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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 4 juillet 1996, n° 12523-93

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Swatch (Sté)

Défendeur :

Métro Libre Service de Gros (Sté), Métro Centrale d'achat (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mmes Laporte, Rousset

Avoués :

Me Treynet, SCP Jullien & Lecharny & Rol

Avocats :

Mes Bejot, Greffe.

TGI Nanterre, 2e ch., du 12 oct. 1993

12 octobre 1993

Faits et procédure :

La société de droit suisse Swatch AG (ci-après Swatch) est propriétaire des marques Swatch et Swatch Quartz, déposées auprès de l'Office Mondial de la Propriété Intellectuelle. Elle dépose notamment ces marques sur des montres et leurs emballages.

Se plaignant de ce que la société Métro Libre Service de Gros qui exploite sous l'enseigne " Métro ", un établissement au lieu-dit Le Petit Nanterre à Nanterre, commercialisait des montres portant deux entailles au dos du boîtier dissimulant le numéro de série, la société Swatch a été autorisée, par ordonnance sur requête en date du 1er octobre 1992, à faire pratiquer une saisie contrefaçon et à faire effectuer par l'huissier désigné, toutes recherches et constatations utiles de nature à faire connaître l'origine et l'étendue des atteintes alléguées.

En exécution de cette décision, il a été procédé, au magasin Métro de Nanterre, par Maître Venezia, huissier de justice, les 13, 15 et 19 octobre 1992, à la saisie de deux montres revêtues des marques Swatch et Swatch Quartz comportant les entailles susévoquées et l'huissier s'est fait remettre deux factures du fournisseur belge de ces objets, la société UWT.

S'appuyant sur ces constatations, la société Swatch a, par exploit du 28 octobre 1992, engagé une action sur le fondement de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle, tant à l'encontre de la société Métro Libre Service de Gros que de la centrale d'achat du groupe à laquelle appartient cette société ; à savoir la société MCA, Métro Centrale d'achat (sociétés ci-après désignées Métro et Métro Centrale d'achat).

Par jugement en date du 12 octobre 1993, le Tribunal de grande instance de Nanterre a débouté la société Swatch de ses prétentions et l'a condamnée à payer à chacune des sociétés défenderesses une indemnité de 5 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Appelante de cette décision, la société Swatch fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les éléments de la cause et les règles de droit applicables en la matière. Elle fait valoir tout d'abord que les montres saisies révèlent la présence d'altérations ou de modifications au sens de l'article L. 713-4 précité et que c'est à tort que le tribunal a considéré que ces altérations ou modifications entraînent une dévalorisation du produit et portent gravement atteinte à la notoriété de la marque. Elle ajoute qu'elle risque de se voir exposer à garantir des produits gravement altérés susceptibles d'être atteints de vices cachés.

Elle souligne la mauvaise foi des sociétés Métro et Métro Centrale d'achat qui ont tenté par tous moyens de faire obstacle aux vérifications de l'huissier et soutient que la seconde ne s'est pas contentée, comme elle le prétend, de référencer le produit mais qu'elle a procédé à des achats importants pour l'ensemble des distributeurs du groupe.

Enfin, et pour la première fois devant la Cour, elle invoque la protection de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle qui dispose que " l'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre ".

Pour l'ensemble de ces motifs, elle demande à la Cour :

- d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel ;

- de dire que les sociétés Métro et MCA Métro Centrale d'achat ont, en commercialisant et distribuant des montres de marque Swatch et Swatch Quartz altérées, porté atteinte à ses droits de propriété intellectuelle ;

- de dire qu'elle est en conséquence fondée à agir à l'encontre desdites sociétés sur le fondement des articles L. 121-1 et L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle ;

- de faire interdiction aux sociétés Métro et Métro Centrale d'achat de commercialiser et de distribuer de quelque façon que ce soit, les montres ainsi altérées, et ce, sous astreinte de 30 000 F pour infraction constatée.

