CA Paris, 5e ch. C, 24 mars 2000, n° 1998-10727
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Wiart (ès qual.), Diffusion Automobile Dunkerquoise (Sté)
Défendeur :
Honda Motor Europe South (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
MM. Bouche, Savatier
Avoués :
SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, Huyghe
Avocats :
Mes Mihailon, Landault.
Par contrat conclu le 16 juin 1986 avec la société anonyme Honda France, la société Diffusion Automobile Dunkerquoise (la société DAD) s'est vue concéder, pour une durée indéterminée et pour un certain nombre de cantons de la région de Dunkerque, la vente des véhicules automobiles de marque Honda ainsi que des pièces de rechange et accessoires. Un nouveau contrat a été conclu le 11 février 1992 excluant le secteur de Calais et lui substituant celui de Saint-Omer.
A partir de 1991, la société DAD a rencontré des difficultés financières qui se sont aggravées, en dépit du fait qu'à compter de mai 1993, elle ait, avec l'accord de la société Honda distribué les véhicules de la marque Skoda. Elle n'a pu satisfaire aux demandes de réactualisation de la caution bancaire émises par la société Honda pour consolider sa structure financière par l'apport de fonds propres.
Devant l'impossibilité de la société DAD de faire face aux échéances de janvier 1994, la société Honda France a procédé le 1er février 1994 à la résiliation avec effet immédiat et sans préavis du contrat de concession.
Le 15 février 1994, la société DAD a été déclarée en redressement judiciaire puis en liquidation judiciaire le 22 février 1994, Maître Wiart étant désigné mandataire liquidateur.
Par acte du 20 octobre 1995, Maître Wiart es qualités a assigné la société Honda France devant le tribunal de commerce de Paris pour rupture abusive du contrat de concession et a demandé la condamnation du concédant à lui payer les sommes de 1.000.000 F et de 320.000 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement du 23 mars 1998, le tribunal a débouté Maître Wiart es qualités de ses demandes et l'a condamné à payer à la société Honda France la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Maître Wiart es qualités a interjeté appel de ce jugement dont il poursuit l'infirmation.
Dans ses dernières conclusions récapitulatives et responsives en date du 28 janvier 2000 auxquelles il est renvoyé, Maître Wiart soutient que la société Honda France a déstabilisé la concession avant de rompre brutalement les relations contractuelles, ce qui a entraîné pour la société DAD un dommage correspondant à la perte d'une année de marge brute et l'a empêchée de céder amiablement son fonds de commerce.
Maître Wiart fait valoir que la société Honda a fautivement retiré ses concours et supprimé son crédit-fournisseur dans une période de baisse du marché automobile sans lui apporter l'aide nécessaire, ce qui a entraîné une baisse de son volume d'affaires et en conséquence de sa trésorerie de sorte qu'elle n'a pu faire face au paiement des échéances.
Il ajoute que dans ce contexte de désengagement financier du concédant, la rupture est intervenue de manière soudaine et déloyale et qu'elle a contraint la société DAD, qui de ce fait n'a pu achever la restructuration financière, à cesser immédiatement son activité.
Il affirme que la décision de résiliation du contrat a été prise avec la volonté délibérée de la société Honda France de s'opposer à la cession de la concession à Monsieur Reumaux avec lequel la société DAD avait signé un protocole de cession des actions de la société et que le concédant a agi afin que la concession soit ensuite transmise à moindre frais à Monsieur Reumaux qu'elle avait agréé.
Maître Wiart es qualités conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la société Honda à lui verser les sommes de 2.588.000 F et 320.000 F à titre de dommages-intérêts, outre celle de 50.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Intimée, la société Honda France demande qu'il lui soit donné acte de ce que depuis le 10 septembre 1999 sa dénomination sociale est Honda Motor Europe (South) SA (sigle HME-S).
