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Décisions

Cass. crim., 24 mai 2000, n° 99-84.270

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gomez

Rapporteur :

Mme de la Lance

Avocat général :

M. Di Guardia

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, Me Choucroy.

TGI Nanterre, 14e ch. corr., du 6 oct. 1…

6 octobre 1998

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X Françoise, contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, 9e chambre, en date du 10 juin 1999, qui, pour abus de confiance, l'a condamnée à 3 mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ; - Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 408 de l'ancien Code pénal, 314-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Françoise X coupable d'abus de confiance ;

"aux motifs que le 6 mars 1992 un contrat de concession a été conclu entre Honda France et M. Y, gérant de la SA Z ; que ce contrat s'analysait en une vente parfaite ; qu'il prévoyait l'obligation pour le concessionnaire de fournir une caution bancaire à son concédant ; que pour l'année 1992, Z avait donné à Honda la caution de la SA Namur; que la caution de la SA Namur était renouvelée jusqu'au 31 décembre 1993, mais non pour l'année 1994 ; que néanmoins la SA Honda ne résiliait pas le contrat de concession alors qu'elle en avait la possibilité aux termes de l'article 24 dudit contrat ; que le 6 mai 1993, l'annexe annuelle du contrat de concession était signée et stipulait que pour la gamme des véhicules "Concerto", ceux-ci "pourront être mis en dépôt-vente chez le concessionnaire pendant une période de 120 jours à charge pour le concessionnaire de les vendre au client final" ; que ces véhicules faisaient l'objet d'un contrat de dépôt ; que le 5 mars 1994 le PDG, M. Y, décédait et était remplacé par Françoise X le 17 avril 1994 à son poste de PDG ; qu'au 18 juillet 1994, à la suite d'échanges épistolaires entre Z et Honda France, desquels il résultait que Z savait ne pas avoir obtenu le renouvellement de la caution bancaire de la SA Namur, la conséquence en étant que Honda France ne pouvait plus accorder de crédit-fournisseur et qu'elle était débitrice de trois échéances revenues impayées à Honda France pour plus de 271 000 F, l'encours de Z était ainsi porté à 2 862 000 862 F, en ce non compris la valeur des véhicules confiés en dépôt (1 689 000 F), la SA Honda France, par un de ses collaborateurs, procédait à un constat de la présence des véhicules en dépôt et notait des manquants ; que véhicules seront repris par Honda France le 22 août 1994 ; que Honda France demandait à Z de lui indiquer où se trouvaient les manquants en rappelant que les véhicules confiés en "dépôt" ne pouvaient pas être utilisés à d'autres fins que "l'exposition" et ne pouvaient pas être vendus sans son accord préalable ; que le 25 juillet 1994, Françoise X mandait la facturation de véhicules "en dépôt" dont huit seront visés dans la plainte Honda France ; que le 26 juillet 1997, le directeur financier de Honda France, M. Faure répondait à Z que Honda France n'accédait pas à la demande de facturation sauf paiement comptant des 13 véhicules visés dans la demande et que dans la négative Honda France serait amenée à procéder à leur reprise et pour les autres véhicules en dépôt pour lesquels Z n'avait pas voulu signer de contrat de dépôt (3 véhicules sont visés dans la plainte) Honda France entendait procéder à leur reprise et pour les véhicules en dépôt pour lesquels un contrat avait été signé (ne concerne qu'un modèle Civic), ceux-ci restaient confiés à Z ; qu'au 5 août 1994, Honda France mettait Z en demeure de régulariser sa situation sous 30 jours faute de quoi il serait mis fin au contrat de concession ; que le 22 août 1994, Z qui contestait les impayés, tentait de justifier la vente des véhicules en dépôt et estimait que