Livv
Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 13 janvier 2000, n° 8681-97

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Total Raffinage Distribution (SA)

Défendeur :

Paradis Service (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Fedou

Avoués :

SCP Keime-Guttin, Me Binoche

Avocats :

Mes Bayle, Riondet

T. com. Nanterre, du 10 juill. 1997

10 juillet 1997

FAITS ET PROCEDURE

Suivant acte sous seing privé en date du 26 décembre 1980, la SA Etablissements Paradis a donné en location-gérance à la SA Paradis Service, un fonds de commerce de carburants et accessoires, puis le lui a cédé le 15 mai 1994.

Le 07 juin 1984, la SARL des Etablissements André Lesage et Cie, filiale de la SA Total, a pris le contrôle de la société des Etablissements Paradis.

Selon acte sous seing privé en date du 12 décembre 1985, la société Paradis Service a consenti à la société Total un contrat de location-gérance de son fonds de commerce comprenant les activités de " station service, distribution de carburants, lubrifiants, rayon bazar nouveautés et articles alimentaires " pour une durée de 10 ans à effet au 1er juillet 1985, moyennant une redevance annuelle de 384 000 F HT.

La société Total a conclu concomitamment avec la SA Les Distributeurs de Combustibles associés DCA, venant aux droits de la société des Etablissements Lesage, un contrat de sous location-gérance du même fonds, puis l'a confié en juillet 86 à la SARL Selt.

Par avenant en date des 14 et 18 décembre 1990 le contrat de location-gérance a été prolongé de trois ans.

Le 09 décembre 1993, la société Total a résilié le contrat de location-gérance avec effet au 30 juin 1994.

Arguant de manquements à ses obligations et d'une gestion du fonds dans des conditions préjudiciables à ses intérêts par la société Total, la société Paradis Service a engagé à son encontre une action indemnitaire devant le Tribunal de commerce de Nanterre.

Par jugement rendu le 10 juillet 1997, cette juridiction a déclaré la société Paradis Service recevable en ses demandes, condamné la société Total à lui payer en réparation de son préjudice les sommes de 1 600 000 F, 200 000 F et 300 000 F au titre respectivement de la dépréciation du fonds de commerce, des disparitions de matériels ainsi que leur réparation et de celle des locaux et de l'exploitation sans contrepartie de l'activité lubrifiant avec le bénéfice de l'exécution provisoire sous condition en cas d'appel de la fourniture par la société Paradis Service d'une caution d'égal montant, alloué à cette dernière une indemnité de 15 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civlie, rejeté les autres prétentions des parties et condamné la défenderesse aux dépens.

Appelante de cette décision, la société Total soutient que la société Paradis Service qui ne dispose plus de son fait de la propriété du fonds n'a plus qualité, ni intérêt pour agir à son encontre, en réparation de sa prétendue dépréciation.

Elle fait valoir que la société intimée ne serait, en toute hypothèse, pas fondée à y procéder dans la mesure où celle-ci a décidé de fermer définitivement son fonds de commerce en raison de l'impossibilité de l'exploiter normalement à la suite d'une modification en 1992 du carrefour ayant rendu très difficile son accès et de la concurrence d'une station service d'un supermarché situé à proximité immédiate.

Elle dément l'existence d'un détournement de clientèle en estimant que la station service a, au contraire, bénéficié de l'apport de la clientèle " Total ".

Elle affirme que l'activité de lubrifiants industriels ne lui a jamais été donnée en location-gérance.

Elle prétend ne pas devoir effectuer le remplacement de matériels devenus obsolètes, ni ceux afférents au stockage des lubrifiants industriels dont elle n'a jamais été en possession, ni encore assumer la réfection de locaux restitués en bon état d'entretien locatif.

Elle soulève, en conséquence, l'irrecevabilité des demandes de la société Paradis Service et sollicite subsidiairement, son entier débouté ainsi que dans tous les cas, le remboursement de la somme de 2 100 000 F versée par l'effet de l'exécution provisoire avec intérêts légaux à compter de son règlement, 200 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire et une indemnité de 50 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Paradis Service conclut à la confirmation du jugement déféré en son principe, mais forme appel incident sur le quantum des préjudices subis pour les voir porter aux sommes de 2 297 000 F, 434 000 F et 581 532 F au titre respectivement de la dépréciation du fonds de commerce, de l'exploitation sans contrepartie de l'activité lubrifiant et des disparitions de matériels ainsi que de leur réparation et de celle des locaux.

