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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 11 juillet 2000, n° 1993-03044

CHAMBÉRY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AMTR (SARL), Joussen

Défendeur :

Serdi (SA), Culasse + (SARL), Meynet, Guepin

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beraudo

Conseillers :

M. Bernaud, M. Durand-Mulin

Avoués :

Me Dantagnan, SCP Vasseur-Bollonjeon-Arnaud

Avocats :

Cabinet Ben Soussen, Meyer, SCP Ballauloud Aladel.

TGI Annecy, ch. comm., du 21 sept. 1993

21 septembre 1993

Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance d'Annecy, statuant en matière commerciale, le 21 septembre 1993, qui a :

Débouté M. Joussen et la SARL AMTR de leur demande visant à voir déclarer nul le contrat de franchise signé le 22 octobre 1987 entre les parties ainsi que de leurs demandes corrélatives,

Constaté que les sociétés Serdi et Culasse + ont manqué à leur obligation d' assurer à M. Joussen et à la SARL AMTR l'exclusivité territoriale s' agissant de l'usage de l'enseigne Culasse + et de l'exécution des travaux de rénovation de culasses;

Constaté que M. Joussen et la SARL AMTR restent devoir aux sociétés Serdi et Culasse + la somme de 208.553, 92 F et qu'ils ont manqué à leur obligation de paiement des marchandises fournies par les défenderesses en exécution du contrat de franchise,

Prononcé la résiliation dudit contrat aux torts réciproques des parties,

Condamné M. Joussen et la SARL AMTR à verser aux sociétés Serdi et Culasse + la somme de 208.553, 92 F,

Ordonné la réduction de la clause pénale prévue à l'article 11 du contrat de franchise et condamné M. Joussen et la SARL AMTR à verser à la SA Serdi, à ce titre, la somme de 50.000 Frs,

Constaté que l'inexécution par le franchiseur de l'obligation d' exclusivité territoriale accordée au franchisé, a été préjudiciable à ce dernier,

Sur la réparation de ce préjudice, avant dire-droit, désigné, pour procéder à son évaluation :

M. Philippe Gaubert, expert près la Cour d'Appel de Chambery,

Dit que le paiement des sommes susvisées dues par M. Joussen et la SARL AMTR aux sociétés Serdi et Culasse + serait réservé jusqu'à ce qu'il soit statué, après dépôt du rapport d'expertise, sur le préjudice subi par les demandeurs;

Réservé les dépens et les demandes fondées sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile;

Vu les appels interjetés par M. Joussen et la société AMTR, et leurs conclusions récapitulatives déposées le 30 mars 2000,

Vu les appels interjetés par la société SERDI, la société Culasse+, Me Guépin, leur représentant des créanciers, et Me Meynet, administrateur et commissaire à l'exécution du plan de cession des dites sociétés, et leurs conclusions récapitulatives en date du 3 avril 2000,

Attendu que la Cour renvoie à la décision des premiers juges pour plus ample exposé des faits et des prétentions des parties;

Qu'il convient de rappeler que la société Serdi, fabricant de machines-outils, a signé le 22 octobre 1987, pour une durée de cinq ans, avec M. Joussen, gérant de la société AMTR, un contrat de franchise en vue de l'exploitation de la marque Culasse + et du savoir-faire de la société Serdi en matière de rénovation de culasses; que le franchisé s' engageait à "consacrer son activité professionnelle à l'activité de rénovation de culasses et à ne jamais effectuer ces travaux pour le compte d'établissements concurrents"; qu' il lui était interdit d'exercer toute activité annexe de prestation de services sauf autorisation expresse du franchiseur, et il s'engageait en outre à consacrer son magasin à la seule vente des articles qui lui seraient fournis par le franchiseur ou agréés et distribués par lui; que le contrat plaçait donc le franchisé dans une dépendance économique étroite à l'égard du franchiseur;

Attendu que la signature de ce contrat s'inscrivait dans le projet de la société Serdi de développer une activité spécialisée de rénovation de culasses dans le cadre d'un réseau de professionnels indépendants et non plus seulement de quelques ateliers; que ce réseau a été mis en place progressivement à partir de la fin de l'année 1986;

Attendu que les documents de présentation du projet comprenaient une étude de gestion assortie d'un compte d'exploitation prévisionnel de caractère indicatif censé donner une image moyenne d'observations faites sur l'ensemble du territoire national, le même document étant présenté à tous les futurs franchisés;

