Livv
Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 4 septembre 1996, n° 2262-94

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Ravel Mirvaux (SA), Deltour (ès qual.)

Défendeur :

Coopérative d'achat des Horlogers, Orfèvres, Bijoutiers (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lambremon-Latapie

Conseillers :

MM. Ruffier, Beckius

Avoués :

SCP Six, Guillaume, SCP Thoma, Le Runigo

Avocats :

Mes Paris, Delvoie.

T. com. Reims, du 25 janv. 1994

25 janvier 1994

LA COUR,

Faits et procédure :

La société Ravel Mirvaux SA, dont le siège est à Reims, 3/5 impasse Talleyrand, y exploite un fonds de commerce de bijouterie à l'enseigne " À l'Or et l'Argent ". Ladite société est adhérente de la société " Coopérative d'achat des horlogers, orfèvres, bijoutiers SA ", ci-après société Codhor.

En qualité d'adhérente de la société coopérative Codhor, la société Ravel Mirvaux devait contractuellement :

- participer au capital social et au fonds de garantie de la coopérative,

- verser des cotisations annuelles couvrant les frais de fonctionnement et représentant la quote-part de l'adhérent sur les frais de publicité engagés au plan national par la coopérative,

- verser à la coopérative des avances sur paiement.

En outre, les marchandises commandées directement aux fournisseurs par ses adhérents étaient réglées à ceux-ci par la société Codhor qui se faisait ensuite rembourser par lesdits adhérents dans le cadre d'un système de " circuit direct ".

La société Codhor qui éprouvait de sérieuses difficultés financières, a déposé son bilan et a été placée en redressement judiciaire par le Tribunal de commerce de Pontoise le 23 juillet 1991, Maître Hubert Lafont étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire.

Selon acte introductif d'instance en date du 29 juin 1993, la société Codhor agissant poursuite et diligence de Maître Hubert Lafont, son administrateur judiciaire, a fait attraire la société Ravel Mirvaux SA devant le Tribunal de commerce de Reims pour obtenir sa condamnation au paiement d'une somme principale de 274 382,18 F, avec intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1991, ainsi qu'une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et d'une indemnité pour frais de procédure.

Par jugement rendu le 25 janvier 1994, le Tribunal de commerce de Reims a condamné la société Codhor Rive Droite à payer à la société Codhor la somme principale de 176 549,78 F, majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1991, date de la mise en demeure, ainsi que la somme de 10 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. Il a en outre rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Codhor et ordonné l'exécution provisoire de la décision.

La société Ravel Mirvaux SA a relevé appel de cette décision le 20 mai 1994.

Moyens des parties :

La société Ravel Mirvaux SA conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et demande à la Cour de débouter la société Codhor et Maître Hubert Lafont de toutes leurs prétentions, de constater qu'elle n'est débitrice d'aucune somme à leur égard et de les condamner à lui payer la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 25 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

L'appelante fait valoir qu'il résulte de l'expertise comptable réalisée par la société Guérard Viala à la demande du Tribunal de commerce de Pontoise que si elle était bien débitrice de la somme de 274 278,97 F dans les livres de la société Codhor, elle avait en revanche versé à cette dernière la somme de 224 633,90 F destinée au règlement de ses fournisseurs alors que ladite somme ne leur a pas été transmise. Elle soutient en conséquence que cette somme constitue une dette de la société Codhor à son égard.

Elle ajoute avoir versé directement à ses fournisseurs, avec l'accord de Maître Hubert Lafont, la somme de 97 832,42 F et avoir constitué des avances sur paiement auprès de la société Codhor pour un montant de 100 459,24 F lesquelles doivent être déduites de la réclamation de l'intimée dès lors que l'interdiction de la compensation en matière de procédures collectives est inapplicable au compte-courant.

