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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 23 mars 2000, n° 4018/97

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comauto (SA), Le Dosseur (ès qual.), Ferchal

Défendeur :

Automobiles Citroën (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Fedou

Avoués :

SCP Merle & Carena-Doron, SCP Lissarrague-Dupuis & Associés

Avocats :

Mes Portolano, Poudenx.

T. com. Nanterre, 3e ch., du 17 nov. 199…

17 novembre 1997

FAITS ET PROCÉDURE

Par jugement en date du 1er février 1995, le Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société CNC, concessionnaire Citroën, et désigné Maître Mariani, ancien administrateur provisoire de cette société, en qualité d'administrateur judiciaire.

La société Fercom Finances, dirigée par Monsieur Jean-Claude Ferchal, a présenté au Tribunal une offre de reprise par acquisition du fonds de commerce lequel devait être exploité par une société Comauto que Monsieur Ferchal s'était engagé à créer.

Par jugement en date du 27 mars 1995, le Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence a homologué l'offre faite par Monsieur Ferchal au nom de la société Comauto en voie de constitution, sous réserve de parfait paiement du prix de cession, et a prononcé, au profit de cette société, le transfert du bail des locaux, propriété de la société Automobiles Citroën (ci-après société Citroën) ainsi que du contrat de concession qui liait la société Citroën à la société CNC.

Un appel-nullité a été formé à l'encontre de ce jugement par Messieurs Barral et Scarton, cofondateurs de la SA Soparge, candidate évincée au plan de cession.

Nonobstant ce recours, la société Comauto, en voie de constitution et représentée par Monsieur Ferchal, a pris possession du fonds de commerce le 14 avril 1995 avec l'autorisation de Maître Mariani, désigné en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Après divers échanges de correspondances et estimant que la société Comauto n'était pas en mesure de satisfaire aux conditions du jugement arrêtant le plan de cession et notamment au paiement du prix, la société Citroën a notifié à Monsieur Ferchal, par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 avril 1995, sa décision de résilier, avec effet immédiat, le contrat de concession.

La société Comauto s'étant trouvée dans l'impossibilité d'exploiter le fonds, le Tribunal de Commerce d'Aix-en-Provence, saisi par Maître Mariani, a, par jugement en date du 14 juin 1995, prononcé la caducité du plan de cession consenti à la société Comauto et, par jugement en date du 28 juin 1995, le même Tribunal a agréé l'offre de rachat du fonds de commerce de la société CNC présentée par Monsieur Jean- Paul Sanz, autre candidat à la reprise.

Tenant pour fautive l'attitude de la société Citroën à son égard et pour abusive la résiliation à effet immédiat du contrat de concession, la société Comauto, entre temps constituée a, par acte du 1er août 1995, fait assigner la société Citroën pour obtenir la somme de 20.000.000 F à titre de réparation.

La société Citroën s'est opposée aux prétentions adverses et a formé une demande reconventionnelle en dommages et intérêts.

Par jugement en date du 1er avril 1997 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le Tribunal de Commerce de Nanterre a débouté les parties de leurs demandes respectives, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et condamné la société Comauto aux dépens.