Attendu que l'exploitation de la franchise n'ayant pas apporté les résultats escomptés, M. Duchemin et la société AMTR ont assigné le 25 mars 1991 la société Serdi et la société Culasse +, locataire-gérant de son fonds de commerce, aux fins de voir à titre principal prononcer la nullité du contrat et subsidiairement sa résiliation aux torts des dites sociétés;

Attendu qu'il convient d'observer, à titre préliminaire, que les deux sociétés Serdi et Culasse +, dont la confusion des patrimoines a été prononcée, font cause commune, et que ni les appelants ni les intimées n'opèrent de distinction entre elles en ce qui concerne les diverses créances respectivement invoquées;

Attendu que les appelants principaux soutiennent qu'ils ont été victimes d'un dol en ce que M. Joussen n'a pas été informé complètement et loyalement, les comptes prévisionnels étant faux, l'existence d'un concurrent sur le territoire de la franchise envisagée lui ayant été cachée de même que l'état réel du réseau déjà en grandes difficultés; qu'il invoquent l'absence de cause en estimant qu'il n'y avait ni savoir-faire spécifique, ni formation et assistance, ni publicité conforme aux engagements contractuels que subsidiairement ils se prévalent d'une erreur substantielle et plus subsidiairement sollicitent la résiliation du contrat aux torts du franchiseur;

Attendu que s'agissant de la cause du contrat, la Cour estime, avec les premiers juges, que celle-ci existait lors de la formation de celui-ci; qu'il s'agissait de mettre en œuvre une technologie particulière assortie d'un savoir-faire dont la preuve est suffisamment apportée par l'ancienneté non contestée de l'expérience du franchiseur et par la production des documents techniques remis au franchisé; que le franchiseur avait conçu, non seulement des machines-outils également vendues à des tiers, mais un modèle d'atelier spécialisé où chaque franchisé pouvait mettre en œuvre, au moyen des divers outils conçus par le franchiseur, une méthode particulière de rénovation des culasses ; que les critiques relatives àl'insuffisance de formation, d'assistance et de publicité ou encore aux difficultés et coûts d'approvisionnement en pièces détachées concernent l'exécution du contrat, ces diverses prestations ayant été prévues et seule leur réalisation effective et correcte étant discutée;

Attendu, néanmoins, qu'il est clairement établi par les pièces versées aux débats que la mise en place de ce réseau a été un échec commercial; que l'expert Brochier désigné par Me Meynet pour évaluer les actifs du groupe de sociétés Serdi, Culasse+ et la holding Gem, mises en redressement judiciaire le 4 août 1992 et qui ont entraîné dans leur chute un certain nombre de filiales, a relevé, dans son rapport en date du 13 janvier 1994, que les résultats des diverses agences du groupe et des franchisés étaient quasiment tous déficitaires, attribuant cette situation à des dépenses trop élevées et une insuffisance de chiffre d'affaires;

Attendu que les résultats de l'exploitation de la franchise ont ainsi été, pour la société AMTR, très en dessous des prévisions, puisque pour le premier exercice, le chiffre d'affaires était inférieur de près des 2/3 aux prévisions théoriques des documents d'information, et que les résultats courants ont été déficitaires de 243 256 F au lieu d'être bénéficiaires de 44 000 F ; que pour le second exercice, le chiffre d'affaire était loin d'attendre le montant théorique du premier (moins d' 1 000 000 F au lieu de 1 240 000 F), et encore plus le montant théorique de la seconde année 1 680 000 F) et les résultats restaient déficitaires de 118 357 F au lieu du bénéfice escompté de 60 000 F ; qu'enfin, la troisième année, le chiffre d'affaires (1 361 881 F) dépassait de peu celui escompté pour la première année, sans commune mesure avec le chiffre attendu de 2 240 000 F pour ce troisième exercice, tandis que le résultat courant avant impôt n' était que de 23 581 F, ce qui ne permettait pas d'envisager de couvrir les pertes accumulées les deux années précédentes;

