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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 8 mars 1994, n° 92-5419

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Drimmer (SA)

Défendeur :

La Grande Surface de Millau (SA), Euromarché (Sté), Relux (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

Mmes Plantard, Besson

Avoués :

SCP Negre, SCP Salvignol, SCP Touzery

Avocats :

Mes Lherbet, Halpern, Boespflug.

T. com. Millau, du 29 sept. 1992

29 septembre 1992

La société Drimmer qui a pour objet, la création, la fabrication et la commercialisation sous son nom, de lampes en céramique essentiellement, a fait procéder à la saisie contrefaçon entre les mains de la SA " La Grande Surface de Millau ", d'un modèle de lampe, vendue par celle-ci, dont elle prétendait qu'il constituait la stricte reproduction, par surmoulage de l'un de ses modèles, caractérisé par une forme approchant celle d'une jarre ventrue décorée d'un motif entrelacé, représentant des striures gravées ainsi qu'un drapé et des cordages ou frise en relief.

Ayant appris que le modèle dit contrefait, avait été acquis par la société La Grande Surface de Millau auprès de la société Relux, importatrice et distributeur de luminaires, et qu'il avait été référencé par la société Euromarché, dont la société La Grande Surface de Millau, portait l'enseigne, la société Drimmer a assigné les 3 sociétés en contrefaçon.

Par jugement du 29 septembre 1992, le Tribunal de commerce de Millau a débouté la société Drimmer, et l'a condamnée à payer à la société Relux les sommes de 5 000 F à titre de dommages-intérêts et 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et à la société Euromarché les sommes de 2 500 F à titre de dommages-intérêts et de 4 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La SA Drimmer a relevé appel de cette décision.

Elle critique la décision en ce que, pour écarter la recevabilité de son action, les premiers juges ont considéré que la preuve du caractère collectif de l'œuvre n'était pas rapportée, ni celle de son originalité et de son antériorité, et ont retenu que la société Relux ne pouvait être responsable au motif que le fabricant était une société espagnole.

Elle soutient qu'elle est recevable à agir en contrefaçon, car elle rapporte la preuve que le modèle litigieux a été créé par elle, dans le cadre de son bureau de création, antérieurement à toute autre divulgation, et constitue un modèle original, ne ressemblant à aucun autre qui lui soit antérieur. Concernant la responsabilité de la société Euromarché, elle fait valoir que celle-ci a référencé le modèle, et que la preuve découle du simple fait que la SA Grande Surface de Millau porte son enseigne ; qu'il appartiendrait à la société Euromarché de s'exonérer de la responsabilité qui pèse sur elle.

Elle demande à la Cour :

- de dire et juger que les sociétés Grande Surface de Millau, Euromarché et Relux, se sont rendues coupables d'actes de contrefaçons par référencement, vente et distribution de luminaires contrefaisants le modèle appartenant à la société Drimmer,

En conséquence :

- de leur faire défense de fabriquer, vendre, récupérer ou offrir à la vente le luminaire contrefaisant sous astreinte définitive de 5 000 F par lampe fabriquée ou vendue au mépris de l'interdiction,

- de condamner la société Relux à lui payer des dommages-intérêts après expertise, et par provision la somme de 500 000 F.

- de condamner la société Grande Surface de Millau à lui payer des dommages-intérêts qui devront être chiffrés après expertise et par provision, la somme de 50 000 F,

- de condamner la société Euromarché à lui payer des dommages-intérêts qui devront être chiffrés après expertise et par provision, la somme de 100 000 F,

- de dire que les condamnations seront conjointes et solidaires entre les 3 sociétés,

- désigner un expert ayant pour mission de donner un avis sur l'étendue de la contrefaçon, les quantités vendues et le chiffre d'affaires réalisé par chacune des parties en cause,

- d'ordonner à la société Euromarché sous astreinte quotidienne et définitive de 1 000 F par jour de retard de fournir la liste intégrale de ses adhérents à l'époque des faits, ayant participé à l'opération nationale de promotion présentant le modèle contrefaisant,

- d'ordonner la confiscation des lampes contrefaisantes se trouvant entre les mains des sociétés Relux et la Grande Surface de Millau, et leur remise entre ses mains ;

- d'ordonner la publication de l'arrêt dans 5 journaux ou périodiques, à son choix, aux frais conjoints et solidaires des 3 sociétés,

- d'ordonner la restitution de la somme de 3 000 F consignée au greffe du Tribunal de grande instance de Millau,

- de condamner les 3 sociétés intimées solidairement, à lui payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Relux et la société Grande Surface de Millau soutiennent que la société Drimmer n'a pas qualité pour agir faute de rapporter la preuve que le modèles de luminaire est une œuvre collective lui permettant d'agir en contrefaçon ; que sur le fond, il ne s'agit pas d'une œuvre originale dès lors que la forme d'amphore tronquée du luminaire ne résulte pas d'une création de la société Drimmer.

