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Décisions

CA Agen, 1re ch., 16 novembre 1992, n° 1174-91

AGEN

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Banque Nationale de Paris

Défendeur :

Supermarché Armagnacais (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Fourcheraud

Conseillers :

Mmes Dauriac, Ville

Avoués :

Mes Vimont, Brunet

Avocats :

Mes Rives-Lange, Gadrat.

T. com. Auch., du 18 oct. 1991

18 octobre 1991

La BNP a régulièrement relevé appel du jugement rendu le 18 octobre 1991 par le Tribunal de commerce d'Auch qui l'a déboutée de toutes ses demandes au motif que Codec n'ayant eu que la qualité de mandataire, la banque ne pouvait se prévaloir d'une cession de créances sur la base de la loi Dailly.

La BNP soutient tout d'abord que la Codec se trouve créancière de ses adhérents, tant en ce qui concerne le circuit " entrepôts " (créances cédées par bordereaux du 30, 10, 27, 31 juillet 1990) qu'en ce qui concerne le circuit " direct " (créances cédées par bordereaux du 2 et 5 juillet 1990) dans lequel Codec négocie directement les paiements avec les fournisseurs et règle ces derniers après récolement des factures, ce qui implique subrogation de Codec dans les droits des fournisseurs.

En outre les cessions de créances sont valables au regard de la loi du 2 janvier 1981, puisqu'il y a eu octroi de concours nouveaux par la BNP au profit de la Codec, et date de cession apposée par le cessionnaire, l'absence de notification étant sans incidence puisque les cessions sont opposables aux tiers à la date portée sur les bordereaux.

Enfin les cessions de créances ne sont pas critiquables au regard de la loi du 25 janvier 1985 puisque la plupart d'entre elles sont intervenues hors période suspecte, et qu'en tout état de cause, la cession de créance ne constitue pas un paiement fait par Codec. Au surplus il n'est pas démontré que la BNP ait accepté des cessions de créances en connaissance de la cessation des paiements de la société Codec ;

Par ailleurs, l'exception de compensation opposée par la Sasma n'est pas fondée dès lors que celle-ci n'a pas déclaré sa créance et que la créance invoquée par la Sasma n'était pas exigible à la date de la cession ;

En outre, les créances et dettes réciproques ne sont pas nées d'un même contrat.

La BNP demande en conséquence la réformation du jugement entrepris et la condamnation de la Sasma à lui payer :

- la somme principale de 22 822,20 F avec intérêts de droit à compter de la date d'échéance de chacune des factures impayées,

- la somme de 5 000 F à titre de dommages-intérêts,

- la somme de 15 000 F au titre de frais irrépétibles engagés par la BNP sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

La SA Supermarché Armagnacais (Sasma) conteste la qualité de créancier de la société Codec dans le cadre du crédit direct ;

Elle rappelle que conformément au constat mis en place entre Codec et les fournisseurs, l'opération de vente se réalise directement entre le fournisseur et les adhérents de Codec, de sorte que la société Codec n'est pas créancière pour le compte du fournisseur ; c'est ainsi que les fournisseurs à l'occasion du prononcé du redressement judiciaire de la société Codec ont demandé paiement de leurs factures à la Sasma qui ne peut être contrainte de payer deux fois.

La Sasma soutient en outre que la cessation de créance serait nulle au regard de la loi du 2 janvier 1981 pour les raisons suivantes :

- la BNP ne justifie pas de l'octroi d'un crédit à la Codec d'un montant équivalent à celui des créances cédées,

- la cession est intervenue en période suspecte,

- faute d'acceptation par la Sasma, la cession lui est inopposable,

Reconnaissant l'existence de créances au titre du circuit " entrepôt " la Sasma se dit fondée à opposer la compensation au titre des deux avances sur marchandises consenties à la Codec pour un montant de 95 148,03 F chacune, le principe d'un compte courant entre le fournisseur et l'adhérent étant établi.

Ces avances sur marchandises sont devenues exigibles dès l'instant où la société Codec ayant déposé son bilan ne pouvait assurer une quelconque livraison.

La compensation s'est donc opérée entre les créances réciproques Codec-Sasma ce qui a pour effet d'éteindre la créance de Sasma ;

L'intimée conclut en conséquence à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de son adversaire au paiement d'une somme de 10 000 F hors taxes en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans des conclusions responsives, la BNP dit rapporter la preuve d'avoir consenti du crédit à la Codec en contrepartie des cessions Dailly.

