CA Versailles, 12e ch., 29 septembre 1988, n° 1525-88
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jomin, Association de Défense des Adhérents et Anciens Adhérents de Cart Expert France
Défendeur :
Philips Industrielle et Commerciale (Sté), La Radio Technique (Sté), Cart Expert France (Sté), Jeanne (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneron
Conseillers :
MM. Forget, Bonnecaze
Avoués :
Me Lefevre, SCP Gas, Me Lambert
Avocats :
Mes Vaisse, Alterman, Benizeau.
La société anonyme coopérative Cart Expert France (CEF) en règlement judiciaire et assistée de son syndic Maître Jeanne, a interjeté appel d'un jugement rendu le 6 mai 1986 par le Tribunal de commerce de Pontoise qui, faisant droit à la demande de certains fournisseurs a condamné un de ces adhérents à payer à ce dernier les fournitures qui lui avaient été faites.
Cart Expert France est un groupement d'achats permettant à ses adhérents, des commerçants individuels, de bénéficier par son entremise de conditions d'achats favorables de la part de fournisseurs d'appareils audio-visuels, lesquels rémunéraient ses services par une ristourne, dite " commission de gestion ". Elle exerçait également une activité de grossiste-revendeur hors litige.
Celui-ci est né de la déconfiture du groupement, qui reste redevable envers les fournisseurs de sommes importantes correspondants au prix des livraisons, sommes que lui avaient remises les adhérents et qu'il n'a pas transmises. Le tribunal a fait droit aux demandes de paiement adressées aux adhérents, en relevant que chacun d'eux entretenait des rapports directs avec les fournisseurs et que le groupement d'achat était resté étranger à l'opération, à laquelle il n'avait tout au plus participé qu'occasionnellement en sa qualité de mandataire du croire.
Au soutien de son appel, l'appelant commerçant après avoir relevé que la forme juridique du groupement d'achats, une société anonyme coopérative à capital variable obéissant aux dispositions de la loi du 11 juillet 1972 avait été prévue par le législateur dans un souci de protection des adhérents, à quoi contrevenait la qualification de mandat donnée par les Premiers juges à ses relations avec le groupement : nonobstant l'impropriété des termes employés, il s'agit en réalité d'un contrat de commission, ce qu'établissent selon lui les circonstances suivantes :
- les conditions de vente étaient négociées par les fournisseurs au moyen de documents fournis par le groupement, et en portant le nom et les références,
- les factures étaient libellées au nom de Cart Expert France à qui elles étaient envoyées,
- Cart Expert France les réglait lui-même, par un paiement global groupant ces livraisons et les achats qu'il faisait personnellement à titre de grossiste.
Il en résulte que, commissionnaire, Cart Expert France traitait en son nom propre avec les fournisseurs, envers qui il se trouvait seul redevable du prix des achats qu'il faisait pour le compte de ses commettants, les adhérents du groupement. Ceux-ci n'ont en conséquence aucun lien de droit avec les fournisseurs, qui ne sont donc pas fondés à en exiger un nouveau paiement (sauf exceptions résultant d'arrangements particuliers concrétisés par l'établissement d'une facture directe).
Subsidiairement, et pour le cas où cette qualification serait écartée, l'appelant fait valoir qu'en laissant se créer une apparence de crédit, alors qu'ils connaissaient la situation financière réelle de Cart Expert France, les fournisseurs ont commis une faute génératrice du préjudice constitué par l'obligation à payer une deuxième fois et qu'une indemnité d'un égal montant devrait réparer.
L'Association de Défense des Adhérents et Anciens Adhérents de Cart Expert France (ADACEF) intervient volontairement aux côtés de l'appelant, dont elle adopte les moyens.
Co-appelants pour ce qui les concerne, Cart Expert France et son syndic Me Jeanne critiquent la disposition du jugement qui a constaté que le groupement avait manqué à son devoir de mandataire, consistant à assurer la transmission aux destinataires des sommes que lui avaient remises ses mandants - ce dont la décision n'a d'ailleurs tiré aucune conséquence. Ecartant aussi la qualification de mandat donnée à l'opération, ils estiment que son apparente unité recouvre en réalité deux conventions, l'une (qui n'est pas un mandat) liant le groupement d'achat et d'adhérents, l'autre liant groupement d'achat et fournisseur. Il en résulte que ce dernier est sans droit à l'égard de l'adhérent.
