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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 14 septembre 1994, n° 1948-92

REIMS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Société d'assurance Crédit des Entreprises (SA), Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles de l'Yonne, Association pour la défense des créanciers Codec

Défendeur :

Copalaure (SA), Codec (Sté), Du Buit (ès qual.), Horel (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lambremon-Latapie

Conseillers :

MM. Ducasse, Ruffier

Avoués :

SCP Chalicarne-Delvincourt-Jacquemet, SCP Thoma-Le Runigo, SCP Six-Guillaume

Avocats :

Mes Lavedrine, Colomes, Kam.

T. com. Troyes, du 29 juin 1992

29 juin 1992

Faits et procédure :

La société coopérative des commerçants détaillants Codec a conclu avec ses fournisseurs, notamment les sociétés Pomona et Sicavyl, un accord de référencement dit de " circuit direct " permettant à ses sociétaires un meilleur approvisionnement en produits frais et/ou à rotation rapide, aux termes duquel :

- Codec définissait avec chaque fournisseur contractant une gamme de produits référencés et négociait pour le compte de ses clients sociétaires des avantages immédiats ou différés ;

- les sociétaires clients passaient commande directement aux fournisseurs et étaient également livrés directement par ces derniers ;

- Codec procédait au récolement des factures émises par les fournisseurs et leur faisaient l'avance du paiement des relevés ainsi établis, en faisant son affaire personnelle du recouvrement des factures auprès du client coopérateur, sauf en cas de retard ou de litige avec le client, auxquels cas le fournisseur devait faire son affaire personnelle du règlement du litige et du paiement par le client,

- Codec percevait du fournisseur une commission dite de gestion en rémunération de son intervention financière.

Il est constant qu'entre février et juillet 1990 la société Copalaure de Bar-sur-Seine (Aube), sociétaire de Codec, a commandé et réceptionné des marchandises fournies par les sociétés Pomona et Sicavyl, les a payées à Codec, laquelle n'a pas réglé les fournisseurs susdits.

Le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonne a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Codec le 9 août 1990, puis, le 2 octobre 1990, a entériné un plan de cession partielle des actifs, notamment au profit de la société Promodès, en désignant Maître du Buit et Maître Horel en qualité de commissaires à l'exécution du plan.

Par actes d'huissier en date du 20 avril 1992, la société d'Assurance Crédit des Entreprises, dite Sacren, tiers subrogé et mandataire de la société Pomona, la Caisse Régionale d'Assurances Mutuelles Agricoles de l'Yonne, dite Crama, tiers subrogé et mandataire de la société Sicavyl et l'Association pour la défense des créanciers de Codec ont fait assigner la société Copalaure pour obtenir, à titre principal, pour la première le paiement de la somme de 44 535,61 F représentant le montant de 7 factures impayées de marchandises fournies par la société Pomona et, pour la seconde, le paiement de la somme de 47 626,09 F représentant le montant de 21 factures impayées de marchandises fournies par la société Sicavyl ; l'association pour la défense des créanciers de Codec demandant quant à elle qu'il lui soit donné acte de son intervention pour protéger les droits de ses membres et de ses réserves quant à la possibilité de former toute demande, notamment à titre de dommages et intérêts.

Par actes d'huissier en date du 21 octobre 1991, la société Copalaure a fait assigner en garantie la société Codec, Maître du Buit et Maître Horel, pris en leurs qualités de représentants des créanciers commissaires à l'exécution du plan de redressement de ladite société.

Le Tribunal de commerce de Troyes, par jugement rendu le 29 juin 1992, s'est déclaré incompétent pour connaître de la demande et a renvoyé la cause et les parties devant le Tribunal de commerce de Corbeil.

La société Sacren, la Crama de l'Yonne et l'Association pour la défense des créanciers Codec a formé contredit le 8 juillet 1992.

Par arrêt en date du 14 décembre 1992, la Cour de céans, infirmant le jugement entrepris, a dit que le Tribunal de commerce de Troyes était compétent pour connaître du fond de l'affaire, a évoqué l'affaire au fond et a renvoyé l'affaire à la mise en état.

Moyens et prétentions des parties :

La société Sacren et la Crama de l'Yonne soutiennent que le paiement entre les mains de la société Codec, dont argue la société Copalaure, n'a aucun caractère libératoire dans la mesure où les fournisseurs n'ont jamais accepté la société Codec pour unique débitrice en lieu et place de ses sociétaires et où la garantie de paiement accordée par la centrale Codec aux fournisseurs doit s'analyser soit comme une délégation imparfaite, soit comme un mandat au paiement conféré par les fournisseurs. Elles réclament en conséquence la condamnation de la société Copalaure à payer la somme de 44 535,61 F en principal et la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à la société Sacren, la somme de 47 626,09 F et la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à la Crama de l'Yonne.

