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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 8 janvier 1998, n° 5186-95

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Garage de la Barre (SARL), Hamamouche (ès qual.), Canet (ès qual.)

Défendeur :

Rousseau Enghien (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Maron

Avoués :

SCP Keime & Guttin, SCP Gas, SCP Lambert-Debray-Chemin

Avocats :

Mes Loitron, Gayraud, Houillon.

T. com. Pontoise, 1re ch., du 21 mars 19…

21 mars 1995

FAITS ET PROCEDURE

La société Namont était concessionnaire de la marque Citroën à Montmorency (95). Depuis 1972, elle avait comme agent distributeur de la même marque la société Garage de la Barre, établie à Deuil La Barre (95).

A la fin de l'année 1989, la société Namont a entendu mettre fin aux relations contractuelles.

Estimant cette rupture abusive et imputant à la société Namont des actes de concurrence déloyale, la société Garage de la Barre a saisi le Tribunal de Commerce de Pontoise d'une demande en dommages-intérêts.

La société Namont a formé une demande reconventionnelle pour obtenir réparation du préjudice que lui aurait occasionné la société Garage de la Barre en continuant notamment à utiliser abusivement, après la rupture du contrat, le panonceau Citroën.

Par jugement en date du 21 mars 1995 auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal a débouté les parties de leurs prétentions respectives et a condamné le Garage de la Barre à payer à la société Namont une indemnité de 12 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

Appelante de cette décision, la société Garage de la Barre lui fait grief de ne pas avoir pris en considération les éléments de preuve qu'elle avait apportés aux débats et d'avoir mal apprécié les circonstances de la rupture.

En ce qui concerne les actes de concurrence déloyale, elle soutient essentiellement qu'il suffit de se référer aux attestations qu'elle produit, pour constater que, depuis plus de 15 ans, elle était victime des agissements dolosifs de la société Namont qui intervenait directement auprès de sa clientèle dans le seul but de se l'approprier et de se passer des services de son agent. Elle ajoute qu'elle n'avait aucune possibilité de dénoncer ces agissements aussi longtemps qu'elle était sous contrat, en raison notamment de la dépendance économique dans laquelle elle se trouvait par rapport à son concessionnaire.

Elle fait encore valoir que les faits qu'elle dénonce ne sauraient être atteints, même partiellement, par la prescription, contrairement à ce qu'à estimé le premier juge.

En ce qui concerne la rupture des relations contractuelles, elle fait valoir qu'elle était liée par une succession de contrats à durée déterminée à la société Namont, comme l'avait exigé abusivement celle-ci dans le seul but de masquer des relations contractuelles continues. Elle déduit de là que cette pratique doit être sanctionnée comme le prévoit désormais la loi de 1991 applicable aux agents commerciaux et à leurs mandants et comme en décidaient déjà antérieurement de nombreuses juridictions. Elle demande en conséquence, à la Cour de :

- dire qu'elle était liée à la société Namont par un mandat d'intérêt commun à durée indéterminée ;

- constater que la société Namont a mis fin abusivement et sans raison valable aux relations contractuelles ;

- dire que depuis 1975 et en tout cas depuis un temps non prescrit, la société Namont a commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale ;

- condamner en conséquence la société Namont, devenue société Rousseau Enghien, à lui payer :

* au titre de la concurrence déloyale et du détournement de clientèle, la somme de 1 500 000 F

* au titre de la rupture abusive du contrat, une indemnité globale de 5 979 318 F

* outre la somme de 1 495 864 F au titre du préjudice " découlant de la suspicion de la part de la clientèle "

Soit au total : 8 975 182 F

- dire que ces sommes produiront intérêt à compter du jour de l'assignation ;

- condamner la société Namont, devenue Rousseau Enghien, à lui payer une indemnité de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

- la condamner également aux entiers dépens.

La société Namont, désormais SA Rousseau Enghien, réfute point par point l'argumentation adverse et conclut à la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions, sauf à voir fixer sa créance sur ladite société qui fait l'objet actuellement d'une procédure de redressement judiciaire à 72 000 F, soit 12 000 F au titre de l'article 700 accordée en première instance, 20 000 F sur le même fondement pour les débours qu'elle a été contrainte d'exposer devant la Cour et 40 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure et recours abusifs. En réplique, elle fait essentiellement valoir qu'elle a régulièrement mis fin à un contrat à durée déterminée, précédé de contrats de même type, comme elle s'en était expressément réservé la faculté, et que cette rupture, assortie d'un délai de préavis suffisant, ne saurait lui être imputée à faute. En ce qui concerne les allégations relatives à de prétendus actes de concurrence déloyale, elle les estime dépourvues de tout fondement, et non étayées par des documents probants.

