CA Chambéry, ch. civ., 30 septembre 1996, n° 9400514
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sogaral (SA)
Défendeur :
Santin Jeanin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Palisse
Conseillers :
Mmes Cuny, Kueny
Avoués :
SCP Vasseur-Bollonjeon-Arnaud, SCP Buttin-Richard-Fillard
Avocats :
Me Thibaud, SCP Cochet-Rebut-Selini-Semenol.
Exposé du litige :
Par jugement en date du 14 janvier 1994 auquel le présent arrêt se réfère pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, le Tribunal de commerce de Chambéry a condamné la SA Sogaral à payer en deniers ou quittances valables à M. Santin Jeanin Joël :
- la somme de 136.870 F,
- celle de 5.000 F HT au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- les dépens,
et a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
La société Sogaral a relevé appel de ce jugement par déclaration au greffe de la Cour en date du 22 février 1994.
Elle fait valoir que durant le délai de préavis M. Santin Jeanin a manqué à son obligation d'exclusivité à son égard, qu'il n'existait par contre dans le contrat aucune clause d'exclusivité au profit de l'agent et qu'elle a en outre continué durant tout le préavis à le faire bénéficier de ses prérogatives d'agent. Elle ajoute que M. Santin Jeanin chiffre son préjudice de manière spéculative et arbitraire et que la somme allouée est exorbitante.
Elle sollicite la réformation du jugement entrepris, le rejet des demandes et la condamnation de M. Santin Jeanin au paiement de la somme de 8.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et des dépens.
M. Santin Jeanin fait grief à la SA Sogaral d'avoir résilié le contrat immédiatement après les travaux de réfection de la façade qu'elle lui a demandé de faire effectuer, d'avoir entrepris des relations commerciales avec le garage Novel également situé à Montmelian durant la période de préavis, de ne pas l'avoir fait bénéficier de tous les services auxquels il pouvait prétendre.
Il conclut au débouté de la société Sogaral, à sa condamnation au paiement de la somme de 186.047 F 82 outre intérêts compensatoires à compter de l'assignation en référé du 25 novembre 1992 de celle de 10.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et des dépens.
Sur ce, La COUR :
Attendu que la société Sogaral, concessionnaire Renault, et M. Santin Jeanin étaient liés par un contrat d'agent ;
Que par lettre du 22 février 1992, la société Sogaral a notifié à M. Santin Jeanin sa décision de résilier ce contrat avec effet au 24 février 1993 ;
Qu'au motif que M. Santin Jeanin entretenait durant la période du préavis des relations commerciale avec le concessionnaire Renault de St Jean de Maurienne, elle a, par lettre du 25 août 1992, mis fin au préavis au 31 août 1992 en application de l'article V alinéa 10 du contrat visant le cas d'agissements de l'agent de nature à porter au concessionnaire un préjudice matériel ou moral ;
Que M. Santin Jeanin a d'abord saisi le juge des référés d'une demande tendant à l'institution d'une mesure d'expertise judiciaire aux fins d'évaluation de son préjudice du fait de cette rupture qu'il estimait fautive, demande à laquelle la société Sogaral s'est opposée et qui a été rejetée, puis a introduit la présente action au fond en réparation de son préjudice ;
Qu'il conteste avoir contrevenu au contrat en entretenant des relations commerciales avec le concessionnaire Renault de St Jean de Maurienne, en exposant et présentant à sa clientèle des véhicules neufs livrés par ce dernier car d'une part il ne lui était pas interdit de collaborer avec d'autres agents Renault et d'autre part il a présenté à sa clientèle, un véhicule Renault, la Safrane, qui n'était pas neuf mais d'occasion puisque déjà immatriculé ; qu'il précise que cette présentation n'a été suivie d'aucune vente ;
