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Décisions

CA Paris, 25e ch. B, 3 octobre 1997, n° 95-12577

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Vendôme immobilière investissements (SARL)

Défendeur :

Lucas

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pinot

Conseillers :

M. Cailliau, Mme Maestracci

Avoués :

SCP Annie Baskal, SCP d'Auriac-Guizard

Avocats :

Mes Guilleric, Wasselin.

T. com. Melun, du 24 avr. 1995

24 avril 1995

LA COUR statue sur l'appel relevé par la société Vendôme immobilière investissements, ci-après Vendôme, du jugement du Tribunal de commerce de Melun, assorti de l'exécution provisoire, rendu le 24 avril 1995, qui l'a condamnée à payer à M. Jean-Louis Lucas les sommes de 26 300 F à titre d'indemnité de préavis, 78 900 F à titre d'indemnité de fin de contrat avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, 5 000 F à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive ainsi qu'une indemnité de procédure de 4 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Il convient de se référer aux énonciations du jugement pour l'exposé des faits de l'espèce, des prétentions et des moyens des parties en première instance. Il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

M. Lucas a souscrit, le 18 mai 1992, avec la société Vendôme un contrat d'agent commercial, soumis à la loi du 25 juin 1991, prévoyant une rémunération à la commission.

Le litige est né à la suite d'un dossier ouvert par M. Lucas en août 1993, relatif à la SCI Les Lilas, nonobstant le règlement par la société Vendôme de ses commissions du mois de septembre 1993, incluent celle concernant la SCI Les Lilas.

La société Vendôme impute la responsabilité de la rupture du contrat à M. Lucas, tandis que celui-ci la rejette sur la société Vendôme, qui ne pouvait lui reprocher, selon lui, ni ses résultats, ni ses absences du mois d'octobre 1993 puisqu'elle avait mis fin à son contrat.

Les premiers juges ont relevé que M. Lucas avait été brusquement remercié à la suite du conflit intervenu entre les cocontractants, justifiant l'allocation d'une indemnité de préavis et une indemnité de rupture.

Ils ont estimé que le niveau moyen de rémunération de M. Lucas, de 13 150 F par mois, était le reflet d'une activité peu importante, comme le confirme l'obtention de 31 mandats en 18 mois de service ; qu'ainsi l'indemnité de rupture ne devait pas dépasser six mois de collaboration effective de l'intéressé avec la société Vendôme.

Ils ont toutefois accordé à M. Lucas des dommages-intérêts en raison des conditions vexatoires de la rupture intervenue.

Appelante, la société Vendôme conclut à l'infirmation du jugement, au prononcé de la résiliation du contrat aux torts exclusifs de M. Lucas et à la condamnation de celui-ci à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre 10 000 F d'indemnité de procédure en application de l'article 700 du NCPC.

Elle fait valoir principalement que :

Les résultats obtenus par M. Lucas étaient très faibles, et que celui-ci s'est abstenu de se présenter à l'agence à compter du 1er octobre 1993,

Les commissions dues à M. Lucas lui ont été réglées avant même que celui-ci n'adressât sa sommation à la société Vendôme,

Aucune lettre de la société Vendôme n'a été envoyée à M. Lucas pour lui signifier la rupture de son contrat, cette dernière incombant à M. Lucas lui-même.

Intimé, et appelant incidemment, M. Lucas conclut à la réformation du jugement et à la condamnation de la société Vendôme à lui payer une indemnité de fin de contrat correspondant à deux années de commissions, soit la somme de 324 000 F, avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 1995. Il sollicite la confirmation du jugement pour le surplus, outre la condamnation de la société Vendôme à lui payer la somme de 10 000 F à titre d'indemnité de procédure en application de l'article 700 du NCPC.

Il maintient que la responsabilité de la rupture du contrat incombe exclusivement à la société Vendôme, dont les manquements se sont manifestés à son égard par le règlement tardif de ses commissions du mois d'octobre 1993, par son attitude déterminée, le 1er octobre 1993 et au cours de ce mois, marquant son initiative dans la rupture du contrat.

Il estime que ses absences, à partir du mois d'octobre 1993, ne peuvent lui être reprochées dans la mesure où la société Vendôme avait exercé des pressions sur lui dès le 1er octobre 1993 pour qu'il soit mis fin à son contrat d'agent commercial, et alors, au surplus, qu'il disposait d'une totale liberté pour organiser son activité et qu'il n'avait pas à informer la société de ses absences.

Il soutient qu'il remplissait normalement ses obligations professionnelles en réalisant des ventes, tout en admettant que son volume de transactions n'était pas exceptionnel.

