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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 18 février 2000, n° 1998-06397

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe Volkswagen France (SA)

Défendeur :

Euro Car (SA), Bor (ès qual.), Fabre

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Monin, SCP Régnier Sevestre Régnier Lamarche Bequet Régnier Régnier

Avocats :

Mes Vogel, Portolano.

T. com. Toulon, du 30 juill. 1997

30 juillet 1997

LA COUR est saisie par arrêt de renvoi du 5 mars 1998 la Cour d'appel d'Aix-en-Provence constatant l'incompétence de la juridiction saisie en première instance et faisant application des dispositions de l'article 79 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile, de l'appel formé par la société Groupe Volkswagen France (ci-après GVF) contre un jugement contradictoire rendu le 30 juillet 1997 par le Tribunal de commerce de Toulon, qui dans un litige portant sur la rupture d'un contrat de concession exclusive, l'a condamnée à payer à la société Euro Car 12 000 000 F de dommages-intérêts et 4 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et a ordonné l'exécution provisoire.

Par conclusions du 7 janvier 2000, la société Groupe Volkswagen France, appelante, intimée incidente, expose :

- qu'elle vient aux droits de la société Seat France (ci-après société Seat), suite à la fusion-absorption de cette dernière le 31 mars 1995 par la société VAG France, ancienne dénomination de l'appelante,

- que la société Seat a conclu avec la société Euro Car dirigée par Gérard Fabre, le 19 mai 1993, un contrat de concession exclusive à durée indéterminée conforme aux dispositions du règlement d'exemption 123-85 alors applicable,

- que dans le cadre de l'entrée en vigueur du nouveau règlement d'exemption automobile 1475-95 et conformément aux dispositions de ce règlement, elle-même a procédé le 27 septembre 1995, à la résiliation de ce contrat avec un préavis d'un an expirant le 30 septembre 1996, cette période étant destinée à permettre la négociation de nouveaux contrats de concession exclusive avec les différents réseaux de concession de la société,

- qu'ayant appris entretemps, le 4 juillet 1996, que la marque Volvo était distribuée dans les locaux de la société Euro Car et représentée par cette entreprise sous une enseigne Azur Automobiles en violation des dispositions de l'article IV du contrat, elle-même a été contrainte de procéder le 29 août 1996 à la résiliation extraordinaire de la convention avec un préavis d'un mois expirant le 30 septembre 1996, cette résiliation étant accompagnée d'une mise en demeure, le 18 septembre 1996, de régler les sommes dues au concédant dans les huit jours,

- que la société Euro Car a cependant obtenu le 20 septembre 1996, une ordonnance de référé du Président du Tribunal de commerce de Toulon condamnant l'appelante à poursuivre ses livraisons de véhicules et de pièces détachées durant deux années sous astreinte de 20 000 F par jour, ordonnance confirmée par arrêt du 21 mars 1997 de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, arrêt cassé le 23 mars 1999 pour manque de base légale, les juges d'appel n'ayant pas recherché si la société Euro Car n'avait pas violé les dispositions du contrat litigieux,

- qu'il est apparu que Gérard Fabre était l'un des juges de la juridiction consulaire, ce qu'il avait caché,

- qu'en application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat de concession, l'appelante a saisi le Tribunal de grande instance de Paris le 8 octobre 1996, aux fins de constater la violation de ses obligations par la société Euro Car et la résiliation régulière du contrat,

- que la société Euro Car l'a cependant assignée à jour fixe devant le Tribunal de commerce de Toulon et a obtenu de cette juridiction le 30 juillet 1997 un jugement assorti de l'exécution provisoire, la condamnant au paiement de 12 000 000 F de dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat de concession, et prononçant l'exécution provisoire,

- que saisie d'un recours contre cette décision, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a fait droit à l'exception d'incompétence soulevée par l'appelante sur le fondement des dispositions du contrats désignant le Tribunal de grande instance de Paris, et a renvoyé l'affaire devant la Cour,

- que la société Euro Car a engagé par ailleurs à son encontre des procédures multiples de saisie-attribution dont la Cour d'appel d'Amiens a ordonné la mainlevée par arrêt du 19 janvier 1999, observant que l'infirmation de la décision des juges consulaires de Toulon privait de fondement les saisies en cause,

