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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 2 juillet 1997, n° 95-0006883

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Union des brasseries (SNC), Brasseries Heineken (SA)

Défendeur :

Sève d'Oc (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

M. Derdeyn, Mme Ilhe-Delannoy

Avoués :

Me Rouquette, SCP Touzery-Cottalorda

Avocats :

SCP Coste, Me Merlin.

T. com. Montpellier, du 13 sept. 1995

13 septembre 1995

FAITS ET PROCÉDURE :

Par acte sous seing privé du 8 novembre 1988 Deveze Jacques et Coulazou Simone qui exploitaient le bar " L'Arlequin " à Montpellier concluaient un contrat d'approvisionnement exclusif avec la société Sève d'Oc.

Par acte sous seing privé du 8 avril 1992 Deveze Jacques et Coulazou Simone cédaient le débit de boissons à la société DM'S Bar.

Le prix de cession était fixé à 750.000 F payé à concurrence de 600.000 F à l'aide d'un prêt consenti par l'Union Bancaire du Nord.

La société Union des Brasseries aux droits de laquelle est venue la SA Brasseries Heineken s'est portée caution à hauteur de 30 % des engagements de la société DM'S Bar à l'égard de l'Union Banciare du Nord.

En contrepartie de cet engagement de caution, la société DM'S Bar souscrivait avec la société Union des Brasseries un contrat d'approvisionnement exclusif portant sur différentes bières.

La société Sève d'Oc assignait en responsabilité contractuelle la société DM'S Bar pour inexécution de ses engagements d'achats exclusifs.

Par arrêt du 6 février 1997 la Cour d'Appel de Montpellier a condamné l'EURL DM'S Bar à payer à la société Sève d'Oc la somme principale de 37.593,85 F HT au titre de pénalité pour rupture fautive du contrat.

Parallèlement la société Sève d'Oc assignait sur le fondement de l'article 1382 du Code civil la société Union des Brasseries par devant le Tribunal de Commerce de Montpellier pour la voir condamner à lui payer des dommages et intérêts en réparation de son préjudice occasionné par le manque de loyauté dans la pratique des affaires.

Par jugement en date du 12 avril 1994 le Tribunal de Commerce de Montpellier a ordonné une expertise confiée à Monsieur Prouzet.

Après le dépôt du rapport de l'expert la même juridiction a, par jugement en date du 13 septembre 1995, condamné la société Union des Brasseries à payer à la société Sève d'Oc la somme de 167.000 F en réparation du préjudice subi et celle de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Le 18 octobre 1995 la société Union des Brasseries a relevé appel de cette décision.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

La société Brasseries Heineken venue aux droits de la société Union des Brasseries demande à la Cour de réformer la décision déférée, de débouter la société Sève d'Oc de ses demandes, ou à titre très subsidiaire de fixer à 37.593,85 F le montant du dommage subi, et de la condamner à lui payer la somme de 20.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

A l'appui de ses prétentions la société Brasseries Heineken soutient que lors de la conclusion du contrat d'achat exclusif la société Union des Brasseries ignorait que la société DM'S Bar était liée par un autre contrat de même nature avec la société Sève d'Oc, que surtout elle n'a commis aucune faute en souscrivant avec la société DM'S Bar un autre contrat de fourniture exclusive et qu'enfin, à titre subsidiaire, le préjudice subi par la société Sève d'Oc ne peut excéder ce qui a été fixé par l'arrêt du 6 février 1997 dans la procédure entre la société DM'S Bar et la société Sève d'Oc.

La société Sève d'Oc demande à la Cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Brasseries Heineken à lui payer la somme principale de 167.000 F et celle de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, d'accueillir son appel incident et de condamner la société Brasseries Heineken à lui payer la somme de 200.000 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 10.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel.