Attendu que pour soutenir qu'il a été victime d'un dol, M. Joussen fait valoir notamment que lors de son introduction dans le réseau, 11 des 18 franchisés étaient déjà, soit en cessation des paiements, soit en redressement judiciaire, soit sur le point de l'être, soit enfin très en deçà des prévisionnels en sorte que la présentation valorisante du réseau par le franchiseur était fallacieuse;

Attendu, toutefois, que les comptes d'exploitation et autres documents produits par M. Joussen et la société AMTR pour justifier de la situation déficitaire des franchisés, dont certains ont effectivement été mis en redressement judiciaire ainsi qu'il résulte de ces documents et du rapport Brochier, ne concernent pas tous le même exercice; qu'ils concernent, selon les cas, les exercices 1987, 1988 ou 1989 ; qu'il n'est produit aucun compte concernant l'un d'entre eux (société Philippe Carné) qui a cessé son activité au 1er janvier 1997;

Attendu que les documents versés aux débats permettent néanmoins de constater que sur les 11 franchisés concernés, 6 ont subi des pertes au cours de leur première année d'activité (1987 ou 1988) et les quatre années suivantes;

Attendu que lors de l'entrée de M. Joussen et de sa société dans le réseau, en octobre 1987, la société Serdi pouvait encore ignorer les difficultés qu'allaient rencontrer les franchisés, en sorte que le dol invoqué n'est pas établi;

Attendu qu'il n'en reste pas moins que M. Joussen est fondé à soutenir, au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats et connus de lui a posteriori, que les résultats prévisionnels, certes indicatifs, qui lui avaient été présentés, ne pouvaient pas, et de loin, être atteints;qu'en effet, il est clair que l'échec de son entreprise ne résulte pas de facteurs personnels ni même d'une évolution conjoncturelle défavorable et inattendue qui n'est d'ailleurs pas alléguée, mais bien plutôt d'une appréciation théorique beaucoup trop optimiste de la part du franchiseur quant aux possibilités réelles offertes par le marché de la rénovation de culasses;

Attendu que les sociétés intimées ne produisent pas les éléments sur lesquels elles se sont fondées pour établir leur compte d'exploitation prévisionnel, ni d'ailleurs aucun document comptable les concernant ou concernant l'activité des ateliers de reconditionnement de culasses qui auraient servi de modèle et de banc d'essai pour la mise en place du réseau de franchisés; que, manifestement, et en tout état de cause, cette évaluation prévisionnelle n'a pas été précédée d'une étude suffisamment sérieuse du marché ;qu'une étude approfondie de la viabilité du projet aurait pourtant été nécessaire eu égard au caractère très spécialisé de l'activité proposée aux futurs franchisés;

Attendu que les insuffisances du franchiseur au niveau de l'exécution du contrat (formation réduite de trois à deux semaines, une seule visite de contrôle au lieu de six sur trois ans, utilisation tardive des fonds récoltés pour la publicité, augmentation brutale des prix de 4,5% en 1990) ont pu concourir à l'échec commercial de la franchise mais ne peuvent suffire à expliquer une telle différence entre les prévisions et la réalité;

Attendu que l'examen de l'ensemble des éléments versés aux débats permet d'affirmer que le projet de franchise conçu par le franchiseur n'était pas, dès le départ, économiquement viable pour le franchisé; que s'il n'est pas prouvé que M. Joussen, en qualité de gérant de sa société, a été victime d'un dol en ce sens qu'il aurait été volontairement trompé par son cocontractant, en revanche, il est suffisamment établi par les pièces versées aux débats qu'il a été victime de la légèreté de celui-ci; </stong>qu'il est clair que s'il avait pu prévoir les difficultés économiques auxquelles il se trouverait confronté, il n' aurait pas contracté; <:que son erreur porte sur la substance même de l'objet du contrat puisque les conditions de ce contrat ne permettaient pas l'exploitation normale de la franchise qui en était l'objet;

Attendu que dès lors, il convient de réformer le jugement et de prononcer l'annulation de la convention pour erreur ;

Attendu que les parties doivent être remises en l'état où elles se seraient trouvées si elles n'avaient pas contracté; que la société Serdi doit donc restituer à la société AMTR les sommes perçues au titre des droits d'entrée dans le réseau (80 000 F), ainsi que de la redevance publicitaire (21 269 F) dans la mesure où il n'est pas établi que celle-ci ait été utilisée d'une manière qui ait profité au franchisé (les sommes ainsi collectées auprès de l'ensemble des franchisés ayant été destinées à la publicité globale du réseau et n'ayant d'ailleurs été que partiellement et tardivement utilisées) ;

