CA Rennes, 2e ch., 14 février 1996, n° 9405770
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ollivier
Défendeur :
Loric
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Casorla
Conseillers :
M. Froment, Mme Letourneur-Baffert
Avoués :
Mes Bazille & Genicon, Castres & Colleu
Avocats :
Mes Baley-Pailler, Lauret.
Vu le jugement du 17 juin 1994 par lequel le Tribunal de Commerce de Brest a prononcé la nullité du contrat ayant lié Patrick Ollivier à Serge Loric et a condamné celui-ci à diverses restitutions et indemnités ;
Vu l'appel de ce jugement par Patrick Ollivier et les écritures d'appel par lesquelles celui-ci :
- soutient la confirmation du jugement déféré en ce qui concerne la nullité de la convention, en relevant ;
- qu'il y aurait eu dol dans la souscription du contrat, par des mentions trompeuses et une absence d'information pré-contractuelle, le chiffre d'affaires susceptible d'être réalisé dans son entreprise étant tributaire de 4 données échappant totalement à son contrôle et imposées par le cocontractant : le prix de la course, la clientèle, la répartition des ordres entre les différents concessionnaires et le nombre de ceux-ci, en observant, sur ce dernier point, qu'il est de la nature du contrat de concession que soit accordée une exclusivité territoriale au concessionnaire et qu'en toute hypothèse, à supposer que le concédant ait eu droit de créer plusieurs concessions sur le même territoire, il y aurait eu abus d'en créer une dizaine ;
- que la nullité s'évince également de l'absence de cause au droit d'entrée prévue par le contrat, dès lors qu'il n'y a ni exclusivité territoriale, ni bénéfice de l'enseigne ;
- que la nullité s'évince également d'une erreur dans la nature des droits qu'il a cru acquérir par le contrat ;
- demande la réformation du jugement déféré en ce qui concerne les conséquences de la nullité et prétend à ce titre :
a) à la restitution du droit d'entrée, soit la somme de 35.580 F,
b) à une indemnisation sur la base de la moitié des sommes perçues par son adversaire au titre des redevances mensuelles payées en exécution du contrat nul,
c) à la restitution d'un solde de facture de 14.938,02 F,
d) à une somme de 100 000 F, au titre de gains manqués,
e) à une somme de 39 686,16 F, pour perte en ce qui concerne le véhicule ;
- soutient l'irrecevabilité de la demande de l'adversaire en dommages-intérêts, cette demande n'ayant pas été formée en première instance ;
- demande, outre la confirmation de l'indemnité pour frais non taxables accordée par les premiers juges, une somme de 15 000 F pour les frais non taxables d'appel.
Vu les écritures d'appel par lesquelles Serge Loric, l'EURL Loric Courses intervenant à ses cotes comme venant à ses droits :
- expose avoir souscrit un contrat de franchise avec la Société d'exploitation commerciale d'idées lucratives " (SARL Secil), contrat par lequel celle-ci lui a concédé le département du Finistère pour le développement d'une entreprise de prestations de services comprenant la location de véhicule avec chauffeur, le transport de document et les courses en tout genre, sous l'enseigne Euromulticourses et Multicourses,
- soutient que le contrat litigieux a été souscrit par Patrick Ollivier après une réunion du 18 janvier 1990 avec le franchiseur, un contrat identique étant également souscrit à l'issue de cette réunion avec Georges Barrere, en parfaite connaissance par ces deux souscripteurs du lieu d'activité de chacun à Plougastel et plus généralement dans le Finistère,
- soutient qu'à tort les premiers juges ont retenu la nullité du contrat,
- soutient que le contrat litigieux permettait au concédant de créer autant de concession qu'il le souhaitait, ce que n'ignorait pas Patrick Ollivier,
- soutient qu'il n'y avait pas d'obligation légale spéciale, à la date de souscription du contrat, quant à une information pré-contractuelle, laquelle a, en toute hypothèse, été loyalement donnée,
