CA Versailles, 13e ch., 14 avril 1988, n° 2559-87
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Villeneuve Vinicole (Sté)
Défendeur :
Sopegros (SA), Meille (ès qual.), Gourdain (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Doze
Conseillers :
Mmes Monteils, Brunat
Avoués :
Me Lambert, SCP Lambot-Merle
Avocats :
Mes Pecnard-Azria, Gantelme.
Par jugement du 14 janvier 1987, le Tribunal de commerce de Nanterre a :
- condamné la société Villeneuve Vinicole, anciennement dénommée société Nouvelle d'Exploitation des Vins Vigna, sous une astreinte de 100 F de retard à compter du trentième jour suivant la signification du présent jugement, et ce, pendant un mois, après lequel délai il sera à nouveau fait droit, à communiquer à la société Sopegros et à ses mandataires de justice le montant du chiffre d'affaires traitées avec les adhérents de cette dernière au cours de l'année 1978,
- a dit que la défenderesse devra payer à la société Sopegros prise en la personne de ses mandataires de justice,
- au titre de la commission de gestion une somme correspondant à 1,25 % de ce chiffre,
- au titre des ristournes, une somme correspondant à 3 % du chiffre des affaires traitées avec les sociétés UFA, Joubert et Fils, Gounelle, Meyer, Sanfourche, Gresan et UAC,
- a dit que ses sommes porteront intérêt, au taux légal, à compter du jour de l'assignation,
- a condamné la société Villeneuve Vinicole (anciennement dénommée société Nouvelle d'Exploitation des Vins Vigna) à payer à la société Sopegros la somme de 2 000 F au titre de l'article 700 du NCPC,
- a dit les demandeurs mal fondés en le surplus de leurs demandes, les en déboute,
- a débouté la société Villeneuve Vinicole (anciennement dénommée société Nouvelle d'Exploitation des Vins Vigna) du chef de sa demande reconventionnelle,
- a dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Faits et procédure :
Suivant accords conclus par échange de lettres en décembre 1977, la société Vigna (devenue Villeneuve Vinicole) et la société Sopegros convenaient des conditions de prix, remises et ristournes pour l'année 1978. La société Sopegros (société pour l'expansion des grossistes distributeurs) fournissait à ses adhérents - associés les meilleures conditions de prix qu'elle négociait avec les fournisseurs, leur reversait une ristourne, fixée pour l'année 1978 par les accords susmentionnés à 3 % et percevait par elle-même une " remise confidentielle centrale de 1,25 %", outre les cotisations de ses adhérents grossistes.
Sopegros a été placée en règlement judiciaire par jugement du 31 janvier 1979 et à la suite d'une procédure qui a trouvé son terme le 6 mars 1984, la Cour d'appel de Paris a dit que Sopegros restait habilitée à poursuivre l'encaissement des ristournes dues par les fournisseurs au titre des années 1977 et 1978 à ceux de ses adhérents et ex-adhérents dont le compte courant présente un solde débiteur. C'est sur ce fondement que Sopegros et ses syndics ont assigné la société Vigna en paiement des ristournes dues à sept sociétés adhérentes dont le compte présentait un solde débiteur, ainsi que la commission de gestion qui lui était due en propre. Elle n'a pas chiffré la somme qui lui était due, faute d'avoir eu communication des chiffres d'affaires de Vigna avec ces adhérents.
La société Vigna a soutenu que la commission de gestion n'était justifiée par aucune prestation correspondante et a reproché à Sopegros de ne pas l'avoir avertie de l'insolvabilité de certains adhérents, et d'avoir perçu un véritable droit d'entrée sans contrepartie.
Elle a refusé de régler les remises dues aux adhérents en faisant valoir que les factures n'étaient pas payées et qu'il ne pouvait être du de ristourne. Elle a également opposé la compensation avec une dette de la société UFA pour 26 632,87 F, cette société étant totalement confondue avec Sopegros.
