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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 29 octobre 1999, n° 1997-14208

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fiat Auto (SA)

Défendeur :

Savary

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Bernabe-Ricard-Chardin-Cheviller, SCP Roblin-Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Goussin, Bourgeon.

T. com. Paris, 1re ch., du 13 janv. 1997

13 janvier 1997

La société Fiat Auto France (ci-après Fiat France) a fait appel d'un jugement contradictoire rendu le 13 janvier 1997 par le Tribunal de commerce de Paris, qui, à la suite de la rupture d'un contrat de concession exclusive,

- a condamné Pierre Savary et l'indivision Savary à lui payer 2 356 010 F avec intérêts au taux légal majoré de 1 point à partir du 18 mai 1994,

- l'a condamnée à payer à Pierre Savary et à l'indivision Savary 2 088 500 F à titre de dommages et intérêts pour préjudices financiers et moraux,

- ordonné la compensation entre ces sommes,

- a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, et ordonné l'exécution provisoire sans constitution de garantie,

- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, les dépens étant supportés par moitié par chacune des parties.

Par conclusions du 10 décembre 1999, la société Fiat France, appelante au principal, intimée incidente, expose

- que l'entreprise individuelle Pierre Savary était son concessionnaire à Limoges depuis de nombreuses années, Pierre Savary contrôlant en outre le capital de la société Savary Sud titulaire d'une concession Lancia et exploitant un garage dans un second site dit Limoges-Sud,

- que ces deux entreprises ont connu une grave détérioration de leur situation financière à partir des années 1990, imputable à la gestion de Pierre Savary et non à la chute de la part de marché des véhicules de marque Fiat sur le marché français pendant cette période, ainsi que le confirme l'étude réalisée au premier semestre 1992 par le cabinet Arthur Andersen à la demande de Pierre Savary,

- que la direction de la société Fiat France a accepté lors d'une réunion tenue le 17 septembre 1992 de regrouper les deux concessions sur un seul site afin de permettre la réalisation du site de Savary Sud et la restructuration financière de l'entreprise, et a fait part le 8 décembre 1992 à Pierre Savary de la candidature de Bernard Hory, une réunion entre eux ayant été organisée le 29 décembre 1992,

- que les tergiversations de Pierre Savary n'ont pas permis de mettre en œuvre ces décisions et d'organiser la succession de Pierre Savary ainsi que la cession du site de Savary Sud, malgré l'urgence,

- qu'il a attendu le début du mois d'avril 1993 pour présenter la candidature du groupe Pene, les termes mêmes du plan de restructuration adressé par lui le 5 avril 1993 à l'appelante confirmant le caractère nébuleux et hypothétique de cette candidature, les dirigeants du groupe Pene n'ayant rencontré les responsables de la société Fiat France que le 16 juin 1993, la direction de la société Fiat France l'ayant d'ailleurs " finalement " (sic) retenue,

- qu'en raison de négociations rendues nécessaires par les exigences du groupe Pene pour mettre au point le montage juridique et financier de cette reprise, l'accord de la société Fiat France à la désignation du groupe Pene n'a pu intervenir que le 27 janvier 1994, la cession étant intervenue le 26 février 1994,

- que Pierre Savary a dès lors cessé tout paiement à l'appelante, la conduisant à engager une action devant le Tribunal de Limoges, à laquelle il a répliqué en saisissant le Tribunal de commerce de Paris.

Elle fait valoir

- que le contrat de concession qui la liait à Pierre Savary était un contrat à durée indéterminée et donc résiliable à tout moment sans nécessité de justifier d'un quelconque motif, sous réserve d'un préavis raisonnable qui a été en l'espèce de douze mois, conformément au règlement communautaire d'exemption par catégorie des accords de distribution automobile alors applicables,

- que ce contrat est conclu " intuitu personae ", ce qui exclut tout droit de présentation d'un successeur, l'appelante ayant toutefois agréé le candidat présenté par Pierre Savary,

- que le concédant n'a pas l'obligation de soutenir le crédit de son distributeur de manière inconsidérée lorsque ce dernier connaît des difficultés,

- que les premiers juges ont retenu à tort quatre griefs formés par Pierre Savary, qui portent respectivement sur l'échec de la vente du garage de Savary Sud sur la réduction durant l'année 1993 de l'encours accordé à Pierre Savary, sur les retards apportés aux négociations avec le groupe Pene, enfin sur la résiliation du contrat de concession intervenue le 21 avril 1993,

