ivoirienne de Transport Maritime dite SITRAM, représentée par son liquidateur, en son appel principal et la société Agena en son appel incident, Mais les dit mal fondés, Conforme en conséquence, en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Autorise la société Agena SA à capitaliser les intérêts de retard conformément à l'article 1154 du Code civil, et ce, à compter du 5 octobre 1995, date de la première demande, Condamne la société Ivoirienne de Transport Maritime dite SITRAM à payer à la société Agena une indemnité complémentaire de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne également la société Ivoirienne de Transport Maritime dite SITRAM aux entiers dépens et autorise maître Bommart, avoué, à poursuivre directement le recouvrement de la part le concernant comme il est dit à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.