Appelante de cette décision, la société Comauto, placée désormais en liquidation judiciaire et représentée par Maître Armelle Le Dosseur désignée en qualité de mandataire liquidateur, étant précisé que Monsieur Jean-Claude Ferchal entend intervenir volontairement à la procédure, fait grief aux premiers juges d'avoir mal apprécié les éléments de la cause et de n'avoir pas répondu pour l'essentiel à son argumentation. A l'appui de son recours, elle soutient que la société Citroën s'est comportée à son égard, dès le lendemain du jugement arrêtant le plan de cession, comme son cocontractant notamment en manifestant, avec une précipitation fautive, diverses exigences, quand bien même le contrat de concession n'avait pas encore été transféré, et que Citroën n'avait aucune qualité pour former de telles réclamations dont certaines excédaient les conditions de la cession. Elle en veut plus particulièrement pour preuve le fait que, par lettre en date du 13 avril 1993, Citroën l'a mise en demeure d'exécuter en toutes ses dispositions le contrat de concession alors que l'acte de transfert de fonds n'avait toujours pas été rédigé par Maître Mariani qui avait seul la responsabilité de l'établir et que, selon elle, la société CNC était toujours titulaire du contrat puisque le transfert de propriété n'avait pas encore été réalisé et que sa mise en possession provisoire par le Commissaire à l'exécution du plan ne pouvait avoir pour effet de lui conférer un droit définitif sur le fonds. Elle en tire pour conséquence que la société Citroën a rendu ainsi impossible la mise en application du plan de cession et du transfert du contrat de concession et ce, dans le seul but de favoriser son candidat finalement agréé Monsieur Savoy. Elle s'emploie ensuite à démontrer qu'elle-même n'a commis aucune faute et que la caducité du plan de cession, prononcée par le jugement du 14 juin 1995, procède du seul comportement fautif de Citroën qui s'est cru autorisé à dénoncer unilatéralement le contrat de concession dans le contexte sus évoqué.

Eu égard à ces différents moyens, la société Comauto, représentée par son liquidateur, demande que la société Citroën soit condamnée à lui payer la somme de 1.642.064,63 F correspondant au montant de son passif actuel, étant précisé que Monsieur Ferchal, intervenant volontaire, forme une demande personnelle à concurrence du même montant. Enfin Maître Le Dosseur, ès-qualités, réclame à la société Citroën la somme de 250.000 F correspondant aux frais de liquidation.

La société Citroën estime tout d'abord irrecevable l'intervention pour la première fois en cause d'appel de Monsieur Ferchal, tiers à la procédure initiale. Sur le fond, elle réfute point par point l'argumentation adverse et estime qu'aucune faute ne peut lui être imputée. Elle conclut dès lors à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, sauf à voir Maître Le Dosseur et Monsieur Ferchal solidairement condamnés à lui payer la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi qu'une indemnité de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

* Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de Monsieur Ferchal

Considérant qu'il est de jurisprudence constante que l'article 554 du nouveau code de procédure civile ne permet pas à un intervenant en cause d'appel de soumettre à la Cour un litige nouveau et de demander des condamnations personnelles n'ayant pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction ;

- considérant que Monsieur Ferchal intervient pour la première fois en cause d'appel pour réclamer à titre personnel des dommages et intérêts à la société Citroën alors que l'instance principale pendante, opposant la société Comauto à la société Citroën, a pour fondement les fautes prétendument commises par cette dernière qui auraient empêché la mise en œuvre du plan de cession bénéficiant à la société Comauto; que force est cependant de constater que Monsieur Ferchal ne justifie pas de son intérêt à agir dans le cadre de cette instance qui oppose deux sociétés, pas plus qu'il ne précise le fondement de son action personnelle et nouvelle qui n'a aucun lien apparent avec l'action principale, si ce n'est que Monsieur Ferchal aurait été le dirigeant de la société Comauto, ce qui ne lui confère aucun droit personnel à agir en réparation du préjudice prétendument subi par cette société ; que l'intervention volontaire de Monsieur Ferchal, pour la première fois devant la Cour et alors qu'aucune évolution du litige ne la justifie, sera en conséquence déclarée irrecevable ;

* Sur la prétendue responsabilité de la société Citroën

Considérant que la société Comauto prétend, comme il a été dit, que la société Citroën aurait commis une faute en se comportant à son égard, dès le lendemain du jugement portant autorisation de cession à son profit, comme son cocontractant, alors que le contrat de concession n'était pas encore transféré, et que la société Citroën aurait également eu un comportement fautif en résiliant un contrat appartenant encore à la société CNC et en adressant sa lettre de résiliation à la société Comauto au lieu de l'adresser au représentant légal ou judiciaire de la société CNC qui était encore titulaire du contrat; qu'elle en déduit que, tant que le prix de cession n'avait pas été payé, s'agissant d'une condition suspensive prévue par le jugement autorisant le plan, le contrat de concession n'était pas transféré et que la résiliation unilatérale opérée par la société Citroën s'inscrit dans un contexte abusif ;