Elle conclut dans ses dernières écritures en date du 21 janvier 2000 à la confirmation du jugement déféré, au débouté de Maître Wiart es qualités de mandataire liquidateur de la société DAD et demande à la Cour de le condamner à lui payer la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La société Honda relève le caractère spécieux de la présentation des faits par l'appelant et soutient que la situation de la société DAD et son manque de moyens financiers ont rendu inéluctable la résiliation immédiate du contrat de concession; que la rupture n'a eu aucun caractère abusif et était justifiée par les manquements graves et répétés du concessionnaire à ses obligations de fourniture de garantie et de paiement des échéances. Elle affirme qu'en prorogeant des échéances, elle a accordé au concessionnaire l'aide nécessaire mais qu'au regard des impayés successifs et des demandes de restructuration demeurées vaines, elle a été fondée à rompre le contrat. Elle conteste s'être opposée à la reprise de la concession par Monsieur Reumaux en affirmant que celui-ci n'a renoncé à acquérir les parts sociales de la société DAD qu'en considération des mauvais résultats du bilan. Elle conteste l'existence du préjudice invoqué par la société DAD relevant que compte tenu de sa situation financière la société DAD n'aurait pu en l'absence de résiliation, poursuivre son activité.
Sur ce,
Considérant que par délibération du 2 août 1999 mise aux débats le conseil d'administration de la société Honda France a adopté la résolution portant changement de la dénomination de la société en substituant Honda Motor Europe (South) (avec pour sigle HME-S) à Honda France; qu'il sera donné acte à l'intimée de sa nouvelle dénomination.
Considérant que les moyens développés en appel ne font que réitérer sans aucune justification complémentaire utile ceux dont le tribunal a connus et auxquels il a répondu par des motifs que la Cour adopte.
Considérant que se prévalant des dispositions de l'article 34-1 du contrat de concession conclu avec la société DAD le 11 février 1992, la société Honda constatant l'absence de règlement des échéances des 26,29 et 31 janvier 1994 d'un montant de 374.209,96 F a procédé par lettre recommandée avec avis de réception délivrée le 1er février 1994 à la résiliation immédiate des liens contractuels.
Considérant que la société DAD dont le redressement judiciaire a été ouvert le 15 février 1994 et qui a été mise en liquidation judiciaire le 22 février 1994, impute la détérioration de sa situation financière à l'attitude de la société concédante qui aurait délibérément déstabilisé l'entreprise en lui retirant ses concours dans la conjoncture de baisse sensible du marché automobile survenue en 1993; qu'elle lui reproche d'avoir réduit le crédit-fournisseur qui était accordé en moyenne à hauteur de 1.500.000 F et d'avoir ainsi entraîné la réduction de son stock et de ses capacités de commandes; que cette décision aurait généré une forte baisse des ventes des véhicules et un recul de 60 % de sa marge commerciale sur l'exercice de sorte que l'exploitation est subitement devenue déficitaire du fait des agissements du concédant.
Considérant que la baisse générale de l'activité dans le secteur automobile dès les premiers mois de l'année 1993, a mis en évidence l'extrême faiblesse de la structure financière de la société DAD; que Maître Wiart reconnaît d'ailleurs dans ses écritures la vulnérabilité de la société DAD lorsqu'il indique que "la société DAD était "une entreprise modeste au capital de 50.000 F disposant d'un peu plus de 320.000 F de capitaux propres" et qu'il admet expressément que "son activité était presque entièrement financée par le concédant"; qu'il est évident que ce mode de gestion ne garantit pas une exploitation saine;
que cette situation anormale est à l'origine des difficultés dont a souffert la société DAD, difficultés qui ne relevaient pas de la simple trésorerie mais qui étaient d'ordre structurel; qu'il est démontré que le concédant a appelé l'attention du concessionnaire sur les risques qui pouvaient en découler; qu'à cette fin il lui a demandé, dans un courrier du 18 septembre 1992, de réactualiser la caution bancaire en la faisant passer de 500.000 F à 800.000 F ; que bien qu'ayant donné son accord express le 24 septembre 1992, la société DAD ne l'a cependant jamais fait; que le concédant lui a également demandé le 18 septembre 1992 de réaliser un apport en capitaux propres de l'ordre de 500.000 F à l'occasion de la mise en vente d'un bien immobilier; que l'opération ne s'étant pas réalisée, la société n'a jamais procédé à l'apport convenu.
