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Décisions

CA Lyon, 3e ch., 10 septembre 1999, n° 95-07616

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lyonnaise de Développement Commercial (SA)

Défendeur :

Saez Distribution (SARL), Dubois (ès qual.), Saez (Epoux).

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bailly

Conseillers :

Mme Martin, M. Ruellan

Avoués :

Me Ligier de Mauroy, SCP Junillon-Wicky

Avocats :

Mes Rambaud Martel, Ben Soussen.

T. com. Lyon, du 5 oct. 1995

5 octobre 1995

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES

Monsieur René Saez, qui avait été salarié de la société anonyme Docks de France Cofradel depuis l'année 1964 et qui était à ce titre devenu directeur d'un supermarché en janvier 1991, a constitué en 1992, avec son épouse, Madame Martine Saez, une société à responsabilité limitée dénommée Saez Distribution, en vue de l'exploitation en franchise d'un magasin à l'enseigne Eco Service dans le centre commercial des Célestins à Oullins.

Le contrat de franchise, conclu à cet effet le 20 août 1992 avec la société Cofradel, pour une durée de cinq années à compter du 4 septembre suivant, attribuait au franchisé la jouissance de l'enseigne Eco Service, déterminait le territoire sur lequel la société franchisée bénéficiait d'une exclusivité, mettait à la charge du franchiseur les obligations d'assurer la formation du personnel recruté par le franchisé, de lui assurer une assistance commerciale, technique et administrative, de prendre en charge la promotion des produits vendus, de livrer les marchandises nécessaires au prix de revient net (prix d'achat majoré des frais de transport et diminué du montant des remises obtenues des fournisseurs) et de verser à la société franchisée une subvention d'ouverture de 50 000 F hors taxes. La société franchisée s'engageait notamment pour sa part à assurer en toute indépendance l'exploitation de son commerce, à l'équiper des matériels conseillés par le franchiseur, à respecter la charte Eco Service, à pratiquer une politique de prix " discount " conforme au concept Eco Service, à s'approvisionner en marchandises auprès de la société Docks de France Cofradel, et à appliquer le plan promotionnel annuel établi par cette dernière, en contribuant à son financement par le paiement d'une participation égale à 0,60 % du chiffre d'affaires mensuel. Il était par ailleurs convenu, dans ce contrat, d'une obligation de concertation mutuelle, des modalités de paiement des marchandises fournies, du versement par le franchisé d'une redevance égale à 1,50 % du chiffre d'affaires mensuel, en rémunération des prestations de service courantes et notamment de la mise à disposition de l'enseigne, de la prise en charge par lui de frais et charges divers, d'une interdiction de concurrence à la charge de la société Saez Distribution et de plusieurs clauses relatives à la résolution, à la résiliation et à l'expiration du contrat.

La conclusion de ce contrat avait été précédée de deux études de marché commandées par la société Docks de France Cofradel et remises à sa franchisée : l'une, datée du 1er juillet 1992 et réalisée par la société Docks de France Cofradel, faisait apparaître un chiffre d'affaires prévisionnel de 6 100 000 F pour la première année d'exploitation, entraînant un résultat net bénéficiaire de 118 470 F ; l'autre, provenant d'une société Lartaud et Chaudier et datée du 15 juillet 1992, tout en relevant la présence dense, estimait les chiffres d'affaires réalisables à 5 600 000 F la première année et à 6 100 000 F la seconde, compte tenu du fait que le magasin franchisé devait être ouvert tous les jours, y compris le dimanche, alors que les deux principaux concurrents étaient fermés ce jour-là. Quant à la charte Eco Service, à laquelle renvoyait le contrat, elle faisait état, pour une surface de vente de 150 m2 ouverte 7 jours sur 7, d'un chiffre d'affaires annuel supérieur à 5 000 000 de francs, dégageant un résultat net positif de 55 131 F.

