CA Paris, 25e ch. A, 27 octobre 2000, n° 1998-17942
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Manufacture Textile Creation (SA)
Défendeur :
Ohaniantz
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Briottet
Conseillers :
Mme Bernard, M. Picque
Avoués :
Me Huyghe, SCP Jobin
Avocats :
Mes Perez, Carnazza.
Le 4 décembre 1996 la société Manufacture Textile Création (ci-après MTC) a rompu le contrat d'agent commercial pour la promotion et la vente de ses produits diffusés sous la marque " La Compagnie des Etoffes" initialement souscrit avec André Ohaniantz, le 9 novembre 1994, sur un territoire réduit, dans l'état final de leurs relations conventionnelles, en Belgique et au Luxembourg. Ce dernier l'a fait assigner devant le Tribunal de commerce de Bobigny aux fins de la voir condamner à lui payer une indemnité de rupture de 220 217,47 F majorée des intérêts légaux outre 10.000 F. de frais irrépétibles.
Par jugement du 14 mai 1998 le Tribunal a condamné la société MTC à payer à son ancien agent commercial 75.074 F majorés des intérêts légaux à dater du 4 décembre 1996 et 8.000 F de frais non taxables.
La société MTC interjette appel et, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 11 septembre 2000, soutient, en justification de la rupture, qu'André Ohaniantz n'a pas respecté ses obligations de non concurrence ni d'objectif annuel de chiffre d'affaires et ne vérifiait pas la solvabilité des clients, dont il transmettait les commandes, ce qui provoquait des impayés, outre un dénigrement systématique du mandant rendant insupportable le maintien du lien contractuel. Elle fait valoir qu'elle l'a surpris au salon " décosit " à Bruxelles, le 1er septembre 1996, sur le stand d'un concurrent occupé à vendre des tissus à une clientèle française découvrant à cette occasion qu'il représentait aussi ses rivales directes les sociétés Versary et CSA ce qu'elle n'aurait jamais accepté si, comme le contrat le lui imposait, l'agent commercial lui avait antérieurement dénoncé ses autres cartes car elle ne pouvait pas admettre qu'une même personne représente des entreprises directement concurrentes même sur des territoires distincts. L'appelante prétend aussi que l'agent commercial refusait d'établir ses rapports d'activité, privant ainsi son employeur d'informations régulières tant sur sa clientèle que sur l'état du marché et la situation de la concurrence. Subsidiairement l'appelante critique le quantum du dédommagement.
La société MTC sollicite, en conséquence, l'infirmation du jugement entrepris et, subsidiairement, la réduction de l'indemnité de rupture à trois mois de commissions. Elle demande, en outre, 100.000 F. de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20.000 F. de frais irrépétibles.
André Ohaniantz réplique, dans le dernier état de ses écritures signifiées le 1er septembre 2000, qu'il résulte des termes des télécopies des 2 octobre 1995 et 6 mai 1996 que la société MTC était informée de ce qu'il représentait aussi d'autres tisseurs. Cette dernière, qui n'était pas exposant au salon Décosit litigieux, n'ignorait pas non plus qu'il y serait présent en ce que cette manifestation internationale rassemble tous les professionnels du textile ce qui rendait naturel sa présence sur un stand, puisqu'il représentait d'autres entreprises du même secteur économique, mais sans jamais cffcctuer une vente à un client dont l'activité se situe à l'intérieur du périmètre concédé, l'obligation de non concurrence devant s'entendre, selon lui, de l'interdiction de vendre un produit concurrent à ceux de la marque " La Compagnie des Etoffes " à un destinataire résident en Belgique ou au Luxembourg. Il dément avoir dénigré son mandant, les critiques formulées l'ayant toujours été dans un but constructif et estime qu'il ne pouvait pas connaître en détail la situation financière réelle de ses clients en observant que deux impayés en deux ans d'activité représentaient une performance honorable en la matière. Il soutient avoir rempli l'objectif de vente lors de la 1ère année et l'avoir presque atteint la seconde, la différence étant minime alors que l'espace exclusif concédé avait été considérablement réduit par rapport à celui initialement prévu lors de la signature du contrat le 9 novembre 1994. M. Ohaniantz conclut à la confirmation du jugement entrepris sauf sur le quantum de l'indemnité et, formant appel incident de ce seul chef, il sollicite d'en porter le montant à 300.191,55 F. correspondant à deux années de commissions en demandant, en outre, 20.000 F. de frais non taxables.