Par demande reconventionnelle, ils font valoir qu'ils ont été condamnés par deux ordonnances de référé rendues le 10 juillet 1984 à verser aux fournisseurs intimés les sommes que Cart Expert France détenait à cet effet, à savoir 792 142 F pour Philips et 540 164 F pour Radio Technique. Puisque, ainsi qu'ils disent l'avoir démontré, ces versements sont dénués de cause, ils en réclament la répétition, et ce, sans préjudice de 40 000 F de dommages et intérêts pour abus de procédure et une indemnité au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société intimée écarte comme nouvelle et sans fondement la demande fondée sur sa prétendue responsabilité. En ce qui concerne la qualification de la convention, elle a dit découler avec une clarté suffisante des stipulations contractuelles, desquelles il résulte que Cart Expert France intervenait au titre de mandataire centralisateur de ses adhérents, groupant dans l'intérêt de toutes les parties facturations et paiements. Ce rôle de mandataire est tout à fait licite et a joué jusqu'au mois d'avril 1984, date à laquelle le groupement a notifié aux fournisseurs qu'il le suspendait.
A la demande du syndic en restitution des sommes elle résiste en contestant être créancière dans la masse ; aussi bien elle n'a produit qu'à titre conservatoire et pour le compte de qui il appartiendra. Ce qu'elle a reçu correspond à des versements faits par les commerçants adhérents entre les mains de la masse, et reçus par le syndic après le jugement déclaratif : les sommes n'appartiennent donc pas à la masse, laquelle en est seulement comptable tant à l'égard des payeurs mandants que des fournisseurs destinataires, en vertu d'un mandat centralisateur repris par la masse dans l'intérêt commun de tous (et éventuellement au titre de l'action oblique exercée par elle du fait de l'inertie des adhérents vis à vis de leur propre mandataire). Par contre le reversement aboutirait à un enrichissement sans cause de la masse.
Enfin, faute pour le syndic d'être en mesure de préciser à quel adhérent et à quelle livraison correspondent exactement les sommes qu'ils ont reçues en exécution des ordonnances de référé, les intimés demandent la désignation d'un expert qui aura mission de rechercher les auteurs des paiements et de procéder aux affectations par commerçants.
Les parties sollicitent enfin des indemnités de procédure.
Discussion :
Considérant qu'il est constant que Cart Expert France a été l'organisme référenceur jouant le rôle d'intermédiaire entre les fournisseurs référencés et ses propres adhérents, avec les conséquences juridiques découlant de cette situation ;
Considérant que, pour échapper à un nouveau paiement du prix des fournitures, prix qu'ils assurent avoir remis au groupement à destination du fournisseur, lequel n'a pas reçu les fonds du fait de la déconfiture de ce dernier, les commerçants adhérents n'ont effectivement pas d'autre possibilité (la fraude n'étant pas invoquée) que de faire valoir que les achats correspondants ont été faits par le groupement agissant en qualité de commissionnaire, donc en son propre nom ; que, dans la mesure en effet où une telle qualification serait donnée à la convention, seul celui-ci serait tenu à l'égard des fournisseurs, incapable d'atteindre les destinataires des livraisons, si ce n'est par la voie oblique ou en vertu de l'enrichissement sans cause, dans la mesure où les adhérents auraient omis de régler leur dette au groupement d'achat ;
Considérant cependant que l'examen des relations ayant existé entre les parties, et quelle que soit la terminologie que celles-ci ont employée, ne permet pas d'aboutir à une telle conclusion ;
Considérant en effet que dans le contrat de commission le commissionnaire, tout en obéissant aux instructions de son commettant dont il est le mandataire et auquel il doit rendre compte, agit avec le tiers contractant en son nom propre; que, s'agissant d'une commission d'achat, il négocie pour lui-même les conditions de l'opération avec le tiers, qui ignore généralement l'identité du commettant, lequel se trouve en tout cas absent de la négociation, ce qui justifie qu'il soit étranger à l'exécution, s'assure de son état, et règle de ses deniers par acquit d'une facture adressée à son nom ;
Considérant en l'espèceque, si Cart Expert France a bien rempli sa mission de groupement d'achat référenceur en négociant au profit de ses adhérents les conditions d'approvisionnement les meilleures, débouchant sur une tarification des produits répertoriés, s'il a également rationalisé les circuits de distribution en diffusant des modèles de bons de commande puis en assurant le paiement des fournisseurs référencés - en prélevant une ristourne au passage, il n'en reste pas moins :
- que les commandes étaient faites par chaque adhérent, à la seule initiative de celui-ci, notamment pour le choix des articles et leur quantité, et adressés directement au fournisseur concerné,
- que les marchandises leur étaient livrées directement,
- que les conditions générales de vente établies par le groupement stipulaient que les factures devaient être établies au nom de l'adhérent, qu'elles ne seraient payées par Cart Expert France que dans la mesure où il se serait porté ducroire, garantie non automatique, seulement accordée à certains de ses adhérents dont liste communiquée aux fournisseurs et que, en dehors de ce cas, Cart Expert France ne paierait qu'à titre d'avance pour compte de l'adhérent destinataire, et sous conditions résolutoires du remboursement par l'intéressé ;