Le chiffre d'affaires de la société Saez Distribution s'étant élevé au 31 octobre 1994, après 14 mois d'exploitation du magasin, à la somme de 3 334 406 F, procurant un bénéfice d'exploitation de 44 317 F et un bénéfice net, après déduction des charges financières, de 2 588 F, celle-ci a, par l'intermédiaire d'une société de conseils JMI Conseils, protesté en 1994 contre l'insuffisance de ces résultats au regard des prévisions, en exprimant sa volonté d'arrêter son activité de franchisée et en proposant de céder les parts sociales pour le prix de 650 000 F. Tout en se déclarant disposée à assister Monsieur René Saez dans la recherche d'un repreneur, la société Docks de France Cofradel a répondu, en dernier lieu le 26 avril 1994, que la valeur de la cession envisagée par Monsieur René Saez lui apparaissait excessive, tout en relevant que la situation de la société franchisée n'était pas alarmante. Au 31 octobre 1994, le chiffre d'affaires de l'exercice 1993-1994 s'est élevé à la somme de 3 409 044 F, pour un résultat d'exploitation bénéficiaire de 56 724 F (15 964 F après déduction des frais financiers). L'exercice suivant s'est conclu par une perte de 18 911 F.

Par lettres des 23 et 24 juillet 1996, la société Docks de France Cofradel a mis en demeure son franchisé de s'acquitter des sommes de 38 302,53 F et de 36 284,58 F, dues en paiement du prix des marchandises livrées. Elle a ensuite adressé le 26 juillet 1996 à la société Saez Distribution une lettre de mise en demeure de payer la somme de 167 132,65 F alors dues, contenant le rappel de la clause résolutoire prévue au contrat en cas de manquement du franchisé à ses engagements. Et, après l'envoi les 2 et 20 août 1996 de deux autres lettres enjoignant à la société Saez Distribution de payer en dernier lieu la somme de 347 525,82 F due sur le prix des marchandises, la société Docks de France Cofradel lui a notifié le 27 août 1996 la fin du contrat, aux torts du franchisé ;

Dès le 28 juillet 1994, la société Saez Distribution avait fait assigner la société Docks de France Cofradel devant le Tribunal de commerce de Lyon, en paiement de 5 737 360 F de dommages et intérêts. Par jugement rendu le 5 octobre 1995, cette juridiction, considérant que les études réalisées par ou à la demande de la société Docks de France Cofradel étaient insuffisantes, au regard des possibilités réelles d'exploitation de ce commerce, dont elle était parfaitement informée, et qu'elle avait ainsi engagé sa responsabilité civile, a évalué les préjudices subis aux sommes de 125 400 F, au titre d'une perte de salaires des exploitants, de 117 861 F, au titre d'une perte de marge, et de 129 360 F, au titre des investissements supplémentaires, en condamnant en conséquence la société Docks de France Cofradel, au paiement de la somme de 372 621 F et d'une indemnité de 8 000 F, cette décision étant assortie d'une exécution provisoire à hauteur de 380 000 F, sous réserve d'une caution financière à fournir par la société Saez Distribution.

La société Docks de France Cofradel, à laquelle s'est ensuite substituée la société anonyme société Lyonnaise de développement Commercial, à la suite d'une scission intervenue au mois de décembre 1997 et entraînant le transfert à cette dernière de la branche d'exploitation de supermarchés de la première, a relevé appel du jugement le 13 novembre 1995, tout en exécutant le 7 août 1996 la condamnation prononcée au bénéfice de l'exécution provisoire.

Elle soutient tout d'abord qu'aucun manquement au devoir d'information du franchisé ne peut lui être reproché, dès lors qu'elle avait effectué ou commandé, avant la conclusion de ce contrat, deux études sérieuses de marché, qui mettaient en évidence l'existence d'une concurrence locale, qui tenaient compte des potentialités du fonds exploité en franchise et qui prenaient en compte une ouverture du commerce 7 jours sur 7, réalisable mais à laquelle la société Saez Distribution avait unilatéralement renoncé, son gérant étant ainsi, du fait de ses connaissances professionnelles dans le domaine de la distribution, pleinement en mesure d'apprécier la valeur de ces informations. Elle oppose ensuite que la demande d'annulation du contrat, formée en appel, est irrecevable, parce que nouvelle, et qu'au surplus elle est sans fondement, compte tenu des informations fournies à sa franchisée, et sans objet, à la suite de la résiliation régulière du contrat aux torts du franchisé. Elle observe en outre que les préjudices invoqués sont inexistants, en tirant arguments de la nécessité des investissements réalisés, de l'effet de la conjoncture commerciale sur les chiffres d'affaires réalisés, de l'évolution favorable des ventes et des résultats dégagés de l'exploitation, et de l'absence de préjudice subi par la société Saez Distribution au titre de pertes de salaires prétendument causées aux époux Saez. Elle conteste à cet égard la recevabilité de l'intervention de ces derniers en appel et l'existence du préjudice qu'ils invoquent personnellement. Elle demande en conséquence la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire du jugement et le paiement d'une indemnité de 30 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Subsidiairement, elle invoque une compensation entre la créance indemnitaire de la société Saez Distribution et la créance qu'elle a régulièrement déclarée au liquidateur de cette société.