En outre, sur la compensation, elle fait les observations suivantes :

- l'existence d'un compte courant entre Codec et Sasma n'est pas démontrée,

- la compensation légale ne peut jouer puisque les aides de trésorerie n'étaient pas exigibles au jour du redressement ; en tout état de cause la Sasma aurait dû déclarer sa créance ;

- la Sasma oppose la même créance à tous les établissements bancaires cessionnaires en raison de la loi Dailly ; or une même créance ne peut être compensée plusieurs fois ;

Autorisée à s'expliquer en cours de délibéré sur la non-déclaration de créance invoquée par son adversaire, la Sasma dit avoir opéré compensation après le prononcé du redressement judiciaire entre le paiement des livraisons effectuées par Codec (circuit entrepôt) et les créances qu'elle avait elle-même sur la société Codec. En application de l'article 1234 du Code civil le paiement par compensation constituant un mode d'extinction de la créance, elle n'avait donc pas à déclarer une créance éteinte.

En réponse la BNP rappelle que la compensation ne peut s'appliquer qu'en raison de la connexité liant sa créance à celle de Codec.

En outre, faute d'avoir été déclarée, la créance de Sasma se trouve éteinte.

Motifs de la décision :

Attendu que par bordereaux en date des 2, 3, 5, 10, 27 et 31 juillet 1990 la société Codec a cédé à la BNP conformément à la loi du 2 janvier 1981 (loi Dailly) plusieurs créances d'un montant global de 200 822,50 F correspondant à des sommes dues par la Sasma ;

Que la Sasma a refusé de payer au motif que la société Codec n'avait pas la qualité de créancier ;

Attendu qu'il convient de préciser que les rapports juridiques entre la société Codec et la Sasma adhérente de la coopérative, sont de nature différente selon qu'ils concernent le circuit direct ou le circuit entrepôt ;

Attendu qu'il résulte de l'accord " circuit direct " versé aux débats, accord ayant pour objet de régler les relations entre le fournisseur et la Codec, que celle-ci agit en tant que " centrale de référencement " l'opération de vente proprement dite se réalisant entre le fournisseur et le client (sociétaire de Codec); qu'il est indiqué que la commande est passée par le client, que le fournisseur doit livrer le client aux conditions de la commande et que la facture est établie au nom du client ;

Que le rôle de la société Codec, intermédiaire entre le fournisseur et ses propres adhérents, consiste dans le récolement des factures émises par le fournisseur et en paiement de celles-ci au vu d'un relevé périodique, étant précisé que la société fait son affaire personnelle du recouvrement des factures auprès du client " dans la mesure où ce dernier ne les conteste pas " ; que le paragraphe 61, relatif aux litiges sur la facture émise par le fournisseur, impose au fournisseur " de faire son affaire personnelle du règlement du litige avec le client et du paiement de la facture par le client " ; que la société Codec ne donne donc au fournisseur aucune garantie automatique de paiement, le client restant le débiteur ;

Attendu que cet accord permet ainsi de constater que la vente des marchandises se réalise directement entre le fournisseur et le client de la Codec, la société Codec, qui ne vend et ne livre aucune marchandise, s'engageant comme agent de recouvrement ; qu'il s'en suit que la société Codec qui agit en qualité de mandataire ne peut avoir la qualité de créancier; que cette analyse est au demeurant confortée par l'action directe de certains fournisseurs engagée à l'encontre de la Sasma après la mise en redressement judiciaire de la société Codec ; qu'en effet la Sasma verse aux débats la copie de factures libellées directement à son ordre, et à la justification des paiements effectués au profit de la Clouterie Française, SNPH, Roche Fortuné et Dresco ;

Qu'ainsi il résulte de ces éléments que la cession invoquée par la BNP n'est pas valable en ce qui concerne les factures " circuit direct " cédées par bordereaux du 2 et 5 juillet 1990 pour les sommes de 5 204,32 F - 5 790,88 F - 35 455F,19 F - 8 555,38 F - 41 970,98 F -11 795,81 F et 4 297,35 F ;

Attendu qu'en revanche il n'est pas contesté que les créances de 1 736,87 F - 15 278,72 F - 4 756,61 F - 1 627,01 F et 87 944,70 F cédées par bordereaux du 3, 10 27 et 31 juillet 1990 relèvent du " circuit entrepôt ";

