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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 18 décembre 1998, n° 1997-01214

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ventura

Défendeur :

de Neuville (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Bouche

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Goirand

Avocats :

Mes Meresse, Gast.

T. com. Paris, 6e ch., du 21 oct. 1996

21 octobre 1996

LA COUR statue sur l'appel formé par Mme Monique Toussaint épouse Ventura d'un jugement prononcé le 21 octobre 1996 par le tribunal de Commerce de Paris, qui l'a déboutée de sa demande en réparation d'un préjudice né de l'exécution par la société de Neuville, le franchiseur, d'un contrat de franchise les liant, qui a débouté la société de Neuville de sa demande d'indemnisation de préjudice, qui a condamné Mme Ventura à payer à cette dernière la somme de 2 792 F au titre d'un écart de redevance, et qui a autorisé, à la demande des parties, la résiliation du contrat à compter du jugement sans indemnité de part et d'autre, en partageant par moitié les dépens sans accueillir les demandes formées en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les Premiers Juges ;

Il suffit de rappeler que Mme Ventura reproche à sa CCO-contractante de l'avoir fait s'engager sur des analyses et études de marché erronées et d'avoir manqué à son devoir d'assistance ; le tribunal a dit que la société de Neuville avait mené son étude avec diligence, que l'analyse optimiste du chiffre d'affaires prévu pour le magasin à implanter à Millau, avait été formulée sur la base d'un examen sérieux, et que le mauvais chiffre d'affaires réalisé était imputable à une modification défavorable des facteurs locaux de commercialité ; les premiers juges ont rejeté la demande du franchiseur en relevant que ce dernier avait accepté par courrier du 10 décembre 1993 que la franchisée se fournisse en produits extérieurs.

Mme Ventura, appelante, reprend devant la Cour son moyen tiré de l'étude prévisionnelle grossièrement erronée qui lui a été remise en vue de la signature du contrat intervenue le 10 novembre 1992 ; insistant sur le fait que le franchiseur a reconnu cette erreur par courrier du 20 décembre 1993, et soulignant que les études remises sont l'une des expressions du savoir-faire du franchiseur, Mme Ventura qui affirme que le franchiseur a totalement manqué à ses obligations, d'assistance et de conseil, prie la Cour, après infirmation du jugement des chefs qui lui sont défavorables, de reconnaître la faute contractuelle, de prononcer à compter du 1er janvier 1996, la résiliation du contrat aux torts exclusifs de cette dernière, et de la condamner aux remboursements et paiements suivants :

- 59 999 F HT au titre du droit d'entrée ;

- 100 000 F sauf à parfaire au titre du montant provisionnel des redevances forfaitaires revalorisées ;

- 149 403 F au titre des pertes subies ;

- 481 157,72 F au titre de la marge brute qu'elle avait vocation à réaliser jusqu'à l'expiration du contrat

le tout avec intérêts au taux légal courus à compter de l'assignation valant mise en demeure, outre la capitalisation des intérêts ;

- enfin, 50 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Formant appel incident du chef de ses demandes reconventionnelles, la société de Neuville demande à la Cour de prononcer la résiliation du contrat de franchise aux torts et griefs exclusifs de Mme Ventura, à compter du 1er janvier 1996 et de la condamner à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral d'atteinte à l'image, et matériel, de pertes sur les ventes, outre celle de 30 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile.

A ces fins, elle fait siens les motifs des premiers juges, affirme avoir rempli l'ensemble de ses obligations contractuelles lesquelles ne comprennent que des obligations de moyen et non de résultat ; elle dénie en outre avoir manqué à son obligation d'assistance et de conseil et reproche à sa CCO-contractante de s'être approvisionnée en produits autres que ceux prévus par le contrat de franchise.

Sur ce, la Cour :

Considérant que le principal reproche fait au franchiseur concerne les chiffres prévisionnels fournis pour les trois premières années d'exploitation, qui doivent être rapprochées de ceux réalisé par Mme Ventura ; que cette comparaison met en lumière les éléments suivants :

Année Prévisions Réalisations %

1999 CA 486 KF CA 246 KF 50 %

résultat net 90 KF résultat net -16 KF

1994 CA 570 KF CA 186 KF 32 %

résultat net 113 KF résultat net -61 KF

1995 CA 694 KF CA 191 KF 27 %

résultat net 147 KF résultat net -68 KF

Considérant que pour attribuer à Mme Ventura la responsabilité de la non-réalisation de ces prévisions, la société de Neuville ne peut utilement exciper de la non-participation de Mme Ventura aux stages qu'elle a organisés ; qu'en effet, bien qu'elle démontre par des attestations d'autres franchisés, l'utilité de ces stages contractuellement prévus, elle établit que c'est seulement à partir de l'année 1994 que cette franchisée a cessé toute participation ; que ce fait est donc sans incidence sur la réalisation en 1993, d'un chiffre d'affaires égal à la moitié de celui qu'elle avait prévu.

