Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 99-10.922
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Paquin
Défendeur :
Prodim (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Waquet (conseiller faisant fonctions)
Rapporteur :
M. Chagny
Avocat général :
Mme Barrairon
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, Me Odent.
LA COUR : - Attendu que, le 2 mars 1987, la société Prodim a, aux termes d'un contrat intitulé "accord de franchise", concédé à M. Paquin, locataire-gérant d'un fonds de commerce, l'usage de l'enseigne "supermarché Champion" ; qu'en 1991, M. Paquin a cessé son activité et cédé le fonds de commerce qu'il avait exploité avec son épouse ; que la société Prodim lui a réclamé le paiement de factures ;
Sur les trois premiers moyens réunis : - Attendu que M. et Mme Paquin font grief à l'arrêt attaqué (Nancy, 21 octobre 1998) d'avoir jugé que l'article L. 781-1 du Code du travail était inapplicable à leurs relations avec la société Prodim et de les avoir condamnés à rembourser une dette commerciale à cette dernière, alors, selon les moyens :
1°) qu'il était constant que M. Paquin exerçait les fonctions de directeur salarié du fonds de commerce à l'enseigne Radar lorsque celui-ci avait été racheté par la société Promodès ; qu'il n'avait acquis des parts de la SCI Claudie, constituée par des filiales de la société Promodès et propriétaire du local abritant le fonds de commerce de supermarché, et conclu avec cette société un contrat de crédit-bail immobilier que par acte du 24 décembre 1987, soit plusieurs mois après la conclusion du contrat de franchise ; que les époux Paquin n'exerçaient en conséquence aucune activité commerciale et ne disposaient d'aucun local lorsque la société Prodim leur avait proposé la franchise Champion et la location-gérance du fonds ; qu'en énonçant le contraire, le cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
2°) que les époux Paquin faisaient valoir que la société Prodim avait nécessairement choisi, et au moins agréé, le local où ils exerçaient leur activité en rachetant le fonds de commerce et en le leur proposant en location-gérance parallèlement à la conclusion du contrat de franchise ; qu'ils n'avaient eux-mêmes à aucun moment choisi ce local où M. Paquin avait seulement antérieurement exercé les fonctions de directeur salarié au service du précédent propriétaire du fonds de commerce acquis par la société Promodès et que c'est tout d'abord la SCI Claudie, constituée par des filiales de la société Promodès, qui avait acquis le local ; qu'en se bornant à énoncer que les époux Paquin ne rapportaient pas la preuve que leur local avait été fourni ou agréé par le franchiseur, sans répondre à ce moyen d'où il résultait que la société Prodim avait seule choisi le local où les époux Paquin exerçaient leur activité, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
3°) que les dispositions du Code du travail sont applicables aux personnes dont la profession consiste à vendre des marchandises qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, dans un local fourni ou agréé par ladite entreprise et aux conditions et prix imposés par elle ; que l'article 317 du contrat de franchise prévoyait que le franchisé s'obligeait à faire en priorité ses achats chez le franchiseur et ne pouvait s'approvisionner indépendamment que s'il était en mesure de démontrer que ses approvisionnements externes lui permettaient de pratiquer une politique nécessaire à la spécificité de son point de vente ; que la clause précisait que le franchiseur gardait toute liberté d'apprécier la pertinence des arguments avancés et d'en tirer les conséquences ; qu'en considérant que le franchisé gardait une liberté suffisante de s'approvisionner auprès des fournisseurs de son choix, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 781-1 du Code du travail ;
4°) que les époux Paquin faisaient valoir qu'il résultait de la comptabilité du supermarché, telle que reconstituée par un comptable extérieur, que 97,45 % de leur approvisionnement résultaient d'achats effectués auprès de fournisseurs du groupe Promodès ; qu'ils ajoutaient que la liste des créances dont la société Prodim réclamait le paiement concernait exclusivement des fournisseurs du même groupe ; qu'en se bornant à affirmer que la société Prodim justifiait que le taux maximum des produits achetés par les époux Paquin auprès du franchiseur ou de ses fournisseurs agréés n'avait pas dépassé 63,49 %, sans s'expliquer sur les raisons pour lesquelles elle retenait le taux avancé par la société Prodim plutôt que celui qui résultait des pièces produites par les époux Paquin, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 781-1 du Code du travail ;