- de désigner un expert pour permettre d'évaluer l'étendue de son préjudice ;

- de lui allouer d'ores et déjà, la somme de 400 000 F à titre provisionnel ;

- de l'autoriser à faire publier la décision dont s'agit dans trois journaux de son choix ;

- de condamner les sociétés Métro et Métro Centrale d'achat à lui payer une indemnité de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les sociétés Métro et Métro Centrale d'achat concluent pour leur part, à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, sauf à se voir allouer une indemnité complémentaire de 15 000 F, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

En réplique, elles font essentiellement valoir que la demande nouvelle fondée sur l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle est irrecevable devant la Cour par application de l'article 564 du nouveau code de procédure civile et, en tout état de cause mal fondée dès lors que les entailles pratiquées au dos des boîtiers n'entrent pas dans le cadre de la protection revendiquée. Sur le fondement de l'article L. 712-4 du code de la propriété intellectuelle, elles soutiennent que les montres litigieuses étaient présentées dans des boites qui ne permettent pas de faire apparaître les entailles litigieuses et qu'elles sont d'une parfaite bonne foi dès lors que la société Métro a cessé toute commercialisation de ces montres avant même l'engagement de la présente procédure. Elles ajoutent que les entailles mineures pratiquées sur les boîtiers n'affectent en rien la qualité du produit et qu'elles ne le dévalorisent pas. Elles font aussi valoir que la société Swatch ne saurait être recherchée au titre de la garantie des produits qu'elles assurent elles-mêmes. Enfin, la société Métro Centrale d'achat soutient qu'elle n'a fait que référencer le produit et qu'elle n'a jamais procédé à une quelconque commercialisation de celui-ci. Elle en déduit que la preuve contraire n'étant pas rapportée, sa responsabilité ne saurait être recherchée et que, contrairement à ce qui est allégué, elle n'a jamais fait obstacle à l'accomplissement de la mission de l'huissier instrumentaire désigné par ordonnance sur requête.

Motifs de la décision :

Sur les modifications ou altérations constatées sur les montres saisies :

Considérant que l'alinéa 1 de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle dispose que " le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté Européenne sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement " ; que l'alinéa 2 du même texte pose cependant une infraction pénalement réprimée et ou, d'autre part, le consommateur se trouve induit en erreur en s'exposant à acquérir un produit qui lui est présenté comme un produit de marque alors qu'il n'a plus ses caractéristiques essentielles d'origine.

Considérant qu'il en résulte que, contrairement à l'analyse des premiers juges, se trouvent suffisamment caractérisées en l'espèce l'altération et la modification du produit au sens des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que, de surcroît, la société Swatch justifie d'un motif légitime pour s'opposer à la commercialisation de produits de sa marque ainsi altérés ou modifiés ;

Considérant en effet, que l'exposition à la vente par la société Métro de montres mutilées présentées aux acheteurs potentiels comme des montres authentiques, outre qu'elle génère une confusion dans l'esprit de la clientèle, porte gravement atteinte à la réputation d'une société mondialement connue pour la qualité et la finition des produits de sa marque ; que c'est donc encore à tort que les premiers juges ont estimé, sans avoir égard à l'argumentation de la société Swatch qui soulignait pourtant l'atteinte portée à ses produits, que l'objectif poursuivi par cette dernière était en réalité d'interdire à la société Métro de commercialiser des produits acquis sur les marchés parallèles ;

Considérant que dans ces conditions, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions et sans qu'il y ait lieu d'examiner la recevabilité et le bien fondé du deuxième moyen invoqué pour la première fois en cause d'appel tiré de la protection de l'œuvre accordée à l'auteur par l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle, la société Métro se voyant interdire, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, de distribuer de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement des montres de la marque Swatch altérées ou modifiées ;

Sur les faits imputés à la société Métro Centrale d'achat :

Considérant que la société Swatch ne rapporte pas la preuve qui lui incombe, que la société Métro Centrale d'achat se soit livrée à la commercialisation des montres en cause et qu'elle ait eu un autre rôle que celui d'une activité de référencement ;