- soutient qu'en outre le "concessionnaire" était libre de déterminer les bases de sa facturation, celle pratiquée par le "concédant" étant seulement une indication, et que rien n'empêchait ce concessionnaire de traiter avec une clientèle propre,
- soutient que le droit d'entrée trouve sa contrepartie dans les enseignes et la redevance mensuelle dans les prestations de centralisation des ordres téléphoniques, le service de facturation et la mise à disposition d'un radio-téléphone,
- soutient que le réseau est viable et bien géré, qu'il s'est d'ailleurs développé pour atteindre 11 "concessionnaires",
- soutient que les difficultés qu'a connues l'entreprise de Patrick Ollivier siègent dans des conduites en état alcoolique et dans son indisponibilité fréquente,
- soutient que le contrat a été rompu par la faute du concessionnaire,
- demande la somme de 100 000 F de dommages-intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, pour ce dernier, après la rupture, avoir terni la réputation du réseau,
- discute les demandes adverses, en observant notamment, en ce qui concerne le solde de factures dont le paiement est réclamé, qu'il a été justement déduit de la facturation une redevance mensuelle impayée ainsi qu'une pénalité contractuelle, de sorte que l'intégralité de la dette sur ce point a été payée,
- demande la réformation du jugement déféré, le débouté en ce qui concerne la nullité du contrat et les autres prétentions de l'adversaire,
+ le remboursement des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement déféré, avec intérêts au taux légal à compter du versement, et le paiement de la somme de 100 000F de dommages-intérêts ainsi que de la somme de 20 000 F pour frais non taxables.
Considérant qu'il ressort des productions :
- que Serge Loric a, en tant que franchisé, par contrat de franchise du 12 décembre 1989, obtenu, pour le département du Finistère, le droit exclusif d'usage des enseignes Multicourses, Euro-Multicourses et autres signes distinctifs ainsi que diverses prestations d'assistance pour une entreprise de location de véhicule avec chauffeur, transports de tout document et courses en tout genre,
- que ce franchisé a traité, en tant que "représentant Euromulticourses 29", "société" se réservant préalablement "la possibilité de créer autant de concessions ou de points de vente qu'elle souhaite", un contrat de 7 ans avec Patrick Ollivier, contrat dit de "concession",
- que ce contrat confiait au concessionnaire, sur Plougastel, l'exploitation de l'entreprise pour laquelle le concédant était franchisé,
- que le concessionnaire s'obligeait, en tant que " gestionnaire " de l'agence ainsi créée, à utiliser l'enseigne "Euromulticourse 29" dans tout document comptable et publicitaire,
- que, selon l'article 2 du contrat, son rayon d'action était limité à la commune de Plougastel et à une distance de 60 km à vol d'oiseau de la mairie, ce qui s'entend, contrairement à ce que les premiers juges ont relevé, de l'interdiction pour lui de prospecter au-delà de cette zone, sans réciprocité, ceci n'excluant pas l'exécution par lui, au besoin, les ordres émanés du Finistère reçus directement par le concédant et que celui-ci pourrait avoir à lui transmettre,
- que, selon l'article 6, était prévu, en outre, que ce concessionnaire serait seul "responsable" de la clientèle sur le territoire ainsi concédé,
- qu'enfin le règlement intérieur, qui constitue également un des documents contractuels, a prévu l'obligation pour ce concessionnaire de commencer l'activité chaque jour ouvrable à 8h30, de signaler ses jours d'activité, de signaler par radio, au siège du franchisé, sa disponibilité, de respecter les engagements pris en son nom et envers ses clients et de retourner tous les bons de livraison afin que la facturation des prestations soit faite par concédant sans délai.