- qu'en tout état de cause, le montant de l'indemnité accordée à Pierre Savary est largement surévalué (soit 1 488 500 F pour perte de marge brute pour l'absence de livraisons de certains véhicules, l'appelante contestant formellement le chiffre de 184 véhicules non livrés avancé par l'intimé, ainsi que le montant allégué de la marge brute qui n'est pas étayé, 500 000 F pour le surcoût entraîné par l'échec de la vente des locaux de Savary Sud et la réduction de l'encours, alors que la responsabilité de l'appelante n'est pas en cause, et 100 000 F pour préjudice de cette nature pour l'intimé),

- qu'en revanche la demande de l'appelante en ce qui concerne la reprise des pièces détachées est justifiée dans sa totalité, contrairement à l'appréciation des premiers juges, ces derniers ayant également écarté à tort l'application du taux de base du Crédit Lyonnais à la majoration de sa créance.

Elle demande à la Cour

. à titre principal,

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- de condamner Pierre Savary et l'indivision Savary à lui payer 2 709 994 F majorés d'intérêts au taux de base du Crédit Lyonnais majoré de 2,5 points à compter du 22 avril 1994, date de cessation du contrat,

- de débouter Pierre Savary et l'indivision Savary de leurs demandes,

. à titre subsidiaire,

- de diminuer le quantum des dommages et intérêts sollicités par Pierre Savary,

- de condamner Pierre Savary et l'indivision Savary à lui payer 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions du 17 septembre 1999, Pierre Savary, intimé à titre principal, appelant incident, agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur de son fils mineur Romain, réplique

- que la société Fiat France n'a pas exécuté de bonne foi ses obligations contractuelles, en prenant prétexte d'une prétendue situation catastrophique de son concessionnaire pour réduire et presque supprimer ses concours financiers alors qu'une telle mesure conduisait à l'étrangler financièrement,

- qu'il n'a nullement " tergiversé " dans la conduite des négociations concernant la vente des installations situées au sud de Limoges, puisqu'au contraire il a trouvé un acheteur en la personne de Pierre Sudron en 1992, en l'espace de deux mois, pour le prix de 3 000 000 F,

- que la société Fiat France a elle-même modifié ses propres stratégies à la suite de la déclaration de cessation des paiements de son concessionnaire Alfa Roméo de Limoges le 2 février 1993, voulant manifestement dès lors conserver les deux sites, et n'a plus permis la cession du site de Limoges-Sud sans pour autant proposer à l'intimé de reprendre la concession Alfa Roméo,

- que s'agissant de la concession Fiat située au centre de Limoges, la société Fiat France a délibérément contrarié la cession de l'entreprise, tout d'abord en écartant la candidature du groupe Pene dont elle était informée dès 1992 au prétexte d'un manque d'expérience professionnelle alors qu'elle l'a finalement agréée par la suite après le retrait du candidat qu'elle avait voulu imposer à l'intimé Bernard Hory, ensuite en n'hésitant pas à résilier le contrat de concession le 21 avril 1993, pour placer l'intimé sous la double contrainte d'un appauvrissement rapide de l'entreprise et de la perspective de la perte du courant d'affaires apporté par la représentation de la marque,

- que ces agissements constitutifs d'un abus de droit lui ont causé un préjudice matériel et moral dont il demande réparation,

- qu'en outre la société Fiat France l'a mis dans l'impossibilité de vendre 184 véhicules dont elle a refusé d'enregistrer la commande ou dont elle a déprogrammé la livraison,

- que la suppression fautive du crédit fournisseur accordé à l'intimé l'a conduit à augmenter son engagement bancaire à court terme et à supporter des frais financiers élevés,

- que l'obstacle mis à la cession de l'ensemble immobilier de Limoges-Sud a compromis une vente convenue pour le prix de 3 000 000 F, les parts de la société Savary Sud ayant été finalement rachetées pour le prix symbolique de 1 000 F, soit une moins-value pour l'intimé de 1 500 000 F,

- que l'aggravation du passif de son entreprise l'a contraint à renoncer au plan initialement arrêté à l'instigation du cabinet Arthur Andersen, le groupe Pene n'ayant finalement repris que les actifs de l'entreprise, lui-même ayant supporté seul les coûts du licenciement du personnel,

