CA Paris, 5e ch. A, 12 novembre 1997, n° 94-25725
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dorys (SARL), Benezra, Esnault, Dargent (ès qual.)
Défendeur :
Intexal (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Vigneron
Conseillers :
Mmes Jaubert, Percheron
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarenne, Me Kieffer-Joly
Avocats :
Mes Meresse, Paul.
Par déclaration remise au secrétariat-greffe le 2 novembre 1994, la SARL Dorys, Maurice Benezra et Patricia Esnault ont interjeté appel du jugement du 3 octobre 1994 par lequel le Tribunal de Commerce de Paris les a condamnés solidairement à payer à la SA Intexal la somme de 1 471 558,11 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1993 mais dit que la condamnation de Maurice Benezra et de Patricia Esnault est limitée en principal à la somme de 1 200 000 F majorée de 10 % au titre de la clause pénale sous réserve de l'extinction de leur engagement de caution hypothécaire enfin les a déboutés de leur demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts et les a condamnés chacun à verser à la société Intexal la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Les appelants et Me Dargent qui est intervenu à l'instance en qualité de représentant des créanciers de la société Dorys puis de liquidateur judiciaire de cette société exposent que la société Intexal a conclu avec la société Dorys deux contrats de franchise pour la distribution respectivement de ses produits homme et de ses produits femme sous la marque " Rodier " mais que le franchiseur est à l'origine de l'échec commercial de la société Dorys pour avoir, surestimé de 24 % à 57 % le chiffre d'affaires des trois premières années dans son étude prévisionnelle, pour n'avoir pas maîtrisé le compte de la franchise Rodier/homme et fourni à la société Dorys les moyens commerciaux nécessaires en vue de mettre en œuvre ce contrat de franchise de sorte qu'il est responsable de sa rupture anticipée trois ans avant le terme convenu et pour avoir rompu brutalement le 21 avril 1993 la " ligne de découvert " de 1 000 000 F environ qu'il avait accordée à la société Dorys au titre du règlement des factures alors que la dette de cette société s'élevait seulement à 1 038 199,71 F.
Les appelants et Me Dargent concluant à l'infirmation du jugement déféré, demandent :
- de condamner la société Intexal à payer la somme de 2 817 828 F à titre de dommages et intérêts en réparation du manque à gagner par rapport à l'étude prévisionnelle,
- de prononcer la résiliation des contrats de franchise Rodier homme et Rodier femme aux torts exclusifs de la société Intexal et en conséquence de condamner cette société à payer la somme de 3 594 036 F représentant la perte de marge brute jusqu'au terme des contrats,
- de dire que le montant de ces condamnations portera intérêts aux taux légal avec capitalisation des intérêts échus à compter du 10 janvier 1994 date des conclusions déposées en première instance,
- de déclarer nul par application des articles 1110 et 1116 du Code Civil, l'acte de nantissement du fonds de commerce de la société Dorys en date du 1er février 1991 et le cautionnement hypothécaire de Maurice Benezra et de Patricia Esnault en date du 20 octobre 1992 au profit de la société Intexal,
- enfin, de condamner la société Intexal à payer la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La société Intexal conclut à la confirmation du jugement dont elle reprend les motifs sauf à substituer à la condamnation de la société Dorys la fixation de sa créance au passif de cette société à la somme de 1 471 558,11 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1993.
Sur le fond du litige
Considérant que la société Intexal qui bénéfice d'une licence exclusive de la marque " Rodier ", a par deux actes sous seing privé datés du 27 juin 1990 et du 10 septembre 1990, autorisé la société Dorys d'exploiter sous le régime de la franchise, un fonds de commerce sis à Reims, 25/27 de l'Étage, à l'enseigne " Rodier " en vue de distribuer ses produits sous les marques " Rodier " et " Rodier/Hommes " ;
Que ces contrats conclus pour une durée de 5 ans, peuvent être résiliés par le franchiseur notamment, en cas de retard de paiement de franchise et de non régularisation de sa situation dans le mois d'une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception ;
Considérant que pour garantir le règlement des factures du franchiseur, échues ou non, la société Dorys lui a, par acte enregistré le 1er février 1991, consenti un nantissement sur son fonds de commerce susvisé à hauteur de 1 000 000 F et Maurice Benezra et Patricia Esnault lui ont, par acte notarié du 20 août 1992, consenti une hypothèque sur leur immeuble à Reims, 55 rue David pour une somme de 1 200 000 F en principal outre intérêts, indemnités, frais et accessoires, pendant une durée de deux ans ;
Considérant que le 1er août 1992, les parties ont d'un commun accord, résilié le contrat de franchise concernant la distribution des produits de marque " Rodier/Hommes " ainsi qu'il résulte d'une lettre de la société Dorys du 10 septembre 1992 ;