5°) que les attestations de MM. Payen et Fondu faisaient état d'une politique générale de la société Prodim à l'égard de l'ensemble de ses franchisés consistant dans le fait de laisser "systématiquement une, deux ou trois factures impayées", afin que "les fournisseurs non référencés se lassent" ; que cette méthode était appliquée "pour toutes les marchandises fournies par les fournisseurs extérieurs" et s'ajoutait à "divers moyens de pression" pour que le franchisé cesse ses pratiques ; qu'en énonçant que ces attestations n'étaient pas circonstanciées et ne permettaient pas de vérifier que les méthodes décrites s'appliquaient aux époux Paquin, la cour d'appel en a dénaturé les termes clairs et précis et a violé l'article 1134 du Code civil ;
6°) qu'il était constant que la société Prodim réglait les fournisseurs, établissait les fiches de paye des salariés dont elle établissait les grilles de salaires, effectuait les déclarations fiscales et sociales des époux Paquin et qu'elle les rémunérait au moyen de ristournes calculées unilatéralement par elle et sur lesquelles ils n'avaient aucun contrôle ; que la société Prodim détenait d'une façon générale l'ensemble des documents comptables, sociaux et bancaires du magasin et notamment les divers documents relatifs à la gestion du personnel (caisses de retraite, y compris en ce qui concerne les époux Paquin eux-mêmes, arrêts de travail, congés payés, congés maternité) ; qu'en se bornant à constater que les époux Paquin étaient inscrits au registre du commerce et propriétaires de leur fonds, sans rechercher s'ils disposaient d'une indépendance économique et juridique réelle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 781-1 du Code du travail ;
7°) que l'article 313 du contrat de franchise stipulait que si le franchisé gardait la liberté d'apprécier la pertinence de la "politique consommateurs suggérée" par le franchiseur, consistant essentiellement dans une "politique du prix bas" et de "procéder aux modifications liées à sa situation propre", il ajoutait que le franchiseur gardait cependant "la libre appréciation de la pertinence et de la compatibilité de la politique de prix personnalisés du franchisé avec la nécessité de ne pas compromettre l'image dynamique de l'enseigne Champion" ; qu'il en résultait que le franchisé n'avait aucune liberté réelle de fixer les prix des produits qu'il proposait à la vente ; qu'en décidant du contraire, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil ;
8°) que l'indépendance économique du franchisé implique que lui soit laissée la possibilité de fixer librement ses prix de vente ; qu'en se bornant à considérer que les époux Paquin avaient la possibilité de pratiquer des prix inférieurs à ceux proposés par le franchiseur, sans rechercher s'ils pouvaient également pratiquer des prix supérieurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 781-1 du Code du travail ; 9 ) que les époux Paquin faisaient valoir que les produits frais arrivaient préétiquetés dans leur magasin et que les autres produits faisaient l'objet "de prix unitaires suggérés" ou bien "de prix moyens de vente au consommateur" ; qu'à cela s'ajoutaient les multiples opérations promotionnelles organisées par le franchiseur, à l'occasion desquelles les prix étaient mentionnés dans des prospectus publicitaires directement remis aux consommateurs et interdisant de fait au franchisé de fixer lui-même un autre prix ; qu'en s'abstenant de toute explication sur ces différents points, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que la cour d'appel, appréciant les faits de la cause, a relevé que l'accord de franchise permettait au franchisé de s'approvisionner de façon indépendante et que le franchiseur n'était pas son seul fournisseur ;que, dès lors qu'il résultait de ses constatations et énonciations que l'une des conditions cumulatives prévues par la loi faisait défaut, elle a pu décider, abstraction faite des autres motifs qui sont surabondants, que l'article L. 781-1 du Code du travail n'était pas applicable aux relations établies entre les parties ; que les moyens ne sont pas fondés ;
Et sur le quatrième moyen : - Attendu qu'il est encore reproché à l'arrêt d'avoir condamné les époux Paquin à rembourser une dette commerciale à la société Prodim, alors, selon le moyen, que les époux Paquin contestaient le montant des factures litigieuses, faisant notamment valoir que la société Prodim n'apportait aucun élément de preuve à l'appui de ses demandes ; qu'en se bornant à constater, pour les condamner à paiement, qu'ils n'avaient pas contesté le montant des factures ni à la réception, ni à la livraison, ni lors de la mise en demeure, sans constater que la société Prodim rapportait la preuve de sa créance, la cour d'appel a violé l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que les époux Paquin se bornaient à soutenir, sans en rapporter la preuve, que la société Prodim n'avait pas décompté les ristournes contractuellement prévues, a condamné les intéressés au paiement de factures qui n'étaient discutées ni dans leur principe ni dans leur montant ; que le moyen n'est pas fondé ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.