Livv
Décisions

CA Paris, 1re ch. B, 5 juillet 1996, n° 95-8455

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

De Clerfayt (Consorts)

Défendeur :

Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne (SARL), Agences et Diffusion (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin

Conseillers :

MM. Pluyette, Boval

Avoués :

SCP Bernabe Ricard, Dauthy-Naboudet

Avocats :

Mes Pichon, Choisel de Monti.

T. com. Paris, 4e ch. suppl., du 2 févr.…

2 février 1995

LA COUR est saisie de l'appel formé par Madame Christiane de Clerfayt et ses deux filles, Carole et Audrey, contre le jugement rendu le 2 février 1995 par le Tribunal de commerce de Paris dans le litige l'opposant à la société "Nouvelle Messageries de la Presse Parisienne" (ci-après NMPP) et à la société d'Agence et de Diffusion (SAD).

Référence étant faite au jugement déféré et aux écritures échangées entre les parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il convient de rappeler les éléments suivants.

Ayant acquis en 1971 un fonds de commerce de librairie-papeterie-journaux qu'il exploitait sous l'enseigne "Maison de la Presse" à Châlus dans la Haute Vienne, Monsieur de Clerfayt est décédé en 1985 en laissant son épouse usufruitière de ses biens en totalité et leurs deux enfants, Carole, devenue majeure, et Audrey, encore mineure.

Pour la poursuite de l'exploitation de ce dépôt central de presse, Madame Christiane de Clerfayt a signé le 28 octobre 1985 avec la société NMPP un contrat se substituant à celui qui avait été précédemment conclu le 1er octobre 1971 par cette société avec son mari.

Deux diffuseurs étaient rattachés à ce dépôt.

Dans le cadre d'un plan de restructuration du réseau de distribution de la presse parisienne, il a été convenu le 15 décembre 1993 entre les NMPP et le Syndicat National des dépositaires de presse (SNDP) que les dépôts desservant entre 0 et 10 diffuseurs seraient rattachés à d'autres organisations de vente sur décision de NMPP mandatées en cela par les éditeurs, étant précisé que pour les dépôts rattachés, il serait fait application des règles d'indemnisation en usage.

En exécution de cet accord, la société NMPP écrivait à Madame de Clerfayt par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 25 avril 1994 :

"Les circonstances économiques que nous connaissons, l'impérative recherche de la réduction des coûts de la distribution de la presse auxquelles elles nous conduisent, nous ont amenés, dans l'intérêt de nos éditeurs, à repenser l'organisation de notre réseau de distribution.

Ainsi que nos instances professionnelles s'en sont fait l'écho, cette restructuration se traduit notamment par une très sensible réduction du nombre de dépositaires de presse.

C'est dans le cadre de cette restructuration, dont notre délégué commercial vous a entretenue, et conformément aux délibérations de la Commission d'Organisation de la Vente du 21 avril 1994 que nous sommes amenés à mettre un terme au contrat de dépositaire central que nous avions conclu avec vous, et ce avec effet au 31 octobre 1994.

A compter de cette date, vous pouvez opter pour la poursuite de la vente de la presse dans votre propre magasin ; votre point de vente ainsi que ceux que vous approvisionnez actuellement seront desservis par l'Agence SAD (Société d'Agences et de Diffusion) de Limoges aux conditions usuelles des diffuseurs de presse dans le cadre du contrat habituel à conclure avec cette agence.

Bien évidemment, ce rattachement fera l'objet d'une indemnisation, qui sera établie suivant les usages de la profession..."

Puis, par lettre du 8 septembre 1994, elle lui transmettait le décompte de l'indemnité la concernant fixée à 117 044 F.

Enfin, par lettre recommandée du 13 octobre 1993, la société NMPP l'invitait à se mettre en rapport avec son agence de rattachement afin de convenir avec elle des modalités de son approvisionnement.

Contestant la régularité de la résiliation de son contrat et le montant de l'indemnité qui lui était offerte, Madame de Clerfayt, agissant tant pour elle-même que pour sa fille mineure Audrey, et Carole de Clerfayt ont assigné les NMPP en paiement de la somme de 231 650 F correspondant à la dépréciation du fonds et de celle de 150 000 F à titre de dommages-intérêts.