Considérant que par lettre recommandée du 21 avril 1993 avec avis de réception, la société Intexal a mis en demeure la société Dorys de lui payer la somme de 1 337 780,10 F à titre de solde de factures de fourniture de marchandises, dans un délai d'un mois et lui a rappelé qu'à défaut de règlement dans ce délai, elle entendait se prévaloir de la clause résolutoire ;
Considérant que cette mise en demeure étant restée sans effet, la société Intexal a rompu les relations contractuelles par courrier du 3 juin 1993 ;
Considérant que les moyens développés ci-dessus par les appelants et Me Dargent pour imputer la responsabilité de cette rupture à la société Intexal sont dépourvus de pertinence ;
Considérant sur le caractère irréaliste du chiffre d'affaires prévu par la société Intexal au regard de celui réalisé, que conformément à son obligation contractuelle, cette société a établi un compte prévisionnel d'exploitation des franchises pour les trois premières années mais que seul le compte de la première année peut être utilement retenu ;
Qu'en effet, l'exécution des contrats de franchise a débuté réellement le 1er octobre 1990 selon les écritures des appelants et de Me Dargent, que la société Dorys a dressé un compte de résultats à la fin de chaque année civile et que le contrat de franchise concernant les produits Rodier/Hommes a pris fin le 1er août 1992 ;
Considérant que la société Intexal a prévu un chiffre d'affaires de 4 215 851 F la première année alors que celui réalisé au cours de l'année 1991 par la société Dorys s'est élevé à la somme de 3 691 390 F ce qui fait apparaître une surestimation de l'ordre de 14 % seulement qui est admissible;
Qu'en effet cette étude de marché a été faite à titre indicatif selon les stipulations contractuelleset qu'elle est nécessairement approximative compte tenu que sa fiabilité dépend d'éléments inconnus du franchiseur, tels la conjoncture économique et les capacités de gestion du franchisé;
Considérant que la défaillance du franchiseur dans la mise au point du concept " Rodier/Hommes " que les appelants ne produisent aucun élément objectif pour justifier leur allégation et qu'il y a lieu de constater que le contrat de franchise a été résilié ;
Considérant que sur la rupture brutale du crédit accordé par la société Intexal que cette société a seulement accordé à la société Dorys des délais de paiement à 90 jours et le mois pour tous ses achats et que le 21 avril 1993, elle s'est contentée de demander le règlement de ses factures devenues exigibles ;
Qu'enfin, la société Intexal était en droit de suspendre ses livraisons en février 1993 compte tenu de la dette importante de la société Dorys qui s'élevait alors à plus de 1 200 000 F puis de mettre en jeu la clause résolutoire après avoir délivré en vain une mise en demeure de régler ses factures ;
Qu'eu égard à l'ensemble de ces éléments c'est à bon droit que le tribunal a débouté la société Dorys de sa demande en paiement de dommages et intérêts et a accueilli la demande de la société Intexal contre cette société en paiement du solde non contesté de ses factures majorée de la clause pénale convenue égale à 10 % de ce montant ;
Considérant que la société Intexal ayant régulièrement déclaré sa créance entre les mains de Me Dargent ès qualités conformément aux termes du jugement attaqué, il convient de la fixer au montant retenu par le tribunal mais de dire que les intérêts moratoires doivent être arrêtés au 14 février 1995 date du jugement d'ouverture du redressement judiciaire de la société Dorys, et ce, par application des articles 48 et 55 de la loi du 25 janvier 1985 ;
Considérant que les appelants et Me Dargent doivent être déboutés de leur demande tendant à faire déclarer nuls le nantissement et l'hypothèque conventionnelle consentis à la société Intexal sur le fondement des articles 1110 et 1116 du Code Civil relatifs aux vices de consentement faute d'établir et même d'alléguer des fautes de nature à caractériser de tels vices de consentement ;
Qu'en conséquence, le jugement ne peut donc qu'être confirmé des chefs de condamnations prononcées contre Maurice Benezra et de Patricia Esnault sur le fondement de l'hypothèque conventionnelle ;
Considérant qu'eu égard aux circonstances de la cause, il paraît inéquitable de laisser à la charge de la société Intexal ses frais non répétibles à concurrence de la somme de 30 000 F soit 10 000 F chacun à la charge de la société Dorys, de Maurice Benezra et de Patricia Esnault ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré à l'exception de la condamnation de la SARL Dorys au profit de la SA Intexal qui doit être remplacée par la fixation de la créance de cette société au passif de la SARL Dorys à la somme de 1 471 558,11 F avec intérêts au taux légal à compter du 21 avril 1993 jusqu'au 14 février 1995 et à la somme de 10 000 F au titre des frais non répétibles ; Déboute la SA Intexal de sa demande complémentaire en paiement de ses frais non répétibles ; Condamne Me Dargent pris en qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Dorys, Maurice Benezra et Patricia Esnault aux dépens de première instance et d'appel ; Et pour ceux d'appel, accordé un droit de recouvrement direct au profit de Me Kieffer-Joly.