Au soutien de ses demandes la société Sève d'Oc fait valoir que la société Union des Brasseries ne pouvait ignorer le contrat d'achats exclusifs qui la liait avec la société DM'S Bar et qu'elle s'est rendue complice, en utilisant des moyens déloyaux, de la rupture de ce contrat.

La société Sève d'Oc soutient que, outre son préjudice économique justement évalué par les premiers juges, elle a subi un autre préjudice important puisque les pratiques employées par la société Union des Brasseries sont de nature à faire disparaître les entrepositaires et les fournisseurs locaux de boissons.

DISCUSSION :

Il convient tout d'abord de replacer le débat dans le cadre judiciaire qui est le sien : à savoir la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle de la société Union des Brasseries du fait qu'elle a fait souscrire un contrat d'approvisionnement exclusif à la société DM'S Bar déjà liée par un tel contrat à la société Sève d'Oc.

Il convient donc de déterminer successivement si la société Union des Brasseries a commis une faute et dans l'affirmative, si cette faute a créé un préjudice à la société Sève d'Oc.

C'est de façon erronée que la société Brasseries Heineken, aux droits de la société Union des Brasseries, soutient qu'elle ignorait l'existence du contrat de fourniture exclusive liant la société Sève d'Oc et la société DM'S Bar.

En effet, si le contrat portant cession du fonds de commerce entre Deveze J. - Coulazou S. et la société DM'S Bar, contrat auquel est intervenu la société Union des Brasseries, porte en page 40 une mention selon laquelle le débitant (société DM'S Bar) certifie être libre de tout engagement contraire à celui d'achat exclusif qu'il signe, il stipule également, en page 56, que le cessionnaire (la société DM'S Bar) s'engage à reprendre les contrats d'approvisionnement souscrits par le cédant (Deveze-Coulazou) avec la société Sève d'Oc.

Une telle contrariété de mentions, outre la responsabilité éventuelle du rédacteur de l'acte, aurait du attirer l'attention de la société Union des Brasseries, professionnel et même spécialiste de ce genre de contrat, et l'amener à obtenir toutes les précisions nécessaires. En ne sollicitant aucune explication elle démontrait que l'existence ou non d'un autre contrat d'achat exclusif antérieur ne lui importait pas.

L'effet relatif des contrats rend inopposable à la société Union des Brasseries devenue Brasseries Heineken la convention conclue entre la société DM'S Bar et la société Sève d'Oc. La société Union des Brasseries ne pouvait cependant y porter atteinte par des moyens déloyaux.

Le seul fait pour un concurrent de conclure, même en parfaite connaissance de cause, un contrat d'approvisionnement exclusif, avec un commerçant déjà lié par un tel contrat à une autre société ne constitue pas une faute pour celui qui propose le nouveau contrat, puisque le commerçant démarché ne peut ignorer qu'il devra subir les conséquences de la rupture du premier contrat d'approvisionnement et il lui appartient, en homme prudent et avisé, de se déterminer.

A défaut d'établir que la société Union des Brasseries ait fait autre chose que de proposer et d'obtenir un contrat d'approvisionnement exclusif contre des engagements financiers, ce qui reste du domaine normal de la concurrence, même s'il y a connaissance d'un contrat antérieur de même type avec une autre société, la société Sève d'Oc ne démontre pas que la société Union des Brasseries ait commis des actes déloyaux constitutifs d'une faute engageant sa responsabilité.

Par ailleurs, il n'appartient pas à la Cour d'envisager dans un cadre général, le résultat de telles pratiques sur l'organisation du marché de la fourniture des boissons aux débitants.

Il y a donc lieu de réformer la décision déférée et de débouter la société Sève d'Oc de ses demandes.

Ni la situation économique des parties ni l'équité ne commandent de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, En la forme, reçoit l'appel, Au fond, Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau, Déboute la société Sève d'Oc de l'ensemble de ses demandes, Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Sève d'Oc aux entiers dépens de première instance et d'appel. Dit que ces derniers pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.