- mais considérant que cette argumentation ne saurait être suivie ;

- considérant en effet que l'article 87 de la loi du 25 janvier 1985 prévoit que, en exécution du plan arrêté par le Tribunal, l'administrateur passe tous les actes nécessaires à la réalisation de la cession et (que), dans l'attente de l'accomplissement de ces actes, l'administrateur peut, sous sa responsabilité, confier au cessionnaire la gestion de l'entreprise cédée ; qu'il s'infère de la deuxième partie de ce texte que le transfert des droits et obligations résultant des contrats cédés peut, par exception au principe général, prendre effet dès la prise de possession du cessionnaire et non pas seulement à la date de régularisation des actes de cession par l'administrateur, comme il est prétendu par l'appelante ;

- or, considérant qu'il est acquis en la cause que Maître Mariani a mis en possession la société Comauto en cours de constitution et représentée par Monsieur Jean-Claude Ferchal, dès le 14 avril 1995 et que la société Comauto s'est trouvée ainsi investie, dès cette date, de "l'entière responsabilité de la gestion du fonds de commerce" de la société CNC comme il ressort des termes de l'acte de l'administrateur autorisant la prise de possession ; qu'il en résulte que, dès le 14 avril 1995, la société Citroën était fondée à considérer la société Comauto comme son véritable cocontractant et à lui adresser concomitamment un courrier lui demandant "d'exécuter un contrat de concession en toutes ses dispositions dans le délai de 10 jours" et lui rappelant que "cela suppose la mise en place et la justification préalable des moyens y compris les moyens financiers nécessaires au fonctionnement de la concession, compte tenu de sa dimension", ainsi qu'à la mettre en garde dans ce même courrier, contre un risque de résiliation immédiat du contrat en cas d'inexécution de ses obligations; que de même, il ne saurait être reproché à la société Citroën d'avoir adressé le 25 avril 1995 à la société Comauto, et non au représentant de la société CNC, la lettre de résiliation dès lors que, à cette date et comme il a été précédemment constaté, ladite société avait été mise depuis plusieurs semaines en possession du contrat; que, pas davantage il ne saurait être imputé à la société Citroën d'avoir, préalablement à la mise en possession de la société Comauto, adressé à cette dernière des courriers datés des 28 mars et 4 avril 1995, dès lors que ces courriers n'avaient pour objectif que de permettre la mise en œuvre de la cession ordonnée par le Tribunal et de s'assurer d'un certain nombre de justificatifs nécessaires à cette mise en œuvre ; qu'il suit de là que les fautes invoquées à l'encontre de la société Citroën, pour avoir méconnu ou outrepassé le champ contractuel, sont dépourvues de toute réalité ;

- considérant que la société Comauto soutient ensuite que la société Citroën n'avait pour seul objectif que d'empêcher la mise en œuvre du plan de cession ordonné par le Tribunal de Commerce et que cette attitude, qui s'explique par la volonté de favoriser un autre repreneur qui avait son agrément, s'analyse en une fraude au jugement ;

- mais considérant que le contrat de concession a vocation à s'inscrire dans la durée et qu'il doit reposer sur des relations de confiance réciproque entre le concédant et le concessionnaire; que, plus particulièrement, chaque partie doit se montrer à même de satisfaire à ses obligations lorsqu'elle contracte l'engagement et offrir des garanties suffisantes, notamment financières, pour assurer à la bonne marche de l'entreprise commune; que ces obligations subsistent dans le cadre d'un plan de cession, même si le concédant n'a plus le choix de la personne de son cocontractant;

- or considérant qu'en l'espèce, il apparaît des pièces des débats que Monsieur Ferchal, représentant les sociétés Fercom Finances et Comauto, ne disposait pas des moyens financiers dont il s'est prévalu devant le Tribunal de Commerce pour obtenir le contrat de concession en litige;