Elles concluent à la confirmation du jugement sauf à porter à la somme de 20 000 F le montant de la somme allouée sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; subsidiairement, de constater que la société Drimmer ne produit aucun document expliquant, si ce n'est [...] justifiant le préjudice qu'elle prétend avoir subi.

La société Euromarché, soutient pour sa part, que la société Drimmer ne prouve pas qu'elle a référencé le modèle, et quand bien même elle l'aurait fait, le référencement ne saurait constituer une contrefaçon.

Elle conclut à la confirmation du jugement, et à la condamnation de la société Drimmer à lui payer les sommes de 30 000 F pour procédure abusive et de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur quoi :

Attendu que la lampe fabriquée par la société Drimmer et celle mise en vente par la SA Grande Surface de Millau lors d'une promotion du 26 octobre au 11 novembre 1989 sont parfaitement identiques ; qu'il s'agit d'un pied de lampe en faïence saumon cérusé, ressemblant à une jarre ventrue, présentant en décoration un motif entrelacé, représentant un drapé et des cordages en relief, ainsi que des striures gravées.

Attendu qu'une personne morale qui entend bénéficier de la protection attachée à l'auteur d'un modèle doit prouver qu'il s'agit d'une œuvre collective, à l'origine de laquelle elle se trouve, et dont la contribution des personnes physiques à sa création, se fond dans un ensemble, et ne permet pas d'attribuer à chacune d'entre elles, un droit distinct.

Attendu que la société Drimmer justifie par attestations qu'elle dispose d'un bureau de création comprenant 2 salariés, un créateur et un technicien céramiste ; que selon Jean-Claude Jummeau, le créancier, il a participé à la création du modèle incriminé ;

Attendu que ces attestations, bien qu'émanant de salariés, ne peuvent être écartées sous le motif allégué par les sociétés Relux et Grande Surface de Millau, de leur caractère suspect en la forme ; que la preuve de l'existence d'un bureau de création ne peut être mieux rapportée que par des éléments internes à la société Drimmer, mieux informés que quiconque de l'organisation interne de la société ;

Attendu que ces attestations établissent bien, que le modèle a été créé au sein de la société Drimmer par des personnes physiques en étant membres, sans que la création de l'un ou e l'autre composant du luminaire puise être attribué à l'une d'entre elles d'une manière distincte.

Attendu que pour contester le caractère original du modèle, la société Relux et la société Grande Surface de Millau soutiennent que M. Jummeau n'a rien créé, et qu'il n'a fait que puiser dans la mémoire des peuples méditerranéens, en tronquant une amphore pour en assurer la stabilité sur une surface plane ; que l'amphore est connue depuis la plus haute antiquité, et que la décoration réalisée par la société Drimmer ne fait que rappeler, que pour assurer leur préservation au cours des voyages maritimes, les amphores étaient solidarisées entre elles par des cordages.

Mais attendu que l'originalité de la création d'un modèle n'exclut pas de puiser la source d'inspiration dans le passé ; qu'elle découle en l'occurrence, non pas tant de la forme de l'objet que de sa décoration, dont l'alliance de drapée, de striures et de cordages résulte de la recherche faite par le créateur pour lui conférer un caractère esthétique particulier, et non la simple reproduction d'un objet existant dans l'antiquité ;

Attendu en ce qui concerne la société Euromarché qu'il ressort du catalogue versé aux débats, que l'opération promotionnelle sur les produits y figurant, dont la lampe litigieuse, était nationalepuisqu'il mentionne en première page, que 160 000 cadeaux sont à gagner dans l'ensemble des magasins Euromarché ; que seule la dernière page a été réservée pour l'adapter au magasin local.

Attendu que la société Euromarché ne rapporte pas la preuve contraire, en fournissant des catalogues d'autres magasins adhérents, établissant comme elle le prétend, que les produits en promotion pouvaient varier en fonction de chacun d'eux, notamment par la possibilité qu'ils avaient de présenter des produits acquis par d'autres filières que la centrale d'achat.