- que sur assignation de la société Euro Car pour refus de livraison, l'astreinte prononcée contre l'appelante par ordonnance de référé du 20 septembre 1996 a été liquidée par le juge de l'exécution de Toulon le 29 avril 1998 à 400 000 F, cette décision ayant conduit l'appelante à accepter les commandes de la société Euro Car en véhicules neufs et pièces détachées jusqu'à atteindre le plafond d'encours soit 2 835 000 F, et ce jusqu'à l'expiration du délai de deux ans prescrit par cette ordonnance de référé, le 26 septembre 1998,

- que la société Euro Car ayant fait l'objet le 2 novembre 1998 de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire simplifiée ultérieurement convertie en liquidation judiciaire le 9 juin 1999, elle-même a régulièrement déclaré sa créance pour un montant en principal de 3 846 433,23 F,

- qu'elle a été cependant amenée à déposer une requête en suspicion légitime à l'encontre du Tribunal de commerce de Toulon afin que l'examen de cette procédure collective soit confié à une autre juridiction, la procédure ayant été finalement renvoyée devant le Tribunal de commerce de Marseille par ordonnance du 3 mars 1999 du premier président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence,

- qu'il est apparu en effet que la juridiction consulaire de Toulon, qui avait refusé de se dessaisir lors de l'instance au fond introduite le 3 juin 1997 au motif que Gérard Fabre était démissionnaire de ses fonctions, s'était fondée sur un courrier de ce dernier faussement daté du 16 mai 1997, alors que la véritable lettre de démission de Gérard Fabre, datée du 10 juin 1997, avait été adressée à la préfecture du Var le 17 juin 1997 et que Gérard Fabre avait poursuivi ses fonctions juridictionnelles jusqu'à cette date,

- que de la même manière, Gérard Fabre n'a pas hésité à produire un procès-verbal des mines antidaté au 29 septembre 1998 afin de faire échec à une procédure de revendication de véhicules engagée par l'appelante, conduisant cette dernière à déposer plainte pour escroquerie et à se constituer partie civile à son encontre le 10 septembre 1999 auprès du Doyen des juges d'instruction de Marseille,

- qu'enfin, la même ordonnance de référé ordonnant la poursuite des relations contractuelles a conduit la société Volkswagen Finance, qui assure le financement des opérations des concessionnaires automobiles du groupe, à consentir à la société Euro Car des financements ponctuels et à maintenir une avance sur production de 350 000 F que l'intimée n'a pas remboursée, l'appelante ayant obtenu par jugement du 9 septembre 1999 du Tribunal de grande instance de Paris la fixation de cette créance au passif de la société Euro Car pour un montant en principal de 536 243,78 F.

Elle ajoute que l'incident de communication de pièces soulevé par les intimés n'est pas fondé alors qu'eux-mêmes se sont refusés à produire les comptes de liquidation de la société Euro Car, ainsi que ses comptes de résultats depuis 1997 et ceux de la société Azur Automobiles, et demande à la Cour :

- à titre principal,

* de constater qu'elle justifie de son intervention aux lieu et place de la société Seat,

* de dire que la résiliation extraordinaire du contrat de concession est bien fondée et non abusive au regard du règlement d'exemption communautaire 123-85 applicable en l'espèce, et des dispositions contractuelles prises conformément à ce règlement, la violation de ses obligations par la société Euro Car étant caractérisée,

* qu'en tout état de cause la société Euro Car n'a pas respecté les conditions relatives au multimarquisme fixées par le règlement 1475-95,

* de dire qu'elle-même n'a pas eu une attitude caractérisant la volonté de nuire à la société Euro Car, et que cette dernière n'apporte la preuve d'aucun préjudice indemnisable du fait de cette résiliation qui soit imputable à l'appelante,

* de dire que Gérard Fabre ne subit aucun préjudice personnel du fait de la résiliation du contrat de concession,

* de fixer au passif de la société Euro Car la partie de la créance de l'appelante correspondant aux livraisons de véhicules neufs et pièces détachées de la marque Seat demeurées impayées soit 2 883 115,95 F,