A la suite de la liquidation judiciaire de la société Saez Distribution, prononcée sur sa déclaration de cessation des paiements le 2 septembre 1996, maître Patrick Dubois, désigné comme liquidateur judiciaire, prétend, en premier lieu, que l'insuffisance des informations données, avant la conclusion du contrat, sur la situation du marché et sur les prévisions de résultats, a vicié le consentement du franchisé, compte tenu du caractère sommaire des études faites et des erreurs dont elles étaient entachées. Il demande en conséquence l'annulation du contrat, la restitution des redevances et charges versées au franchiseur, et le paiement en outre de 1 598 812 F de dommages et intérêts. Il soutient que cette demande, bien que nouvelle, est recevable en appel, dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que la prétention soumise au premier juge. Quant au préjudice dont il est demandé réparation Maître Patrick Dubois l'évalue à la somme de 1 598 812 F, dont il demande paiement, en y incluant l'écart entre les bénéfices annoncés et les bénéfices réalisés (488 109 F), le montant des redevances et frais versés au franchiseur (321 843 F, outre 46 480,42 F de frais d'installation), 543 440 F de pertes de rémunérations et 172 274 F d'apports en compte courants supportés par les époux Saez, ainsi que le montant de ristournes. Subsidiairement, l'intimé demande, d'une part, que la résiliation du contrat soit imputée à la faute du franchiseur, d'autre part, que toute compensation soit exclue, aux motifs que la nullité du contrat prive de tout fondement la créance dont fait état le franchiseur, que l'article 46 de la loi du 25 janvier 1985 s'oppose à toute compensation, que la créance déclarée par la société Docks de France Cofradel comprenait le montant des sommes versées en exécution du jugement et qu'au surplus, cette société avait été indemnisée par son assureur, à hauteur de 269 505 F, au titre des factures impayées. Il sollicite enfin le paiement d'une indemnité de 40 000 F, en vertu de l' article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Monsieur René Saez et Madame Martine Saez, intervenant à la procédure en cause d'appel, demandent que l'appelante soit condamnée à leur payer, en réparation des préjudices qu'ils ont subis personnellement, une somme de 839 714 F, compensant une perte de revenus (543 440 F), les apports versements faits en leurs qualités de cautions, outre une indemnité de 20 000 F.

MOTIFS ET DECISION

1 - Sur la demande d'annulation du contrat

Attendu que la demande en annulation du contrat, pour vice du consentement, n'était pas soumise au premier juge, auquel il était seulement demandé l'attribution de dommages et intérêts, en réparation d'un préjudice ;

Que cette demande, qui a pour objet d'obtenir l'anéantissement du contrat et la restitution de toutes les redevances et charges payées au franchiseur au cours de son exécution, ne tend pas aux mêmes fins que celle dont le Tribunal était saisi et qui n'était destinée qu'à obtenir une indemnisation ;

Attendu qu'étant ainsi nouvelle en appel, cette action en nullité est irrecevable, en application des articles 564 et 565 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Qu'aucun fait nouveau ne pouvait en effet justifier une telle prétention en appel, les seules circonstances que le contrat ait été résilié par le franchiseur et que la société Saez Distribution ait été placée en liquidation judiciaire, en 1996, étant sans effet sur la validité de ce contrat, contestée par l'intimé pour des raisons remontant à sa conclusion ;

Que, de même, la résiliation du contrat à l'initiative de la société Docks de France Cofradel, après que le jugement ait été rendu, ne pouvait avoir pour effet de rendre recevable une demande en nullité du contrat, pour une cause antérieure à cet événement ;

Que, de même, la résiliation du contrat à l'initiative de la société Docks de France Cofradel, après que le jugement ait été rendu, ne pouvait avoir pour effet de rendre recevable une demande en nullité du contrat, pour une cause antérieure à cet événement ;