Attendu que la société AMTR est également fondée à solliciter l'indemnisation des pertes qu'elle a subies du fait de l'exécution du contrat de franchise, qui sont la conséquence de la faute commise par la société Serdi qui l'a induite en erreur; que sa demande en paiement du montant de 308 640 F à ce titre apparaît justifiée ;

Attendu que M. Joussen réclame au titre de la réparation de son préjudice personnel le montant de ses apports; que, toutefois, il bénéficie à ce titre d'une créance sur la société AMTR en sorte qu'il ne justifie pas que cette somme représente le préjudice qu'il a subi du fait des agissements du franchiseur ;

Attendu que M. Joussen réclame également à titre personnel le complément du salaire qu'il aurait dû percevoir si le compte prévisionnel avait été conforme à la réalité;

Attendu que M. Joussen a certes subi un préjudice du fait de la faute commise par la société Serdi à l'égard de la société dont il était le gérant; que, toutefois, ce préjudice ne peut être évalué en fonction du montant exact des salaires qu'il aurait perçus si le contrat avait été valable et exécuté puisque, par hypothèse, le contrat est nul et ne pouvait produire les effets escomptés; qu'il convient d'allouer à M. Joussen, en réparation du préjudice que lui a causé la société Serdi en l'engageant dans une entreprise vouée à l'échec, à laquelle il a consacré son activité pendant trois exercices sans percevoir la contrepartie normale de ses efforts, la somme de 185 000 F;

Attendu que la société AMTR sollicite encore la restitution des marges bénéficiaires réalisées par les sociétés Culasse + et Serdi sur les ventes conclues dans le cadre du contrat de franchise;

Attendu, toutefois, qu'il n'est pas établi que les sociétés Culasse + et Serdi aient tiré un profit réel de ces ventes puisque leur activité a été déficitaire; que, par ailleurs, la société AMTR a effectivement reçu et utilisé ou revendu les matériels acquis auprès du franchiseur ; qu'elle a donc nécessairement répercuté le prix de ces achats sur la clientèle, en sorte que le préjudice qu' elle invoque se confond avec celui résultant de ses résultats déficitaires; qu'il convient donc de la débouter de ce chef de demande;

Attendu que pour les mêmes motifs, il convient de constater que les sociétés SERDI et Culasse + ont une créance envers la société AMTR au titre des marchandises impayées, dans la mesure où la société AMTR n'offre pas de les restituer; que le montant de ces achats s'établit à 208 553,92 F; qu'il n'y a toutefois pas lieu de les assortir d'intérêts légaux puisqu'il s' agit de la simple évaluation des avantages tirés par la société AMTR de l'exécution de l'obligation de fourniture exclusive résultant d'un contrat entaché de nullité;

Attendu que le contrat étant nul, la demande des sociétés Serdi et Culasse + au titre d'une clause pénale insérée audit contrat se trouve dépourvue de fondement;

Attendu, enfin, qu'il serait inéquitable de laisser à la unicité AMTR et M. JOUSSEN la charge de l'intégralité de leurs frais irrépétibles;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement ; réforme le jugement en toutes ses dispositions ; prononce la nullité du contrat de franchise ; fixe la créance de la société AMTR dans le redressement judiciaire des sociétés Serdi et Culasse + à 101 269 F au titre de la restitution des sommes avancées dans le cadre du contrat de franchise, et à 308 640 F au titre des dommages-intérêts ; fixe la créance des sociétés Serdi et Culasse + au titre des marchandises livrées et impayées à 208 553, 92 F ; prononce la compensation des créances respectives des parties, et fixe en conséquence la créance de la société AMTR dans le redressement judiciaire des deux autres sociétés à 201 355, 08 F ; fixe la créance de M. Joussen dans le redressement judiciaire des sociétés SERDI et Culasse + à 185 000 F ; fixe la créance de la société AMTR et de M. Joussen au titre des frais irrépétibles à la somme de 20 000 F ; met à la charge des sociétés Serdi et Culasse + les dépens de première instance et d'appel, dont distraction, pour ces derniers, au profit de Me Dantagnan, avoué ; déboute les parties de leurs conclusions plus amples ou contraires.