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Décisions

CA Rennes, 2e ch., 1 avril 1998, n° 9703321

RENNES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Lambert (SA)

Défendeur :

Loiret, Disgit (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

MM. Van Ruymbeke, Poumarede

Avoués :

Mes Chaudet & Brebion, D'Aboville & de Moncuit-St-Hilaire

Avocats :

Mes Pigassou, Cornet.

T. com. Nantes, du 10 avr. 1997

10 avril 1997

EXPOSE DES FAITS - PROCEDURE - OBJET DU RECOURS

Par contrat du 1er avril 1977, la société Lambert a confié à Jean Loiret un mandat " technique après vente ". Le 9 mars 1978, la société Lambert a signé avec la société Horo-Quartz un accord sur la fabrication de produits en commun.

Le 19 janvier 1987 a été immatriculée la société Disgit, SARL gérée par Jean Loiret, qui deviendra concessionnaire de la société Horo-Quartz.

Des difficultés étant apparues entre la société Lambert et la société Horo-Quartz (ces deux sociétés étant devenues concurrentes), la société Lambert, par lettre du 1er juin 1993, mettait fin à ses relations avec Jean Loiret.

Par jugement rendu le 10 avril 1997, le tribunal de commerce de Nantes a cependant condamné la société Lambert à payer aux établissements Loiret 320.000 F à titre de dommages-intérêts, pour rupture du contrat d'agent commercial, outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation, avec exécution provisoires, ainsi que 5.000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Sur ce dernier fondement, la société Lambert a également été condamnée à payer à la société Disgit 10.000 F.

Par acte du 5 mai 1997, la société Lambert a formé appel de ce jugement.

MOYENS PROPOSES PAR LES PARTIES

A l'appui de son appel, la société Lambert fait valoir que :

- la société Horo-Quartz a recruté comme concessionnaires ses mandataires techniques et débauché des membres de son réseau commercial,

- la société Disgit a détourné sa propre clientèle au profit de la société Horo-Quartz,

- M. Loiret ne bénéficiait d'aucun mandat d'intérêt commun et il n'avait aucune activité commerciale, assurant seulement le service après-vente et la fourniture de pièces détachables,

- le contrat ne visait que les ventes remontantes, dites passives (matériel de remplacement, adjonctions et accessoires), ces ventes ne s'adressant exclusivement qu'aux clients possédant déjà un matériel de la même marque,

- M. Loiret n'a créé aucune clientèle et l'a au contraire détournée au profit de la société Disgit,

- la rupture ne présente pas la caractéristique d'avoir été brusque puisqu'elle a fait suite à de longues tractations et elle est justifiée par une cause légitime due à la confusion entre les deux activités de la société Lambert,

- la loi du 25 juin 1991 ne peut s'appliquer car elle vise les contrats conclus après son entrée en vigueur et ceux en cours à compter du 1er janvier 1994.

En conséquence, la société Lambert demande à la cour de déclarer la société Disgit coupable de concurrence déloyale et d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant du préjudice. Enfin elle réclame à Jean Loiret et la société Disgit 50.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Jean Loiret et la société Disgit font valoir que :

- la société Lambert lui avait à la fois confié une mission technique et une mission commerciale, celui-ci percevant des commissions sur les ventes passives,

- Jean Loiret a constitué, au vu et au su de la société Lambert, la société Disgit afin précisément d'éviter la confusion (entretenue par la société Lambert),

- en 1993 la société Lambert a débauché deux de ses salariés, ce qui lui a causé un préjudice de 500.000 F,

- la société Lambert a rompu abusivement le mandat d'intérêt commun,

- Jean Loiret subit un préjudice s'élevant à un total de 1.600.000 F, lié à la perte des contrats d'entretien, des mises en service, des commissions sur le matériel vendu et de diverses prestations.