- qu'il a en outre, perdu une chance de conserver 10 % du capital de la société Savary Sud, de même que celle de conserver pendant deux ans au sein de cette structure un emploi rémunéré par un salaire mensuel de 20 000 F nets ainsi qu'il avait été convenu avec le groupe Pene,

- qu'il a subi enfin un préjudice moral justement estimé par les premiers juges à 100 000 F,

- qu'en ce qui concerne la détermination du solde du compte entre les parties, les sommes dont il reste redevable à la société Fiat France doivent être ramenées à 1 932 006 F,

- que les premiers juges ont appliqué à tort une majoration d'un point au taux légal qu'ils ont retenu, le point de départ de l'application de ces intérêts devant être fixé non pas au 18 mai 1994 mais au 13 janvier 1995, date à laquelle la société Fiat France a arrêté le compte entre les parties,

- que la compensation ordonnée par le Tribunal n'est pas acceptable, les agissements fautifs de la société Fiat France justifiant sa condamnation à un complément de dommages et intérêts équivalent au montant de sa créance et destiné à l'éteindre.

Il demande à la Cour

- de dire la société Fiat France irrecevable et mal fondée en son appel, de l'en débouter,

- de recevoir l'intimé en son appel incident,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu le caractère fautif du comportement de la société Fiat France, et en ce qu'il l'a condamnée à lui payer à titre de dommages et intérêts

. 1 488 500 F pour carence des livraisons,

. 100 000 F pour préjudice moral,

- de réformer le jugement pour le surplus, et statuant à nouveau, de condamner la société Fiat France à lui payer à titre de dommages et intérêts

. 680 000 F (frais financiers)

. 423 000 F (frais de licenciement)

. 1 500 000 F (échec de la cession de l'immobilier Savary Sud)

. 780 000 F (moins-value sur la cession au groupe Pene),

- compte tenu de l'ancienneté du litige, d'assortir ces condamnations du paiement d'intérêts légaux à compter du 10 juin 1994, date de l'exploit introductif d'instance,

- de condamner la société Fiat France à un complément de dommages et intérêts équivalent au montant de sa créance et destiné à l'éteindre,

- à titre subsidiaire, de fixer la créance de la société Fiat France à 1 932 006 F, majorée d'intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 1995,

- de condamner la société Fiat France à lui payer 60 000 F en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Considérant que la société Fiat France a concédé à Pierre Savary en 1963 la distribution de véhicules neufs de marque Fiat à Limoges, par contrats conclus pour une durée indéterminée et renouvelés à plusieurs reprises, le dernier en date du 31 décembre 1985 prenant effet au 1er janvier 1986 ; que Pierre Savary qui exploitait au nom personnel la concession Fiat dans des locaux situés dans le centre de Limoges, contrôlait par ailleurs la SARL Savary Sud implantée dans un second site dit Limoges Sud, elle-même titulaire d'un contrat de concession exclusive pour la distribution de véhicules de marque Lancia ;

Considérant que ces deux entreprises ont connu à partir de 1990 une sérieuse détérioration de leur situation financière, le résultat courant avant impôt de l'entreprise Savary passant de 2 896 543 F en 1989 à 449 729 F en 1990, et devenant négatif en 1991 pour 643 412 F ;

Considérant que la société Fiat France impute ces difficultés à la seule gestion de Pierre Savary ; que ce dernier, qui soulève l'irrecevabilité de l'appel de la société Fiat France sans en donner les motifs ce qui dispense la Cour de l'obligation d'une réponse, lui oppose cependant sans être contredit sur ce point, les résultats de la société Fiat France, eux-mêmes fortement négatifs en 1990, 1991, 1992 et 1993, qui attestent de la chute subie par la firme pendant cette période dans ses ventes de véhicules Fiat sur le marché français ; que les difficultés rencontrées par ce constructeur ne pouvaient que se répercuter sur la situation financière de ses distributeurs ainsi qu'en attestent également les mesures générales prises par la société Fiat France en 1993 pour soutenir ces derniers ;