Elle réclame, en outre, une indemnité de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle oppose que la disparition de la clientèle et donc du fonds de commerce qui résulte des graves manquements commis par la société Total est à l'origine d'un préjudice dont elle est recevable à demander réparation.

Elle considère que la dépréciation du fonds de commerce est imputable à la société Total en indiquant que cette dernière ne l'a pas exploité en bon père de famille comme elle le devait en qualité de locataire gérant, mais l'a vidé de sa substance en résiliant les comptes des clients les plus importants, en pratiquant des prix systématiquement supérieurs à ceux des stations services aux alentours et en se séparant du personnel compétent avant l'annonce de sa décision de mettre fin au contrat en sorte qu'il était impossible de le relouer.

Elle ajoute que la société Total ne prouve pas que l'existence du giratoire ait fait chuter le chiffre d'affaires et conteste la réfaction opérée de ce chef par le Tribunal.

Elle allègue le détournement par la société Total des activités de vente en gros de lubrifiants qui lui ont été confiées jusqu'à la conclusion de l'avenant des 14 et 18 décembre 1990 dont sa filiale la société DCA a poursuivi ensuite l'exploitation sans contrepartie financière alors qu'elle ne l'avait nullement acquise en relevant que son manque à gagner à cet égard doit être majoré par rapport à celui fixé par les premiers juges.

Elle invoque aussi la non restitution du fonds et du matériel en bon état d'entretien par la société Total en violation du contrat de location-gérance et se prévaut de divers devis.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 07 octobre 1999.

MOTIFS DE L'ARRET

Considérant que la société Paradis Service en tant qu'ancien propriétaire du fonds de commerce en cause confié par ses soins en location-gérance à la société Total qui fonde son action sur les manquements de cette dernière à ses obligations contractuelles qui auraient abouti à une dépréciation telle qu'elle aurait généré sa déperdition, a qualité et intérêt à mettre en jeu sa responsabilité dans la fermeture dudit fonds en raison de l'inexécution du contrat de location-gérance qui les liait.

Considérant que la société Paradis Service ne sollicite plus devant la Cour de réparation au titre de la rupture anticipée du contrat de location-gérance, ni d'un prétendu préjudice moral.

Considérant qu'il incombe, en vertu de l'article 1728 du Code civil, au locataire-gérant d'user de la chose louée en bon père de famille et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, qu'il a ainsi le droit d'exploiter le fonds dans tous ses éléments et le devoir d'y procéder pour ne pas le laisser péricliter et qu'il ne doit rien faire qui le mette en péril.

Considérant certes, comme l'a justement estimé le Tribunal, que les moyens tirés d'une organisation volontaire de prix majorés au détriment de la station Total litigieuse par rapport à des distributeurs concurrents et de la diffusion de la carte " Grand Routier " par la société Total au préjudice du bailleur ne peuvent être retenus dès lors que les écarts de prix relevés par huissiers à deux reprises entre le 10 juin 1993 et le 08 juillet 1994 ne sont pas suffisamment caractéristiques à cet égard quand ils sont comparés aux tarifs de la station ELF directement concurrente et qu'il ne peut être reproché à un exploitant de la marque Total d'avoir souhaité diffuser un système de paiement susceptible de constituer une modalité de fidélisation de la clientèle dont il n'est pas discuté qu'il était en usage depuis de nombreuses années avant la conclusion du contrat de location-gérance.

Considérant qu'il résulte, en revanche, des éléments des débats que la société Total a géré le fonds dans des conditions déplorables et en violation des obligations mises à sa charge.

Considérant, en effet, que les attestations produites émanant de clients fréquentant la station service depuis très longtemps démontrent que la résiliation systématique de leurs " comptes clients " les a conduit à s'adresser à d'autres détaillants.