Qu'il reproche quant à lui à la société Sogaral les conditions dans lesquelles elle a décidé de résilier le contrat par lettre du 22 février 1992 après lui avoir fait effectuer des travaux de réfection de sa façade tout en soulignant qu'il ne demande pas de dommages intérêts à ce titre dans cette affaire ;
Qu'il fait également grief à cette société :
- d'avoir entrepris des relations commerciales avec le garage Novel également situé à Montmelian durant la période de préavis,
- de l'avoir négligé après sa lettre du 22 février 1992 : absence de visites d'un commercial, absence de mise à disposition de voitures d'exposition, absence d'invitation aux présentations de véhicules (sauf la présentation de la Safrane par Renault-France en février 1992), absence d'invitation au stage concernant la Safrane ;
Attendu qu'en l'état des dispositions :
- de l'article II du contrat d'agent selon lequel " il " (l'agent) s'engage à respecter les normes de façade établies par le constructeur et à placer dans la position la plus en vue les panonceaux Renault à l'exclusion de tous autres,
- de son article V qui permet à chaque partie de résilier le contrat moyennant un préavis de 1 an, il ne peut être retenu une faute à l'encontre de la société Sogaral pour avoir usé de la faculté de résiliation moyennant un préavis de 1 an après avoir fait réaliser à M. Santin Jeanin des travaux de réfection de sa façade, alors surtout que pendant la durée du préavis le contrat se poursuit ; que force est du reste de constater qu'il ne formule pas de demande de dommages-intérêts à ce titre ;
Qu'il incombe aux parties pendant la durée du préavis de continuer à respecter les obligations résultant du contrat ;
Qu'il n'est nullement établi par le seul courrier de la Direction Régionale Rhone-Alpes Auvergne Renault à M. Duverney à St Jean de Maurienne en date du 21 juillet 1992 que la société Sogaral verse au dossier, que M. Santin Jeanin " a commencé dès juillet 1992 à entretenir des relations commerciales avec le concessionnaire de St Jean de Maurienne en particulier en exposant et en présentant à sa clientèle des véhicules neufs livrés par ce dernier" ; que le seul fait établi et reconnu par M. Santin Jeanin consiste dans le prêt d'un véhicule Renault Safrane immatriculé, donc d'occasion, qu'il a obtenu du concessionnaire Renault de St Jean de Maurienne durant l'été 1992; que suite à ce prêt, il a fait paraître une annonce dans le "Dauphiné Libéré" du 8 juillet 1982 libellée en ces termes :
Garage Santin Jeanin.
Votre agent officiel tél. 79.84.12.27.
Il n'est jamais trop tard pour se rencontrer ...
Du 8 au 11 juillet, je vous attends au garage Santin Jeanin.
La Safrane ZA la Caronnière (près d'Intermarché) Montmelian ;
Qu'il ne résulte ni de cette publicité ni des autres pièces versées au dossier qu'il était signalé lors de la présentation de ce véhicule qu'il provenait du concessionnaire Renault de St Jean de Maurienne de sorte qu'il ait pu planer un doute sérieux aux yeux de la clientèle sur le rattachement du canton de Montmelian à la concession de la société Sogaral à St Alban Leysse comme celle-ci le prétendait dans son courrier du 25 août 1992; qu'il n'est de plus pas démontré que M. Santin-Jeanin ait traité des ventes au nom et pour le compte du concessionnaire de St Jean de Maurienne plutôt que de la société Sogaral, ce ensuite ou même indépendamment de la présentation du véhicule Safrane prêté par le concessionnaire de St Jean de Maurienne; que le seul fait d'avoir présenté un véhicule Renault Safrane d'occasion, prêté par le concessionnaire de St Jean de Maurienne, à supposer qu'il constitue une infraction au contrat d'agent, ce qui au regard des clauses de ce contrat et notamment de ses articles I et III-1 n'est même pas formellement acquis, ne saurait constituer une faute suffisamment grave de M. Santin Jeanin à l'égard de la société Sogaral pour justifier la rupture par celle-ci du préavis, par décision du 25 août 1992 à effet du 31 août suivant; que bien plus et quand bien même il y aurait eu matière à rupture du préavis, il apparaît bien que celle-ci aurait elle-même nécessité en application de l'article V expressément visé par la société Sogaral, un délai de préavis de 3 mois ;