Enfin, il convient de relever que Maître Hamamouche, désigné en qualité d'administrateur judiciaire de la société Garage de la Barre et Maître Canet désigné en qualité de représentant des créanciers de ladite société sont intervenus régulièrement aux débats, le premier faisant siennes les écritures de son administrée et le second s'opposant seulement à la demande de fixation de créance pour des dommages et intérêts formée par la société Rousseau Enghien, fixation qu'il estime non justifiée, étant précisé que pour le surplus Maître Canet entend " s'en rapporter à justice ".

MOTIFS DE LA DECISION

- Sur la rupture des relations contractuelles

Considérant que le concessionnaire peut mettre fin sans indemnité à un accord de distribution conclu pour une durée déterminée avec un de Ses agents à la double condition toutefois, de respecter un délai de préavis suffisant et que les circonstances de la rupture ne se révèlent pas abusives ;

Considérant qu'en l'espèce, les relations entretenues entre la société Namont, concessionnaire Citroën et son agent, la société Garage de la Barre étaient régies depuis 1972 par des contrats successifs d'une durée d'une année, prévoyant qu'à chacune des échéances annuelles un nouveau contrat pourrait être conclu, sauf si l'une des parties signifiait à l'autre, trois mois au moins avant l'expiration de la convention en cours, son intention de ne pas conclure un nouveau contrat ;

Considérant que, par lettre recommandée en date du 22 septembre 1989, la société Namont a informé la société Garage de la Barre qu'elle n'entendait pas conclure un nouveau contrat après l'échéance du dernier contrat, afférent à la période du 1er janvier 1989 au 31 décembre 1989 ;

Considérant que la société Garage de la Barre entend voir qualifier cette rupture de fautive en invoquant l'utilisation abusive par le concessionnaire d'une succession de contrats à durée déterminée qu'elle demande à la Cour de requalifier en un unique contrat à durée indéterminée et en se référant à la théorie du mandat d'intérêt commun ; que de même l'appelante entend contester le motif de rupture invoqué par la société Namont ;

Mais considérant que si un accord cadre de distribution a pour vocation de s'inscrire dans la durée, aucune disposition légale n'interdit aux parties d'avoir recours à une succession de contrats à durée déterminée pour régir leurs relations, dès lors que, comme en l'espèce, chacun des contrats à durée déterminée prévoyait expressément la possibilité de conclure un nouveau contrat ; qu'il n'en serait autrement que si le concessionnaire mettait un terme, sans motif légitime, aux relations contractuelles après une courte période de mise en œuvre interdisant ainsi à l'agent d'amortir ses investissements, ce qui n'est pas le cas en la cause, dans la mesure où lesdites relations se sont poursuivies pendant 18 ans ; que, de même, les contrats successifs ne sauraient être requalifiés en un contrat unique à durée indéterminée du seul fait qu'ils n'ont pas tous été signés à leurs échéances annuelles du 31 décembre ; qu'en effet, même si les pièces des débats révèlent que certains contrats ont été régularisés postérieurement à leur échéance, cette régularisation a toujours été faite avec effet rétroactif de sorte que toute la période des relations litigieuses a été couverte par une chaîne ininterrompue de contrats, conformément à la commune intention des parties ; qu'il ne saurait être davantage soutenu, pour voir requalifier les relations contractuelles, que celles-ci se seraient poursuivies postérieurement à l'échéance du dernier contrat alors qu'il ressort des éléments de la cause qu'une procédure a, peu de temps après, opposé la société Namont à la société Garage de la Barre pour utilisation abusive par cette dernière, du panonceau " Citroën " et que la société Garage de la Barre a été condamnée sous astreinte à cesser toute utilisation de la marque, ce qui montre bien que, contrairement à ce qui est allégué, la société Namont n'entendait pas voir se poursuivre le contrat après son terme ;

Considérant qu'il en résulte que la société Namont était parfaitement en droit, conformément au contrat qui fait la loi des parties, de mettre fin aux relations contractuelles en respectant le préavis de trois mois, décision qu'elle était libre de prendre pour des motifs économiques qui lui sont propres tenant, si l'on se réfère aux correspondances antérieures échangées entre les parties, à une trop grande proximité des deux garages;

Considérant que la société Garage de la Barre ne saurait davantage se référer, pour prétendre à une indemnité de rupture, à la loi du 25 juin 1991 qui n'est pas applicable en la cause, compte-tenu de la date de la rupture, pas plus qu'à la théorie du mandat d'intérêt commun, dans la mesure où il apparaît des pièces comptables produites, que l'activité de vente de véhicules neufs de marque Citroën, ne présentait qu'un caractère accessoire par rapport à l'activité de réparation de véhicules de toutes marques et à la vente de véhicules d'occasion qui ne relevait pas directement du contrat d'agence</srong>;

