Cass. com., 15 février 2000, n° 97-16.690
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Garage Blandan (SARL), Buffoli, Bayle (ès qual.)
Défendeur :
Rover France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dumas
Rapporteur :
M. Grimaldi
Avocat général :
M. Lafortune
Avocats :
SCP Ghestin, Me Ricard.
LA COUR : - Joint, en raison de leur connexité, les pourvois n° 97-16.690 formé par la société Garage Blandan, M. Bayle, commissaire à l'exécution du plan de continuation de la société Garage Blandan, ainsi que M. Buffoli et n° 97-17.170 formé par la société Rover France, qui attaquent le même arrêt ; - Attendu, selon l'arrêt déféré (Paris, 9 mai 1997), que la société Rover France (société Rover), liée à la société Garage Blandan (le Garage) par deux contrats de concession, a résilié le premier contrat, portant sur des véhicules tout terrain, puis le second contrat, portant sur des voitures de tourisme ; que les deux résiliations ont été estimées abusives par le Garage qui a assigné la société Rover en paiement de dommages-intérêts ; que la première résiliation a donné lieu à un arrêt de la cour d'appel d'Amiens ;
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches, du pourvoi formé par le Garage, M. Bayle, ès qualités, et M. Buffoli : - Attendu que le Garage, M. Bayle, ès qualités, et M. Buffoli reprochent à l'arrêt d'avoir confirmé, sous réserve de l'incidence d'une éventuelle cassation de l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens, le jugement entrepris en ce que celui-ci avait rejeté les demandes du Garage, autres que la demande en réparation des conséquences du harcèlement malveillant dont le Garage a été l'objet pendant la durée du préavis alors, selon le pourvoi, d'une part, que le jugement, dès son prononcé, dessaisit le juge de la contestation qu'il tranche ; qu'en confirmant dès lors le jugement en ce qu'il a débouté le Garage, M. Bayle, ès qualités, et M. Buffoli de leur action en réparation des dommages subis par la résiliation abusive par la société Rover du contrat de concession des véhicules de tourisme, sous réserve d'une cassation de l'arrêt rendu le 5 décembre 1995 par la cour d'appel d'Amiens relatif au bien fondé de la résiliation par la société Rover de l'autre contrat, juridiquement indépendant, de concession des véhicules tout terrain, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs, violant l'article 481 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que le juge doit trancher le litige qui lui est soumis ; qu'en confirmant le jugement entrepris, sous réserve d'une cassation de l'arrêt rendu le 5 décembre 1995 par la cour d'appel d'Amiens, la cour d'appel a méconnu son office, violant l'article 4 du Code civil ; et alors, enfin, et en toute hypothèse, que, le juge devait apprécier le caractère abusif ou non de la rupture du contrat de concession des véhicules de tourisme en fonction des circonstances ayant présidé à cette rupture ; qu'en subordonnant dès lors le bien ou le mal fondé de cette rupture à une décision à venir de la Cour de cassation appelée à statuer sur le caractère légitime ou non de la rupture par la société Rover de l'autre contrat de concession portant sur les véhicules tout terrain, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de la loi des parties, violant l'article 1134 du Code civil ;
Mais attendu que le pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens ayant été rejeté, le Garage, M. Bayle, ès qualités, et M. Buffoli n'ont plus d'intérêt au moyen ; que celui-ci est donc irrecevable ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses trois branches, et sur le troisième moyen du même pourvoi, réunis : - Attendu que le Garage, M. Bayle, ès qualités, et M. Buffoli font encore le même reproche à l'arrêt alors, selon le pourvoi, d'une part, que la résiliation d'un contrat à durée indéterminée peut, même si le préavis est respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances de la rupture ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que la société Rover a rompu, le 1er décembre 1988, avec un préavis d'un an, le contrat de concession de véhicules de tourisme conclu avec le Garage Blandan, exclusivement en raison de l'action en justice engagée par ce dernier contre la société Rover pour faire sanctionner la rupture par ce concédant de l'autre contrat de concession de véhicules tout terrain, juridiquement et matériellement indépendant du contrat litigieux ; qu'en estimant que l'action en justice du garage Blandan devait avoir pour conséquence inéluctable la rupture par la société Rover du contrat de concession des véhicules de tourisme, la cour d'appel a méconnu le principe d'exécution de bonne foi des conventions, violant l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'action en justice est un droit dont l'exercice ne peut être sanctionné que s'il dégénère en abus ; qu'en estimant dès lors que l'action en justice engagée par le garage Blandan contre la société Rover devait nécessairement