Considérant, il est vrai, que ces conditions générales ont été modifiées le 20 octobre 1983 par Cart Expert France qui a invité les fournisseurs à fermer les comptes individuels des adhérents et à lui adresser directement les factures, dont il assurerait le règlement déduction faite de sa ristourne ;
Qu'il n'en résulte pas cependant une novation par changement de débiteur, mais seulement une modification de la procédure de paiement, assuré désormais par un organisme centralisateur; qu'en effet bien que désormais adressés au groupement, les relevés de factures étaient établis par adhérent, dont ils regroupaient les commandes et auxquels Cart Expert France répercutait l'invitation à payer, en leur adressant un nouveau relevé de facture, cette fois sous son nom et à son bénéfice ;
Considérant, aussi bien, que l'absence de novation par rapport à la pratique précédente, s'évince de la note adressée aux fournisseurs par Cart Expert France le 4 avril 1984, par laquelle il les avisait de son dépôt de bilan et les informait qu'il cessait désormais son activité de mandataire ducroire de ses adhérents, invités à régler directement leurs achats auprès d'eux ;
Considérant, en définitive, que si les factures ont été établies dans le dernier semestre d'activité de Cart Expert France au nom et à l'adresse de cet organisme, qui devait les régler par des billets à ordre qu'il signait, il n'en a pas pris pour autant la qualité de commissionnaire, par une novation qui, non acceptée du créancier, ne se présume pas, mais a agi à titre de mandataire de droit commun, éventuellement ducroire, et non à titre personnel;
Qu'il n'y a pas lieu de supposer l'existence d'une double opération, entre fournisseur et groupement d'abord, entre groupement et adhérent ensuite, cette dualité ne prenant place que dans le cas où le groupement pratiquait des achats ventes en qualité de grossiste ;
Considérant que, faute pour les appelants d'expliquer les éléments desquels résulterait selon eux la connaissance qu'avaient les fournisseurs de la situation financière désastreuse du groupement d'achats, on ne peut relever à leur encontre une faute de nature à entraîner leur responsabilité envers les destinataires des marchandises ; qu'on ne saurait en particulier induire cette connaissance du seul fait qu'ils n'ont pas réagi à la lettre du 20 octobre 1983 par laquelle Cart Expert France les invitait à lui adresser dorénavant les factures directement, et à fermer les comptes individuels des adhérents ;
Considérant, sur les demandes reconventionnelles de Cart Expert France et son syndic Maître Jeanne, que l'assertion des premiers juges déplorant le manquement à ses devoirs de mandataire de Cart Expert France ressort à l'évidence des faits de la cause ; que l'infidélité du mandataire, qui a omis de transmettre les fonds qu'il avait reçus de ses mandants à leur destinataire, est caractérisée ;
Considérant, sur la prétention du syndic à restituer des sommes qui ont été versées postérieurement au jugement ouvrant la procédure collective, que la masse, ayant-cause à titre universel du débiteur et, à ce titre, dépositaire comme lui en vert du mandat, des fonds de paiement, reste tenue comme lui à la même obligation de les transmettre aux destinataires lesquels sont devenus du fait du règlement judiciaire de Cart Expert France créanciers de la masse ; qu'il s'ensuit que ces fonds n'ont pas fait, à proprement parler, partie de l'actif de la masse et qu'en tout cas leur virement opéré par le syndic, volontairement ou pas, était fondé ; qu'il n'y a donc pas lieu à restitution ;
Considérant enfin qu'il est de fait que les fournisseurs ont reçu du syndic un paiement groupé, sans référence précise à tel ou tel commerçant débiteur, de sorte qu'ils ont intérêt à imputation ;
Considérant toutefois que, parties à la procédure collective du fait de leur production, il leur appartient d'en obtenir la ventilation par syndic, lequel paraît l'avoir déjà opérée ainsi qu'il résulte de ses conclusions d'appel à fin de restitution ; qu'à défaut il leur incombe de saisir le juge commissaire ou tout autre magistrat compétent ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande fondée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et à dommages et intérêts ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit l'intervention de l'Association de Défense des Adhérents et Anciens Adhérents de Cart Expert France, Confirme en son principe le jugement entrepris, Dit que les sommes versées par le syndic de Cart Expert France pour le compte de l'adhérent seront déduites du montant de la dette de ce dernier, Renvoie pour le surplus les parties à exercer leurs droits dans le cadre de la procédure collective, Condamne les appelants aux dépens d'appel dont le recouvrement sera effectué conformément aux règles de la procédure collective et autorise les avoués de la cause à les recouvrer en vertu des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile et laisse à la charge de l'intervenant les frais qu'il a engagés.