Considérant enfin que la société Garage de la Barre ne rapporte pas la preuve qui lui incombe qu'elle se trouvait au moment de la rupture, dans une situation de dépendance économique par rapport à la société Namont et qu'elle ne disposait pas notamment de solution équivalente lui permettant de réorienter immédiatement ses activités, soit en s'adressant à un autre fournisseur, soit en mettant l'accent sur ses autres activités essentielles de réparation et de vente de véhicules d'occasion ;

Considérant que, dans ces conditions, le jugement dont appel sera confirmé mais partiellement par adjonction et substitution de motifs, en ce qu'il retenu que la société Namont devenue Rousseau Enghien a régulièrement mis fin aux relations contractuelles conclues pour une durée déterminée, conformément aux prévisions du contrat, et que la société Garage de la Barre ne pouvait prétendre à aucune indemnité de rupture ;

- Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que la société Garage de la Barre soutient, comme il a été dit, que la société Namont prospectait depuis de nombreuses années directement sa clientèle dans le seul but de se l'approprier ; qu'elle appuie ses dires sur plusieurs attestations émanant de clients et sur une lettre adressée à Mademoiselle Tourmillon ;

Mais considérant qu'aucune de ces attestations, toutes libelléEs de façon quasi-identique, ne saurait valoir preuve de la réalité des faits allégués ; qu'en effet, lesdites attestations ne font état que d'informations envoyées aux personnes dont s'agit quant aux services offerts par le concessionnaire de la marque Citroën ; qu'aucune d'elles ne décrit de façon circonstanciée des actes de démarchage précis ou des sollicitations pressantes qu'aurait effectués la société Garage Namont ; que, de même, la lettre-circulaire adressée le 12 janvier 1988 à Mademoiselle Tourmillon la félicitant d'avoir acheté un véhicule Citroën et lui annonçant qu'elle recevrait, deux fois par an, gratuitement, le magazine " L'automobiliste " ne comporte aucune tentative de détournement de celle clientèle ; qu'elle s'inscrit au contraire, dans l'action normale d'un concessionnaire pour valoriser la marque qu'il représente dans le secteur concédé, cette démarche publicitaire, de même que celle faite auprès des clients qui ont rédigé les attestations, étant au contraire de nature à bénéficier à l'activité commerciale de l'agent chargé d'un sous-secteur ; qu'au demeurant, s'il en avait été autrement, il ne fait aucun doute que la société Garage de la Barre n'aurait pas attendu quinze jours pour se plaindre de ces agissements prétendument anticoncurrentiels et qu'elle aurait, pour le moins, envoyé des lettres de protestation à son concessionnaire ; qu'en réalité, il apparaît que ces faits ne sont invoqués que pour alimenter le contentieux de la rupture ;

Considérant que, dans ces conditions, le jugement dont appel sera encore confirmé, en ce qu'il a rejeté les prétentions de la société Garage de la Barre du chef de prétendus actes de concurrence déloyale :

- Sur les autres demandes

Considérant que la société Namont, devenue Société Rousseau Enghien ne rapporte pas la preuve que la procédure engagée par la société Garage de la Barre aurait dégénéré en abus de droit ; qu'elle sera déboutée de la demande en dommages et intérêts qu'elle forme de ce chef ;

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais qu'elle a été contrainte d'exposer tant en première instance qu'en cause d'appel ; que sa créance au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile sur la société appelante sera fixée à 12 000 F pour les frais de première instance et à 10 000 F pour les frais d'appel ;

Considérant enfin que l'appelante, qui succombe, supportera les entiers dépens ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ; - Reçoit la société Garage de la Barre en son appel et Maître Charles-Henri Hamamouche ainsi que Maître Patrick Canet, respectivement désigné en qualité d'administrateur judiciaire et de représentant des créanciers au redressement judiciaire de ladite société, en leurs interventions ; - Dit l'appel mal fondé ; - Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré sauf, eu égard à la procédure collective en cours, en ce qu'il a prononcé condamnation au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile à l'encontre de la société Garage de la Barre ; - Infirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, - Fixe la créance de la société Garage Namont devenue société Rousseau Enghien au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, au passif de la société Garage de la Barre, à 12 000 F pour les frais de première instance et à 10 000 F pour les frais d'appel ; - Rejette le surplus des prétentions de la société intimée ; Condamne l'appelante aux entiers dépens et autorise les avoués en cause concernés, à poursuivre directement le recouvrement de la part les concernant comme il est dit à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.