Qu'il n'est pas contesté par les parties que Pierre Savary a recapitalisé de sa propre initiative son entreprise dès le début de l'année 1992, à hauteur de 2 450 000 F, et qu'il a fait appel au cabinet Arthur Andersen afin de déterminer les conditions d'une restructuration de celle-ci ; que la solution préconisée par ce cabinet avait trait d'une part au regroupement des deux concessions sur le site de Limoges-Centre et d'autre part, à la cession des installations immobilières exploitées à Limoges-Sud ; que la mise en œuvre de cette organisation, jointe au retrait souhaité par Pierre Savary alors âgé de 67 ans, a cependant rencontré de multiple obstacles, Pierre Savary reprochant à son concédant d'avoir anticipé son départ en cessant d'exécuter de bonne foi son contrat, et d'avoir contrarié délibérément la cession de l'entreprise en cherchant à lui imposer un successeur à des conditions financièrement désavantageuses, la société Fiat France lui opposant de son côté les impayés laissés par Pierre Savary après la rupture de leurs relations contractuelles, et ses " tergiversations " au cours de leurs négociations ;

Sur les agissements reprochés par Pierre Savary à la société Fiat France

Considérant qu'à la suite d'une réunion tenue au siège de la société Fiat France à Levallois le 17 septembre 1992, Cyril Becheau-Lafonta directeur régional de Fiat faisait part à Pierre Savary par lettre du 8 octobre 1992, de l'accord de la firme sur sa proposition de distribution des marques Fiat et Lancia dans un même site et au sein d'une même entité juridique ; que par lettre du 17 novembre 1992, Monsieur Pittet, directeur des ventes Fiat, lui confirmait cet accord de principe, précisant que cette solution permettrait à Pierre Savary de réaliser la vente du deuxième site et de procéder à l'indispensable restructuration financière de son entreprise ; qu'une réunion organisée chez Fiat France, Bernard Hory, restait sans suite, l'offre de ce dernier ne portant que sur les stocks à l'exclusion de toute reprise du fonds de commerce et du matériel ainsi que le notera la direction régionale de Fiat dans une note du 31 mars 1993 ;

Considérant que Pierre Savary verse aux débats plusieurs courriers échangés avec Pierre Sudron, concessionnaire Opel à Guéret, concernant la cession de l'ensemble immobilier Limoges-Sud ; que par lettre du 22 mars 1993, Pierre Sudron se déclarait disposé à acquérir cet ensemble pour le prix de 3 000 000 F en y incluant un ensemble de matériels évalués à 327 018 F, et s'engageait à conserver une partie du personnel ; que dans le même temps Pierre Savary engageait des pourparlers avec le groupe Pene, dirigé par Jacques Laroudie, pour la reprise des concessions Fiat et Lancia ; que par lettre du 23 mars 1993 la société Pene donnait son accord de principe au projet de reprise élaboré par Francis Oudart expert-comptable de l'entreprise Savary, et lui demandait d'intervenir auprès de la société Fiat France " pour faire avancer rapidement ce dossier ";

Considérant qu'il ressort des pièces versées aux débats que ce dispositif global a été présenté à la direction générale de la société Fiat France à Levallois lors d'une réunion tenue le 2 avril 1993, en présence de Monsieur Benne nouveau directeur général de la firme ; qu'une note signée T. Verat, élaborée le 31 mars 1993 par la direction régionale de Fiat pour cette réunion confirme la réalité du projet de cession de l'immobilier situé à Limoges-Sud pour le prix de 3 000 000 F avec reprise partielle du personnel, et celle de l'offre de reprise par le groupe Pene des concessions Fiat et Lancia ; que le groupe Pene proposait une exploitation des deux marques par la SARL Savary après recapitalisation de la société à hauteur de 4 500 000 F soit 3 000 000 F apportés par la société holding du groupe Pene et 1 500 000 par Pierre Savary, et apport du fonds de commerce et du matériel pour 1 500 000 F, Pierre Savary restant actionnaire à hauteur de 10 % dans le capital de la société Savary Sud et propriétaire des locaux de Limoges-centre qui seraient donnés en location à la société ; qu'il était précisé que ce schéma global semblait " le seul envisageable (et de plus dans un délai très court) " que cette note mentionnait également la proposition de reprise de Bernard Hory, relevant son caractère très partiel et le fait que toute négociation était " au point mort ", Bernard Hory entendant " camper sur ses positions " ;