Considérant que le tableau de statistiques produit par la société de Neuville, se divise en trois catégories de villes, celles de grande, de moyenne et de petite importance ; qu'il vise une moyenne de 742 KF en 1993 pour les villes de l'importance de Millau, ce qui s'avère totalement erroné dès lors qu'il ne compare que 25 villes alors qu'il résulte de ses propres affirmations pré-contractuelles qu'en 1993, le réseau comptait 82 magasins franchisés, que le tableau aurait donc dû porter sur l'ensemble des résultats.

Considérant qu'en revanche, la société franchiseur fait utilement état d'une moyenne nationale de 600 KF calculée par la Cour de ce siège dans le cadre d'une autre instance pour l'année 1994 soit pour une année durant laquelle la baisse du chiffre d'affaires de Mme Ventura et l'augmentation du chômage et la baisse de population à Millau se sont accentués ; qu'elle en déduit logiquement que la prévision pour l'année 1993 d'un chiffre d'affaires de 486 KF concernant cette ville, s'avérait raisonnable comme nettement inférieure à la moyenne ; qu'en outre, ce chiffre doit être rapproché de ceux obtenus en 1993 et 1994 à Vaison la Romaine (619 et 702 KF), ville où la population n'est que de 5 600 habitants.

Considérant qu'enfin, il ressort de l'étude intitulée " comptage et pondération " qui a été effectuée par la société de Neuville et communiquée à Mme Ventura dans les conditions de la loi du 31 décembre 1989 et de son décret, que " l'indice de richesse vive " a été considéré comme normal, que " l'indice dit d'environnement " a été estimé bon, que l'accessibilité du magasin a été qualifiée de normale et que la situation concurrentielle a été jugée moyenne en 1992 et que ces éléments ne sont pas en contradiction avec ceux relevés deux ans plus tard par la Chambre de Commerce et d'Industrie de Millau, la fermeture des magasins, les difficultés économiques de l'industrie de la peausserie, l'augmentation significative du taux de chômage et l'effondrement de la route principale d'accès à la ville, étant des événements tous survenus postérieurement à l'étude provisionnelle fournie à Mme Ventura.

Qu'il y a lieu d'en déduire que l'étude susvisée a été sérieusement menée, qu'elle a abouti à des prévisions qui n'étaient grossièrement erronées eu égard à la moyenne nationale et que l'atteinte à 50 % des objectifs fixés, n'a pas pour cause des erreurs de calcul de la société franchiseur, l'évolution économique constatée ayant pu participer à ces résultats ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris de ce chef.

Considérant que si le franchiseur est contractuellement tenu à une obligation d'assistance et de conseil, il ne peut lui être reproché d'avoir décliné les demandes de livraison sans paiement alors qu'il démontre par les lettres versées au dossier, avoir régulièrement rendu visite à la franchisée et lui avoir même accordé une fois des délais de paiement ; que les retards de livraison dont elle fait état ne sont pas suffisamment importants pour motiver l'application de l'article 1184 du Code Civil ; qu'ainsi, aucun des griefs faits à la société de Neuville, n'est établi.

Considérant que de son côté, cette dernière ne démontre pas la réalité d'un approvisionnement en produits autres que ceux référencés par la société franchiseur, qui aurait revêtu un caractère fautif ; qu'en effet, les premiers juges ont relevé à juste titre que cette dernière avait donné son accord express de ce chef.

Considérant qu'ainsi, aucune des parties ne justifiant d'éléments établissant que l'autre a gravement contrevenu à ses obligations contractuelles, il est nécessaire de prononcer la résiliation judiciaire à compter rétroactivement du 1er janvier 1996 en suivant en cela la volonté commune des parties de voir mettre fin au contrat à compter de cette date, le jugement étant réformé de ce seul chef.

Considérant que le paiement complémentaire de redevances ordonné par le tribunal pour la somme de 2 792 F procède de l'exécution normale du contrat de franchise lequel prévoyait le calcul de royalties sur le chiffre d'affaires global de la franchisée ; que la confirmation du jugement entrepris sera ordonnée sur ce point.

Considérant qu'étant donné le sort de l'appel, il apparaît nécessaire de partager par moitié entre les parties, les dépens exposés devant les deux degrés de juridiction, en déboutant chacune d'elles de ses demandes en dommages-intérêts et de celles formées tant devant le Tribunal que devant la Cour, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions la décision déférée à l'exception de celle qui a autorisé, à la demande des parties, la résiliation du contrat à compter du prononcé du jugement. Statuant de nouveau de ce seul chef ; Vu les demandes communes des parties, Prononce la résiliation du contrat à compter du 1er janvier 1996, sans torts de part et d'autre ; Déboute les parties de leurs demandes incompatibles avec la motivation ci-dessus retenue, en ce comprises celles formées devant la Cour en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure civile ; Fait masse des dépens d'appel, les partage par moitié entre les parties et admet pour les dépens d'appel seulement, et dans cette même et dernière proportion, les titulaires d'un Office d'avoué de la cause, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.