L'Association pour la défense des créanciers Codec affirme qu'en se désolidarisant de la société Codec et en prétendant qu'elle n'avait pas à pallier ses défaillances, la société Copalaure a commis une faute qui a causé un préjudice aux intérêts collectifs des créanciers de Codec groupés en association de défense. Elle sollicite la condamnation de la société Copalaure à lui payer la somme de 1 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 2 500 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Codec, Maître du Buit et Maître Horel, pris en leurs qualités de représentants des créanciers commissaires à l'exécution du plan de redressement de ladite société exposent que la centrale intervenait en qualité d'intermédiaire en vertu d'un contrat cadre de référencement. Ils indiquent que les flux financiers de paiement s'établissaient uniquement entre les fournisseurs et la société Codec, qui intervenait pour leur compte et percevait, en rémunération de sa fonction financière, une commission payée par les fournisseurs. Ils prétendent que l'action de la société Codec s'analyse en un mandat au recouvrement donné par les fournisseurs et qu'en payant entre ses mains, la société Copalaure s'est valablement libérée. Ils réclament la condamnation de la société Sacren, de la Crama de l'Yonne et de l'association pour la défense des créanciers Codec à leur payer la somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Copalaure, qui fait sienne l'argumentation de la société Codec et des mandataires judiciaires, conclut au débouté et réclame la condamnation de la société Sacren, de la Crama de l'Yonne et de l'Association pour la défense des créanciers Codec à lui payer la somme de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 1994.

Discussion :

Il est constant que la société Copalaure était sociétaire de la société Codec dont l'objet, en sa qualité de société coopérative de commerçants détaillants, régie par la loi du 10 septembre 1947 et la loi du 11 juillet 1972, était nécessairement de se mettre au service de ses associés pour faciliter leur activité commerciale. Par ailleurs, il s'avère que la société Codec disposait tant en vertu des textes susvisés et de son règlement intérieur auquel adhéraient les sociétaires, d'un mandat général de ces derniers d'agir pour leur compte.

Il appert d'une recension du contrat de référencement dit " circuit direct " conclu entre la société Codec et les fournisseurs référencés que si celui-ci fixait le cadre des relations contractuelles entre ces derniers et les clients sociétaires de la centrale, ainsi que les conditions générales auxquelles devaient répondre les fournitures, les ventes étaient quant à elles conclues directement entre les sociétaires et les fournisseurs, sans intervention de la société Codec ; chaque sociétaire conservant la maîtrise de l'opportunité et du volume de son approvisionnement en produits référencés. De même, les marchandises commandées étaient livrées directement au sociétaire et facturés à ce dernier. Il existait donc un lien contractuel direct entre le fournisseur vendeur et le client sociétaire acquéreur, lequel devenait débiteur du prix des marchandises livrées. Par contre, la société Codec intervenait pour centraliser les factures qu'il incombait aux fournisseurs de lui adresser dans un délai déterminé et, sur le plan financier, pour faire l'avance aux fournisseurs du règlement des dites factures, sauf retard ou litige entre le fournisseur et le client sociétaire ; la société Codec faisant son affaire du recouvrement des relevés de factures par ses sociétaires. En rémunération de son intervention, les fournisseurs versaient à la société Codec une commission de gestion calculée sur le montant de leurs ventes.

Il résulte de l'analyse des stipulations de l'accord de " circuit direct " que la société Codec accordait aux fournisseurs adhérents audit accord une garantie de paiement des livraisons effectuées au profit de ses sociétaires. Rien ne permet en revanche de considérer que les fournisseurs aient accepté la société Codec pour unique débitrice en lieu et place desdits sociétaires. Il échet en effet de rappeler que conformément aux dispositions de l'article 1275 du code civil, la délégation n'opère novation que si le créancier a expressément déclaré qu'il entendait décharger son débiteur qui a fait la délégation.Si en matière commerciale la preuve de l'acceptation peut se faire par tous moyens, les clauses de la convention permettent d'écarter l'existence d'une telle intention de la part des fournisseurs. C'est ainsi qu'il incombait à chaque fournisseur de faire son affaire personnelle du paiement de ses factures en cas de non-présentation dans le délai fixé ou en cas de litige l'opposant au sociétaire sur ses factures. Par ailleurs, ainsi qu'il ressort de la clause 102 de l'accord, la société Codec se réservait de n'apporter aucune garantie de solvabilité pour certains de ses clients ou de dénoncer la garantie donnée, stipulation qui implique manifestement que les sociétaires restaient tenus envers leurs fournisseurs. L'article 16-d du règlement intérieur prévoyait au surplus qu'en cas de défaillances répétées d'un sociétaire, la centrale pourrait aviser les fournisseurs que le paiement des commandes reçues par eux ne serait plus assuré ni garanti par elle.

