Livv
Décisions

Cass. com., 3 octobre 2000, n° 97-21.294

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Sineu Graff (SA)

Défendeur :

Card

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dumas

Rapporteur :

Mme Tric

Avocat général :

M. Feuillard

Avocats :

Me Brouchot, SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez.

TGI Lure, du 20 juin 1995

20 juin 1995

LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré (Besançon, 10 septembre 1997), que par lettre du 2 novembre 1993, la société Sineu Graff a résilié le contrat d'agent commercial de M. Card pour certains départements en invoquant son manquement à l'obligation contractuelle de l'informer des actions de la concurrence, cet agent lui ayant caché que sa fille, qui avait été sa salariée, venait d'entreprendre la représentation des produits d'une société concurrente pour ces départements ;

Sur le premier moyen : - Attendu que la société Sineu Graff reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à M. Card la somme de 705 639, 65 francs outre les intérêts, alors, selon le pourvoi, que la cour d'appel doit être composée d'un président et de deux conseillers ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les débats se sont déroulés devant M. Valtat, conseiller rapporteur, qui en a rendu compte lors du délibéré aux autres magistrats, M. Polanchet et Deglise, conseillers ; qu'il ne résulte d'aucune des mentions de la décision que l'un des magistrats, tous conseillers à la cour d'appel, ait exercé les fonctions de président ; qu'ainsi l'article L. 212-2 du Code de l'organisation judiciaire a été violé ;

Mais attendu que l'arrêt énonce que la décision a été prononcée en audience publique et signée par M. Polanchet ; que ces énonciations impliquent que ce magistrat faisait fonction de président ; que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Sineu Graff fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties ; que lorsque de tels contrats ont été conclus avant l'entrée en vigueur de la loi du 25 juin 1991 et ont été résiliés antérieurement au 1er janvier 1994, leur résiliation par le mandant, si elle n'est pas justifiée par une faute du mandataire ouvre droit à indemnité compensatrice du préjudice subi ; qu'en décidant cependant que seule la faute grave du mandataire était de nature à priver ce dernier d'une indemnité compensatrice, la cour d'appel a violé l'article 3 du décret du 23 décembre 1958 ;

Mais attendu qu'il résulte de ses conclusions que la société Sineu Graff avait soutenu devant la cour d'appel que le contrat d'agence commerciale était régi par les dispositions de la loi du 25 juin 1991 et que M. Card avait commis une faute grave ; que le moyen, contraire à ses écritures d'appel, est irrecevable ;

Sur le troisième moyen, pris en ses trois branches : - Attendu que la société Sineu Graff fait ensuite le même grief à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les motifs dubitatifs équivalent à une absence de motifs ; qu'en énonçant, pour écarter le procès-verbal de M. Glausinger, huissier de justice, que le numéro de téléphone composé par l'huissier "ne semble pas correspondre à celui du bureau de Bourgogne figurant sur le papier à en-tête de Bernard Card", la cour d'appel a statué par un motif dubitatif équivalant à une absence de motifs en violation de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'il existe une identité de numéro de téléphone figurant sur le papier à en-tête de l'agence Bernard Card sous la rubrique "agent de Bourgogne" et celui effectivement composé par l'huissier de justice le 2 novembre 1993, tel qu'il est précisé par la lettre rectificative de l'huissier en date du 2 avril 1996 complétant son procès-verbal du 2 novembre 1993 ; qu'ainsi, en affirmant que le numéro de téléphone ne semble pas correspondre à celui du numéro de Bourgogne figurant sur le papier à en-tête de Bernard Card, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des documents dont elle se trouvait saisie, violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; et alors, enfin, que l'obligation contractuelle d'un agent commercial d'informer son mandant des actions de la concurrence lui impose nécessairement de tenir le mandant informé de la participation de sa fille qui l'assistait antérieurement dans sa mission, à un réseau concurrent ; qu'en décidant cependant que le silence sur l'activité de Mme Demange ne saurait être reproché à Bernard Card, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil et l'article 3 du décret du 23 décembre 1958 ;

Mais attendu qu'abstraction faite des motifs surabondants critiqués par les deux premières branches, la cour d'appel n'a fait qu'appliquer le contrat en retenant, par motifs propres et adoptés, que la composition des équipes des concurrents ne constituait pas une "action de la concurrence" dont l'agent devait tenir son mandant informé, peu important que sa fille, qui n'était plus sa salariée depuis deux ans, ait été en relation avec la société Sineu Graff à une époque où celle-ci ne distribuait pas encore ses propres produits ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Sineu Graff fait enfin le même grief à l'arrêt alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'indemnité compensatrice du préjudice subi par un mandataire pour rupture injustifiée de son contrat ne peut être fixée par référence à des usages ou jurisprudence habituels dénués de lien avec le dommage effectivement subi ; qu'en fixant cependant l'indemnité compensatrice octroyée à M. Card à deux années de commissions par référence à ce que "les usages et la jurisprudence fixent habituellement", la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 3 du décret du 23 décembre 1958 ; et alors, d'autre part, que par ses conclusions régulièrement déposées et signifiées, la société Sineu Graff avait expressément contesté l'évaluation faite par M. Card des deux années de commissions dont il réclamait le paiement à titre d'indemnité ; qu'en fixant cependant à 705 639,61 francs le montant de deux années de commissions dès lors que celui-ci n'aurait été "nullement discuté", la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, violant ainsi l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que loin de se borner à se référer aux usages et à la jurisprudence, l'arrêt relève que la rupture est intervenue après une collaboration de onze années fructueuse et teintée de loyauté; que la cour d'appel a ainsi légalement justifié sa décision ;

Attendu, d'autre part, que si la société Sineu Graff a demandé, aux termes de ses conclusions récapitulatives, qu'il lui soit décerné acte de ce qu'elle contestait l'évaluation faite par M. Card à l'appui de sa demande d'indemnité compensatrice en exposant que la réparation ne doit pas être forfaitaire et doit correspondre à la perte de revenus tirée de la clientèle apportée au mandant et justifiée au besoin par expertise, elle n'a pas contesté le montant de deux années de commissions calculé par M. Card ; D'où il suit que le moyen est sans fondement ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.