Que par ailleurs, en l'absence même de clause contractuelle d'exclusivité au profit de l'agent, l'article 1134 du code civil dispose que les conventions doivent être exécutées de bonne foi ; qu'il n'est en outre pas sérieusement contesté qu'il n'est pas d'usage dans un canton de la taille de celui de Montmelian qu'il y ait deux agents Renault;
Que la société Sogaral n'a pourtant pas hésité dès après la lettre de résiliation du contrat d'agent de Monsieur Santin Jeanin en date du 22 février 1992 et pendant la durée du préavis de 1 an à conclure un contrat d'agent avec un tiers exerçant également à Montmelian et à un emplacement mieux situé que celui de M. Santin Jeanin et à lui dispenser de surcroit plus largement son concours qu'à celui-ci; qu'il résulte en effet d'une publicité dans le Dauphiné Libéré du 25 juin 1992 que deux journées étaient organisées les 26 et 27 juin 1992 au garage Novel 15 quai de l'Isère RN 6 à Montmelian pour la présentation de la Renault Safrane et des dernières nouveautés de la gamme Renault avec la participation du directeur et du directeur commercial de Renault Sogaral à Chambery ;
Que s'il ne peut être considéré comme formellement établi que la société Sogaral a complètement délaissé M. Santin Jeanin en ne l'invitant pas aux réunions, présentations et autres ..., bien qu'elle ne conteste pas que son commercial n'ait pas visité celui-ci et n'avoir pas mis de voiture d'exposition et notamment la Safrane à sa disposition, il n'en demeure pas moins qu'elle a failli à l'exécution de bonne foi de la convention qui la liait à M. Santin Jeanin :
- d'une part en concluant à l'époque et dans les conditions où elle l'a fait un contrat d'agent avec M. Novel et en lui dispensant plus largement son concours qu'à M. Santin Jeanin,
- d'autre part en rompant le préavis le 25 août 1992 avec effet au 31 août 1992 au prétexte que M. Santin Jeanin avait commencé à entretenir des relations commerciales avec le concessionnaire de St Jean De Maurienne en particulier en exposant et en présentant à sa clientèle des véhicules neufs livrés par ce dernier alors qu'il n'avait fait que présenter un véhicule immatriculé, donc d'occasion, certes prêté par le concessionnaire de St Jean de Maurienne, et que ce fait isolé reproché à M. Santin Jeanin n'était pas dans son contexte d'une gravité telle qu'il ait pu constituer une faute de nature à justifier la rupture du préavis, de surcroît dans les conditions où elle l'a fait ;
Que cette rupture est fautive et que le Tribunal a à bon droit retenu l'entière responsabilité de la société Sogaral;
Que M. Santin Jeanin détaille son préjudice comme suit :
- pertes sur commissions : 56.870 F
- pertes sur service après vente correspondant : 50.000 F
- dommages intérêts pour résiliation abusive et non respect du préavis : 50.000 F
TOTAL HT : 156.870 F
Soit TTC : 186.047 F 82
Qu'il produit pour en justifier un détail des commissions et accessoires reçus de la société Sogaral en 1990 et 1991 représentant un montant total de 113.739 F HT soit en moyenne annuelle 56.870 F HT, établi par le cabinet comptable Eurex ;
Que la société Sogaral est particulièrement mal venue à lui reprocher de ne plus solliciter désormais une mesure d'expertise et d'utiliser pour démontrer son préjudice des documents sans aucune valeur probante alors que dans le cadre de l'instance en référé expertise qu'il a diligentée, elle s'est opposée à l'institution d'une mesure d'expertise judiciaire en faisant notamment valoir que M. Santin Jeanin pouvait parfaitement réunir lui même les éléments de preuve dont il prétendait vouloir se servir et que tel a bien été également l'avis du Président du Tribunal de commerce statuant en référé ;