Que dans ce cas la société Codec est créancière de l'adhérent auquel elle livre des marchandises prises sur ses entrepôts ; qu'elle est donc en droit de céder ces créances sous réserves de respecter la loi du 2 janvier 1981 ;

Attendu sur ce point que la BNP produit aux débats la justification de ce que les cessions litigieuses se sont accompagnées d'octroi à la société Codec de crédit de trésorerie du montant correspondant, sous forme d'escompte de billets à ordre ; que c'est donc en vain que la Sasma invoque l'absence de mobilisation des dites créances ;

Attendu en outre que les dates de cession apposées sur les bordereaux par la BNP se trouvent confortées par celle des écritures en compte versées aux débats par la banque ; que les dites cessions sont donc opposables à la Sasma à compter des dates indiquées, conformément à l'article 2 de la loi précitée, et cela même en l'absence de notification au débiteur cédé, formalité qui est facultative ;

Attendu enfin que la Sasma soulève la nullité des actes de cession en application de la loi du 25 janvier 1985 ;

Mais attendu que la Sasma n'a pas qualité pour soulever la nullité des actes accomplis en période suspecte qu'au demeurant la plupart des cessions litigieuses sont intervenues hors période suspecte, hormis celle du 31 juillet 1990 intervenue le jour de la date de cessation des paiements fixée par le tribunal de commerce ; qu'en tout état de cause, aux termes de l'article 107-4° de la loi du 25 janvier 1985, les bordereaux de cession visés par la loi du 2 janvier 1981 ne sont pas susceptibles d'encourir la nullité lorsqu'ils ont été faits par le débiteur depuis la date de cessation des paiements ; qu'ainsi les dits actes de cession réalisés dans le cadre du circuit " entrepôts " sont pleinement valables et opposables à la Sasma pour un montant total de 111 343,91 F ;

Attendu que pour s'opposer au paiement la Sasma invoque la compensation entre les sommes qu'elle doit à la société Codec (circuit entrepôt) et les sommes dues par celle-ci au regard des avances exceptionnelles sur marchandises d'un montant total de 190 296,03 F ;

Attendu certes qu'en l'absence de notification de la cession, la société Sasma est fondée à opposer à la BNP l'ensemble des exceptions qu'elle peut opposer à la Codec ;

Mais attendu qu'il est constant en application de l'article 6 bis du règlement intérieur de la société Codec que " les sommes constituant le compte avance marchandises restent bloquées tout le temps de l'adhésion " ; que dès lors aucune compensation légale n'a pu s'opérer avant le redressement judiciaire de la société Codec ; que seule la compensation à raison de créances connexes réciproques pourrait s'appliquer à condition que la société Sasma ait régulièrement déclaré sa créance entre les mains du représentant des créanciers, ce qu'elle ne conteste pas ne pas avoir fait ; qu'en effet il convient de faire observer que si la compensation est bien un mode de paiement, encore faut-il que la créance à compenser ne soit pas éteinte ; que tel est le cas en l'espèce en application de l'article 53 § 3 de la loi du 25 janvier 1985 en l'absence de déclaration de créance ;

Qu'en conséquence la BNP est bien fondée à exiger le paiement de la somme de 111 343,91 F avec intérêts de droit à compter de l'assignation et le jugement attaqué sera infirmé ;

Attendu qu'en revanche l'appelante n'invoque pas de préjudice distinct du retard de paiement ; qu'elle sera donc déboutée de sa demande en dommages-intérêts ;

Attendu qu'enfin il y a lieu de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et de condamner la Sasma qui succombe à payer à la BNP la somme de 5 000 F en compensation de ses frais irrépétibles ;

Par ces motifs : LA COUR, Accueille l'appel, Infirme le jugement attaqué et statuant à nouveau, Condamne la Sasma à payer à la BNP la somme de cent onze mille trois cent quarante trois francs et quatre vingt onze centimes (111 343,91 F) majorée des intérêts de droit à compter de l'assignation du 14 février 1991, La condamne en outre à verser à la BNP la somme de cinq mille francs (5 000 F) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute la BNP du surplus de ses demandes, Déboute la Sasma de sa demande en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Faisant masse des dépens de première instance et d'appel, dit qu'ils sont supportés par la Sasma avec distraction pour ceux d'appel au profit de Me Vimont, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.