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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 13 janvier 2000, n° 1998-02796

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

France Acheminement (SARL)

Défendeur :

Paget, Albisson, Fritz, Lapoile, Moline

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Vergne, Girot

Avoués :

SCP Sorel Dessart Sorel, SCP Boyer Lescat Merles

Avocats :

Mes Zerbib, Lazime.

T. com. Toulouse, du 11 mai 1998

11 mai 1998

Attendu que Robert Paget, Hervé Albisson, Jean-Claude Fritz, Pascal Moline et Bernard Lapoile ont, chacun séparément, souscrit entre le 27 juin 1995 et le 18 septembre 1995, un contrat de franchise avec la société France Acheminement en vue d'exercer l'activité de transporteur de plis paquets et colis sur différents secteurs du Puy de Dôme, ces contrats prenant effet à compter du 18 septembre 1995 ;

Attendu qu'il est constant que ces cinq personnes ont pris l'initiative de cesser leur activité et de rompre leurs contrats de franchise respectifs au début du mois de décembre 1995 ;

Qu'elles ont, ensuite, par actes d'huissier de justice en date du 3 avril 1997, assigné la société France Acheminement devant le Tribunal de commerce de Toulouse, demandant à cette juridiction de prononcer la nullité de leurs contrats de franchise et de condamner la société France Acheminement à leur rembourser le droit d'entrée qu'ils avaient réglé ainsi qu'à réparer leur préjudice matériel et moral et à leur verser une indemnité en application de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que par jugement en date du 11 mai 1998, le Tribunal de commerce de Toulouse, a, au visa de l'article 1116 du Code civil,

- constaté la nullité des contrats de franchise,

- condamné la société France Acheminement à restituer à chacun des demandeurs la somme de 61 000 F HT au titre du droit d'entrée,

- condamné la société France Acheminement à payer, au titre des déficits d'exploitation,

38 158 F à M. Paget,

44 705 F à M. Albisson,

32 835 F à M. Fritz,

37 122 F à M. Moline,

12 699 F à M. Lapoile,

- condamné la société France Acheminement à payer à chacun des cinq demandeurs la somme de 20 000 F au titre du préjudice moral,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné la société France Acheminement à payer à chacun des cinq demandeurs une indemnité de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Attendu que la société France Acheminement, appelante de ce jugement, en sollicite la réformation et demande à la Cour :

- de rejeter toute demande de nullité ou de résiliation des contrats de franchise dont il s'agit,

- de condamner in solidum les cinq intimés à lui verser une somme de 10 000 F au titre du préjudice moral et une somme de 567 442,46 F au titre du préjudice matériel,

- de condamner in solidum les cinq intimés à lui verser une indemnité de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC ;

Attendu que les cinq intimés concluent à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a annulé les contrats de franchise dont il s'agit ;

Qu'ils invoquent, principalement, à l'appui de cette prétention, les dispositions de l'article 1116 du Code civil relatives au dol, et, en tout état de cause, l'erreur sur les qualités substantielles du contrat ;

Qu'ils concluent également à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société France Acheminement à leur rembourser leur droit d'entrée, soit donc à chacun d'eux la somme de 61 000 F HT ;

Qu'ils concluent en revanche à la réformation du jugement déféré quant à la réparation de leurs préjudices matériel et moral et quant à l'indemnité de l'article 700 du NCPC et demandent à la Cour de condamner la société France Acheminement à payer :

- au titre du préjudice matériel :

134 276 F à Robert Paget,

105 705 F à Hervé Albisson,

108 065 F à Jean-Claude Fritz,

161 991 F à Pascal Moline,

129 581 F à Bernard Lapoile,

- 100 000 F à chacun d'eux au titre du préjudice moral,

- 20 000 F à chacun d'eux en application de l'article 700 du NCPC.

Sur quoi,

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 1116 du Code civil que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres dolosives pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres l'autre partie n'aurait pas contracté et que, par ailleurs, le dol ne se présume pas et doit être prouvé ;

Qu'ainsi, le demandeur à une action en nullité de contrat fondée sur ces dispositions doit apporter la preuve de ce que le défendeur, dans l'intention de le tromper, s'est livré à son égard à des manœuvres, ou à tout le moins a commis un mensonge ou manifesté une réticence, ayant entraîné dans l'esprit de son co-contractant une erreur ayant déterminé ce dernier à contracter ;