Que la sommation interpellative en date du 20 juin 1994 et les deux constats d'huissier dressés les 20 et 30 juin 1994 établissent qu'au moins depuis le mois d'octobre 1993, avant même la dénonciation du contrat par le locataire-gérant, le garage était fermé, que la société Total s'était séparée du personnel spécialisé y travaillant auparavant pour les affecter sur d'autres sites, que seuls demeuraient dans la station service deux personnes sans compétence particulière vivant dans une caravane implantée sur son parking, que la boutique n'était pratiquement plus achalandée, qu'il n'existait plus de rayonnage sur les murs, ni pratiquement plus d'outillage tandis qu'une partie des équipements à défaut d'entretien était dégradée.

Considérant qu'il suit de là, que la société Total qui n'a pas assumé ses obligations de locataire-gérant et a engagé sa responsabilité en contribuant largement à la perte de la clientèle et à la dépréciation notoire du fonds ne saurait utilement alléguer que sa disparition proviendrait d'une décision personnelle de la société Paradis Service alors que la fermeture à laquelle cette dernière s'est vue contrainte de procéder constitue, en réalité, la conséquence de ses agissements; que la société Total ne peut, par ailleurs, sérieusement se référer aux énonciations d'un compte rendu de réunion du Conseil d'Administration de février 1984 faisant état de la difficulté pour les pétroliers de trouver des locataires-gérants de stations service pour tenter vainement de rechercher une cause, plus de 10 ans après, à une situation dont elle est responsable.

Considérant, en outre, que si la modification de la configuration du carrefour au bord duquel est implantée la station service Total et la concurrence non contestée d'une station service Intermarché située à proximité ont pu affecter la commercialité des lieux et changer les conditions d'exploitation du fonds, il n'est pas possible d'en apprécier les effets à défaut de toute précision quant à la date du début de la distribution de carburant dans le supermarché voisin, comme de toute communication de pièces comptables de nature à justifier que l'existence de ces deux éléments aurait été à l'origine d'une chute de chiffre d'affaires ainsi qu'à en mesurer l'impact potentiel.

Que dans ces conditions, le jugement déféré sera réformé en ce qu'il a pratiqué, à ce titre, une réfaction de 30 % et le préjudice résultant de la dépréciation du fonds sera porté à la somme de 2 297 000 F selon la valeur moyenne en considération des deux critères énoncés par le Tribunal.

Considérant que lors de la cession du fonds de commerce situé à Belleu appartenant à la société des Etablissements Paradis, le 15 mai 1984, la société Paradis Service l'a acquis composé de trois activités, la station service, la vente de lubrifiants et le transport d'hydrocarbures.

Que dans le contrat de location-gérance conclu le 12 décembre 1985 entre la société Paradis Service et la société Total, il a notamment été confié à cette dernière l'activité de vente de lubrifiants.

Qu'enfin, l'avenant à cette convention signé les 14 et 18 décembre 1990 mentionne expressément que " de l'activité de revente de lubrifiants qui lui a été confiée dans la location-gérance, Total ne conservera que la revente de lubrifiants au détail à la clientèle automobile, Paradis Service reprenant les autres canaux de vente de ses produits et notamment celui de l'agriculture. En conséquence, Total restituera à Paradis le véhicule destiné à la livraison des lubrifiants ", la redevance annuelle se trouvant de ce fait réduite à 260 000 F.

Que la société Total ayant reconnu que cette activité lui avait bien été donnée en location-gérance et cessé de la rémunérer en 1990, ne saurait soutenir qu'elle était la propriété de sa filiale, la société DCA, laquelle l'a exploitée sans droit, ni titre, que le Tribunal a exactement évalué l'indemnité au titre du manque à gagner de ce chef sur la base de trois ans correspondant au terme d'exploitation effectif de la station service par la société Total.

Considérant que les premiers juges ont encore justement estimé le préjudice résultant de la perte de matériel et les frais de remise en état des locaux dont la réalité est attestée par les constats d'huissier versés aux débats en la fixant en fonction des justificatifs et des produits à la somme forfaitaire de 200 000 F.

Considérant qu'au vu de l'issue du litige, la demande de restitution de la société Total est sans objet, tandis que sa demande en dommage et intérêt n'est pas fondée.

Considérant qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des parties leurs frais irrépétibles.

Que la société Total qui succombe, à titre principal en ses prétentions supportera les dépens d'appel.

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf à porter l'indemnité au titre de la dépréciation du fonds de commerce à la somme de 2 297 000 F, Déboute les parties de leurs autres prétentions, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SA Total Raffinage Distribution aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Binoche, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.