Qu'en outre la pièce que M. Santin Jeanin verse au dossier contient un état détaillé des ventes qu'il a réalisées et des commissions qu'il a perçues ;
Que la société Sogaral au nom de qui ces ventes ont été conclues et qui a versé les commissions est mieux placée que quiconque pour exercer un contrôle sur cet état ;
Que force est de constater qu'elle n'exprime aucune critique motivée sur l'un ou l'autre de ses postes et ne soulève l'inexactitude d'aucun d'eux ;
Que la preuve se trouve donc formellement rapportée par le document émanant de la société Eurex, qui suit la comptabilité de M. Santin Jeanin, qu'il a perçu de la société Sogaral pour les années 1990 - 1991, 113 739 F HT de commissions soit en moyenne 56.870 F HT par an ;
Attendu que l'installation d'un nouvel agent Renault à Montmelian en la personne de M. Novel est intervenue selon les écritures des parties au printemps 1992 ; que dans un premier temps, les activités de M. Santin Jeanin et de M. Novel ont pu s'exercer concurremment mais dans des conditions plus favorables pour M. Novel que la société Sogaral privilégiait dans son soutien ; qu'à compter du 31 août 1992, M. Santin Jeanin a vu son contrat d'agent Renault résilié à tort et a été privé des bénéfices qu'il aurait pu en retirer alors que ce contrat aurait dû normalement se poursuivre jusqu'au 24 février 1993 ;
Que compte tenu d'une activité quasi-normale en mars et avril 1992, et puis fortement concurrencée de début mai à fin août 1992 pour être enfin anéantie à partir du 1er septembre 1992 son préjudice au titre de la perte de commissions doit être évalué à 50.000 F ;
Que du fait qu'il n'a pu réaliser certaines ventes, M. Santin Jeanin a également subi des pertes au titre du service après-vente qu'auraient entraîné ces ventes, ce qui représente eu égard au rapport du service après vente et aux habitudes de la clientèle un préjudice devant être évalué à 42.000 F ;
Qu'ayant été avisé le 25 août 1992 de la rupture du préavis et de la résiliation de son contrat d'agent à effet du 31 août 1992 alors qu'il aurait dû être poursuivi jusqu'au 24 février 1993, il a d'une part subi un préjudice moral et d'autre part dû réorganiser d'urgence son activité d'où un préjudice de ce chef qu'il y a lieu d'évaluer à 15.000 F ; qu'il n'établit pas qu'il aura à sa charge la TVA sur ces indemnités ou l'une ou l'autre d'entre elles et ne fournit aucune explication ni aucun élément de nature à justifier que les sommes ci-dessus ou l'une ou l'autre d'entre elles soient majorées de cette taxe ; que les préjudices sont évalués au jour du présent arrêt et que dans ces conditions les sommes allouées pour les réparer ne peuvent être assorties d'intérêts au taux légal depuis une date antérieure ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de M. Santin Jeanin l'intégralité de frais irrépétibles que lui a occasionnés la présente procédure ; que la société Sogaral doit être condamnée à lui verser la somme de 8.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel confondus ; que succombant au fond et en son appel, elle supportera quant à elle l'intégralité de ses propres frais irrépétibles et les entiers dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement ; Déclare l'appel de la société Sogaral recevable en la forme ; Au fond ; Confirme le jugement entrepris sur le principe de la responsabilité de la société Sogaral ; Le réformant en ce qui concerne le montant des condamnations et statuant à nouveau de ce chef ; Condamne la société Sogaral à verser à M. Santin-Jeanin ; - la somme de 107.000 F à titre de dommages intérêts outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; - celle de 8.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Sogaral aux entiers dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct pour ceux d'appel au profit de la SCP Buttin Richard Fillard, avoués, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.