Attendu qu'en l'espèce, les intimés font tout d'abord valoir que le savoir-faire dont la société France Acheminement se prévalait, tant dans le contrat de franchise lui-même que dans les documents pré-contractuels qu'on leur avait fournis et dans les publicités destinées à recruter des franchisés, est en réalité inexistant et qu'en tout cas, ce qui y était présenté comme un savoir-faire n'a aucun caractère original, de sorte qu'abusés par la présentation " alléchante " de l'activité qui leur était proposée et surtout par l'utilisation du terme " franchise " dans les documents qui leur étaient présentés, alors que la société France Acheminement ne disposait d'aucun savoir-faire réel à transmettre aux candidats franchisés, ils ont été purement et simplement trompés et ont ainsi contracté des obligations et versé un droit d'entrée de 61 000 F sans réelle contrepartie ;

Attendu qu'il résulte des pièces produites que le savoir-faire dont se prévaut la société France Acheminement, défini dans le contrat de franchise lui-même, consiste pour l'essentiel, et en résumé, en la distribution de colis, plis, objets dans le cadre de tournées régulières, selon des horaires déterminés, sur un plan local au moyen de véhicules utilitaires légers, étant précisé que l'organisation de cette activité spécifique de transports de proximité est fondée sur :

- la détermination de secteurs géographiques correspondant à la zone et expédiant des marchandises à des destinataires situés dans cette même zone,

- l'organisation à l'intérieur de ces zones de tournées pouvant être effectuées dans une plage horaire précise et selon un kilométrage déterminé, un exploitant commerçant indépendant et ayant le statut de franchisé étant affecté à chacune de ces tournées, étant en outre précisé qu'il s'agit d'organiser autant de tournées qu'il est nécessaire pour assurer la couverture complète d'un secteur ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que les cinq intimés avaient bien effectivement reçu, dans les délais requis, l'information pré-contractuelle prévue par les dispositions de la loi du 31 décembre 1989 (loi Doubin);

Que ces documents, produits aux débats, comportaient,

- outre des éléments d'information relatifs à la définition ci-dessus résumée du savoir-faire de la société France Acheminement ainsi qu'à l'histoire et l'évolution de cette société,

- une description des obligations respectives des parties, et notamment celles de France Acheminement quant à l'aide et l'assistance fournies au franchisé en vue de la mise en œuvre de ce savoir-faire,

- ainsi que, et surtout, une liste de 50 entreprises franchisées parmi toutes celles appartenant d'ores et déjà au réseau France Acheminement, cette liste comprenant en outre les coordonnées de ces entreprises ainsi que la date de leur entrée dans le réseau;

Attendu, dans ces conditions, qu'il convient de considérer, outre le fait que les intimés se bornent, en définitive, dans leurs écritures, à affirmer, sans fournir véritablement d'explication ou de justifications, que le savoir-faire invoqué par la société France Acheminement ne présentait aucune originalité créative, qu'ils avaient en toute hypothèse, la possibilité, avant la signature de leur contrat, de procéder à toutes les vérifications nécessaires, notamment auprès des anciens franchisés, quant à la réalité et à la consistance exacte du savoir-faire que la société France Acheminement se proposait de leur transmettre;

Attendu, en conséquence, que les intimés ne peuvent aujourd'hui venir prétendre que la société France Acheminement les a, par des manœuvres ou par des mensonges ou réticences quelconques, intentionnellement trompés ou tenté de les tromper sur son savoir-faire en vue de les déterminer à contracter;

Attendu que MM. Paget, Albisson, Fritz, Moline et Lapoile font ensuite valoir que la clientèle que les documents contractuels et pré-contractuels laissaient présager sur les secteurs qui devaient leur être alloués était en réalité inexistante et qu'ils ont, là encore, été trompés par la société France Acheminement ou, à tout le moins, victimes d'une " erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue " ;

Mais attendu que s'il est exact que le contrat de franchise qui a été signé prévoyait que le franchiseur avait pour obligation d'apporter au franchisé la " clientèle existante actuellement sur le secteur (article 5 E du contrat), il n'est fait état d'aucun élément ou document susceptible d'être analysé comme une promesse faite par France Acheminement quant à l'existence et à la consistance d'une clientèle déjà existante sur les secteurs considérés ;

Qu'il y a lieu par ailleurs de souligner que si les documents pré-contractuels ci-dessus mentionnés faisaient certes état de ce que " la clientèle d'un franchisé est composée de plus de cent clients sous contrat ", il ne s'agissait à l'évidence que d'une indication générale sur la consistance habituellement observée de la clientèle des entreprises franchisées de l'ensemble du réseau France Acheminement et non d'un engagement de la société France Acheminement portant sur l'évaluation de la clientèle d'ores et déjà existante sur les différentes tournées du secteurs de Clermont-Ferrand ;