Que les considérations d'opportunité dont il est fait état, à cet égard, ne peuvent suffire à rendre recevable, en appel, des prétentions qui n'ont pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction ;

2 - Sur la faute de la société Docks de France Cofradel

Attendu que, légalement tenu de communiquer à son futur franchisé, avant la conclusion du contrat de franchisage, toutes les informations nécessaires sur l'état et sur les perspectives de développement du marché concerné, telles qu'elles sont prévues par l'article 1er du décret du 4 avril 1991, le franchiseur commet une faute qui engage sa responsabilité lorsqu'il se borne à produire des études de marché sommaires, contenant des inexactitudes et des prévisions sans rapport avec la réalité, alors qu'il disposait des informations nécessaires pour informer exactement le futur franchisé sur la situation du marché;

Attendu qu'en l'espèce, les deux documents d'information que la société Docks de France Cofradel a remis aux fondateurs de la société Saez Distribution avant la conclusion du contrat et en vue de persuader cette dernière de le passer, présentaient de graves insuffisances, qui ne peuvent être rattachées qu'à une volonté du franchiseur de tromper son futur partenaire sur l'importance de la clientèle et du chiffre d'affaires raisonnablement réalisable;

Qu'ainsi, l'étude de marché du 1er juillet 1992, réalisée par la société Docks de France Cofradel elle-même, présentait un caractère très sommaire qui la prive de toute valeur, en ce qu'elle se limitait à faire état, après diverses données chiffrées sur la population locale et sur un potentiel alimentaire par habitant dont les bases d'estimation restent inconnues, d'un chiffre d'affaires définitif sont de 6 082 000 F, porté ensuite à 6 100 000 F pour la première année, permettant de dégager un bénéfice net de plus de 118 000 F, après déduction des frais financiers, aucune référence objective et vérifiable n'étant faite aux résultats dégagés par les précédents exploitants du magasin franchisé ou par d'autres franchisés de la marque exploitant des fonds similaires ;

Que l'étude commandée pour le prix de 2 500 F à une société de conseil en marketing Lartaud et Chaudier pêche également par son insuffisance, en ce qu'elle repose sur des bases théoriques, ne tenant aucun compte des résultats obtenus par le précédent exploitant, sur la prise en compte d'un potentiel alimentaire et de taux d'attraction détachés de la réalité et sur les effets bénéfiques attribués par ses auteurs à l'ouverture du magasin tous les jours de la semaine, pour parvenir à un chiffre d'affaires de 5 600 000 F la première année et de 6 100 000 F la seconde, en considération de l'atout procuré par l'existence d'un centre commercial, mais à la condition toutefois que se produise une modification du comportement d'une partie de la population, sans plus de précision à cet égard ;

Que ces informations, tirées d'estimations théoriques et discutables, ne pouvaient permettre à la société Saez Distribution de s'engager en connaissance de cause, alors que, pour sa part, la société Docks de France Cofradel disposait d'éléments qui auraient dû lui permettre de donner une présentation moins illusoire de la rentabilité du magasin;

Qu'en effet, elle n'ignorait pas que le précédent exploitant de ce commerce, de 1990 à 1992, avait dû interrompre son activité, faute de résultats suffisants, à la fin du mois de mai 1992, avant de déclarer un état de cessation des paiements dont le Tribunal de commerce a arrêté la date au 23 mai précédent, en ouvrant le 1er juin 1992 une procédure de redressement judiciaire, rapidement convertie quinze jour après en liquidation judiciaire, puis clôturée pour insuffisance d'actif ;

Qu'ainsi les spéculations chiffrées contenues dans les deux études remises à la société Saez Distribution étaient sans rapport avec la situation réelle du marché et ne pouvaient donner une information véridique et sérieuse sur les prévisions de chiffre d'affaires et de résultat réellement réalisables ;

Attendu d'ailleurs que l'écart considérable entre les chiffres d'affaires effectivement réalisés de 1992 à 1994 et les prévisions de ces études confirment la fausseté des informations qu'elles contenaient ;

Qu'ainsi, sur un premier exercice de 14 mois, la société Saez Distribution n'a pu réaliser qu'un chiffre d'affaires de 3 334 406 F, soit sur douze mois 2 858 000 F de chiffre d'affaires, alors qu'il était annoncé dans ces études plus du double, la charte Eco Service s'appuyant pour sa part, pour un fonds similaire, sur un chiffre d'affaires annuel de 5 millions de francs ;

