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Décisions

CJCE, 1re ch., 13 juillet 2000, n° C-456/98

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Centrosteel (Srl)

Défendeur :

Adipol (GmbH)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Sevón

Rapporteur :

M. Jann

Avocat général :

M. Jacobs

Juge :

M. Wathelet

Avocats :

Mes Terrano, Orlandi

CJCE n° C-456/98

13 juillet 2000

LA COUR,

1. Par ordonnance du 24 novembre 1998, parvenue à la Cour le 15 décembre suivant, le Pretore di Brescia a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), trois questions préjudicielles sur l'interprétation de la directive 86-653-CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants (JO L 382, p. 17, ci-après la "directive"), ainsi que des articles du traité CE figurant dans la troisième partie de celui-ci, sous le titre III, chapitres 2 et 3, concernant respectivement la liberté d'établissement et la libre prestation des services.

2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant Centrosteel Srl (ci-après "Centrosteel"), société établie à Brescia (Italie), à Adipol GmbH (ci-après "Adipol"), qui est une société dont le siège est à Vienne (Autriche).

3. Il ressort du dossier au principal que Centrosteel a exercé, entre 1989 et 1991, l'activité d'agent commercial au bénéfice d'Adipol en vertu d'un contrat d'agence conclu entre les parties. Après la résiliation du contrat, Centrosteel a réclamé le paiement d'une certaine somme à titre de commissions.

4. Adipol ayant refusé de payer la somme qui lui était réclamée par Centrosteel, le litige a été soumis en première instance au Pretore di Brescia, devant lequel la défenderesse a fait valoir que ledit contrat d'agence était nul en raison du défaut d'inscription de Centrosteel au registre des agents et des représentants de commerce, enregistrement qui est obligatoire en vertu de l'article 2 de la loi italienne n° 204, du 3 mai 1985 (GURI n° 119, du 22 mai 1985, p. 3623, ci-après la "loi n° 204").

5. Cette disposition prévoit la création auprès de chaque chambre de commerce d'un registre des agents et des représentants de commerce, auquel "doit s'inscrire quiconque exerce ou entend exercer l'activité d'agent ou de représentant de commerce". L'article 9 de la loi n° 204 "interdit à toute personne non inscrite au registre visé par la présente loi d'exercer l'activité d'agent ou de représentant de commerce".

6. Selon la décision de renvoi, les juridictions italiennes ont, dans le passé, constamment jugé que le contrat d'agence conclu par une personne non inscrite audit registre était nul pour violation de la règle impérative établie à l'article 9 de la loi n° 204 et qu'une telle personne ne pouvait pas réclamer en justice les commissions et indemnités relatives à l'activité qu'elle avait exercée.

7. Saisie d'une question préjudicielle à ce sujet par le Tribunale di Bologna (Italie), la Cour a dit pour droit que la directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet (arrêt du 30 avril 1998, Bellone, C-215-97, Rec. p. I-2191).

8. Dans cet arrêt, la Cour a constaté que, s'agissant de la forme du contrat d'agence, l'article 13, paragraphe 2, de la directive ne mentionne que l'exigence d'un écrit pour la validité du contrat. Le législateur communautaire ayant réglementé de manière exhaustive la matière, les États membres ne peuvent donc, en dehors de la rédaction d'un écrit, exiger aucune autre condition (arrêt Bellone, précité, point 14).

9. La juridiction de renvoi, en se fondant sur l'arrêt Bellone, précité, fait valoir que, dans la mesure où, en vertu de la jurisprudence constante de la Cour, les directives ne produisent pas d'effet direct dans les relations entre particuliers, l'arrêt Bellone ne saurait conduire à écarter la loi n° 204 dans le litige qui lui est soumis. Selon elle, il conviendrait donc éventuellement de se référer directement aux dispositions du traité, en particulier à celles relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, qui, à la différence des directives, seraient directement et immédiatement applicables dans les ordres juridiques nationaux. L'éventuelle incompatibilité de la réglementation italienne avec ces principes communautaires entraînerait inévitablement la non-application de cette dernière.

10. C'est dans ces circonstances que la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

"1) Comment faut-il interpréter les articles 52, 53, 54, 55, 56, 57 et 58 du traité CE; en particulier, les articles 2 et 9 de la loi italienne n° 204 de 1985, en vertu desquels l'inscription sur un registre est obligatoire pour toute personne exerçant une activité d'agent commercial sous peine de nullité du contrat d'agence conclu par la personne non inscrite sur ce registre, constituent-ils une restriction à la liberté d'établissement ?

2) Les règles relatives à la liberté d'établissement énoncées aux articles 52 à 58 du traité s'opposent-elles à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet ?

3) Les règles relatives à la libre prestation des services énoncées aux articles 59 à 66 du traité s'opposent-elles à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce sur un registre prévu à cet effet ?"