Pour faire droit à la demande de Sopegros, les premiers juges se sont fondés sur l'arrêt précité de la Cour d'appel de Paris et après avoir constaté que les sociétés adhérentes UFA, Joubert et Fils, Meyer, Gounelle, Sanfourche, Gresan et UAC étaient débitrices de Sopegros, ont dit que Sopegros n'était pas tenue à des obligations de ducroire ou d'information, que Sopegros accomplissait un travail de courtage et avait droit à une rémunération, et que le droit aux ristournes et commissions était généré par le chiffre d'affaires indépendamment de la bonne fin des opérations traitées.
Moyens des parties en appel :
La société Villeneuve Vinicole demande de dire que la société Sopegros s'est bien entremise entre ses adhérents et elle-même ;
Qu'elle a nécessairement contracté, comme tout intermédiaire et quelle que soit sa qualification juridique, des obligations à l'égard des fournisseurs, notamment celle de garantir la solvabilité des adhérents ou à tout le moins, de renseigner les fournisseurs sur ce point ;
Qu'en manquant à l'exécution de ces obligations, elle a nécessairement engagé sa responsabilité ;
De dire que les adhérents Sopegros, en contrepartie des conditions de vente particulières, qui leur avaient été accordées par Villeneuve Vinicole, étaient solidairement tenus envers celle-ci ;
Que cette solidarité se présentait par l'intérêt commun de chacun des adhérents et l'apparence qu'ils avaient créée ;
Qu'en tout état de cause les ristournes ne pouvaient être dues au groupement qu'autant que les factures correspondantes étaient réglées par les adhérents ;
Qu'en conséquence, la société Villeneuve Vinicole est fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution et à refuser le paiement des ristournes ;
Que la compensation s'est réalisée entre les ristournes dues à UFA et les créances de Villeneuve Vinicole sur UFA ;
Subsidiairement,
Dire qu'à défaut pour Sopegros d'avoir contracté ces obligations envers Villeneuve Vinicole, les commissions et ristournes sont sans cause ou que la cause est illicite.
Que tous les accords passés entre Sopegros et Villeneuve Vinicole sont nuls.
La société Sopegros et ses syndics, Maître Gourdain et Maître Meille demandent de déclarer irrecevable l'exception d'inexécution soulevée par Villeneuve Vinicole au motif que cette prétention ayant pour objet de reconnaître un principe de créance sur Sopegros, une telle demande ne relève que de la compétence du tribunal du règlement judiciaire.
Subsidiairement, elle demande de la déclarer mal fondée. Elle demande de rejeter l'exception de nullité, de confirmer le jugement et y ajoutant, de condamner Villeneuve Vinicole à lui payer la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.
En réponse Villeneuve Vinicole fait observer qu'elle n'entend pas réclamer une créance, mais fait valoir l'inexécution par Sopegros de ses obligations.
Discussion :
Considérant, après avoir observé liminairement que la société Vigna a contracté pendant plusieurs années avec la société Sopegros, ce qui implique qu'elle y trouvait un avantage ;
Que les accords en vigueur au jour du règlement judiciaire de Sopegros autorisaient celle-ci à se faire verser par les fournisseurs deux remises, de 3 % et de 1,25 % la seconde seule lui étant acquise au titre de frais de gestion, et la première devant être intégralement réservée aux adhérents au prorata de leurs achats au fournisseur, qu'il convient donc de distinguer les deux demandes, l'argumentation développée par Villeneuve Vinicole pour s'opposer au paiement de l'une ou l'autre étant d'ailleurs différente ;
Considérant sur la commission de gestion de 1,25 % que Villeneuve Vinicole oppose une exception d'inexécution de la convention et soutient que cette commission ne correspondait à aucun service réel, le seul lui important étant la garantie de solvabilité des adhérents ;
Considérant que cette exception est recevable, car il ne s'agit pas d'une réclamation de créance, mais d'un moyen de s'opposer à la demande de Sopegros ;
Considérant au fond, que les conditions de prix étaient l'objet de discussions préalables avant d'être arrêtées pour une période déterminée, entre Sopegros et le fournisseur, que Sopegros diffusait auprès de ses adhérents les conditions ainsi obtenues, et qu'elle offrait au fournisseur la possibilité d'obtenir des commandes plus nombreuses à ses adhérents, que cette commission correspondait donc avec un service effectif dont la rémunération avait été librement déterminée ;