Qu'il était en tout cas parfaitement possible aux intimés de vérifier, avant de s'engager, la réalité et la consistance de la " clientèle existante " sur le secteur qui allait leur être attribué ;

Qu'il convient enfin de rappeler que le contrat de franchise comportait, au titre des missions confiées au franchisé, l'obligation pour celui-ci de rechercher des clients en vue de passer avec ceux-ci des contrats de prestations de services, étant observé, d'une façon plus générale, que l'économie d'un contrat de franchise consiste précisément en ce que le franchisé, commerçant indépendant, bénéficie certes de l'appui et de l'assistance du franchiseur mais n'en a pas moins pour obligation de constituer, par sa propre action commerciale, un fonds de commerce et une clientèle qui lui sont propres;

Attendu, en conséquence, qu'eu égard aux informations contenues dans les documents pré-contractuels et aux clauses du contrat lui-même, les intimés ne peuvent, là encore, venir soutenir que la société France Acheminement se serait livrée à des manœuvres dolosives en vue de les tromper sur la réalité et l'importance de leur future clientèle ;

Que, de même, et contrairement à ce que soutiennent les intimés dans leurs écritures sur cette question de la clientèle, il ne peut être sérieusement soutenu, au regard de ces mêmes éléments contractuels et pré-contractuels, que MM. Paget, Albisson, Fritz, Moline et Lapoile ont pu légitimement commettre une erreur sur les éléments substantiels des engagements auxquels on leur proposait de souscrire ;

Attendu que les intimés invoquent enfin le fait que, eu égard aux dépenses d'investissement qu'ils ont dû effectuer pour démarrer leur activité, cette activité, contrairement aux promesses faites par la société France Acheminement, ne pouvait en aucune façon être rentable ;

Mais attendu que les documents pré-contractuels révèlent qu'en fait de promesses, la société France Acheminement avait simplement communiqué à ses futurs franchisés, à titre indicatif, un compte de résultat prévisionnel d'un franchisé établi sur la base des résultats moyens des franchisés du réseau au cours de l'année 1993 ;

Qu'il convient en outre de souligner que les intimés ont cessé leur activité et ont ainsi, de fait, mis fin à leur contrat de franchise à peine trois mois après la prise d'effet de ce contrat, de sorte qu'eu égard aux aléas inhérents qu'ils ont pu fournir quant à la situation de leur entreprise au mois de décembre 1995 ne pouvaient en toute hypothèse constituer un élément significatif d'appréciation de la viabilité et de la rentabilité de leur nouvelle activité ;

Qu'il y a lieu par ailleurs de relever que la société France Acheminement a produit aux débats un certain nombre d'éléments, au demeurant non véritablement contestés, qui tendent à montrer que, à la suite du départ des intimés, cette société a, semble-t-il, implanté son activité de façon durable sur le secteur de Clermont-Ferrand ;

Qu'en conséquence, et là encore, les intimés ne peuvent valablement venir soutenir avoir été victimes de la part de la société France Acheminement, sur la question de la rentabilité de leur activité de franchisé, d'une attitude dolosive ;

Attendu, au total, que la demande formulée par les intimés tendant à obtenir, en application des dispositions de l'article 1116 du Code civil, la nullité de leur contrat de franchise n'apparaît pas fondée et doit être écartée ;

Que, par voie de conséquence, le jugement doit être réformé ;

Attendu que force est de constater qu'à l'appui de ses demandes de dommages-intérêts en réparation de son " préjudice moral " et de son " préjudice matériel " consécutifs à la rupture par les intimés de leurs contrats, la société France Acheminement ne fournit absolument aucune explication dans ses écritures et que s'agissant plus particulièrement de son " préjudice matériel ", elle se borne à produire aux débats un décompte, établi par elle-même, de frais de salaires et charges sociales engagés fin 1995 et dans le courant de l'année 1996, mais qu'elle ne fournit aucun élément justificatif ; Que ces demandes seront donc écartées ;

Attendu que l'équité ne commande pas de faire application, en l'espèce, des dispositions de l'article 700 du NCPC ;

Par ces motifs, LA COUR, Réformant le jugement déféré, Déboute les intimés de leur demande tendant à la nullité des contrats de franchise qu'ils avaient conclus avec la société France Acheminement ; En conséquence, les déboute de toutes leurs autres demandes ; Déboute la société France Acheminement de ses demandes ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du NCPC ; Condamne les intimés à supporter les entiers dépens tant de première instance que d'appel, chacun à concurrence d'un cinquième, et accorde à la SCP Sorel-Dessart, qui le demande, le bénéfice de l'article 699 du NCPC.