* de rejeter la demande d'expertise présentée par l'intimée à titre subsidiaire,

- à titre subsidiaire, d'ordonner la compensation du montant de sa condamnation avec la créance qu'elle détient sur la société Euro Car, déclarée pour un montant total de 3 846 433,23 F,

- de condamner Maître Henri Bor ès qualités et Gérard Fabre à lui payer 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions du 7 janvier 2000, Maître Henri Bor ès qualités de mandataire liquidateur de la société Euro Car, intimé, appelant incident, et Gérard Fabre, intervenant volontaire, répliquent :

- que les règlements d'exemption sont d'interprétation stricte en tant qu'ils constituent un régime d'exception aux règles de concurrence fixées par l'article 85 du Traité de Rome, aucune restriction additionnelle de concurrence par rapport au cadre exempté par le règlement ne pouvant être admise,

- que l'article 7 du nouveau règlement 1475-95 entré en vigueur le 1er octobre 1995, qui autorisait la poursuite des accords conclus sous l'empire du règlement 123-85 à condition qu'ils soient conformes à ce règlement, n'est pas applicable au cas d'espèce, car le contrat litigieux ne remplissait pas les conditions d'exemption prévues par ce dernier,

- qu'en effet, la clause du contrat de concession litigieux, par laquelle la société Seat a étendu abusivement aux associés et dirigeants de la société concessionnaire l'engagement pris par cette dernière de ne pas conclure un autre accord avec une autre marque, constituait une restriction additionnelle non prévue par le règlement 123-85 et contraire au principe d'interprétation stricte des règlements d'exemption,

- que même en cas d'application de l'article 7 du règlement 1475-95, la clause IV-2 et IV-3 du contrat de concession reste inopposable aux intimés car contraire aux dispositions des deux derniers alinéas de l'article 85 du Traité, ainsi qu'aux règles de libre concurrence inscrites dans l'ordonnance du 1er décembre 1986,

- que la mauvaise foi de la société GVF est entière, puisqu'elle n'a pas renouvelé le contrat de concession début 1996 comme elle l'avait formellement promis, l'appelante ne pouvant invoquer son propre retard à élaborer un nouveau contrat pour justifier l'application de restrictions additionnelles non prévues par le règlement européen,

- qu'elle ne justifie pas davantage de la faute grave imputée au concessionnaire, les procès-verbaux qu'elle produit ayant été établis neuf mois après la rupture des relations contractuelles, l'appelante ayant dû recourir à des artifices procéduraux tels que sa requête en suspicion légitime et sa plainte pénale pour étayer un dossier vide de preuve,

- que l'arrêt rendu le 23 mars 1999 par la Cour de cassation, sur lequel se fonde l'appelante, est ici sans portée, puisqu'il ne se prononce pas sur le fait de savoir si les clauses IV-2 et IV-3 du contrat de concession étaient exemptées en tant que telles par le règlement 123-85, ni sur la portée qui doit être donnée à l'article 7 du règlement 1475-95,

- que le comportement abusif de la société VGF a aggravé le préjudice subi par la société Euro Car, qui ne saurait être chiffré à un montant inférieur à 12 000 000 F, sauf à recourir à une expertise,

- que Gérard Fabre a également subi un préjudice personnel résultant directement de la rupture du contrat de concession, puisqu'il a été poursuivi en sa qualité de caution de la société Euro Car et a dû payer 532 000 F, et en demande réparation,

- que la demande reconventionnelle de la société GVF, tendant à la fixation de sa créance, n'est pas suffisamment étayée et doit être rejetée, de même que sa demande de compensation qui viole le principe d'égalité des créanciers de la procédure collective.

Ils demandent à la Cour :

- de donner acte à Maître Henri Bor de son intervention volontaire devant la Cour, ès qualités,

- de constater que l'appelante n'a pas répondu à la sommation de communiquer qui lui a été régulièrement signifiée et qu'elle ne justifie pas de la raison pour laquelle elle intervient aux lieux et place de la société Seat France, et de la déclarer in limine litis irrecevable en son appel,

- de constater que l'article IV-2 et 3 du contrat de concession Seat était inopposable à la société Euro Car en ce sens qu'il étendait l'obligation d'exclusivité aux associés et dirigeants du concessionnaire ainsi qu'à une personne morale distincte, ces dispositions constituant une clause restrictive additionnelle aux libertés anticoncurrentielles prévus limitativement par le règlement 123-85,