Qu'il ressort du compte-rendu adressé à Pierre Savary par Francis Oudart, présent à cette réunion, que les intentions de la firme avaient changé, Monsieur Benne exprimant " son désir de maintenir sur Limoges les deux sites avec Fiat Lancia à Sud et Fiat Alfa avenue du général Leclerc ", demandant que la cession de l'ensemble immobilier Limoges-Sud soit différée et écartant la candidature du groupe Pene auquel il reprochait son manque d'expérience dans une concession automobile ; qu'il doit être relevé que la société Fiat France venait de rompre ses relations contractuelles avec son concessionnaire Alfa France Roméo à Limoges, déclaré en redressement judiciaire le 3 février 1993 et souhaitait réorganiser la distribution de la marque ; que Pierre Sudron ne pouvant retarder son projet d'investissement, retirait son offre d'achat des locaux de Limoges-Sud, ainsi qu'il l'a confirmé par lettre du 2 novembre 1996 ;

Considérant que par lettre du 21 avril 1993, la société Fiat France notifiait à Pierre Savary la résiliation du contrat de concession, avec un préavis de douze mois ; que l'appelante fait valoir sur ce point qu'elle avait précédemment donné à son concessionnaire un délai expirant le 31 janvier 1993 pour qu'une solution lui soit présentée, et que fin avril la restructuration envisagée depuis plusieurs mois ne se concrétisait toujours pas ;

Considérant que la société Fiat France avait entrepris depuis plusieurs mois de réduire dans des proportions considérables le crédit fournisseur accordé à Pierre Savary, ramené de 8 000 000 F en décembre 1992 à 1 000 000 F en septembre 1994 tout en l'assurant de son soutien et du maintien de cet encours jusqu'en août 1993 ; qu'elle n'avait pas hésité à annuler un certain nombre de commandes fermes recueillies par l'entreprise Savary que la réduction de son stock financé ne permettait plus de couvrir ; que ces agissements ont contraint Pierre Savary à recourir à un crédit bancaire coûteux, et l'ont empêché de réaliser un certain nombre de ventes de véhicules ; que la société Fiat France, qui soutient avoir été contrainte de réduire ses concours financiers pour échapper elle-même au grief de soutien abusif d'une entreprise au bord de la faillite, n'en justifie pas ;

Considérant que le contrat de concession exclusive ne constitue pas un mandat d'intérêt commun et peut être résilié par le concédant sans donner de motif, sous réserve de respecter le délai de préavis et sauf abus de droit ; qu'en l'espèce ainsi que l'ont relevé les premiers juges par de justes motifs que la Cour adopte, il apparaît que Pierre Savary était en mesure de soumettre à son concédant le 2 avril 1993 une offre de reprise claire et articulée et avait mandat pour la présenter ; que la société Fiat France ne pouvait rejeter sans l'examiner cette offre présentée par le groupe Pene, le grief d'inexpérience formé contre ce dernier, paraissant d'autant moins sérieux que ce professionnel de l'activité pièces de rechange, fourniture et outillage sera " finalement " agréé pour distribuer les trois marques un an plus tard, le 27 janvier 1994, après que le candidat recommandé par la société Fiat France, Bernard Hory se soit désisté fin 1993 ; que la résiliation du contrat de concession intervenue dans ces conditions, soit la perspective de voir à bref délai se tarir le chiffre d'affaires lié à la distribution de la marque, jointe au resserrement drastique du crédit fournisseur consenti par la société Fiat France à son concessionnaire manifestent la volonté de la firme de placer ce dernier dans une situation de contrainte pour l'amener à accepter la solution de reprise qu'elle souhaitait lui imposer;

Considérant que le contrat conclu entre Pierre Savary et la société Pene le 26 février 1994 s'est limité à la cession des éléments corporels et incorporels (hors stock) du fonds de commerce de Pierre Savary pour 1 000 000 F et au bail des locaux de Limoges Centre loués 400 000 F par an, la société Savary Sud étant reprise pour le franc symbolique ; que le stock pièces détachées au 19 janvier 1994 chiffré à 1 921 770 F (prix tarif client hors taxes) a été repris par la société Fiat France au prix de 260 031,55 F ;

Considérant en définitive que la société Fiat France a constamment privilégié ses propres intérêts, n'hésitant pas à sacrifier ceux de son concessionnaire, qu'elle a méconnu la bonne foi dans l'exécution de son contrat et aggravé la situation financière de son concessionnaire en lui retirant sans l'en informer la quasi-totalité de son crédit fournisseur; qu'elle a abusé de son pouvoir d'agréer ou de rejeter le candidat repreneur, compromettant les chances qu'avait Pierre Savary de céder dans de meilleures conditions son entreprise;