Elle indique également qu'il lui est réclamé depuis janvier 1990 la somme de 100 068,74 F au titre de cotisations de fonctionnement et de publicité, alors que la société Codhor n'effectue plus aucune publicité nationale depuis janvier 1990 et ne rend plus à ses adhérents les services que ceux-ci étaient en droit d'en attendre. Elle prétend en conséquence qu'il échet de déduire des sommes réclamées par la société Codhor la somme de 522 994,30 F, de sorte qu'elle n'est redevable d'aucune somme envers les intimés et que la procédure engagée à son encontre s'avère particulièrement abusive.

La société Codhor conclut au débouté de l'appel interjeté par la société Ravel Mirvaux et, formant elle-même appel incident, demande la condamnation de celle-ci à lui payer la somme principale de 274 319,04 F, majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1991. Elle sollicite en outre une somme de 20 000 F en indemnisation de ses frais irrépétibles.

Elle prétend que le bien fondé de la somme qu'elle réclame est établi de façon certaine par les opérations de vérification réalisées par le Cabinet Guérard Viala à la demande du Tribunal de commerce de Pontoise et relève que cette dette est partiellement matérialisée par deux lettres de change acceptées revenues impayées pour un montant de 194 531,74 F.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir déduit des sommes dues d'une part les sommes soit disant versées directement aux fournisseurs par l'appelante, alors que ne peuvent être prises en compte que les factures qu'elle a elle-même réclamées à cette dernière et qui ne lui ont pas été payées, non plus qu'aux fournisseurs, ainsi que les sommes que la société Ravel Mirvaux lui a versées et qu'elle n'a pas reversées aux fournisseurs.

Elle fait valoir sur ce point que les seules victimes de ce défaut de paiement sont les fournisseurs, lesquels ont déclaré leurs créances au passif, alors que la société Ravel Mirvaux a bien reçu les marchandises correspondantes depuis plusieurs années. Elle soutient en conséquence que l'appelante ne peut se prévaloir d'aucun préjudice et donc prétendre opérer une déduction sur le montant des sommes dues.

Elle indique d'autre part que les frais de publicité réclamée se rapportent à la campagne 1990, laquelle a bien été réalisée, et sont incontestablement dus. Elle affirme enfin que la société Ravel Mirvaux ne peut prétendre se soustraire au paiement des cotisations afférentes au fonctionnement de la coopérative dès lors qu'aucune assemblée générale ou décision du conseil d'administration n'en a suspendu l'exigibilité.

Par jugement rendu le 12 septembre 1995, le Tribunal de commerce de Reims a prononcé le redressement judiciaire de la société Ravel Mirvaux SA.

Maître François Deltour, pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Ravel Mirvaux, demande qu'il lui soit donné acte de son intervention à l'instance et observe que compte tenu de l'ouverture de la procédure collective, aucune condamnation ne saurait être prononcée à l'encontre de l'appelante.

Par conclusions signifiées le 25 mars 1996, la société Codhor demande la fixation du montant de sa créance à la somme principale de 274 319,04 F, majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 septembre 1991 et à la somme de 20 000 F au titre de l'indemnisation de ses frais irrépétibles.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 avril 1996.

Discussion :

Il ressort des conclusions non contestées de l'expertise comptable réalisée par le cabinet Guérard Viala dans le cadre de la procédure collective dont fait l'objet la société Codhor que la société Ravel Mirvaux SA est redevable en sa qualité d'adhérente de la coopérative et en application du règlement intérieur d'une somme de 274 382,18 F au titre du paiement des marchandises qui lui ont été livrées pour son enseigne " À l'Or et l'Argent " par ses fournisseurs.

Les conclusions du cabinet Guérard Viala établissent également que la société Codhor n'a pas procédé au paiement de divers fournisseurs de la société Ravel Mirvaux SA qui lui ont adressé leurs factures dans le cadre du système de " circuit direct ", ce à concurrence d'une somme de 224 633,90 F.