- que l'article 7 du règlement 1475-95 n'étant pas applicable au cas d'espèce, l'article 13 de ce règlement seul applicable ne permettait pas au concédant de résilier le contrat pour faute grave constatée le 29 août 1996, le règlement 123-85 n'étant plus applicable depuis le 1er octobre 1995,

- subsidiairement, de dire que la société Euro Car reste en droit de contester l'opposabilité des clauses contenues dans l'article IV-2 et 3 du contrat de concession en vertu de l'article 85 § 3 a) et b) du Traité, et d'annuler en conséquence le contrat signé entre la société Seat et la société Euro Car le 19 mai 1993,

- de prononcer en tout état de cause la nullité de la clause contestée, par nature anticoncurrentielle,

- de dire que pour toutes ces raisons la résiliation du contrat pour faute grave intervenue le 29 août 1996 était fondée sur un motif illicite naturellement constitutif d'un abus de droit,

- de dire que la résiliation du 27 septembre 1995 est constitutive d'une faute, la société Seat France n'ayant pas proposé un contrat adapté au nouveau règlement au début de l'année 1996,

- de constater la mauvaise foi du concédant et le préjudice causé à la société Euro Car, dont il est demandé réparation à hauteur de 14 400 000 F si l'on se fonde sur la valeur du fonds de commerce, ou 13 435 000 F si l'on prend en compte les pertes réalisées, ou encore 12 000 000 F si l'on se fonde sur la décision des premiers juges,

- d'ordonner à défaut une expertise en condamnant l'appelante à lui verser une provision de 4 000 000 F,

- de condamner le groupe GVF à payer à Gérard Fabre 532 000 F avec intérêts à compter du jugement l'ayant condamné en qualité de caution, et réserver ses droits pour tout autre préjudice,

- de rejeter les demandes de fixation de créance et de compensation et plus généralement toutes les demandes formées par l'appelante,

- de la condamner à verser à la société Euro Car 150 000 F en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur la compétence de la Cour :

Considérant que par arrêt du 5 mars 1998, la Cour d'appel d'Aix-en-Provence saisie d'un appel formé contre le jugement rendu le 30 juillet 1997 par le Tribunal de commerce de Toulon dans le litige opposant la société Groupe Volkswagen France (société GVF) et la société Euro Car à la suite de la rupture d'un contrat de concession automobile, a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris, conformément à la clause d'attribution de compétence stipulée dans ce contrat et en application des dispositions de l'article 79 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile ;

Considérant que les parties ne formulent aucune observation sur ce point ;

Qu'il résulte en effet des dispositions de l'article XIX-5 du contrat de concession litigieux que les parties entendent porter devant le Tribunal de grande instance de Paris toutes contestations concernant l'exécution du contrat ;

Que la Cour retient dès lors sa compétence pour statuer dans cette procédure ;

Sur l'incident de communication de pièces :

Considérant que les intimés font grief à la société GVF de n'avoir pas répondu à la sommation de communiquer qu'ils déclarent lui avoir régulièrement signifiée ;

Considérant que cette sommation sur le contenu de laquelle les intimés ne fournissent aucune explication, ne figure pas dans le dossier de procédure, ni dans les pièces produites ; que dès lors, la Cour n'est pas en mesure de statuer sur l'incident, qui apparaît sans objet ;

Sur la recevabilité de l'appel :

Considérant que les intimés reprochent à la société GVF de n'avoir pas justifié de la raison pour laquelle elle intervenait aux lieu et place de la société Seat signataire du contrat, et demandent à la Cour de déclarer son appel irrecevable ;

Considérant toutefois que la société GVF a versé aux débats les pièces établissant que la société Seat a fait l'objet le 31 mars 1995 d'une fusion-absorption par la société Volkswagen France, ultérieurement devenue société Groupe Volkswagen France par changement de dénomination sociale ;

Qu'elle justifie ainsi de son intérêt à agir et de la recevabilité de son appel ;

Sur le fond :

Considérant que la société Seat ultérieurement absorbée par la société Volkswagen France devenue société Groupe Volkswagen France (GVF), a conclu le 19 mars 1993 un contrat de concession exclusive à durée indéterminée, les dispositions du règlement d'exemption automobile 123-85 étant alors applicables ;

