CA Paris, 25e ch. A, 4 décembre 1990, n° 89-003973
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Lothar's (SARL)
Défendeur :
Down (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Serre
Conseillers :
M. Rostagno, Mme Renard-Payen
Avoués :
SCP Barrier Monin, SCP Bollet Baskal
Avocats :
Mes Hoffman, Adam
Saisie par la déclaration d'appel de la société Lothar's du jugement rendu le 14 décembre 1988 par le Tribunal de commerce de Paris (13e chambre), dans le litige l'opposant à la société Down.
LA COUR,
Considérant qu'il résulte des énonciations du jugement, des écritures des parties et des pièces soumises à la cour, auxquelles il est plus amplement référé, les éléments de fait et de procédure suivants :
Depuis 1980 et sans contrat écrit, la société Down vendait des produits fabriqués par la société Lothar's lesquels sont pour l'essentiel des vêtements de sports d'hiver.
Par lettre du 2 octobre 1986, recommandée avec accusé de réception, la société Lothar's a écrit au gérant de la société Down pour lui reprocher de représenter des produits directement concurrents des siens et lui demander de ne plus se livrer à des " actes de concurrence déloyale ".
Dans sa réponse du 29 octobre 1986, la société Down a rappelé à la société Lothar's que leurs conventions n'étaient assorties d'aucune exclusivité et qu'elle n'entendait pas souscrire un engagement de ne pas distribuer des produits autres que les siens dans la gamme des vêtements de sports. Elle ajoutait " Un tel engagement n'aurait pu être que la contrepartie d'une exclusivité de distribution que vous nous auriez concédée ".
Par lettre du 15 février 1987 le gérant de la société Down s'est plaint du refus de la société Lothar's de lui donner une collection d'hiver 1987/1988.
Dans son courrier en réponse du 19 février 1987, recommandé avec accusé de réception, la société Lothar's a confirmé son refus de poursuivre les relations commerciales, en précisant " Nous considérons votre agissement et surtout le fait de ne pas avoir informé notre Maison préalablement de votre projet de vendre des blousons duvet Chevignon avec les blousons Lothar's, comme une faute professionnelle très préjudiciable à notre société ". Par lettre circulaire du 4 mars 1987 envoyée à la clientèle concernée, la société Lothar's l'a informée du nom de son nouveau représentant " pour Paris et le Nord ".
C'est dans ces conditions que, par acte du 7 octobre 1987, la société Down a assigné la société Lothar's en paiement de la somme de 300 000 F à titre d'indemnité " pour rupture abusive du mandat d'intérêt commun sans cause légitime ", celle de 60 000 F pour arriérés de commissions portée ensuite à 156 508,17 F et celle de 10 000 F pour frais irrépétibles.
Le tribunal, statuant par le jugement déféré, a condamné la société Lothar's à payer à la société Down la somme de 250 000 F à titre de d'indemnité de résiliation du mandat d'intérêt commun et, en l'état, celle de 63 334,52 F à titre d'arriérés de commissions. Il a débouté les parties du surplus de leurs demandes et notamment de la demande reconventionnelle de la société Lothar's tendant à obtenir le versement de la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts du chef de son " préjudice grave ".
La société Lothar's a relevé appel de cette décision et en a poursuivi l'infirmation, sauf en ce qui concerne le montant des commissions. Elle a prié la cour de débouter la partie adverse et elle a réitéré sa demande reconventionnelle en paiement de la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 20 000 F du chef de frais irrépétibles.
La société Down a de son côté formé appel incident en renouvelant ses demandes en paiement des sommes de 300 000 F à titre d'indemnité, avec intérêts au taux légal à compter de la décision de première instance, 156 508,17 F au titre des arriérés de commissions, avec intérêts au taux légal à compter du 27 février 1987 date de la fin des relations contractuelles et celle de 20 000 F pour frais irrépétibles.