Il appert de l'analyse des relations contractuelles liant les parties que la société Codhor n'assurait le paiement des fournisseurs de son adhérente, la société Ravel Mirvaux SA, qu'en sa seule qualité de mandataire de cette dernière. Dès lors, elle ne peut justifier d'une créance qui lui soit propre qu'en ce qui concerne les factures dont elle a effectivement assuré le règlement en exécution de son mandat. Il s'avère en outre que la procédure collective dont elle fait l'objet rend tout à fait incertaine la perspective d'un règlement futur des fournisseurs concernés, exposant ainsi son mandant au risque inadmissible d'un double paiement.

Il échet d'ailleurs de relever que par lettre datée du 13 septembre 1991, Maître Lafont, agissant en qualité d'administrateur judiciaire, a informé les adhérents de la coopérative Codhor que cette dernière n'était plus en état d'assurer sa fonction de centrale d'achats dans le cadre du système de circuit direct et qu'il leur appartenait en conséquence de payer désormais directement à leurs fournisseurs les relevés qui n'ont fait l'objet d'aucun paiement à ce jour entre les mains de la société Codhor. Cette dernière a au demeurant déduit de ses réclamations le montant des factures que la société Ravel Mirvaux SA justifie avoir réglées directement entre les mains de ses fournisseurs.

En conséquence, contrairement à l'opinion erronée des premiers juges et nonobstant les stipulations du règlement intérieur, la société Codhor ne peut prétendre au règlement par son mandant de relevés de factures qu'elle a simplement reçues desdits fournisseurs sans les avoir elle-même payées, ni prétendre sur le fondement de l'article 33 de la loi du 25 janvier 1985 que la société Ravel Mirvaux SA ne peut lui opposer la compensation avec les sommes qu'elle lui a réglées et qui n'ont pas été réservées aux fournisseurs, mêmes si ces derniers ont produit leur créances, s'agissant de dettes manifestement connexes comme procédant de l'exécution d'une convention unique régissant les rapports financiers des parties. Il échet en conséquence de déduire des sommes dues la somme de 224 633,90 F.

Il convient également, s'agissant également de créances connexes découlant de l'exécution du même contrat, de déduire de la réclamation le montant des avances sur paiement, soit 11 343,18 F et du fonds de garantie des encours, soit 76 948,33 F, sommes qui ont été déclarées au passif par la société Ravel Mirvaux SA et qui ont fait l'objet d'une admission au passif par ordonnance du juge-commissaire en date du 10 octobre 1994.

Il s'ensuit qu'après compensation entre les sommes susdites et la créance réclamée, dont le montant est inférieur, et donc sans qu'il soit utile d'examiner les autres chefs de contestations, la société Ravel Mirvaux SA n'est redevable d'aucune somme envers la société Codhor au titre de l'exploitation de son enseigne " À l'Or et l'Argent ". Il échet donc d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de débouter la société Codhor de toutes ses prétentions.

La société Ravel Mirvaux SA, qui ne démontre pas la mauvaise foi de la société Codhor, sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Au vu des éléments de la cause, il échet de fixer à la somme de 15 000 F l'indemnité qui sera allouée à la société Ravel Mirvaux SA en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs, Donne acte à Maître François Deltour, pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Ravel Mirvaux SA, de son intervention ; Dit recevable et fondé l'appel formé par la société Ravel Mirvaux SA ; Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 25 janvier par le Tribunal de commerce de Reims ; Et, statuant à nouveau, Déboute la société Codhor de l'intégralité de ses prétentions ; Condamne la société Codhor à payer à la société Ravel Mirvaux SA la somme de 15 000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes leurs prétentions contraires ou plus amples ; Condamne la société Codhor aux dépens de première instance et d'appel et autorise la société civile professionnelle Six et Guillaume, avoués, à procéder au recouvrement directe des dépens d'instance et d'appel dans les conditions fixées par l'article 699 du nouveau code de procédure civile.