entraîner la rupture du contrat litigieux sans constater le caractère abusif de cette action en justice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du Code civil ; alors, encore que, dans leurs conclusions d'appel, le Garage, M. Bayle, ès qualités et M. Buffoli faisaient valoir que la société Rover avait détourné la procédure contractuelle de mise en œuvre de la résiliation du contrat, mettant le garage Blandan dans l'impossibilité de remédier à l'inexécution qui lui était reprochée ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l' article 455 du Code civil ; et alors, enfin, que la résiliation d'un contrat à durée indéterminée peut, même si le préavis est respecté, revêtir un caractère abusif en raison des circonstances qui accompagnent la rupture ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que, dès la notification de la lettre de résiliation, la société Rover a eu un comportement malveillant et déloyal, pendant toute la période de préavis, à l'égard du Garage, ce qui a entraîné une diminution très sensible de son activité ; qu'en estimant que ces circonstances ayant accompagné la résiliation ne pouvait rendre cette réalisation abusive, au seul motif qu'elles étaient postérieures à la notification de la lettre de résiliation avec préavis d'un an, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que la société Rover avait résilié le contrat de concession des voitures de tourisme avec un préavis d'une année, l'arrêt retient que cette résiliation, faite conformément aux stipulations de ce contrat, n'est pas abusive et que les fautes commises par le concédant, en cours de préavis, justifient la condamnation de celui-ci au paiement de dommages-intérêts; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses quatre branches ;
Et sur le moyen unique, pris en ses trois branches, du pourvoi formé par la société Rover : - Attendu que, de son côté, la société Rover reproche à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer la somme de 269 000 francs au Garage alors, selon le pourvoi, d'une part, que la malveillance suppose l'intention de nuire ; que la cour d'appel a reproché à la société Rover de n'avoir pas maintenu l'assistance due par le concédant à ses concessionnaires jusqu'au terme du préavis, en excluant le Garage des publicités groupées en 1989 de la marque Rover et en mettant en circulation une traite accompagnée de l'émission d'une facture indue fragilisant ainsi le crédit bancaire du Garage ; qu'en qualifiant ces faits de "harcèlement malveillant", sans caractériser l'intention de nuire de la société Rover à l'encontre de son concessionnaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; alors, d'autre part, qu'une faute n'engage la responsabilité de son auteur que si elle est la cause certaine et directe du dommage subi ; que, pour condamner la société Rover à indemniser le Garage, la cour d'appel a retenu que le "harcèlement malveillant" imputé à la société Rover explique nécessairement, au moins en partie, la baisse de17,8 % en 1989 de la marge brute de l'activité de vente de véhicules neufs, par le Garage ; qu'en statuant par ce seul motif, sans expliquer en quoi la faute reprochée à la société Rover a provoqué une baisse de la marge brute de l'activité du Garage, la cour d'appel n'a pas caractérisé le lien de causalité direct et certain devant exister entre la faute reprochée à la société Rover et le préjudice subi par le Garage, privant derechef sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ; et alors, enfin, que la mise en œuvre de la responsabilité met à la charge de celui qui l'invoque l'obligation de prouver le lien de causalité avec le préjudice allégué ; qu'en établissant le lien de causalité entre le "harcèlement malveillant" reproché à la société Rover et la baisse de la marge brute de l'activité de vente de véhicules neufs du Garage par le fait que la société Rover n'avance aucune explication sérieuse de cette diminution très sensible, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, en violation de l'article 1315 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt retient d'abord qu'au cours de l'année de préavis, la société Rover a exclu le Garage des publicités groupées des concessionnaires de la marque Rover puis a fragilisé le crédit bancaire du Garage en mettant en circulation une "traite" de 92 000 F, accompagnée de l'émission d'une facture indue, et en transmettant, avec des retards anormaux, les factures de vente de plusieurs véhicules neufs, ce qui a eu pour conséquence de différer l'encaissement des prix dus par les clients; qu'il retient ensuite, sans inverser la charge de la preuve, que ces fautes ont contribué à la baisse de l'activité de vente de véhicules neufs du concessionnaire; qu'en l'état de ces appréciations, peu important que les fautes retenues contre le concédant aient été ou non commises avec intention de nuire, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen est sans fondement ;
Par ces motifs : rejette les pourvois.