Considérant qu'il est inexact de prétendre que Sopegros assumait à l'égard du fournisseur une obligation de garantie de solvabilité des adhérents, ou même simplement une obligation de renseignement; que cette obligation ne résulte pas non plus des conventions écrites, et qu'elle n'est pas non plus implicite puisque les contrats de vente étaient conclus en dehors de toute intervention de Sopegros; qu'il est d'ailleurs significatif de constater que Villeneuve Vinicole n'a jamais sollicité de Sopegros un quelconque renseignement sur la solvabilité de tel ou tel acheteur éventuel;
Qu'il s'ensuit que ni l'exception d'inexécution, ni celle de nullité des conventions ne peuvent être admises ;
Considérant sur les ristournes de 3 % aux adhérents qu'il s'agit aux termes des accords d'une réduction de prix accordée individuellement à chaque acheteur, en fonction de son volume d'achat, puisqu'elle était répartie sur cette base par la société Sopegros, qu'il n'existe pas de stipulation de solidarité entre les adhérents etque Villeneuve Vinicole n'a pu se méprendre sur ce point, puisque les contrats de vente étaient distincts, les livraisons directes, les paiements séparés, qu'aucune apparence de solidarité ne peut donc être retenue en l'espèce;
Considérant que la société Sopegros peut donc revendiquer le paiement des ristournes dues à ses adhérents dans les conditions déterminées par l'arrêt du 6 mars 1984 précité ; qu'il importe cependant de déterminer l'assiette desdites remises et commissions de gestion ;
Considérant qu'<il ne ressort pas des conventions, contrairement à ce que prétend Sopegros, que les ristournes aux adhérents soient dues quel que soit le sort du marché conclu entre Villeneuve Vinicole et les acheteurs ; que le versement des ristournes est lié au chiffre d'affaires de Villeneuve Vinicole avec les adhérents de Sopegroset constitue, selon l'expression employée par Sopegros dans la correspondance du 21 décembre 1977 valant accord contractuel, un remerciement de la part du fournisseur à la fidélité de sa clientèle, qu'il s'agit donc bien d'une prime différée, versée en contrepartie de l'exécution par l'acheteur de ses obligations dont la principale est le paiement du prix;
Considérant que Sopegros ne prétend pas, et prouve encore moins l'existence d'un usage consistant à verser aux adhérents, par son truchement, des commissions sur les factures impayées, qu'il est bien évident que dans le cas contraire, il aurait suffi aux adhérents de conclure d'importants marchés avec le fournisseur peu avant l'échéance du versement des ristournes pour se procurer un crédit ne correspondant pour le vendeur à aucune rentrée de fonds, qu'il s'ensuit que dans le cas d'espèce, le chiffre d'affaires visé dans les accords ne peut être le montant nominal des marchés conclus, mais celui des affaires menées à bonne fin ;
Que c'est donc à tort que les premiers juges ont condamné la société Villeneuve Vinicole à payer à Sopegros le montant des ristournes correspondant aux affaires traitées sans préciser qu'il ne pouvait y avoir de droit à ristourne que sur les factures acquittées;
Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des intimées les frais qu'ils ont pu exposer en appel ;
Que les dépens seront supportés par Villeneuve Vinicole, son appel n'ayant été admis que pour une faible part.
Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Dit que l'exception d'inexécution des accords contractuels de Villeneuve Vinicole, recevable, mais non fondée, Dit l'exception d'inexécution des marchés recevable et fondée, En conséquence, Emendant le jugement du 14 janvier 1987, Dit que les ristournes correspondant à 3 % du chiffre d'affaires traitées avec les entreprises adhérentes ne sont dues que sur les factures acquittées, Confirme le jugement en ses autres dispositions, Déboute les parties de toute autre demande, Condamne la société Villeneuve Vinicole aux dépens et accorde à la SCP Lambot-Merle, Avoués, le droit de recouvrement conforme aux dispositions de l'article 699 du NCPC.