Considérant en effet que, quel que soit l'objet social de cette société, l'examen des factures versées aux débats révèle qu'elles ont été établies par UWT au nom de Métro 16 qui désigne, ainsi qu'il en est justifié, la société Métro Libre Service de Gros ; que l'adresse portée sur ces factures n'est pas davantage significative puisque les deux sociétés Métro Centrale d'achat et Métro, sont l'une et l'autre établies 5, rue des Grands Prés à Nanterre ; que de plus, compte tenu du conditionnement qui masque le dos du boîtier et à supposer même que les montres aient transité par les services de la centrale d'achat, il n'est nullement établi que celle-ci ait eu connaissance, contrairement à son distributeur qui les exposait à la vente, que lesdites montres comportaient des entailles; que, dans ces conditions, la société Swatch sera déboutée des prétentions qu'elle émet à l'encontre de la société Métro Centrale d'achat;

Sur les réparations complémentaires :

Considérant que, ainsi qu'il a été dit précédemment, la distribution par la société Métro de montres altérées ou modifiées a gravement porté atteinte au prestige de la marque Swatch mondialement connue ; que cette atteinte justifie que lui soit allouée la somme de 150 000 F à titre de réparation ;

Considérant en revanche, qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une mesure complémentaire d'expertise qui ne s'avérait d'aucune utilité en l'espèce ;

Considérant en effet que l'examen de la comptabilité de la société Métro permettait certes de connaître le nombre de montres de marque Swatch commercialisées par cette société mais non d'établir que ces montres étaient altérées ou modifiées au même titre que celles saisies ; que par ailleurs, il n'est pas contesté que la société Métro a cessé toute commercialisation des produits litigieux de sorte que l'objectif poursuivi par l'appelante a été atteint ;

Considérant qu'il convient en outre d'ordonner la publication dans trois journaux laissés au choix de la société Swatch d'extraits de la présente décision et ce, dans la limite de 15 000 F par insertion et aux frais de la société Métro ;

Considérant qu'il serait également inéquitable de laisser à la charge de la société Swatch les sommes qu'elle a été contrainte d'exposer pour faire consacrer son droit ; que la société Métro sera condamnée à lui payer une indemnité de 30 000 F, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que la demande formée sur le même fondement par la société Métro Centrale d'achat sera rejetée ;

Considérant enfin que la société Métro qui succombe, supportera les entiers dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la société Swatch SA en son appel, Y faisant partiellement droit, Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Dit que la société Métro Libre Service de Gros a commercialisé des montres de marque Swatch et modifiées et que, en application de l'article L. 713-4 du code de la propriété intellectuelle, la société Swatch SA, titulaire de la marque, est en droit de s'opposer à tout nouvel acte de commercialisation de produits ainsi altérés, Ordonne en conséquence à la société Métro Libre Service de Gros de cesser désormais de commercialiser, de quelque façon que ce soit, directement ou indirectement, des montres de marque Swatch altérées ou modifiées et ce, sous astreinte de 10 000 F par infraction constatée, Condamne la société Métro Libre Service de Gros à payer à la société Swatch SA la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts pour l'atteinte portée à l'image de la marque qu'elle représente, Déboute la société Swatch de sa demande d'expertise et du surplus de sa réclamation au titre de la réparation financière de son préjudice, Déboute la société Swatch SA de l'ensemble des prétentions qu'elle émet à l'encontre de la société MCA Métro Centrale d'achat, Ordonne la publication par extrait de la présente décision dans trois journaux laissés au choix de la société Swatch SA, et ce, aux frais de la société Métro Libre Service de Gros et dans la limite de 15 000 F par insertion, Con amne la société Métro Libre Service de Gros à payer à la société Swatch SA, une indemnité de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, Rejette la demande formée sur le même fondement par la société MCA Métro Centrale d'achat, Condamne la société Métro Libre Service de Gros aux entiers dépens de première instance et d'appel et autorise Maître Treynet, avoué, à en poursuivre directement le recouvrement comme il est dit à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.