Sur les dettes de Pierre Savary envers la société Fiat France

Contestant que Pierre Savary ne conteste pas avoir cessé tout paiement à la société Fiat France à compter de la cessation de leurs relations contractuelles ; que la société Fiat France chiffre à 3 078 592 F le montant du solde débiteur de son compte, dont elle déduit le montant des stocks de pièces détachées repris en fin de contrat, soit 313 598 F, et demande la condamnation de Pierre Savary à lui payer 2 709 994 F ; que Pierre Savary rétorque que l'appelante a elle-même chiffré à 610 570,75 F HT les pièces susceptibles d'être reprises et à 317 892,72 F HT les pièces devant être cafutées ; qu'il soutient avoir adressé toutes les pièces devant être reprises à l'appelante, et avoir fait procéder devant huissier à la destruction des pièces devant être " cafutées " , pour un montant total de 295 263 F HT ;

Considérant qu'il résulte de l'article 8 du contrat de concession intitulé " Conséquence de la cession ", que " le concédant s'engage à reprendre au concessionnaire, sur la demande de celui-ci, son stock de pièces détachées d'origine, facturées par le concédant ou par un centre service distribution lié au concédant ; le concessionnaire devra (...) adresser au concédant un inventaire chiffré des pièces à reprendre existant dans ses magasins et comptabilisées à la date d'expiration du contrat de concession (...) ; la reprise (...) ne pourra concerner que les pièces neuves, en parfait état, d'un prix unitaire minimum de 10 francs hors taxe au tarif client (...) ; le prix d'achat par le concédant sera celui du tarif client en vigueur à la date d'expiration du contrat de concession, diminué de cinquante pour cent, le coût du transport jusqu'aux magasins du concédant étant à la charge du concessionnaire " ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le prix des pièces rachetées par la société Fiat France s'élève à 610 570,75 F x 0,5 = 305 285,37 F, auxquels il convient d'ajouter le montant des pièces cafutées par les soins de l'intimé, soit 295 263 F et celui de la TVA soit au total 305 285 + 295 263 + 111 702 = 712 250 F ;

Que la société Fiat France verse aux débats les relevés de compte de son concessionnaire ainsi qu'un état récapitulatif s'élevant à 3 024 441, 68 F ; que Pierre Savary n'apporte pas d'éléments propres à les remettre en cause ; que la créance de la société Fiat France s'élève en conséquence à 3 024 441 - 712 250 = 2 312 191 F ;

Considérant que l'article 8 b) du contrat de concession dispose qu'à la cessation du contrat pour quelque cause que ce soit et sans nécessité de mise en demeure, il y aura déchéance du terme des engagements réciproques des parties, les créances et dettes réciproques entre lesquelles il sera effectué une compensation devenant immédiatement et de plein droit exigibles ; qu'il est précisé dans cet article que " le solde en faveur de l'une ou l'autre partie portera intérêt du jour de la cessation du contrat au taux de base du Crédit Lyonnais, arrondi au demi point supérieur et majoré de deux points, TVA en sus " ;

Considérant que le taux d'intérêt contractuellement stipulé entre les parties, constitué par le taux de base du Crédit Lyonnais arrondi au demi-point supérieur et majoré de 2 points, n'est pas déterminable, ainsi que l'ont justement constaté les premiers juges ; qu'il sera fait application du taux légal, qui sera appliqué à la créance de l'appelante à compter du 22 avril 1994, date de la cessation des relations contractuelles entre les parties ;

Sur les préjudices invoqués par Pierre Savary

Considérant que Pierre Savary reproche tout d'abord à la société Fiat France de l'avoir par ses agissements fautifs privé de la vente de 184 véhicules dont elle a déprogrammé la commande ou refusé la livraison, et chiffre son préjudice à 1 488 500 F ;

Considérant [que] Pierre Savary réclame 680 000 F au titre du surcroît de frais financiers causés par l'opposition exprimée par la société Fiat France à la cession de l'ensemble immobilier Savary Sud, et la forte réduction des encours consentis à Pierre Savary ont contraint ce dernier à accroître ses concours bancaires ; qu'il verse aux débats un courrier de la banque Tarneaud du 18 juin 1993, acceptant de lui accorder un prêt de 5 500 000 F, un protocole d'accord établi le 31 août 1994, ainsi que les comptes de résultat de l'entreprise Savary pour les exercices 1987 à 1992 d'où il ressort que les charges financières de cette entreprise ont fortement augmenté à partir de l'exercice 1991, atteignant 1 034 748 F pour cet exercice, 1 224 172 en 1992, et selon le jugement entrepris 1 038 568 F en 1993 ; que la Cour dispose d'élements suffisants pour fixer à 400 000 F le préjudice subi par Pierre Savary de ce chef ;