Attendu qu'au contraire, la promotion nationale sous l'enseigne Euromarché implique l'acquisition de produits à des tarifs intéressants que seule la centrale d'achat permet d'obtenir;

Attendu que si la société Euromarché s'est bornée à un simple référencement du produit, cette activité qui consiste à jouer un rôle d'intermédiaire entre le fournisseur et le distributeur, a néanmoins pour objet d'offrir à la vente les marchandises qu'elle a sélectionnées ; que cette participation à la commercialisation, essentielle puisqu'elle la suscite, constitue bien un acte de contrefaçon;

Attendu en conséquence, qu'il y a lieu d'infirmer la décision des premiers juges qui ont débouté la société Drimmer de ses demandes, et de faire défense aux 3 sociétés de vendre, référencer ou offrir à la vente le luminaire contrefaisant, sous astreinte provisoire de 1 000 F par lampe vendue.

Attendu sur le préjudice subi par la société Drimmer, que celui-ci consiste en une perte de chiffre d'affaires, ainsi que dans la dépréciation de son modèle divulgué à un prix infiniment inférieur à celui auquel elle le vend ;

Attendu qu'il est établi par le procès verbal de contrefaçon dressé le 8 novembre 1989, que la société La Grande Surface de Millau a acquis auprès de la société Relux 10 lampes contrefaisantes au prix de 169 F, revendues pour la somme de 245 F ; qu'une seule lampe a été vendue ;

Attendu que la société Relux justifie avoir acquis auprès de la société espagnole Ceramicas Peralta 96 lampes dont la référence correspond à celles des luminaires saisis auprès de la société Grande Surface de Millau et figurant sur le catalogue de la société Euromarché ; qu'aucun élément ne permet de considérer que la société Relux en aurait acquis et commercialisé une quantité plus importante ; qu'une mesure destinée à déterminer l'ampleur de la contrefaçon ne s'impose pas ;

Attendu que les faits de contrefaçon respectivement commis par les 3 sociétés intimées sont d'importance distincte ; qu'au vu des éléments dont la Cour dispose et qu'elle estime suffisants, le préjudice subi par la société Drimmer peut être évalué à la somme de 5 000 F pour la société La Grande Surface de Millau, à 50 000 F pour la société Euromarché et à 100 000 F pour la société Relux.

Attendu qu'il y a lieu d'ordonner la confiscation des lampes contrefaisantes entre les mains des 3 sociétés, et d'ordonner la publication de la présente décision dans 3 journaux ou périodiques au choix de la société Drimmer, et aux frais communs des 3 sociétés intimées sans que le coût global de ces insertions excède la somme de 40 000 F HT ;

Attendu qu'enfin il y a lieu d'ordonner la restitution de la somme de 3 000 F consignée au greffe du Tribunal de grande instance de Millau par le président de cette juridiction dans son ordonnance du 8 novembre 1989, autorisant la saisie contrefaçon ;

Attendu que les 3 sociétés intimées qui succombent doivent supporter la charge des frais exposés par l'appelante et non compris dans les dépens à hauteur de 5 000 F ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Déclare l'appel recevable en la forme, Au fond, Infirme la décision déférée, Et statuant à nouveau, Dit que la société La Grande Surface de Millau, la société Euromarché et la société Relux ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Drimmer, par référencement, vente et distribution de luminaires contrefaisant le modèle appartenant à la société Drimmer, En conséquence, Fait défense à ces sociétés de fabriquer, vendre, référencer ou offrir à la vente le luminaire contrefaisant sous astreinte de 1 000 F par lampe fabriquée ou vendue au mépris de l'interdiction, Condamne la société La Grande Surface de Millau à payer à la société Drimmer la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts, Condamne la société Euromarché à payer à la société Drimmer la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts, Condamne la société Relux à payer à la société Drimmer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts, Ordonne la confiscation des lampes contrefaisantes se trouvant entre les mains de la société Relux et de la société Grande Surface de Millau et leur remise à la société Drimmer, Ordonne la publication de la présente décision dans 3 journaux ou périodiques au choix de la société Drimmer, et aux frais communs des 3 sociétés intimées sans que le coût global n'excède la somme de 40 000 F HT, Ordonne la restitution de la somme de 3 000 F consignée par la société Drimmer au greffe du Tribunal de grande instance de Millau, Condamne la société Grande Surface de Millau, la société Euromarché et la société Relux à payer in solidum à la société Drimmer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Les condamne aux entiers dépens dans lesquels seront compris les frais de la saisie de contrefaçon, dit, que pour ceux d'appel, il sera fait application de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.