Considérant que les bilans de la société DAD mettent en évidence l'insuffisance des capitaux propres et le niveau excessif des frais financiers qui absorbent la quasi-totalité du résultat d'exploitation brut;
que la société DAD ne s'est pas vue, comme elle prétend, privée totalement de son crédit-fournisseur puisque si la ligne de crédit a été supprimée en novembre 1993, force est de constater que le relevé de compte de la société DAD arrêté au 31 décembre 1993 qu'elle n'a pas contesté, laisse apparaître un encours de 778.828,00 F supérieur à la caution initiale de 500.000 F jamais réactualisée en dépit des demandes réitérées du concédant;
Considérant que la société DAD affirme de manière inexacte n'avoir reçu aucune aide du concédant; qu'au contraire celui-ci en soulignant le caractère exceptionnel d'une telle mesure lui a accordé le 23 mars 1993 la prorogation au 25 et 30 avril des deux échéances des 31 mars et 1er avril et ce alors que les effets prorogés concernaient des voitures déjà vendues et que sa garantie devenait donc inexistante.
que par ailleurs la société Honda n'a formulé aucune objection à la demande que lui a présentée le 13 mai 1993 que la société DAD pour obtenir l'autorisation de distribuer également les véhicules de la marque Skoda "dans le but d'augmenter ses ventes et d'atteindre sa rentabilité"; que le concédant a ainsi manifesté une écoute attentive aux difficultés de la société DAD dont elle était bien consciente.
Considérant qu'en dépit du fait que la société DAD a disposé de l'augmentation de la ligne de crédit accordée à l'occasion de l'opération commerciale Team 3000, faisant apparaître au 31 juillet 1993 un encours de 1.742.679,85 F, le concessionnaire s'est trouvé dans l'impossibilité d'honorer les échéances d'octobre 1993; qu'il a sollicité de nouvelles prorogations, que le concédant a accepté le report des échéances à novembre 1993 tout en l'informant fermement qu'il n'accepterait plus aucun impayé.
Considérant que la société DAD ne peut donc reprocher à la société Honda qui a constaté que les deux factures prorogées revenaient impayées et que le compte présentait à nouveau un solde débiteur de 287.104,96 F d'avoir le 18 novembre 1993 d'avoir bloqué les livraisons et exigé le règlement immédiat par chèque des sommes dues; qu'il est remarquable que la société DAD a obtenu à nouveau de la part de la société Honda le 29 novembre 1993 un nouveau délai de paiement au 22 décembre 1993; que toutefois en dépit de ces aménagements significatifs d'une aide incontestable du concédant, les échéances de janvier 1994 d'une valeur de 374.209,96 F sont revenues impayées.
Considérant que la société Honda n'a pas en résiliant le contrat agi de manière déloyale à l'égard de son concessionnaire; que par de nombreux courriers d'avertissement elle l'a prévenu qu'elle ne pouvait plus accepter la persistance et la réitération des impayés; que constatant que la société DAD ne disposait plus des actifs nécessaires pour faire face à ses échéances et que son exploitation étant devenue déficitaire, elle a pris des mesures justifiées; qu'en effet il n'est pas anormal lorsqu'un concessionnaire sollicite de manière réitérée des échéances, ce qui équivaut à des impayés, et que les effets prorogés soient à nouveau rejetés, que le concédant exige un règlement comptant des véhicules livrés et des sommes dues, de sorte à limiter les risques.
Considérant que la société Honda justifie avoir à nouveau par courrier du 29 novembre 1993 rappelé en vain à son concessionnaire l'engagement pris le 24 septembre 1992 d'un apport de 200.000 F sur un compte courant bloqué afin d'améliorer sa situation financière et d'éviter tout autre incident de paiement; que la survenance de nouveaux incidents de paiement et le fait que la société DAD n'ait pas procédé fin décembre 1993 à cet apport auquel elle s'était engagée faute d'avoir vendu le bien qu'elle possédait à Calais apportent la preuve indiscutable que les actifs de la société DAD étaient insuffisants pour faire face à ses engagements et que son exploitation était déficitaire du fait des frais financiers excessifs et de la faiblesse de sa structure financière.
Considérant enfin que la société DAD ne peut sérieusement prétendre, en invoquant le seul fait qu'elle avait décidé de réduire sa masse salariale par la suppression du salaire de son dirigeant, avoir engagé une sérieuse restructuration financière, que la décision de rupture du concédant l'aurait empêchée de mener à terme.