Considérant que Pierre Savary déclare que la non-réalisation du projet de restructuration initialement convenu avec le groupe Pene l'a conduit à supporter seul les coûts de licenciement de son personnel, qui se sont élevés à 423 000 F, et l'a privé d'une possibilité de participation de 10 % dans le capital de la société Savary Sud ainsi que de la chance de conserver pendant deux ans au sein de cette société un emploi rémunéré 20 000 F nets mensuels, préjudices qu'il chiffre à 300 000 + 480 000 =780 000 F ;

Considérant toutefois que la nécessité de procéder à des allègements de personnel était déjà soulignée dans le rapport établi par le cabinet Arthur Andersen à la demande de l'intimé ; que Pierre Savary ne justifie pas d'une perte de chance de recevoir un salaire de 480 000 F, ce point n'étant pas évoqué dans le schéma présenté à la société Fiat France lors de la réunion tenue le 2 avril 1993 ; qu'en revanche l'attribution de 10 % du capital de la société Savary Sud après sa recapitalisation pour 3 000 000 F était mentionnée dans ce projet ; que la candidature du groupe Pene, la seule qui ait fait l'objet d'une articulation précise, a finalement été agréée par le constructeur ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour évaluer à 2/3 la chance qu'avait Pierre Savary de voir ce projet se réaliser, et chiffrer à 200 000 F son préjudice ;

Considérant que Pierre Savary demande 1 500 000 F de dommages et intérêts en raison de la non-réalisation de la vente des biens immobiliers appartenant à la société Savary Sud, dont il était associé et dirigeant ; qu'il appartenait toutefois à la société Savary Sud elle-même d'engager une telle action, ce qu'elle n'a pas fait ; que Pierre Savary n'avait plus qualité pour la représenter ; qu'il a lui-même cédé ses parts le 26 février 1994, sans que l'acte de cession mentionne une telle valorisation ; que sa demande sera rejetée ;

Considérant que Pierre Savary ajoute qu'il a subi un préjudice moral du fait des agissements fautifs de son concédant, et demande à la Cour de confirmer la décision entreprise lui accordant 100 000 F de ce chef ; que la Cour dispose d'éléments suffisants pour faire droit à sa demande et confirmer sur ce point la décision entreprise ;

Considérant que Pierre Savary, qui a lui-même enfreint ses obligations contractuelles en cessant tout paiement à la société Fiat France à compter de la cessation de leurs relations contractuelles, n'a pas subi un préjudice justifiant l'allocation de dommages et intérêts à hauteur de ses propres dettes et destinés à les éteindre ; qu'il y a lieu d'ordonner la compensation entre les sommes respectivement dues par chacune des parties, à concurrence de la moins élevée d'entre elles ;

Considérant qu'il est équitable que chacune des parties conserve la charge de ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a reconnu le caractère fautif du comportement de la société Fiat France à l'égard de son concessionnaire Pierre Savary et en ce qu'il l'a condamnée à lui payer à titre de dommages et intérêts 1 488 500 F pour carence de livraisons et 100 000 F pour préjudice moral, et en ce qu'il a constaté que Pierre Savary avait lui-même enfreint ses obligations contractuelles en cessant tout paiement à la société Fiat France à compter de la cessation de leurs relations contractuelles, L'infirme pour le surplus, Condamne la société Fiat France à payer à Pierre Savary, à titre de dommages et intérêts : 400 000 F pour le surplus de frais financiers occasionnés par le retrait des concours du fournisseurs, 200 000 F pour perte d'une chance de détenir 10 % du capital de la société Savary Sud après sa recapitalisation, Soit au total 1 488 500 + 100 000 + 400 000 + 200 000 = 2 188 500 F, Condamne Pierre Savary à payer à la société Fiat France 2 312 191 F avec intérêts au taux légal à compter du 22 avril 1994, date de la cessation des relations contractuelles entre les parties, Ordonne la compensation entre ces deux sommes, à concurrence de la moins élevée d'entre elle, Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront partagés entre les parties, chacune devant y contribuer pour moitié, Admet la SCP Bernabe Ricard Chardin Cheviller et la SCP Roblin Chaix de Lavarene, avoués, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.