Sur la rupture des relations :
Considérant que la société Lothar's soutient que la représentation d'un produit similaire par sa cocontractante constituait un acte de concurrence déloyale justifiant la rupture de leurs relations ; qu'elle ajoute que la prospection par la société Down ne permettait pas " d'envisager un chiffre d'affaires aussi bon que les années précédentes comme il en résulte de la lettre du 28 mars 1985 de la société Lothar's " ;
Considérant que la société Down réplique que le produit de la société Chevignon n'était pas similaire à celui de la société Lothar's et que la rupture est intervenue à la suite de son refus d'accepter de consentir une clause d'exclusivité ; qu'elle fait observer que la prétendue baisse d'activité est alléguée pour la première fois en cause d'appel ;
Considérant que les deux parties s'accordent pour qualifier de mandat d'intérêt commun les accords verbaux ayant existé entre elles ; qu'il n'est pas allégué qu'une exclusivité ait été convenue, d'un côté ou de l'autre, pendant les six années de collaboration qui se sont déroulées sans difficulté ;
Considérant qu'en principe la société Down avait le droit d'accepter la représentation d'un nouveau mandant sans avoir à en référer à la société Lothar's, en l'absence de convention sur ce point;
Considérant que la société Lothar's ne pouvait révoquer unilatéralement le mandat d'intérêt commun que pour un juste motif;
Considérant que les parties font état dans la procédure du cas de Monsieur Ganes, qui représentait les produits de la société Lothar's dans le Bénélux depuis le 2 février 1986 lorsqu'il a accepté de travailler aussi pour la société Chevignon à compter du 1er novembre 1986 ;
Considérant que dans une attestation du 23 mai 1990 ce dernier a précisé qu'au cours d'une " réunion de conciliation " la société Lothar's avait accepté la situation si son chiffre d'affaires annuel augmentait de 20 %, ce qui a été le cas ; qu'il est ainsi resté en fonction jusqu'à sa démission le 1er février 1990 ;
Considérant cependant que Monsieur Ganes n'était pas lié à la société Lothar's par un mandat d'intérêt commun, mais avait la qualité de VRP multicartes et son cas ne saurait être assimilé à celui de la société Down, actuellement en cause ;
Considérant que la société Lothar's ne rapporte pas la preuve que la vente par son mandataire de blousons d'une autre marque soit constitutive d'une faute justifiant la révocation sans indemnité du mandat d'intérêt commun, dont la durée était indéterminée ; qu'au contraire elle avait elle-même estimé compatible la vente simultanée des deux marques par Monsieur Ganes, en dépit de l'appréciation de celui-ci selon laquelle les vêtements qu'il vendait étaient similaires ;
Considérant que la société Lothar's soutient, à titre subsidiaire, " que la société Down ne justifie d'aucun préjudice pour pouvoir prétendre à une indemnité dès lors que le travail de prospection en ce qui concerne les vêtements Lothar's s'est révélé insuffisant et qu'en outre il a servi à la vente de vêtements d'autres marques... " ;
Considérant que la société Lothar's ne justifie en aucune façon de l'insuffisance du travail de prospection de son agent, qui a dû faire face à la brusque rupture qui lui a été imposée ;
Considérant qu'au cours de la longue période des relations contractuelles entre les parties, la société Down a développé une clientèle commune avec la société Lothar's, laquelle a continué d'en profiter après la rupture ; que la société Down a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi par elle ;
Considérant que le montant annuel des commissions s'est élevé à une moyenne annuelle de 100 000 F au cours des trois dernières années ; qu'en fonction des éléments dont elle dispose la cour estime à 200 000 F le montant de l'indemnité due à la société Down et le jugement sera infirmé en ce sens ;
Sur les commissions restant dues :
Considérant que la société Lothar's a produit une situation du compte de la société Down dans ses livres, au 31 décembre 1987, laissant apparaître un solde de 63 334,52 F ;
Considérant que la dernière facture de commissions émise par la société Down le 31 décembre 1986 s'élève à 49 952,19 F ; que ce chiffre a été retenu par la société Lothar's dans son relevé de compte sus-indiqué ; qu'elle y a ajouté le solde de commissions pour l'hiver 1986/1987 ; que la société Down ne produit aucun document permettant valablement de contester le décompte retenu par le tribunal et le jugement sera confirmé sur ce point ;
Considérant que les intérêts aux taux légal ne sont dus qu'à compter de la date du jugement qui a fixé le montant de la créance, eu égard à l'imprécision de la demande de ce chef dans l'acte introductif d'instance ;
Sur la demande reconventionnelle en dommages-intérêts :
Considérant que la rupture des relations contractuelles n'étant pas imputable à une faute de la société Down, la demande en dommages-intérêts formulée par la société Lothar's n'est pas fondée ; que la décision de débouté sera dès lors confirmée ;
Considérant que la société Lothar's n'obtenant pas satisfaction sur l'essentiel de son appel, elle devra supporter les dépens ; que sa demande sur l'article 700 du NCPC est dès lors irrecevable ;
Qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la société Down la charge de ses débours non taxables ;
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a fixé à 250 000 F l'indemnité de résiliation, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Lothar's à payer à la société Down la somme de deux cent mille francs à titre d'indemnité de résiliation du mandat d'intérêts commun, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du NCPC, Condamne la société Lothar's aux dépens exposés devant la Cour et Admet les avoués de la cause, la SCP Bollet Baskal et la SCP Barrier Monin au bénéfice de l'article 699 du Code susvisé.