Ils concluent à la confirmation de la décision déférée sur l'imputabilité de la rupture, mais sollicitent 1.780.000 F de dommages-intérêts outre les intérêts au taux légal à compter de l'assignation. Ils demandent enfin 10.000 F chacun par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRET

La qualification du contrat

Considérant qu'aux termes du contrat signé le 1er avril 1977, la société Lambert a confié à Jean Loiret un mandat de représentation des produits Lambert en sus d'une mission technique spécifique auprès des clients de la société Lambert ; qu'en effet, s'il était chargé d'intervenir sur les installations de marque Lambert, il était également chargé d'assurer des prestations commerciales et de vendre du matériel Lambert auprès de ces clients ; qu'il percevait sur ces ventes une commission de 20 % ;

Considérant qu'il était expressément précisé sur le contrat que Jean Loiret exerçait une activité " commerciale ", portant sur " les ventes remontantes (ventes passives) " (matériel de remplacement, adjonction accessoires) ; qu'il n'importe, pour la qualification du contrat, que ces ventes ne s'adressaient qu'aux clients possédant déjà un matériel de la même marque, puisque les parties trouvaient un intérêt commun à la conservation et au maintien de cette clientèle ;

Considérant que la société Lambert et Jean Loiret contribuaient ainsi par leurs activités réciproques et leur collaboration suivie à l'obtention et à l'accroissement d'un résultat constitutif d'un bien commun ; que le contrat avait pour finalité de développer la vente dans un secteur donné et de réaliser, dans l'intérêt des deux parties, un chiffre d'affaires de plus en plus important ; que toutes deux y avaient un intérêt et y trouvaient des avantages financiers ;

Considérant que la société Lambert précisait d'ailleurs à Jean Loiret, dans un courrier du 30 décembre 1985, que le travail commercial serait confié désormais à un agent technico-commercial recruté par M. Loiret, compte tenu du développement du secteur géographique qui lui était confié ; que cet agent devait suivre un " programme de démarchage prospection " ; que, dans ce même courrier, la société Lambert précisait à Jean Loiret : " notre objectif est maintenant de développer de façon intensive notre activité en Bretagne dans notre intérêt commun " ;

Considérant de même que, dans un autre courrier adressé par la société Lambert à Jean Loiret, celle-ci lui précisait qu'un concessionnaire ne pouvait en même temps représenter deux marques concurrentes et qu'elle était déterminée à être " commercialement " présente dans la région prospectée par lui ; qu'elle reconnaissait ainsi elle même expressément qu'il exerçait pour son compte une activité commerciale ;

Considérant ainsi que les parties étaient liées par un mandat d'intérêt commun ;

La rupture du contrat

Considérant au préalable que la société Lambert ne peut reprocher à Jean Loiret d'avoir travaillé pour le compte de la société Horo-Quartz alors qu'elle est à l'origine du rapprochement avec cette société ; que la société Horo-Quartz et la société Lambert ont en effet travaillé ensemble et édité des plaquettes communes ;

Considérant par ailleurs que la société Lambert ne démontre nullement que Jean Loiret, à travers la société Disgit, ait détourné sa clientèle en faveur de la société Horo-Quartz, devenue entre temps son concurrent ; que Jean Loiret a informé dès le 11 février 1987, soit aussitôt après la création de la société Disgit, la société Lambert de cette création, lui indiquant expressément qu'elle avait pour rôle d'assurer la concession commerciale Horo-Quartz avec l'appui commercial de Lambert ;

Considérant qu'il précisait conserver à son nom l'activité technique Lambert et Horo-Quartz et l'activité commerciale Lambert ; qu'ainsi la demande d'expertise est inutile, faute de détournement de clientèle,

Considérant que ce courrier précise que le but était de fournir aux clients " un service complet aussi bien en Lambert qu'en HQ ", la réussite reposant sur la complémentarité des deux sociétés ; que cependant, la rupture ultérieure entre ces deux entreprises a posé des problèmes aux concessionnaires ainsi qu'en atteste le compte-rendu d'une réunion qui s'est tenue le 21 mars 1991 ;

