CA Pau, 2e ch. sect. 1, 29 février 2000, n° 97-02902
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Zannier (Sté), Zannier (SA)
Défendeur :
Berthe (ès qual.), Cigamont (SARL), Mont Alma (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Larque, Conseillers : MM. Roux, Courtaigne
Avoués :
Me Marbot, SCP Piault-Carraze
Avocats :
Mes Genin, Meresse.
Par jugement en date du 4 juillet 1997, le Tribunal de commerce de Mont de Marsan, a notamment, en déclarant Maître Berthe, en qualité de liquidateur de la liquidation judiciaire des SARL Cigamont et Mont Alma, recevable en sa demande fondée sur les dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, condamné solidairement la SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier à lui payer la somme de 2 500 000 F avec intérêts non capitalisables au taux légal à compter du 28 juin 1995 au principal et celle de 30 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
La SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier ont régulièrement relevé appel de cette décision par acte du 17 juillet 1997 en sollicitant
- au principal, que soit prononcée, au visa de l'article 6 de la Convention des Droits de l'homme, la nullité des actes de poursuite diligentés à leur encontre sur le fondement des dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985,
- subsidiairement, qu'il soit constaté que les conditions d'application des dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985 ne sont pas réunies,
- en toute hypothèse, l'allocation à chacune d'elles de la somme de 50 000,00 F à titre de dommages et intérêts et de celle de 50 000,00 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
Maître Berthe a, en qualité, conclu pour sa part, outre à l'allocation de la somme de 50 000,00 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, à la confirmation de ce jugement, sauf à porter le montant des condamnations à la somme de 4 447 135,00 F et à dire que les intérêts dus sur cette somme se capitaliseront conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil,
Le Ministère Public a visé la procédure le 27 octobre 1997 et l'ordonnance de clôture a été rendue le 5 octobre 1999,
Sur quoi La Cour
Attendu qu'il ressort des faits constants de la cause tels qu'ils sont établis par les écritures des parties et les documents versés aux débats
- que la SA Z Groupe Zannier a consenti à Madame Berthod, par acte sous seings privés en date du 26 septembre 1986, un contrat de franchise " Z " pour l'exploitation d'un fonds de commerce situé 7 rue Saint Roch à Mont de Marsan,
- que la SA Z Groupe Zannier a consenti à la SARL Mont Alma, par acte sous seings privés en date du 26 juin 1987, un contrat de franchise " Z " pour l'exploitation d'un fonds de commerce situé 6 place de Verdun à Auch,
- que par deux accords de règlement conclus vraisemblablement à la fin du mois de mars 1992, la SARL Cigamont qui, créée le 23 décembre 1988, participait à l'exploitation du fonds de commerce de Madame Berthod depuis le mois d'octobre 1991, et la SARL Mont Alma ont convenu avec la SA Zannier de verser à celle-ci, pour le règlement de factures impayées, 70 % de sa recette journalière pour la SARL Cigamont et la totalité de sa recette pour la SARL Mont Alma, la SA Zannier s'engageant à reverser à celle-ci, en fin de mois, 30 % de son chiffre d'affaires hors taxes,
- que la SA Zannier a mis fin à ces accords de règlement le 23 juillet 1992,
- que la SA groupe Zannier a résilié, avec effet immédiat, les contrats de franchise le 6 mai 1993,
- que le Tribunal de commerce de Mont de Marsan a ouvert la procédure de redressement judiciaire de la SARL Cigamont par jugement en date du 29 octobre 1993 et prononcé sa liquidation judiciaire par jugement en date du 5 novembre 1993,
- que cette procédure a été étendue à la SARL Mont Alma par un jugement rendu le 25 février 1994 avec confusion des actifs et des passifs de ces sociétés,
- que Madame Berthod, gérante de la SARL Cigamont, a fait l'objet d'une procédure personnelle de redressement judiciaire ouverte par un jugement rendu le 5 mai 1995 convertie en liquidation judiciaire par décision en date du 7 juin 1996,
Attendu qu'à l'appui de leur appel du jugement rendu le 4 juillet 1997, la SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier font principalement valoir
- que le choix procédural de Maître Berthe de n'avoir pas également assigné les dirigeants de droit des SARL Cigamont et Mont Alma les a privés d'un procès équitable au sens des dispositions de l'article 6 de la Convention des Droits de l'Homme,
- qu'il n'est nullement rapporté par Maître Berthe, en qualité, la preuve qu'elles ont exercé des actes positifs et réguliers de direction qui permettraient de leur appliquer la qualification de dirigeants de fait des SARL Cigamont et Mont Alma,
- qu'il n'est pas plus justifié par Maître Berthe, en qualité, des fautes de gestion qu'elles auraient commises en leur qualité de dirigeants de fait ni de l'insuffisance d'actif qui en serait résultée,
Attendu que Maître Berthe fait plaider pour sa part, en qualité
- que les moyens des sociétés appelantes relatifs aux dispositions de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'homme sont inopérants dès lors que tant la SA Z Groupe Zannier que la SA Zannier ont pu présenter librement leur moyen de défense et que la mise en cause des dirigeants de droit des sociétés Cigamont et Mont Alma s'avérait vaine en raison de la liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de Madame Berthod et de l'insolvabilité de Monsieur Berthod,