Que, de même, le montant des ventes du second exercice n'a atteint que la somme de 3 400 000 F, soit moins de 56 % du chiffre d'affaires annoncé dans les deux études ;

Que ces écarts ne peuvent s'expliquer, ainsi que le prétend l'appelante, par le seul fait que la société Saez Distribution n'a ouvert son magasin à la clientèle que 6 jours par semaine, au lieu des 7 prévus, puisque, d'une part, la société Docks de France Cofradel ne justifie pas avoir donné à sa franchisée les informations et l'assistance nécessaires à l'ouverture du fonds le dimanche, par dérogation aux dispositions de l'arrêté préfectoral d'interdiction du 11 juillet 1949, d'autre part, même en tenant compte de cette modification des conditions d'exploitation, au regard des données prises en considération dans la seconde étude (22 % du chiffre d'affaires), celle-ci laissait espérer un chiffre d'affaires annuel de l'ordre de 4 400 000 F la première année, très éloigné de celui qui a été effectivement obtenu ;

Qu'il n'est pas davantage établi que la seule évolution de la conjoncture puisse expliquer la différence importante existant entre les prévisions contenues dans les études et les résultats de l'exploitation, ces écarts trouvant en réalité leur cause dans le fait que ces prévisions ne tenaient pas compte de la situation réelle du marché local ;

Qu'il ne suffisait pas à la société Docks de France Cofradel, pour s'acquitter de son devoir d'information, de signaler, dans la seconde étude remise de la société Saez Distribution, l'existence d'une concurrence locale, tout en faisant ensuite état de prévisions de résultat chiffrées très éloignées de la réalité, d'autant que ce renseignement était incomplet, la proximité du magasin de la société concurrente Provifruit n'étant ainsi pas signalée ;

Attendu que le seul fait que Monsieur René Saez ait antérieurement exercé, au service du franchiseur, des fonctions salariées en rapport avec la grande distribution, ne pouvait suffire à exonérer la société Docks de France Cofradel de son obligation de le renseigner exactement sur l'état et l'évolution réellement prévisible du marché local, à partir de données objectives et vérifiables que la société Saez Distribution n'était pas en mesure de connaître à elle seule ;

Que d'ailleurs, jusqu'au début de l'année 1991, où il était devenu directeur stagiaire de supermarché, Monsieur René Saez n'avait exercé que des tâches spécialisées et limitées, se rapportant aux expéditions de produits, qui ne pouvaient lui permettre d'apprécier par lui-même la rentabilité du magasin à exploiter en franchise ;

Attendu que ce manquement avéré de la société Docks de France Cofradel à son obligation légale d'information et, par-là, à l'obligation de loyauté à laquelle elle était tenue, tant à l'occasion de la conclusion que de l'exécution du contrat, engage sa responsabilité envers la société Saez Distribution et lui impose en conséquence de réparer le préjudice subi par cette dernière;

3 - Sur la résiliation du contrat

Attendu que le seul fait que la société Docks de France Cofradel ait pris l'initiative de la résiliation du contrat, pour non paiement des marchandises livrées à sa franchisée, ne prive pas cette dernière du droit d'imputer au franchiseur la rupture du contrat, en raison de manquements à ses obligations ;

Que l'appelante n'est donc pas fondée à soutenir que cette prétention n'aurait plus d'objet, depuis que la lettre de résiliation a produit ses effets ;

Que la recevabilité de cette demande, non soumise au premier juge, n'est pas contestée et n'est pas contestable, puisqu'elle trouve son origine dans une résiliation du contrat intervenue au cours de la procédure d'appel, qui constituait à cet égard un fait nouveau ;

Attendu que la faute que la société Docks de France Cofradel a commise en donnant, en connaissance de cause, des informations dépourvues de pertinence et de sérieux à sa future franchisée, lui rend imputable la résiliation du contrat, les difficultés rencontrées par la société Saez Distribution et qui sont à l'origine du non paiement des marchandises commandées au franchiseur puis de l'état de cessation des paiements trouvant leur cause dans la faiblesse des résultats tirés de l'exploitation, au regard des prévisions annoncées ;