la demande de caution était sans objet compte tenu de la suppression du crédit-fournisseur ; que Honda France, par correspondance du 24 août 1994, demandait à Françoise X de faire savoir où se trouvaient 17 véhiculés dont les 13 objets de la plainte ultérieure ; que le 30 août 1994, Honda France maintenait les termes de sa mise en demeure du 5 août 1994 ; que le 12 septembre 1994, Honda France constatant que la mise en demeure était restée sans effet, notifiait la résiliation du contrat de concession avec effet immédiat ; que Z a été déclarée en liquidation judiciaire le 6 avril 1995 et que le 18 avril 1995, Honda France a déclaré une créance de 2 423 429 F dont 1 260 351 F, correspondant à la valeur des véhicules en dépôt non restitués ; que les contrats de dépôt accompagnant chacun des véhicules "remis" par Honda France à la suite d'une commande individualisée prévoyaient notamment que le véhicule confié en dépôt restait la propriété de Honda France, le concessionnaire ne pouvant s'en dessaisir et nonobstant les dispositions de l'article 14, Honda France se réservait le droit de demander la restitution du véhicule à tout moment qu'il jugerait utile et qu'en cas de cessation du contrat de concession quelqu'en soit la cause, le véhicule en dépôt devrait être immédiatement restitué à Honda France, ce contrat était conclu pour une durée commençant le ... date de prise en charge par le concessionnaire et se déterminant le ... date de restitution du véhicule, cette durée pouvant éventuellement être prolongée par Honda France et que les véhicules pourraient faire l'objet d'une facturation de Honda France au concessionnaire à l'issue du délai de dépôt, sauf reprise du véhicule décidée par Honda France et que le contrat était régi par les articles 1917 à 1948 du Code civil; qu'au mois de juin, Honda adressait à Z une vingtaine de contrats de dépôt concernant des véhicules, pour la plupart déjà livrés, selon Françoise X, contrats que celle-ci n'a pas signés, à l'exception de celui concernant un modèle Civic DS 227.868 ; que Françoise X en concluait qu'en l'absence de "contrat de dépôt" régulier, signé par elle, le préalable nécessaire pour caractériser le début d'abus de confiance faisait défaut ; qu'il est constant que Z savait, dès le début de 1994, que la dénonciation de la caution bancaire était sanctionnante, en vertu du contrat de concession ; qu'elle savait qu'il y avait retrait du bénéfice du crédit-fournisseur de Honda France, l'encours de livraison étant jusque là plafonné à 2 millions de francs et qu'il s'y substituait un "encours de dépôt" dans les mêmes limites ; que dès lors, il importe peu que Z, par sa gérante, n'ait pas signé (à une exception près) les 12 contrats "de dépôt", individualisés, pour chacune des commandes de véhicules, d'autant qu'il n'est pas contesté que Françoise X a "accepté" les véhicules, acceptation démontrée par la réception matérielle de chacun d'eux et par la demande postérieure de facturation ; que "l'acceptation" des véhicules par Françoise X dans le cadre d'un contrat comportant la "remise" par Honda France, l'obligation de demander l'accord préalable de celle-ci lorsqu'un acquéreur passait commande, ce dont Françoise X était informée car elle ne disposait pas du certificat de cession et enfin la restitution ou la représentation du prix versé par l'acheteur constituait le "rapport de confiance" entre les deux parties, lequel était caractérisé par une "remise acceptée", au titre d'un dépôt et mandat de vendre le véhicule en cas d'acceptation du "déposant concédant" ; qu'il était indifférent que le dépôt, en vertu duquel Honda France remettait le véhicule à Z, ne suive pas jusqu'à son terme le régime juridique de l'article 1915 du Code civil puisque seul importe le "rapport de confiance" constitué par une remise et par une acceptation de l'objet "confié" ;