Le jugement déféré les a déboutées de leurs prétentions en relevant que le contrat conclu par Madame de Clerfayt avec les NMPP était un contrat de commissionnaire révocable ad nutum, que l'indemnité à laquelle elle pouvait prétendre conformément aux usages de la profession s'élevait à 117 044 F et que la SAD avait réglé la somme de 123 663 F.

Madame de Clerfayt et ses deux filles poursuivent la réformation de cette décision en demandant de :

- constater la résiliation fautive du contrat par les NMPP,

- dire que Madame de Clerfayt doit de nouveau être livrée en qualité de dépositaire,

- et subsidiairement qu'elle doit être indemnisée pour la reprise forcée de son dépôt,

- condamner les NMPP à lui payer la somme de 231 650 F,

- subsidiairement désigner un expert ayant pour mission d'évaluer la perte de valeur du fonds en condamnant d'ores et déjà les NMPP au paiement de la somme de 123 663 F,

- et celle de 30 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Soutenant que le contrat de Madame de Clerfayt a été résilié conformément aux dispositions contractuellement prévues, dans le cadre d'un plan général de restructuration du réseau de distribution, et que l'indemnité de 123 663 F qui lui a été versée par la SAD correspond à son indemnisation intégrale, la société NMPP conclut à la confirmation du jugement entrepris en sollicitant la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et une indemnité complémentaire de 10 000 F au titre des frais irrépétibles exposés en appel.

Sur ce, LA COUR

Sur la résiliation

Considérant que Madame de Clerfayt conteste la résiliation de son contrat et demande à être approvisionnée en qualité de dépositaire par les NMPP au lieu d'être livrée comme simple diffuseur par la SAD ;

Mais considérant que le contrat par elle conclu avec la société NMPP comportait en son article 3 une clause ainsi libellée :

"En raison de la nature particulière de la presse et de son circuit de distribution, le présent contrat est conclu avec le dépositaire qui l'a demandé à titre gratuit, personnel et révocable ad nutum. En conséquence il peut être résilié par les NMPP par lettre recommandée avec accusé de réception sous préavis de 48 heures, tout abus dans l'exercice du droit de révocation pouvant donner droit à indemnité".

Considérant que l'appelante invoque la nullité de cette clause en soutenant que le contrat de dépositaire de presse constitue un mandat d'intérêt commun, qui ne peut en conséquence être révocable ad nutum ;

Considérant que la société intimée conteste cette qualification en faisant observer qu'il n'y a pas eu création d'une clientèle commune, dès lors que celle-ci n'appartient ni aux NMPP, ni aux dépositaires, mais aux éditeurs ; qu'elle estime pour sa part que le contrat litigieux est un contrat de commission avec dépôt de la marchandise à vendre ;

Mais considérant que quelle que soit la qualification donnée au contrat sui generis régissant les relations entre les NMPP et les dépositaires centraux de presse, il convient de relever que ses modalités avaient été mises au point à la suite des négociations avec le SNDP sous l'égide du Conseil Supérieur des Messageries de Presse ;

Qu'il est par ailleurs constant que, dans le cadre du système de distribution de la presse institué par la loi du 2 avril 1947, les NMPP sont habilites à permettre l'ouverture ou la fermeture des dépôts et des points de vente, et qu'à ce titre une clause de libre révocation pouvait être stipulée dans les contrats par elles conclus avec les dépositaires, ceux-ci ne pouvant obtenir de dommages-intérêts qu'en cas d'abus ;

Considérant en outre que le NMPP, qui, contrairement à ce que prétend l'appelante, n'ont jamais renoncé à se prévaloir de cette clause, justifient d'un motif légitime de résiliation du contrat de Madame de Clerfayt, dès lors que cette mesure s'inscrit dans le cadre du plan de restructuration du réseau de distribution ayant fait l'objet d'un accord conclu avec le SNDP le 15 décembre 1993 sous le contrôle de la Commission d'Organisation de la Vente ;

Considérant enfin que la société NMPP a pris soin de respecter un délai de préavis largement supérieur à celui qui était contractuellement prévu, puisqu'elle a notifié à Madame de Clerfayt la résiliation de son contrat à compter du 31 octobre 1994 dès le 25 avril précédent, soit six mois auparavant, en lui indiquant les modalités à suivre pour la poursuite de son activité ;