Que ce règlement a été remplacé par un nouveau règlement d'exemption automobile 1475-95, entré en vigueur le 1er octobre 1995 ; que l'article 1er de ce règlement dispose que " conformément à l'article 85 § 3 du Traité, l'article 85 § 1 est déclaré inapplicable, dans les conditions fixées par le présent règlement, aux accords auxquels ne participent que deux entreprises, et dans lesquels une partie à l'accord s'engage vis-à-vis de l'autre à ne livrer, à l'intérieur d'une partie définie du marché commun, que à celle-ci, ou que à celle-ci et à un nombre déterminé d'entreprises du réseau de distribution, dans le but de la revente des véhicules neufs automobiles (...) et en liaison avec ceux-ci, leurs pièces de rechange " ;

Considérant que l'article 7 de ce règlement dispose toutefois que " l'interdiction énoncée à l'article 85 paragraphe 1 du traité ne s'applique pas pendant la période du 1er octobre 1995 au 30 septembre 1996 aux accords déjà en vigueur au 1er octobre 1995 et qui remplissaient les conditions d'exemption prévues par le règlement (CEE) n° 123-85 ", les accords conclus avant cette date maintenant leurs effets - sous la réserve exprimée dans ces conditions - jusqu'au 30 septembre 1996 ;

Considérant que la société GVF a procédé le 27 septembre 1995, dans ce cadre, à la résiliation du contrat avec un préavis d'un an expirant le 30 septembre 1996, précisant dans ce courrier qu'un nouveau contrat de la marque Seat serait proposé à la signature de la société Euro Car " d'ici à début 1996 " ;

Que ce nouveau contrat n'ayant pas encore été établi, la société GVF a procédé le 29 août 1996 à la résiliation extraordinaire du contrat conclu le 23 mars 1993, avec préavis d'un mois conformément aux dispositions de son article XV-2, au motif que la société Euro Car se serait rendue coupable d'une violation grave de ses obligations contractuelles, en l'espèce en acceptant, le 4 juillet 1996, de distribuer la marque Volvo sans avoir recueilli l'accord écrit et préalable du concédant comme l'article IV du contrat le lui imposait ;

Considérant que la société Euro Car lui oppose la nullité de cette clause contractuelle, qui ne serait pas conforme aux dispositions restrictives contenues dans le règlement 123-85 ; qu'elle ajoute que la condition fixée par l'article 7 du nouveau règlement 1475-95 n'ayant pas été remplie, seul ce nouveau règlement est applicable, et que les nouvelles dispositions d'exemption admettant la distribution multi-marque, la décision de rupture prise par la société GVF est dépourvue de toute justification ;

Considérant, sans qu'il y ait lieu de revenir sur les nombreux litiges ayant opposé ou opposant les parties, dont la Cour n'est pas saisie, qu'il convient de rechercher tout d'abord si le règlement d'exemption 123-85 était en l'espèce applicable, et si la faute grave reprochée par la société GVF à la société Euro Car et à son dirigeant est établie ;

1- Sur l'application du règlement d'exemption automobile 123-85 et du contrat de concession en date du 19 mars 1983 :

Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 7 du règlement 1475-95 que l'interdiction énoncée à l'article 85 § 1 du Traité ne s'applique pas pendant la période du 1er octobre 1995 au 30 septembre 1996 aux accords déjà en vigueur au 1er octobre 1995, à condition que ces accords remplissent les conditions d'exemption prévues par le règlement 123-85 ;

Que les intimés contestent la validité des dispositions contractuellement adoptées entre les parties, qui constitueraient des clauses additionnelles restrictives de concurrence non prévues par le règlement 123-85 ; qu'ils font valoir que l'appelante ne pouvait lier l'obligation de non-concurrence qu'à la seule personne du concessionnaire, soit en l'espèce la société Euro Car, personne morale, l'extension des mêmes obligations à ses dirigeants ou à une société distincte étant abusive ;

Qu'il convient dès lors de rechercher si ces clauses étaient conformes aux conditions fixées par le règlement d'exemption 123-85 alors en vigueur ;