" 1°) alors qu'il est interdit au juge correctionnel, saisi de poursuites du chef d'abus de confiance, de dénaturer les conventions claires qu'il constate avoir été passées entre les parties ; qu'il doit faire bénéficier le prévenu d'une décision de relaxe dès lors que ces conventions excluent formellement que la chose lui ait été remise à titre précaire ; qu'il résulte des propres énonciations de l'arrêt - comme de celles des premiers juges - que le seul acte exprimant en l'espèce la volonté commune des parties est un contrat de concession en date du 6 mars 1992 qui s'analyse en une vente parfaite et que les remises de véhicules au concessionnaire par le concédant ont toutes été opérées antérieurement au 12 septembre 1994, date de résiliation unilatérale de cette convention par la SA Honda, ce qui exclut par là même toute possibilité de détournement de la part du concessionnaire devenu propriétaire des véhicules dès leur remise par le concédant et qu'en refusant, dès lors, de donner effet à la convention de concession qu'elle constatait avoir été passée entre les parties, la cour d'appel a méconnu le principe susvisé ;

" 2°) alors que les conditions auxquelles les parties subordonnent d'un commun accord la modification de leurs rapports contractuels s'imposent au juge correctionnel au même titre qu'au juge civil ; que si l'arrêt a constaté que l'annexe annuelle du contrat de concession signé par les parties le 6 mai 1993 stipulait que, pour la seule garde des véhicules "Concerto" ceux-ci "pouvaient être mis en dépôt-vente chez le concessionnaire pendant une période de 120 jours à charge pour le concessionnaire de les vendre au client final", stipulations susceptibles d'emporter modification du contrat de concession en remettant en cause le principe de la remise par le concédant au concessionnaire en propriété, il a par ailleurs constaté que cette possibilité était expressément subordonnée à la conclusion par les parties d'un contrat de dépôt pour chaque véhicule ; qu'il résulte par ailleurs sans ambiguïté des énonciations de l'arrêt que les contrats de dépôt soumis par le concédant à la signature du concessionnaire (toujours postérieurement à la remise du véhicule), non seulement n'ont jamais été signés par le concessionnaire, mais n'ont jamais été acceptés par lui dans leur principe dès lors que Françoise X n'a cessé de demander à la SA Honda la facturation des véhicules remis et que dès lors, la condition mise par les parties à la modification de leurs rapports n'ayant jamais reçu le moindre début d'application, la cour d'appel ne pouvait sans contradiction déduire l'existence du détournement d'une prétendue modification des relations initiales entre Honda et Z ;

" 3°) alors que les conventions librement consenties par les parties entre elles s'imposent au juge qui, saisi de poursuites pour abus de confiance, n'a pas le pouvoir de relever d'office l'existence de conventions qui n'ont à aucun moment été invoquées devant lui par aucune d'entre elles cependant que celles-ci invoquent l'une et l'autre devant lui l'existence de conventions écrites parfaitement claires ; que la cour d'appel, qui relevait d'une part que les remises de véhicules avaient été opérées en vertu d'un contrat de concession revendiqué par les deux parties en présence et valant vente, et d'autre part que les contrats de dépôts invoqués par la SA Honda n'avaient jamais été acceptés par Z, ce qui impliquait que les conventions initiales n'avaient pas été modifiées, ne pouvait, sans excéder ses pouvoirs, entrer en voie de condamnation du chef d'abus de confiance à l'encontre de la prévenue en faisant état d'un vague "rapport de con fiance" dont l'existence n'était invoquée devant elle par aucune des deux parties en présence ;

" 4°) alors que la cour d'appel, qui constatait expressément que le contrat de concession était demeuré en vigueur jusqu'au 12 septembre 1994, ce qui impliquait que toutes les remises de véhicules avaient été effectuées en application de ce contrat, ne pouvait se saisir du double prétexte que le concessionnaire avait cessé à compter du 31 décembre 1993, de fournir au concédant la caution initialement prévue et de ce que, par suite, la SA Honda avait retiré au concessionnaire le bénéfice du crédit-fournisseur pour décider arbitrairement, en dehors de toute référence à la volonté commune des parties initiale ou postérieure, que les véhicules avaient été remis par le concédant à titre précaire en vertu d'un "rapport de confiance" purement imaginaire;

" 5°) alors que les énonciations de l'arrêt impliquant clairement qu'au cours de l'année 1994 la société concédante et la société concessionnaire se trouvaient en désaccord constant - sauf sur un seul point, mais essentiel, à savoir le maintien entre elles du contrat de concession - la cour d'appel ne pouvait sans contradiction, fonder sa décision sur la fiction de la modification de leurs accords par la conclusion d'un prétendu "rapport de confiance" supposant l'expression d'un nouvel accord de volonté, en l'espèce parfaitement impossible " ;

Attendu que, pour condamner Françoise X, dirigeante de la société Z, concessionnaire de la société Honda France, pour abus de confiance au préjudice de cette dernière, les juges du second degré se prononcent par les motifs repris au moyen;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que la détermination de la nature de la convention, dont la violation caractérise l'abus de confiance, relève de l'appréciation souveraine par les juges du fond de la volonté des parties, la cour d'appel, en l'absence de dénaturation des clauses du contrat, a justifié sa décision tant au regard de l'article 408 ancien que de l'article 314-1 du Code pénal; d'où il suit que le moyen doit être écarté;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme;

Rejette le pourvoi.