Que, par ailleurs, au cours de l'exécution du contrat, bien qu'elle ait été tenue informée des mauvais résultats de la société Saez Distribution et des difficultés qu'entraînait la différence entre les prévisions fournies avant la conclusion du contrat et les chiffre d'affaires réellement obtenus, l'appelante n'a apporté aucun assistance utile à son franchisé, en se bornant alors à contester ces difficultés contre l'évidence et à proposer la cession des parts sociales à un tiers, manquant ainsi à l'obligation que le contrat mettait à) sa charge et à la bonne foi à laquelle elle était tenue, dans l'exécution du contrat de franchisage ;

Attendu qu'ainsi, l'intimé est fondé à demander que la résiliation du contrat soit imputée à la société Docks de France Cofradel ;

4 - Sur le préjudice de la société Saez Distribution

Attendu que le préjudice subi par la société Saez Distribution, du fait des informations erronées données par le franchiseur, puis du manquement de ce dernier à son devoir contractuel d'assistance, ne peut être évalué par simple référence à la différence entre le bénéfice prévu et le bénéfice effectivement réalisé, toute prévision, fût-elle sérieuse, comportant une marge d'incertitude ;

Qu'il n'y a pas lieu d'y inclure le montant de redevances versées en exécution d'un contrat dont la validité ne peut être mise en cause ou de frais de publicité et d'installation supportés par la société Saez Distribution pour les besoins de son activité commerciale ;

Qu'en outre, cette société n'est pas recevable, faute de qualité, à demander réparation des pertes de salaires personnellement subies par les époux René Saez et que le premier juge a prises en compte, à tort, dans son indemnisation ;

Qu'enfin, il n'est pas démontré que la modification des tarifs appliquée en 1996 ait été préjudiciable à la société Saez Distribution, les ristournes têtes de gondoles que cette dernière percevait jusqu'alors trimestriellement du franchiseur étant désormais déduites directement du prix de vente des marchandises au franchisé, qui se trouvait ainsi réduit en proportion ;

Attendu que les erreurs de prévision grossières de la société Docks de France Cofradel ont conduit la société Saez Distribution à conclure un contrat qui ne pouvait lui permettre de réaliser les profits annoncés par le franchiseur ;

Que la perte de gain subie de ce fait doit être évaluée à la somme raisonnable de 300 000 F ;

5 - Sur la compensation

Attendu qu'en raison de la connexité entre, d'une part, la créance indemnitaire de la société Saez Distribution, d'autre part, la créance de la société Docks de France Cofradel au titre du prix de marchandises vendues, qui toutes deux dérivent de la conclusion et de l'exécution du même contrat, quelle que soit leur nature, l'appelante est fondée à opposer à Maître Patrick Dubois une exception de compensation, qui demeure recevable, en vertu de l'article 33 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Que toutefois, la créance dont dispose réellement la société Lyonnaise de Développement Commercial n'excède pas la somme de 141 242,77 F compte tenu de l'indemnité qu'elle a obtenue à ce titre de la société Camat, en garantie du paiement du prix des marchandises ;

Qu'en tenant compte des intérêts exigibles, au taux légal, entre la mise en demeure de payer notifiée le 26 juillet 1996 et la date de l'ouverture du redressement judiciaire, la créance de prix de la société Lyonnaise de Développement Commercial est de 142 220,63 F ;

Qu'ainsi, après compensation, la créance indemnitaire de la société Saez Distribution se trouve ramenée à la somme de 157 779,37 F ;

Attendu qu'il convient encore de déduire de cette somme les 380 000 F que la société Docks de France Cofradel a versés le 7 août 1996, en exécution du jugement, avant l'ouverture du redressement judiciaire ;

Qu'en effet, cette somme doit s'imputer sur le montant de la créance indemnitaire de la société Saez Distribution résultant du présent arrêt, puisqu'elle avait pour objet de réparer le préjudice causé à cette société, tel qu'il avait été évalué par le Tribunal ;

Attendu qu'en conséquence de ces compensations, aucune condamnation ne peut être mise à la charge de l'appelante et au bénéfice de la société Saez Distribution ;

Que, toutefois, la société Lyonnaise de Développement Commercial n'est pas recevable à demander que la société Saez Distribution, placée en liquidation judiciaire le 2 septembre 1996, soit condamnée à lui restituer la différence entre le montant de la somme versée en exécution du jugement et les 157 779,37 F dus à l'intimée, dès lors que cette créance trouve son origine dans un paiement effectué avant que sa débitrice ne soit placée en redressement judiciaire ;