Considérant que l'article IV-2 du contrat de concession conclu le 19 mars 1993 dispose que " le concessionnaire agissant en son nom et se portant fort des personnes physiques ou morales composant ses organes de direction, d'administration ou de surveillance, s'engage à ne pas s'intéresser, soit lui-même, soit par personne interposée, soit par prise d'intérêt au placement, à la vente, à la distribution, à l'achat, à la construction, à l'adaptation de véhicules et des pièces de rechange et accessoires concurrents des " produits Seat " et cela dans toute la France métropolitaine et dans les DOM-TOM, sans le consentement écrit et préalable du concédant " ;

Que selon l'article IV-3 de la convention, " le concessionnaire, lorsqu'il exploite sous forme de société, et ses dirigeants et associés, d'une part déclarent ne pas posséder d'autres participations financières directes ou indirectes, ni exercer d'emploi rémunéré ou non dans d'autres entreprises de distribution automobiles ou concurrentes, et d'autre part s'engagent à ne pas installer, acquérir ou exploiter directement ou indirectement de nouveaux établissements et à ne pas constituer de nouvelles sociétés exerçant une activité en matière de distribution automobile, ni dans la même exploitation commerciale, même s'agissant de véhicules non concurrents, ni sur l'ensemble du territoire national s'agissant de produits concurrents, sans le consentement écrit et préalable du concédant " ;

Considérant que l'article 3 § 3 du règlement d'exemption 123-85 dispose que " l'exemption accordée au titre de l'article 85 § 3 du Traité CEE s'applique également lorsque l'engagement décrit à l'article 1er est lié à l'engagement du distributeur (...) de ne pas vendre des véhicules automobiles neufs concurrents des produits contractuels et de ne pas vendre dans des exploitations commerciales dans lesquelles sont offerts des produits contractuels, des véhicules neufs offerts par d'autres que le constructeur " ;

Que l'article 11 du même règlement prévoit que ses dispositions " sont également applicables pour autant que les engagements visés aux articles 1er à 4 concernent des entreprises qui sont liées à une partie à l'accord " ;

Que selon son article 13 § 2, " les parties à l'accord " sont les entreprises participant à un accord au sens de l'article 1er : l'entreprise fournissant des produits contractuels est " le fournisseur ", et l'entreprise chargée d'en assurer la distribution et le service est " le distributeur " ; que l'article 13 § 8 du règlement 123-85 définit les " entreprises liées " comme celles dont l'une dispose, " directement ou indirectement ", de plus de la moitié du capital ou des droits de vote dans l'autre entreprise, du pouvoir de désigner plus de la moitié de ses organes de surveillance, d'administration ou de représentation, ou du droit de gérer les affaires de l'autre entreprise ;

Considérant dès lors que les clauses contractuelles litigieuses qui visent les personnes physiques ou morales composant les organes de direction, d'administration ou de surveillance du distributeur, loin de constituer des restrictions additionnelles non prévues par le règlement d'exemption 123-85, sont la traduction nécessaire de ses dispositions lorsque, comme en l'espèce, " l'entreprise " concessionnaire est exploitée sous la forme d'une société disposant de la personnalité morale, sauf à priver l'interdiction prévue par ce règlement de toute portée;

Que les dispositions du contrat de concession prohibant la prise d'intérêt direct ou indirect, la création d'établissements ou la constitution de sociétés exerçant une activité de distribution automobile, par le concessionnaire ainsi que par ses dirigeants et associés lorsque l'entreprise est exploitée sous forme de société, ne font que reprendre celles du règlement 123-85 relatives aux entreprises liées directement ou indirectement à l'une des parties à l'accord ;

Qu'il convient d'observer que ces clauses litigieuses s'avèrent moins restrictives pour le distributeur que ne l'est le règlement 123-85, puisqu'elles prévoient la possibilité pour ce dernier - et notamment son dirigeant - d'obtenir auprès du concédant l'autorisation de distribuer des produits concurrents par dérogation à ces interdictions;

Considérant que par arrêt du 18 décembre 1986, la CJCE a dit pour droit que le règlement 123-85 " n'établit pas de prescriptions contraignantes affectant directement la validité ou le contenu des clauses contractuelles ou obligeant les parties contractantes à y adapter le contenu de leur contrat, mais se limite à établir des conditions qui, si elles sont remplies, font échapper certaines clauses contractuelles à l'interdiction et par conséquent à la nullité de plein droit prévues par l'article 85 § 1 et 2 du Traité " ;