SUR QUOI :
Considérant que le contrat d'agent commercial est silencieux sur l'étendue territoriale de la clause de non concurrence ; qu'il convient, dès lors, de rechercher la commune intention des parties en observant que son art. 13 limite au territoire concédé l'exclusivité consentie par le mandant ce qui permet de déduire, en appliquant la proportionnalité des engagements réciproques, que la non- concurrence consentie par le mandataire doit aussi s'entendre sur l'étendue du même territoire ; que cette interprétation est confortée par les télécopies de la société MTC en date des 2 octobre 1995 et 6 mai 1996 puisque le mandant indique dans la première que l'agent a en portefeuille des " cartes complémentaires à celles de MTC" et que la seconde stipule que M. Ohaniantz ne représente pas la société MTS " en exclusivité" ;
Considérant que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'une seule vente d'un produit concurrent effectuée à un client sur les marchés belge ou luxembourgeois ; que la société MTC n'avait pas décidé d'exposer sur le salon Decosit de Bruxelles mais que, celui-ci étant une manifestation internationale de ce secteur d'activité, il était normal qu'André Ohaniantz y soit présent à un autre titre puisqu'il était admis entre les parties que son activité professionnelle ne se limitait pas à ladite société ;
Considérant, par ailleurs, que si l'art. 10 de la convention fait obligation à l'agent de vérifier la solvabilité des clients dont il transmet les commandes, il n'est pas établi qu'André Ohaniantz n'aurait pas respecté cette simple obligation de moyen ni qu'il aurait eu connaissance, au moment de la passation des ordres, des difficultés financières des deux sociétés visées par MTC ; qu'au demeurant leur nombre limité, au regard du chiffre d'affaires réalisé, n'est pas significatif et ne saurait constituer une faute suffisante pour justifier une rupture unilatérale du contrat d'agence ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que l'objectif 95 du volume d'affaires a été atteint ; qu'en revanche celui de 1996 est inférieur de 8,33% selon le propre calcul de l'appelante ; mais considérant que si le contrat d'agence a été rompu le 4 décembre 1996 les difficultés entre les parties se sont développées à partir du salon de Bruxelles le 1er septembre précédent de sorte que le dernier trimestre de l'année a été troublé par la polémique naissante et amputé de 27 jours par la résiliation unilatérale du contrat ce qui permet d'estimer que l'objectif peut être regardé comme atteint prorata temporis ;
Considérant que la société MTC ne rapporte pas davantage la preuve du dénigrement systématique dont elle accuse André Ohaniantz, les seules pièces versées au dossier ne renfermant que le sentiment de ce dernier exclusivement exprimé auprès des dirigeants de la société mandante et non envers des tiers sur les nouvelles collections et sur les pratiques du factor ;
Qu'en conséquence le jugement entrepris sera confirmé sur le principe de l'indemnité de rupture au profit de l'agent commercial
Mais considérant qu'il est constant que celui-ci n'envoyait pas régulièrement ses rapports d'activité comme le contrat lui en faisait obligation; que ce manquement, s'il est insuffisant à justifier à lui seul, la rupture, est de nature à minorer l'indemnité générée par celle-ci en ce que André Ohaniantz a sciemment privé son employeur d'une source régulière d'informations sur son secteur, propres à l'éclairer dans ses choix stratégiques vis-à-vis de la concurrence ;
Que l'art. 20.2 de la convention limite l'indemnité " de clientèle" à une année de commissions ce qui n'autorise pas l'agent commercial à prétendre à deux ans de son produit ; qu'il apparaît, dès lors, que c'est par une juste appréciation des circonstances de la cause que le Tribunal a fixé l'indemnité à six mois de commissions, majorée des intérêts légaux à dater de la demande ;
Qu'en conséquence la décision critiquée sera entièrement confirmée ;
Considérant que l'appelante n'est pas fondée dans sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et qu'elle a contraint l'intimé à exposer, en appel, de nouveaux frais non taxables ; qu'elle sera condamnée à payer 15 000 F. à ce titre ;
Par ces motifs : Contradictoirement, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Manufacture Textile Création (MTC) à payer 15.000 F. de frais irrépétibles à André Ohaniantz, déboutant ce dernier du surplus de sa demande de ce chef ; Déboute la société MTC de ses demandes en dommages et intérêts et frais irrépétibles ; La condamne aux dépens, Admet Me Jobin au bénéfice de l'art. 699 du NCPC.