S'agissant d'un mandat d'intérêt commun il n'a pas, selon lui, à établir de préjudice pour réclamer une indemnité de rupture correspondant à deux années de commissions. La société Vendôme doit, du point de vue de M. Lucas, apporter la preuve que le préjudice réellement subi par lui est inférieur à deux années de commissions pour justifier une moindre indemnisation.

La société Vendôme maintient que l'initiative de la rupture du contrat revient à M. Lucas, alors qu'aucun élément n'indique qu'elle est intervenue le 1er octobre 1993, la seule lettre du 20 octobre 1993 émanant de la société Vendôme n'ayant pour objet que d'indiquer à M. Lucas qu'il ne s'était pas présenté dans les locaux de la société depuis le 1er octobre 1991.

Elle soutient par ailleurs que M. Lucas ne relève pas de la loi du 25 juin 1991 relative au statut des agents commerciaux mais de la loi du 2 janvier 1970 concernant les agents immobiliers, applicable aux intermédiaires. Elle rappelle que M. Lucas n'a créé aucune clientèle qui lui soit propre, s'étant borné à signer des mandats de vente pour le compte de la société Vendôme. Ainsi, sauf à établir un abus de la part de la société Vendôme dans la rupture du contrat qui la lie à son agent, aucune indemnité ne doit être versée à M. Lucas.

M. Lucas réplique en indiquant que, dans le cadre de son contrat, il n'avait pour mission que de prospecter des vendeurs, acheteurs, propriétaires et locataires pour le compte de la société Vendôme, et de s'efforcer d'obtenir la signature de mandats et le respect des engagements des parties. Il était indépendant de la société Vendôme et le contrat du 18 mai 1991, conclu dans l'intérêt commun des parties, se référait expressément à la loi du 25 juin 1993.

La société Vendôme indique enfin, dans ses dernières conclusions, que M. Lucas ne justifie pas d'un quelconque préjudice pour réclamer une indemnité de rupture et ne fait état d'aucune perte de clientèle.

Sur quoi, LA COUR,

Considérant que le " contrat d'agent commercial immobilier " signé par les parties le 18 mai 1992 confère à M. Lucas le statut d'agent commercial, non seulement par le visa de la loi du 25 juin 1991 mais surtout en raison de son activité de prospection de clientèle, de son mode de rémunération et de l'indépendance totale dont il disposait dans l'exercice de son activité ;

Qu'en effet, aux termes de ce contrat, " il organise son activité comme il l'entend. Il n'a pas à informer l'agence de ses absences, il n'est pas tenu à une obligation de présence, d'horaire, il n'existe aucun lien de subordination entre l'agent commercial et l'agence. " ;

Considérant que les conditions dans lesquelles est intervenue la rupture du contrat, à la suite d'un conflit entre les parties sur l'imputation et le paiement de commissions dues pour le mois de septembre 1993, finalement versées dans leur intégralité par chèque établi le 15 octobre 1993, caractérisent un manquement manifeste de la part de la société Vendôme, qui en réglant, avec un léger retard, son agent des commissions réclamées par lui, sans émettre de réserve, en a reconnu le bien fondé ;

Considérant qu'il est constant que la rupture du contrat, consommée le 20 octobre 1993, justifie, par sa brutalité et son défaut de justification sérieuse, le versement à M. Lucas des indemnités auxquelles il doit pouvoir prétendre, soit son indemnité de préavis et son indemnité de rupture;

Considérant que l'indemnité de rupture est destinée à compenser la perte de la clientèle et le manque à gagner pendant le temps nécessaire à la constitution d'une nouvelle clientèle ;

Considérant que l'évaluation de cette indemnité de rupture ne peut être fixée à deux années de commissions du fait de la brièveté de la durée d'exécution du contrat, des résultats obtenus et de la faible clientèle constituée pendant ce délai par M. Lucas, ainsi que de l'absence d'investissement effectivement réalisé par l'intimé pour la développer ;

Considérant qu'en fixant cette indemnité à l'équivalent de six mois de chiffre d'affaires, les premiers juges ont fait une exacte appréciation du préjudice effectivement subi par M. Lucas ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement sur ce point ;

Considérant que la brutalité de la rupture du contrat, qui ne peut se justifier par une faute grave de M. Lucas, doit donner lieu à l'allocation de dommages-intérêts ;

Qu'il convient de confirmer également, de ce chef, le jugement déféré ;

Considérant que l'équité et la situation économique de M. Lucas justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du NCPC et que la société Vendôme soit condamnée à lui verser à ce titre la somme de 3 000 F ;

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Condamne la société Vendôme immobilier investissements à payer à M. Jean-Louis Lucas la somme de 3 000 F en application de l'article 700 du NCPC, Condamne la société Vendôme immobilier investissements aux dépens d'appel, qui seront recouvrés directement par la SCP d'Auriac Guizard, avoué, conformément à l'article 699 du NCPC.