Qu'il convient enfin d'observer que l'article 3 du nouveau règlement 1475-95 ne remet que très partiellement en cause cette règle de non-concurrence, puisqu'il soumet la distribution d'autres marques de strictes conditions, en l'espèce uniquement " 3) (...) dans les locaux de vente séparés soumis à une gestion distincte et de manière telle qu'une confusion de marques soit exclue " ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que les clauses litigieuses remplissent les conditions prévues par le règlement d'exemption 123-85, et par conséquent celles qui ont été fixées par l'article 7 du règlement 1475-95 subordonnant la validité des contrats en cours à cette conformité;

Considérant que les intimés font encore valoir que les dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 85 du Traité, applicables aux pratiques restrictives de concurrence, doivent recevoir application, et qu'en tout état de cause les clauses litigieuses du contrat de concession sont contraires aux dispositions du droit interne relatives à la libre concurrence ;

Considérant toutefois que le règlement d'exemption 1475-95 ayant écarté dans son article 7 l'application de l'article 85 § 1 du Traité aux accords conclus avant son entrée en vigueur, les dispositions des paragraphes 2 et 3 du même article, qui se réfèrent aux dispositions de son premier paragraphe, ne peuvent recevoir application ; que les clauses du contrat litigieux, autorisées par les règles communautaires, ne sauraient entrer dans les prévisions de l'ordonnance du 1er décembre 1986, relatives aux pratiques anticoncurrentielles ;

Qu'il convient de déclarer le règlement 123-85 applicable en l'espèce, et de constater la validité des clauses contractuelles contenues dans l'article IV-2 et 3 du contrat de concession ;

2- Sur le bien fondé de la résiliation extraordinaire du contrat de concession le 29 août 1996 :

Considérant qu'il ressort des pièces produites devant la Cour que, selon acte du 4 juillet 1996, la société Volvo Automobiles France a signé un contrat de concession automobile avec " la société Azur Automobiles ayant son siège Lotissement Ollioules à Ollioules, et représentée par son président directeur général Gérard Fabre " ;

Qu'il résulte cependant des statuts de la société Azur Automobiles, versés aux débats, que cette société a été ultérieurement constituée sous forme d'une société à responsabilité limitée le 1er octobre 1996 entre Gérard Fabre nommé gérant, et Jean-François Mas, " employé " ; que la page 3 de ce document, où figure vraisemblablement la répartition du capital de cette société puisque le titre II des statuts intitulé " apports capital parts sociales " apparaît au bas de la page 2, est manquante ; qu'il résulte de l'extrait K Bis communiqué que la société Azur Automobiles a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Toulon le 28 octobre 1996 ; qu'il convient de relever que les intimés n'ont pas répondu à la sommation que leur a notifiée l'appelante de communiquer notamment les bilans et comptes de résultats de cette société depuis sa constitution ; qu'en tout état de cause, à la date du 4 juillet 1996, la " société " Azur Automobiles n'avait pas encore d'existence ;

Considérant qu'il résulte d'un procès-verbal de constat établi le 31 juillet 1996, qu'à l'extérieur de la concession Seat avait été apposée une banderole Volvo, et qu'une affiche portant la photographie d'un véhicule Volvo ainsi que l'inscription " Nouvelle Volvo S 40 " était fixée sur la vitrine du hall d'exposition ; que deux autres procès-verbaux de constat, établis le 13 et le 30 septembre 1996, mentionnent que des véhicules neufs Volvo et Seat sont visibles dans le hall d'exposition, sans aucune séparation entre les deux marques ;

Qu'il ressort de procès-verbaux de constats ultérieurement dressés le 30 mai 1997 et le 14 mai 1998, que les véhicules portant la marque Seat ou la marque Volvo se trouvaient dans le même hall d'exposition, aucune séparation n'ayant été aménagée entre eux ; que le personnel employé par la société Euro Car était affecté indifféremment à la distribution de l'une ou l'autre marque ; que la promotion, la vente et le service après-vente des deux marques ne faisaient l'objet d'aucune distinction ;