Attendu, par ailleurs, qu'il est équitable d'allouer à Maître Patrick Dubois une indemnité de 20 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

6 - Sur les demandes des époux Saez

Attendu que la recevabilité de l'intervention volontaire des époux Saez en appel n'est pas contestable, au regard des dispositions de l'article 554 du nouveau Code de Procédure Civile, dès lors que ces parties ne soumettent pas à la Cour un litige nouveau, mais reprennent à leur compte une demande qui était formée en première instance par la société Saez Distribution et à laquelle le premier juge a fait partiellement droit ;

Que les époux saez ont intérêt à demander réparation d'un préjudice personnel, par le paiement de dommages et intérêts que le premier juge a accordés, à tort, à la société franchisée ;

Attendu que, tandis que le compte d'exploitation type dressé par la société Docks de France Cofradel et inclus dans la charte Eco Service, à laquelle renvoyait le contrat, prévoyait, en fonction d'un chiffre d'affaires annuel de 5 500 000 F, une rémunération mensuelle du responsable et de son épouse de l'ordre de 14 000 F par mois, le compte d'exploitation prévisionnel dressé en considération du chiffre d'affaires annuel de 6 100 000 F prévu dans l'étude de marché du 1er juillet 1992 laissait espérer une rémunération totale mensuelle de ces personnes de l'ordre de 15 000 F (180 000 F sur la première année) ;

Attendu que l'insuffisance du chiffre d'affaires de l'entreprise, au regard des prévisions fantaisistes de la société Docks de France Cofradel, n'a permis aux époux Saez de prélever que 89 000 F de salaires les 14 premiers mois, puis 70 000 F l'année suivante, 30 000 F pour l'exercice 1994-1995 et 45 000 F sur les 10 derniers mois d'exploitation ;

Que, d'ailleurs, pour faire face au manque de trésorerie de la société, les époux Saez ont dû apporter en compte courant une somme de 172 274 F ;

Attendu que ces pertes de revenus résultent des erreurs commises par le franchiseur dans les études de marché remises aux époux Saez, en vue de la conclusion du contrat ;

Qu'en tenant compte toutefois de la part d'aléa inhérente à toute prévision de marché, le préjudice subi par Monsieur René Saez et Madame Martine Saez, du fait de la carence de la société Docks de France Cofradel dans son devoir d'information pré-contractuel, doit être évalué à la somme raisonnable de 100 000 F ;

Attendu qu'ainsi, en réparation d'un préjudice engageant la responsabilité délictuelle de la société Docks de France Cofradel à l'égard des intervenants, il doit être alloué à ces derniers une somme de 100 000 F, à titre de dommages et intérêts ;

Qu'il est en outre équitable de leur accorder une indemnité de 10 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant contradictoirement, et réformant le jugement entrepris, Déclare Maître Patrick Dubois irrecevable en sa demande tendant à faire prononcer la nullité du contrat de franchisage, et l'en déboute ; Déclare les époux Saez recevables en leur intervention volontaire ; Déclare la société Docks de France Cofradel responsable du préjudice causé à la société Saez Distribution et aux époux Saez par son manquement à son obligation d'information ; Dit que la résiliation du contrat est imputable à la faute de la société Docks de France Cofradel ; Evalue le préjudice causé par la société Docks de France Cofradel à la société Saez Distribution à la somme de 300 000 F ; Constate qu'après compensation avec la créance de la société Docks de France Cofradel et déduction de la somme versée en exécution du jugement, aucune indemnité n'est plus due à Maître Patrick Dubois, en réparation de ce prejudice ; Déclare la société Lyonnaise de Développement Commercial irrecevable en sa demande tendant à obtenir, en tout ou partie, restitution de la somme versée à la société Saez Distribution en exécution du jugement, et l'en déboute ; Condamne la société Lyonnaise de Développement Commercial à payer ; - à Maître Patrick Dubois, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Saez Distribution, la somme de 20 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; - à Monsieur René Saez et Madame Martine Saez, solidairement entre eux, les sommes de 100 000 F, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice causé par sa faute, et de 10 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne en outre la société Lyonnaise de Développement Commercial aux dépens avec distraction, s'il y a lieu, au profit de la société d'avoués Junillon & Wicky, pour la part dont cet avoué aurait fait l'avance, sans provision préalable et suffisante.