Considérant que ce contrat, qui n'est pas un contrat de travail dès lors qu'il ne met pas le "concessionnaire" en état de subordination à l'égard du cocontractant en ce qu'il lui laisse toute latitude sur les moyens pour traiter sous l'enseigne, est cependant un contrat dont les clauses léonines, dissimulées par des termes équivoques en ce qui concerne la qualité exacte du "concédant", se disant représentant d'une société ayant la possibilité de créer autant de concession qu'elle souhaite, et en ce qui concerne la nature de l'activité "concédée", ont abusé Patrick Ollivier, comme l'ont justement relevé les premiers juges, dés lors que ce dernier ne pouvait raisonnablement consentir à l'ensemble des prérogatives laissées à son cocontractant dans l'exécution de cette convention, prérogatives dont il n'y a pas lieu d'examiner la licéité dés lors que les parties ne se sont pas placées sur ce terrain, étant observé seulement,
- que le contrat a laissé à la discrétion du concédant la création d'autres concessions sur le département, sans aucun critère et sans droit de préférence, alors que tout nouveau concessionnaire avait pour effet de diminuer l'activité potentielle de ceux ayant déjà traité avec le concédant,
- qu'aucun critère précis dans l'attribution des ordres reçus par le concédant entre les "concessionnaires" du département n'a été contractuellement déterminé,
- que le concédant, qui, par son organisation et la limitation de la prospection du concessionnaire à un rayon de 60 km à vol d'oiseau autour la mairie de Plougastel, était contractuellement le pourvoyeur principal des courses pour le département, était ainsi également maître du tarif pour la majeure partie de l'activité du concessionnaire, alors, de plus, qu'il était convenu qu'il facture lui-même les courses à la clientèle, pour rétrocéder ensuite, à 60 jours, leur montant à ce concessionnaire,
- qu'aucune liberté d'entreprendre n'a été laissée au concessionnaire, en dépit de la qualification trompeuse de "concession" donnée au contrat, lequel constitue, en réalité, un contrat d'une durée de 7 ans aux termes duquel Patrick Ollivier devenait pour l'essentiel le sous-traitant des courses, obtenues dans le cadre de l'activité de franchise de Serge Loric, et devait déployer exclusivement son activité au développement de cette franchise, étant observé que la clientèle, facturée par le concédant, que le concessionnaire ne pouvait traiter que sous l'enseigne Euromulticourses 29, était en définitive, qu'elle résulte de la prospection du concessionnaire sur son rayon d'action ou d'un ordre reçu par le concédant et transmis au concessionnaire, appropriée par ce concédant, le contrat prévoyant qu'à sa cessation, ce concessionnaire s'interdisait d'exercer une activité similaire dans le département du Finistère et pendant deux années ;
Considérant que l'annulation d'une convention anéantit celle-ci et oblige, au besoin par voie de restitution par équivalent monétaire, à rétablir les parties au titre des engagements exécutés; qu'elle oblige également, si une faute est à l'origine de la nullité, celui qui l'a commise à réparer le dommage en résultant;
Considérant que les premiers juges, qui ont annulé à bon droit la convention, ont à tort accordé la somme de 10 000 F de dommages-intérêts pour ce qu'ils ont jugé être un non-respect par le concédant d'une exclusivité territoriale consentie au concessionnaire;
Considérant qu'il ressort des productions :
- que Patrick Ollivier a versé un droit d'entrée de 35.380 F, des redevances d'un montant total de 133.899,40 F et a fourni des courses jusqu'en novembre 1991, courses ayant donné lieu à des paiements au concédant par la clientèle, notamment à hauteur de 48.058 F pour octobre et novembre 1991 ;
- que Serge Loric a fourni l'usage de l'enseigne pendant tout le temps où le contrat s'est exécuté, les prestations promises, notamment la facturation aux clients, la transmission d'ordres de la clientèle à Patrick Ollivier, éléments qui, au regard du temps d'exécution effective du contrat et des productions doivent être évalués à 80.000 F, au titre du simple coût pour ces fournitures, et a également reversé à celui-ci les courses acquittées par les clients, sauf en ce qui concerne les courses d'octobre et novembre 1991 pour lesquelles il n'a acquitté que la somme de 33.507,14 F;
Considérant qu'ainsi, après apurement du compte résultant de l'anéantissement des obligations réciproques nées du contrat qui est annulé, Patrick Ollivier est fondé à demander la restitution d'une somme en principal de 103.830 F, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation qui vaut mise en demeure ;