Considérant que bien que les deux derniers de ces procès-verbaux aient été établis plusieurs mois après la rupture des relations contractuelles, les renseignements que tous contiennent établissent sans ambiguïté que les locaux où la société Euro Car exerçait ses activités ont servi à la distribution des deux marques, dans des conditions que même le nouveau règlement d'exemption 1475-95 n'a pas validées;

Considérant que l'interrogation " Euridile " versée aux débats par l'appelante mentionne, sous la dénomination société Euro Car, " le nom commercial-enseigne Seat Volvo Azur Automobiles " ; que les intimés n'ont pas répondu à la sommation que leur a notifiée l'appelante, de produire les comptes de la société Euro Car pour cette période ; qu'en outre, la société Euro Car est mal venue à soutenir qu'elle avait retrouvé une entière liberté dans son activité de distributeur, puisqu'elle-même avait sollicité et obtenu le 20 septembre 1996 de la juridiction consulaire de Toulon, pour deux ans, une décision imposant la poursuite des relations contractuelles entre elle-même et la société GVF ;

Considérant que les intimés ne produisent aucun courrier ni aucune pièce faisant état d'une information de distribution des produits d'un concurrent, ni a fortiori d'une demande d'autorisation que le concessionnaire aurait dû solliciter préalablement auprès du concédant, conformément aux stipulations contractuelles convenues entre les parties;

Considérant qu'il résulte de ces constatations que la société Euro Car et son dirigeant ont violé l'engagement de non-concurrence inscrit dans le contrat de concession, qui en constituait une obligation essentielle; que l'effet rétroactif attaché à la reprise des actes d'une société en formation ne saurait couvrir la fraude commise ; que la résiliation extraordinaire pour faute du contrat de concession avec préavis d'un mois, à laquelle a procédé la société GVF en application des dispositions de l'article XV du contrat, était en conséquence justifiée et n'avait aucun caractère précipité; que Maître Henri Bor ès qualités, pas plus que Gérard Fabre, ne justifient d'aucun abus qu'aurait commis l'appelante dans un prétendu retard apporté à l'établissement d'un nouveau contrat de concession début 1996, ni dans l'exercice de son droit de procéder à la résiliation ; qu'il n'est justifié d'aucun fait imputable à la société GVF, susceptible d'être retenu au titre d'une intention de nuire ;

Considérant que les demandes de dommages-intérêts formées par Maître Henri Bor ès qualités et par Gérard Fabre à titre personnel, qui sont fondées sur la faute qu'ils imputent à tort à la société GVF, ne peuvent qu'être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise ;

3- Sur la demande reconventionnelle de la société Groupe Volkswagen France :

Considérant que la société GVF demande à la Cour de fixer sa créance au passif de la société Euro Car à 2 883 115,95 F, cette somme correspondant aux livraisons de véhicules neufs et de pièces détachées de la marque Seat effectuées par l'appelante en exécution de l'ordonnance de référé du 19 septembre 1996, qui sont restées impayées ;

Considérant que Maître Henri Bor ès qualités fait valoir que cette demande est irrecevable du fait de l'ouverture de la procédure collective dont la société Euro Car fait l'objet depuis le 2 novembre 1998 ;

Considérant toutefois que l'appelante justifie avoir régulièrement déclaré sa créance au passif de la société Euro Car, le 15 décembre 1998, et verse aux débats les pièces justificatives de son montant ; qu'il convient de faire droit à sa demande ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu à compensation ;

Qu'il est équitable que la société GVF soit indemnisée des frais qu'elle a engagés en première instance et en appel ;

Par ces motifs, Dit n'y avoir lieu à statuer sur l'incident de communication de pièces soulevé par Maître Henri Bor ès qualités et par Gérard Fabre, Déclare recevable l'appel formé par la société Groupe Volkswagen France, Déboute Maître Henri Bor ès qualités et Gérard Fabre de toutes leurs demandes, Infirme la décision entreprise, en toutes ses dispositions, Fixe à 2 883 115,95 F en principal, le montant de la créance de la sociétés Groupe Volkswagen France au passif de la société Euro Car, Condamne in solidum Maître Henri Bor ès qualités et Gérard Fabre à payer à la société Groupe Volkswagen France 50 000 F au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, Les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel, Admet Maître Monin, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.