Par ailleurs, la société Copalaure ne peut sérieusement prétendre que les fournisseurs référencés auraient confié à la société Codec un mandat au recouvrement de leurs factures. En effet, aucune clause de l'accord de référencement ne prévoit un tel mandat et les éléments soumis à l'appréciation de la Cour permettent d'écarter l'existence d'un mandat tacite. Il convient en effet d'observer qu'en premier lieu, un tel mandat serait contraire à l'objet même de la société Codec, qui est de faciliter l'activité commerciale de ses sociétaires et aux dispositions légales et notamment l'article 3 de la loi du 10 septembre 1947, qui lui interdisent de faire bénéficier les tiers non associés de ses services. En outre, l'action de la coopérative Codec ne peut s'inscrire que dans le cadre du mandat général qui lui est donné par tous les associés d'agir pour leur compte. C'est ainsi que l'article 100 de l'accord de circuit direct rappelle que la société Codec négocie pour le compte de ses clients.

D'autre part, le fait qu'une commission de gestion calculée sur le chiffre d'affaires HT réalisé par les fournisseurs était payée par ces derniers à la société Codec ne démontre également aucunement qu'elle intervenait en qualité de mandataire desdits fournisseurs dans la mesure où elle était fondée à faire rémunérer sa garantie de paiement, ; l'article 222 de l'accord prévoyant à ce titre qu'il ne serait pas tenu compte du chiffre d'affaires réalisé avec les clients ne bénéficiant pas de la garantie de solvabilité. Enfin, la convention n'ouvrait à la société Codec le droit de recouvrer sur ses sociétaires les sommes facturées à ceux-ci par les fournisseurs qu'après en avoir payé le montant à ces derniers ; cette avance consentie aux fournisseurs étant à l'évidence antinomique avec l'existence d'un mandat tacite au recouvrement donné par les fournisseurs qui supposerait un paiement préalable par le sociétaire.

Au demeurant, il appert de multiples courriers datés des 16 mai 1979, 15 novembre 1985 et 18 mars 1990 que la société Codec se présentait elle-même aux fournisseurs comme mandataire au paiement.

Il s'avère en conséquence que <l'accord de " circuit court ", s'il crée une obligation nouvelle à la charge de la société Codec qui peut être analysée comme une délégation imparfaite, n'est pas pour autant de nature à décharger la société Copalaure de ses obligations envers ses fournisseurs à l'égard desquels elle reste tenue au paiement.

Il s'ensuit que le paiement effectué entre les mains de la société Codec dont excipe la société Copalaure ne saurait avoir un caractère libératoire. Dans la mesure où la société Sacren et la Crama de l'Yonne justifient par les pièces versées aux débats que les factures de fournitures de marchandises émises au nom de la société Copalaure par les sociétés Pomona et Sicavyl entre le mois de février et le mois de juillet 1990 n'ont pas été réglées à ces dernières, étant observé que ces factures ne font l'objet d'aucune contestation, et qu'elles ont été subrogées dans les droits et actions de ces fournisseurs, il échet de faire droit à leurs prétentions.

Il échet enfin de relever qu'aucune demande n'est formée par la société Copalaure à l'encontre de la société Codec.

Au vu des éléments de la cause, il s'avère conforme à l'équité d'allouer à la société Sacren et la Crama de l'Yonne une indemnité de 6 000 F chacune en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Il n'apparaît en revanche nullement inéquitable de laisser à la charge des autres parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés.

Par ces motifs, Dit que le paiement effectué par la société Copalaure entre les mains de la société Codec est dépourvu de caractère libératoire ; En conséquence, condamne la société Copalaure à payer : - à la société Sacren, subrogée dans les droits de la société Pomona, la somme principale de 44 535,61 F représentant le montant de 7 factures impayées de marchandises fournies par la société Pomona, et la somme de 6 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, - à la Crama de l'Yonne, subrogée dans les droits de la société Sicavyl la somme principale de 47 626,09 F représentant le montant de 21 factures impayées de marchandises fournies par la société Sicavyl, ainsi que la somme de 6 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Dit que les condamnations prononcées à titre principal porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'acte introductif d'instance ; Déboute les sociétés de leurs autres prétentions ; Condamne la société Copalaure aux dépens de première instance et d'appel et autorise la société civile professionnelle Chalicarne Delvincourt Jacquemet, avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel dans les conditions fixés par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.