Considérant que la notification de la résiliation le 1er février 1994 n'a été ni soudaine ni brutale ni abusive; qu'elle est survenue alors que tout au long de l'année 1993 la société Honda a enregistré 1.424.000 F d'impayés tout en répondant favorablement à plusieurs prorogations d'échéances, tandis que ses demandes justifiées de restructuration se sont avérées vaines; qu'après le prononcé de la résiliation l'interruption de la liaison télématique permettant au concessionnaire de commander des véhicules ni l'envoi d'un collaborateur pour reprendre les clés des véhicules en dépôt, ni la présentation à l'encaissement d'un chèque remis en règlement d'un véhicule confié en dépôt, ne sont critiquables.
Considérant que Maître Wiart soutient encore que la société Honda est fautivement intervenue au détriment de la société DAD dans la négociation que celle-ci avait engagée pour céder les parts sociales à Monsieur Reumaux avec lequel un protocole avait été élaboré sur la base de 250.000 F;
Considérant que ce protocole avait fixé à une valeur de 76,3 6 % des capitaux propres de la société le prix de cession définitive des parts de la société DAD; que le bilan au 31 décembre 1993 fait apparaître que les capitaux propres de la société DAD étaient négatifs à hauteur de 917.245 F; qu'il découle de ces indications chiffrées que la cession n'était pas réalisable dans les termes du protocole; qu'il est vain pour Maître Wiart de prétendre établir un lien entre la décision de résiliation prise par la société Honda et l'échec de la cession des parts sociales de la société DAD; que Monsieur Reumaux a précisé dans le courrier du 31 janvier 1994 qu'il a adressé au dirigeant de la société DAD que si les parties s'étaient fixées comme date de signature du protocole de vente des actions le 31 janvier 1994, c'était "sous réserve de pouvoir conforter son choix et la valeur sur les bases du bilan arrêté au 31 décembre 1993 dont il ne disposait pas à cette date"; qu'ayant eu communication le 5 février 1994 par l'expert comptable de la société DAD des premiers chiffres du bilan qui lui ont permis de constater une perte de 324.000 F et un passif de 1.300.000 F, déduction faite de l'actif réalisable, Monsieur Reumaux a fait connaître par courrier du même jour au dirigeant de la société DAD qu'il renonçait au rachat de la concession au vu de ces "résultats alarmants";
Considérant que la preuve est ainsi rapportée que la notification de la résiliation du contrat de concession par la société Honda n'a eu ni pour objet ni pour effet de compromettre le projet de cession à Monsieur Reumaux de la société DAD, le fait que Monsieur Reumaux ait été informé, de la résiliation du contrat de concession, à l'initiative de la société DAD elle-même, n'ayant eu aucune influence sur la décision qu'il avait prise de ne pas donner suite à son projet en raison des résultats de la société DAD ; que les allégations de Maître Wiart selon lesquelles la rupture des liens contractuels serait intervenue pour des considérations d'opportunité étrangères à l'exécution du contrôle et relèveraient de la volonté d'épargner les moyens financiers de Monsieur Reumaux, qu'elle avait agréé comme futur concessionnaire lors de l'établissement du protocole de cession des actes de la société DAD, ne sont pas démontrées.
Considérant que Maître Wiart es qualités n'est pas fondé à soutenir que la société Honda a commis une faute en résiliant le contrat de concession; que le concédant a tiré les conséquences de la défaillance de son concessionnaire conformément aux dispositions contractuelles; que pour ces motifs et ceux des premiers juges que la Cour adopte, il y a lieu de confirmer la décision du tribunal et de débouter Maître Wiart de toutes ses demandes.
Considérant que Maître Wiart es qualités qui succombe et qui sera condamné au paiement des dépens ne peut prétendre au bénéfice de dommages-intérêts ou à l'attribution de sommes au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Considérant qu'il serait en revanche inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel; que Maître Wiart es qualités sera condamné à payer à la société Honda Motor Europe South à ce titre la somme de 20.000 F.
Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevable l'appel formé par Maître Wiart es qualités de mandataire liquidateur de la société Diffusion Automobiles Dunkerquoise ; Donne acte à la société Honda France de ce que sa nouvelle dénomination est société Honda Motor Europe South ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Condamne Maître Wiart es qualités de mandataire liquidateur de la société Diffusion Automobiles Dunkerquoise à payer à la société Honda Motor Europe South la somme de 20.000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs. Condamne Maître Wiart es qualités de mandataire liquidateur de la société Diffusion Automobiles Dunkerquoise au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.