Considérant que Serge Loric, en abusant Patrick Ollivier par les clauses léonines dissimulées dans le contrat litigieux, a commis une faute ;qu'il est justifié, par les productions, que Patrick Ollivier était, avant la souscription du contrat annulé, salarié de l'entreprise de transport Le Bras-Lavanant et qu'il a démissionné et quitté cette entreprise le 12 janvier 1990, ce qui révèle, le contrat annulé ayant été souscrit 6 jours après seulement, un lien causal entre cette démission et la souscription du contrat; que si, au titre des restitutions réciproques, le prix des courses qu'il a effectuées lui est acquis et si n'est pas imputable à Serge Loric le recrutement par Patrick Ollivier d'un salarié pour l'activité développée dans le cadre du contrat annulé, il reste que cette activité commerciale, entreprise dans ce cadre, n'a généré que des pertes et que Serge Loric a contribué à ce fait par sa faute, Patrick Ollivier n'étant ni maître des tarifs, au moins pour l'essentiel de son activité, ni maître de sa prospection et étant soumis à la discrétion du concédant quant aux courses qui lui seraient transmises, étant observé, sur ce dernier point, qu'il n'est établi ni qu'il ait fautivement décliné de telles courses, par les attestations insuffisamment circonstanciées versées, ni qu'il ait été fautivement ou anormalement indisponible, l'allégation non étayée selon laquelle son permis de conduire aurait été suspendu pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique étant déniée; que le préjudice, au titre de l'absence de tout gain entre la souscription du contrat et la cessation de son exécution en novembre 1991, sera retenu comme étant imputable à Serge Loric à hauteur de 100.000 F au jour de l'arrêt; qu'en revanche, s'il est établi que Patrick Ollivier a souscrit, pour l'exercice de son activité dans le cadre du contrat annulé, un crédit-bail sur un véhicule Ford Transit le 5 mars 1990, ce contrat a été poursuivi par lui, alors qu'il n'exécutait plus la convention, postérieurement au mois de novembre 1991, de sorte qu'il n'est pas établi que le préjudice invoqué, au titre des loyers après novembre 1991 et de la différence entre la valeur de rachat et le prix de revente de ce véhicule en juillet 1992, soit imputable à Serge Loric, n'étant pas justifié des circonstances ayant fait obstacle à la résiliation de ce contrat dès la cessation de l'exécution du contrat de concession; qu'ainsi, à titre de dommages-intérêts, Patrick Ollivier est seulement fondé à demander la somme de 100.000 F, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Considérant que le jugement déféré n'énonce pas que Serge Loric ait formé, devant les premiers juges, une demande reconventionnelle au titre d'un préjudice causé par son adversaire après la rupture des relations contractuelles, que les conclusions déposées par lui le 9 décembre 1992, portant cachet du greffe, révèlent qu'il était demandé aux premiers juges le débouté des prétentions adverses et une indemnité de 9.488 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile, qu'enfin il n'est pas justifié que Tribunal ait été effectivement saisi d'une demande reconventionnelle, étant observé que ne sont pas versées, en cause d'appel, des conclusions à cette fin, revêtues d'une mention attestant de leur dépôt à la barre du Tribunal, et que de telles conclusions ne figurent pas, de plus, dans le dossier du Tribunal transmis à la Cour par le Greffe du Tribunal de Commerce, de sorte qu'à bon droit Patrick Ollivier soutient que la demande reconventionnelle est irrecevable pour être formée pour la première fois en cause d'appel, cette demande n'étant pas présentée pour compensation puisqu'aucune demande à cette fin n'est formée, même à titre subsidiaire ; Considérant que l'équité commande que soit accordée à Patrick Ollivier la sommé de 20.000 F pour les frais non taxables exposés dans l'entier procès; que les dépens de 1re instance et d'appel incombent à Serge Loric, qui succombe sur l'essentiel;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a annulé le contrat du 18 janvier 1990, ayant lié Patrick Ollivier à Serge Loric, Réformant pour le surplus : Condamne, en conséquence de cette annulation après apurement, Serge Loric à payer à Patrick Ollivier la somme de 103 830 F, avec intérêts au taux légal à compter du 10 mars 1992 ;Dit que le contrat est annulé par la faute de Serge Loric ; Condamne celui-ci, à ce titre, à payer à Patrick Ollivier la somme de 100 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, à titre de dommages-intérêts pour le préjudice causé par cette faute ; Dit irrecevable la demande reconventionnelle formée en appel par Serge Loric ; Condamne Serge Loric à payer à son adversaire la somme de 20 000 F, pour les frais non taxables exposés dans l'entier procès ; Le condamne aux dépens de 1re instance et d'appel, ceux d'appel avec, pour l'avoué adverse, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de procédure civile.