Sur la recevabilité

11. Adipol, le Gouvernement italien et la Commission soutiennent que le renvoi préjudiciel est irrecevable aux motifs que:

- il est fondé sur une appréciation erronée des faits, Centrosteel n'ayant pas agi en qualité d'agent commercial, mais ayant simplement obtenu certains paiements d'Adipol au moyen d'un arrangement dont la validité serait douteuse (Adipol);

- les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services n'ont pas été invoquées par les parties dans le litige au principal (Adipol);

- les règles de droit international privé ne donnent pas compétence aux tribunaux italiens pour connaître du litige au principal, seuls les tribunaux autrichiens étant compétents à cet égard (Commission);

- les questions posées sont inutiles pour résoudre le litige au principal (Adipol, Gouvernement italien et Commission).

12. À cet égard, hormis le dernier argument soulevé, qui se rattache en réalité au fond de l'affaire et sera donc traité avec celui-ci, les autres exceptions d'irrecevabilité ainsi invoquées ne sauraient être accueillies pour les raisons qui ont été relevées par M. l'avocat général aux points 10 à 27 de ses conclusions et que la Cour fait siennes.

Sur le fond

13. À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que la directive vise à harmoniser le droit des États membres en ce qui concerne les rapports juridiques entre les parties à un contrat d'agence commerciale, indépendamment de quelque élément transfrontalier que ce soit. Son champ d'application s'étend donc au-delà de celui des libertés fondamentales consacrées par le traité.

14. Il convient de rappeler également que dans l'arrêt Bellone, précité, la Cour s'est prononcée sur une situation identique à celle qui a donné lieu au litige pendant devant la juridiction de renvoi, à savoir la validité d'un contrat d'agence, soumis au droit italien, lorsque l'agent n'est pas inscrit au registre des agents et des représentants de commerce. La Cour a dit pour droit, dans cet arrêt, que la directive s'oppose à ce que la validité du contrat d'agence soit subordonnée à l'inscription de l'agent de commerce à un tel registre.

15. Certes, il est vrai qu'il ressort d'une jurisprudence constante de la Cour que, en l'absence de transposition adéquate en droit national, une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations à la charge des particuliers (arrêts du 26 février 1986, Marshall, 152-84, Rec. p. 723, point 48, et du 14 juillet 1994, Faccini Dori, C-91-92, Rec. p. I-3325, point 20).

16. Toutefois, il ressort également de la jurisprudence de la Cour (arrêts du 13 novembre 1990, Marleasing, C-106-89, Rec. p. I-4135, point 8; du 16 décembre 1993, Wagner Miret, C- 334-92, Rec. p. I-6911, point 20; Faccini Dori, précité, point 26, et du 27 juin 2000, Océano Grupo Editorial et Salvat Editores, C-240-98 à C-244-98, non encore publié au Recueil, point 30) que, en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité CE (devenu article 249, troisième alinéa, CE).

17. Il incombe ainsi au juge de renvoi, saisi d'un litige entrant dans le domaine d'application de la directive et trouvant son origine dans des faits postérieurs à l'expiration du délai de transposition de cette dernière, lorsqu'il applique les dispositions du droit national ou une jurisprudence interne établie, ainsi que cela semble être le cas dans l'affaire au principal, de les interpréter d'une manière telle qu'elles puissent recevoir une application conforme aux objectifs de la directive. À cet égard, ainsi que l'a relevé M. l'avocat général au point 36 de ses conclusions, il semble que la Corte suprema di cassazione ait déjà, à la suite de l'arrêt Bellone, précité, modifié sa jurisprudence en ce sens que l'inobservation de l'obligation d'inscription au registre des agents et des représentants de commerce, prescrite par la loi n° 204, n'entraîne plus, en droit italien, la nullité du contrat d'agence.

18. Eu égard aux considérations qui précèdent, il n'est pas davantage nécessaire, ainsi que le font valoir à juste titre le Gouvernement italien et la Commission, de répondre aux questions de la juridiction de renvoi qui se réfèrent aux dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services, le litige pendant devant ladite juridiction pouvant être résolu sur le fondement de la directive et de la jurisprudence de la Cour relative aux effets des directives.

19. Dans ces circonstances, il convient de répondre aux questions posées que la directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce au registre prévu à cet effet. La juridiction nationale est tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de celle-ci, en sorte qu'elles puissent recevoir une application conforme aux objectifs de cette directive.

Sur les dépens

20. Les frais exposés par le Gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, LA COUR (première chambre), statuant sur les questions à elle soumises par le Pretore di Brescia, par ordonnance du 24 novembre 1998, dit pour droit:

La directive 86-653-CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne la validité d'un contrat d'agence à l'inscription de l'agent de commerce au registre prévu à cet effet. La juridiction nationale est tenue, lorsqu'elle applique des dispositions de droit national antérieures ou postérieures à ladite directive, de les interpréter dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de celle-ci, en sorte qu'elles puissent recevoir une application conforme aux objectifs de cette directive.