Considérant qu'en réponse à ce compte-rendu, la société Lambert écrivait à Jean Loiret le 15 avril 1991 qu'elle partageait son point de vue " qu'il était possible de définir une collaboration et une gamme de produits entre Horo-Quartz et Lambert " ; qu'elle ajoutait continuer à œuvrer en ce sens en espérant qu'une solution se dégagerait dans un avenir proche ;

Considérant que le 13 avril 1992, la société Lambert rappelait cependant au mandataire qu'il ne devait rien vendre pour la concurrence, ce qui posait la question de ses relations avec la société Horo-Quartz ; que, le 4 novembre 1992, la société Lambert écrivait à M. Loiret qu'elle était d'accord pour que la société Loiret et la société Disgit continuent à diffuser les produits à la seule condition de " séparer correctement les noms de Horo-Quartz et Lambert " ;

Considérant que, le 27 avril 1993, la société Lambert proposait à Jean Loiret plusieurs solutions afin de sortir de l'impasse et d'éviter toute confusion dans l'esprit de la clientèle entre elle et la société Horo-Quartz ; qu'elle manifestait le souci légitime de parvenir à une solution claire permettant aux deux entreprises de poursuivre leur propre stratégie, précisant que faute d'un " accord précis ", elle prendrait ses responsabilités ; qu'elle avait déjà fait des propositions le 16 octobre 1992 ;

Considérant cependant que les tractations engagées n'allaient pas aboutir ; qu'en effet, le 18 mai 1993, la société Lambert écrivait à Jean Loiret qu'en dépit de différents courriers et entretiens, celui-ci n'avait pas apporté de réponse concrète à la difficulté - réelle - résultant de la situation de la société Horo-Quartz dont il continuait à commercialiser des produits devenus concurrents ;

Considérant qu'elle lui proposait un statut de revendeur privilégié, lui permettant d'obtenir une remise de 30 % sur l'ensemble des produits de son catalogue ; qu'elle manifestait le souhait de maintenir des liens technico-commerciaux ;

Considérant que la rupture du contrat de mandat par la société Lambert le 1er juin 1993 résulte ainsi du fait que Jean Loiret exerçait une activité commerciale pour le compte d'un concurrent, la société Horo-Quartz, et que le maintien de cette activité n'était plus compatible avec le mandat; que la société Lambert avait un motif légitime pour révoquer M. Loiret - qui n'a assigné que 18 mois plus tard -, en raison de l'évolution de la situation économique et de ses propres relations avec la société Horo-Quartz qui s'étaient détériorées ;

Considérant qu'elle n'a commis aucun abus lors de la révocation, puisqu'elle a engagé durant les mois précédents des négociations avec M. Loiret et envisagé diverses solutions auxquelles celui-ci n'a pas donné suite, préférant continuer à travailler pour le compte de la société Horo-Quartz devenue concurrente de son mandant, situation incompatible avec le mandat reçu de la société Lambert ;

Considérant enfin qu'à aucun moment M. Loiret ne s'est plaint auprès de son mandant du débauchage de salariés ; que la société Lambert l'avait informé par courrier du 4 novembre 1992, dans un souci de loyauté, du souhait de M. Dulieu de travailler directement avec elle ; que M. Loiret, qui indique que ces deux salariés, MM. Morit et Thelohan, ont démissionné puis été embauché par la société Lambert, ne démontre cependant pas l'existence d'une faute imputable à son mandant ; qu'il ne justifie pas s'être plaint auprès de son mandant du débauchage de salariés ;

Considérant ainsi que les demandes de M. Loiret et de la société Disgit seront rejetées ;

Considérant qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée ; que M. Loiret et la société Disgit, qui échouent en instance d'appel, ne sont pas fondés à réclamer le remboursement de leurs frais irrépétibles et supporteront la totalité des dépens ;

Considérant qu'au vu de la discussion qui s'est instaurée, il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de la société Lambert les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, infirme le jugement déféré, Rejette l'ensemble des demandes.