Considérant que le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a constaté la régularité de la résiliation prononcée et qu'il incombe à Madame de Clerfayt, si elle entend poursuivre son activité de diffuseur de presse, de régulariser sa situation avec la SAD de Limoges dorénavant habilitée à assurer son approvisionnement ;

Que cette société se trouve bien fondée à intervenir à cet effet ; que toutefois elle ne saurait imposer à Madame de Clerfayt la signature d'un contrat sous astreinte et qu'il lui appartiendra d'en tirer toutes conséquences en cas de refus de sa part ;

Sur l'indemnisation

Considérant que conformément à ce qui avait été convenu avec le SNDP au profit des dépositaires rattachés dans l'accord du 15 décembre 1993, la société NMPP a, par lettre du 8 septembre 1994, offert à Madame de Clerfayt une indemnité de 117 044 F correspondant, conformément aux usages de la profession, à trois fois le bénéfice net de la dernière année, selon le décompte suivant :

- perte de bénéfice brut résultant de l'opération de rattachement : 65 024 F, soit 8 % du dernier chiffre d'affaires annuel (812 809 F),

- perte de bénéfice net après soustraction de 40 % de frais généraux (26 009,89 F) : 39 014 F,

- 39 014 X 3 = 117 044 F ;

Considérant que Madame de Clerfayt sollicite pour sa part la somme de 231 650 F en soutenant que sa perte de commissions serait de 9,5 % (10 % sur les quotidiens et 9 % sur les périodiques) et que l'abattement pour frais généraux devrait se limiter à 2 %.

Mais considérant que le décret du 9 février 1988 relatif aux conditions de rémunération des agents de la vente de la presse fixant à 23 % le plafond des commissions des agents approvisionnant des sous-dépositaires et à 15 % le maximum des commissions prévues pour les marchands vendant directement au public, c'est à juste titre que la perte de bénéfices subie par les dépositaires rattachés a été fixée à 8 % (23 - 15) ;

Considérant qu'il ressort par ailleurs d'une attestation de l'expert-comptable de Madame de Clerfayt que ses charges d'exploitation se sont élevées à 456 753 F en 1994, soit à plus de 50 % du chiffre d'affaires non contesté de 812 809 F ;

Considérant que Madame de Clerfayt ne saurait davantage contester le coefficient multiplicateur retenu, dès lors qu'elle reconnaît elle-même que l'estimation des dépôts de presse se situe entre 1,50 et 4 fois le montant des commissions nettes annuelles ;

Considérant enfin qu'il ressort des pièces versées aux débats que l'indemnité offerte à Madame de Clerfayt a été calculée en fonction de règles négociées avec le SNDP et appliquée à l'ensemble des dépositaires rattachés sans aucune discrimination à son égard;

Considérant que cette indemnité ayant été équitablement calculée sur un chiffre d'affaires non contesté, il n'y a pas lieu de recourir à une mesure d'expertise et que la résiliation de son contrat ne présentant aucun caractère fautif, Madame de Clerfayt ne saurait prétendre à des dommages-intérêts complémentaires ;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré satisfactoire l'offre d'indemnisation adressée à Madame de Clerfayt et constaté le règlement par la SAD de Limoges de la somme de 123 663 F, soit 117 044 F au titre des NMPP et 6 619 F au titre des MLP ;

Considérant que l'appel interjeté par Madame de Clerfayt ne présente pas de caractère abusif susceptible de fonder la demande de dommages-intérêts de la société NMPP ;

Qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de cette société les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer à la suite de cet appel et qu'il convient de lui allouer, en application de l'article 700 du NCPC, une indemnité complémentaire de 10 000 F en plus de celle du même montant accordée par le jugement déféré pour les frais de première instance ;

Par ces motifs : Déclare Madame de Clerfayt, agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de sa fille Audrey, et Carole de Clerfayt mal fondées en leur appel ; les déboute de toutes leurs demandes ; Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Déclare la Société D'Agences et de Diffusion recevable et bien fondée en son intervention ; Dit qu'il appartiendra à Madame de Clerfayt de régulariser sa situation avec cette société, si elle entend poursuivre son activité de diffuseur de presse ; Déboute la société NMPP de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ; Condamne Madame de Clerfayt à lui payer une indemnité complémentaire de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; La condamne aux dépens d'appel, dont le montant pourra être recouvré directement par la SCP Dauthy & Naboudet, avoués associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.