- considérant tout d'abord que Monsieur Ferchal, au nom de la société Comauto en voie de constitution, a prétendu devant le Tribunal de Commerce, lors de la soumission de son offre, qu'il détenait, par suite "de placements personnels une somme de 13 millions de F qui sont à la disposition de la société Holiday Fercom Finances" dont il était le dirigeant (cf. page 4 du jugement du 27 mars 1995 arrêtant le plan de cession) ; que cette affirmation s'est avérée inexacte puisque l'intéressé n'a pu justifier de la possession des fonds en question ; qu'à cet égard, la lettre d'une société Boysen Investissements Limited domiciliée sur l'Ile de Man, produite en photocopie et non revêtue d'un cachet commercial, selon laquelle un prêt de dix millions de F remboursable sur cinq ans serait consenti par elle à la société Fercom Finances, ne peut avoir aucune valeur probante et démontre de surcroît que la société Fercom Finances ne disposait pas d'une somme de 13 millions provenant de "placements personnels" comme l'a affirmé Monsieur Ferchal devant le Tribunal que, de même Monsieur Ferchal s'est prévalu du produit d'une assurance-vie à hauteur de deux millions de F qui s'est révélé n'avoir aucune réalité, comme le montrent encore les pièces des débats ; qu'au demeurant, c'est au vu de cette situation que Maître Mariani a déposé une requête en caducité du plan de cession et que, par jugement en date du 14 juin 1995 passé en force de chose jugée, le Tribunal a fait droit à cette requête "suite à la défaillance du cessionnaire" ;

- considérant que dans ces conditions il ne saurait être reproché à la société Citroën d'avoir, dans le souci légitime de préserver son outil économique et après avoir constaté que la société Comauto n'était manifestement pas en mesure de satisfaire à ses obligations ainsi qu'aux conséquences du jugement arrêtant le plan de cession et surtout au paiement du prix, prononcé la résiliation à effet immédiat du contrat de concession; que le jugement dont appel sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions, mais partiellement, par substitution de motifs, sans qu'il y ait lieu d'examiner plus avant les autres moyens invoqués par l'appelante, et notamment l'appel-nullité interjeté par les repreneurs évincés qui auraient prétendument retardé le paiement du prix alors que cet appel n'avait aucun effet suspensif et qu'à l'évidence, la société Comauto n'était pas en mesure, comme il a été dit, de disposer des moyens financiers prétendus pour assurer la charge de l'exploitation du contrat de concession ;

* Sur les autres demandes

Considérant que la société Citroën ne rapporte toutefois pas la preuve que la procédure engagée à son encontre a dégénéré en abus de droit; qu'en effet, eu égard à la complexité des données sur le litige, la société Comauto, ou le mandataire liquidateur de celle-ci, ont pu de bonne foi mal apprécier l'étendue de leurs droits ; que la demande en dommages et intérêts formée par l'intimée pour procédure abusive sera rejetée ;

- considérant en revanche, qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Citroën les frais qu'elle a été contrainte d'exposer ; que Maître Le Dosseur, ès-qualités, sera condamné à lui payer une indemnité de 25.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, la demande formée au même titre à l'encontre de Monsieur Ferchal étant rejetée ;

- considérant enfin que Maître Le Dosseur, ès-qualités, qui succombe, supportera ses entiers dépens.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; Déclare irrecevable l'intervention volontaire de Monsieur Jean-Claude Ferchal ; Dit recevable l'appel interjeté par la société Comauto ainsi que l'intervention volontaire de Maître Le Dosseur, désigné en qualité de mandataire liquidateur de la société Comauto, actuellement placée en liquidation judiciaire ; Mais dit cet appel mal fondé et le rejette ; Confirme en conséquence, mais par substitution partielle de motifs, en toutes ses dispositions, le jugement déféré ; Y ajoutant ; Déboute la société Automobiles Citroën de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne Maître Armelle Le Dosseur, ès-qualités, à payer à la société Automobiles Citroën, une indemnité de 25.000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette la demande formée au même titre à l'encontre de Monsieur Ferchal ; Condamne également Maître Armelle Le Dosseur, ès-qualités, aux entiers dépens et Autorise la SCP d'Avoués Lissarrague-Dupuis et Associés, à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.