- que la SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier avaient bien la qualité de dirigeants de fait des sociétés Cigamont et Mont Alma dès lors qu'elles imposaient, par les clauses des contrats de franchise, les prix de revente des marchandises qu'elles distribuaient, les fournisseurs des entreprises franchisées, la totalité des produits qui devaient être vendus dans les magasins de leurs franchisés, les marges commerciales des entreprises franchisées, et qu'elles avaient, outre un pouvoir général de contrôle et de sanction, la maîtrise tant des investissements engagés par les sociétés franchisées que de la gestion de leurs recettes,
- que ces sociétés ont commis des fautes de gestion en ne procédant pas à des études de marché préalables à la conclusion des contrats de franchise, en procédant à des facturations illicites et en soutenant abusivement l'activité déficitaire des sociétés Cigamont et Mont Alma,
- que l'ensemble de ces comportements et fautes sont directement à l'origine du passif de la liquidation judiciaire des sociétés Cigamont et Mont Alma,
Attendu que la Cour se référera par ailleurs pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties aux dispositions de la décision dont appel en ce qu'elles ne sont pas contraires à celles du présent arrêt ainsi qu'aux conclusions visées ci-dessus en référence et déposées au dossier de la procédure,
SUR LES DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 6 DE LA CONVENTION DES DROITS DE L'HOMME
Attendu que les SA Z Groupe Zannier et Zannier font valoir de ce chef que Maître Berthe, qui connaissait l'ampleur des fautes de gestion commises par les dirigeants de droit des sociétés Cigamont et Mont Alma, les a privées, en n'assignant cependant pas ces dirigeants sur le fondement des dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, d'un procès équitable dès lors qu'aucun débat contradictoire ne peut, par suite, être tenu sur la réalité de la gestion de ces sociétés,
Attendu, cependant, qu'il convient de constater que le débat auquel ont droit les sociétés Z Groupe Zannier et Zannier est complet dans la mesure où elles n'ont à répondre que des éventuelles fautes qu'elles ont pu commettre dans la gestion de fait des sociétés Cigamont et Mont Alma et des conséquences qui en seraient résultées sur l'insuffisance d'actif de ces sociétés et que l'absence des dirigeants de droit de ces mêmes sociétés, qui n'auraient pu répondre que des conséquences de leurs propres fautes, n'est dès lors pas de nature à les priver d'un procès équitable,
Attendu que les sociétés appelantes seront en conséquence déboutées de leurs moyens de ce chef qui sont mal fondés,
SUR LA GESTION DE FAIT
Attendu que Maître Berthe fait valoir, en qualité, qu'outre l'ensemble des dispositions des contrats de franchise qui permettaient, par des clauses contraignantes à l'égard des sociétés franchisées, aux sociétés Z Groupe Zannier et Zannier de diriger, en fait, les SARL Cigamont et Mont Alma en leur imposant, dans la gestion économique de leur commerce, des décisions qui relèvent normalement du libre arbitre du commerçant, ces sociétés sont également intervenues directement ou quotidiennement dans la gestion de leurs recettes,
Attendu que les SA Z Groupe Zannier et Zannier font plaider pour leur part que les faits reprochés par Maître Berthe ne relèvent que de l'application du contrat de franchise et que la " gestion des recettes " alléguée par celui-ci n'existe pas, les accords de règlement conclu avec les SARL Cigamont et Mont Alma n'ayant été conçus comme une solution utile pour améliorer la situation de ces sociétés au regard de leur retard dans le paiement des factures échues,
Attendu que s'il apparaît constant, à l'examen des contrats de franchise consentis par la SA Z Groupe Zannier, que ceux-ci comprennent, en effet, des clauses limitant, en contrepartie de divers avantages liés à l'appartenance à un réseau de franchise et à l'exclusivité de la diffusion de la marque franchisée, la liberté de gestion des franchisés (limitation du choix des fournisseurs, prix de revente conseillé, contrôle de la comptabilité,...), il apparaît non moins constant qu'aucun des éléments de la cause ne permet toutefois de constater que la SA Z Groupe Zannier ou la SA Zannier ont, au bénéfice de ces clauses, imposé des actes de gestion aux sociétés Cigamont et Mont Alma ou effectué à ce titre, de manière indépendante, des actes de gestion en leurs lieu et place,
Attendu que les moyens de Maître Berthe, en qualité, ne pourront dès lors qu'être rejetés sur ce point comme étant injustifiés,
Attendu qu'il apparaît, par contre, que la dépendance économique indéniable des sociétés franchisées résultant de ces contrats de franchise a, de manière incontestable, permis aux SA Z Groupe Zannier et Zannier d'imposer aux sociétés Cigamont et Mont Alma l'abandon, pendant quatre mois, de la gestion de leurs recettes pour la conclusion, en mars 1992, d'accords de règlement,
Attendu en effet que de tels accords, qui prévoyaient l'abandon par les sociétés Cigamont et Mont Alma de 70 % de leur recette, ne pouvaient, en fait, que priver ces sociétés de toute initiative dans la gestion de leurs recettes au profit des seules SA Z Groupe Zannier et Zannier,
Attendu, d'autre part, que les sociétés Z Groupe Zannier et Zannier ne sauraient limiter la portée de ces accords à de simples mesures d'apurement dès lors que les sociétés Cigamont et Mont Alma, qui ne disposaient en réalité que de moins de 10 % de leurs recettes après reversement de la TVA, étaient en conséquence dépossédées de la gestion de leurs ressources au profit des seules sociétés Z Groupe Zannier et Zannier qui les géraient à leur seul profit,
Attendu qu'un tel comportement, qui réduisait les sociétés franchisées au rôle de simples prestataires rémunérés au pourcentage, fait apparaître la réalité de la gestion de fait des sociétés Cigamont et Mont Alma par les SA Z Groupe Zannier et Zannier,
Attendu en effet, que l'exercice d'une activité commerciale indépendante suppose que le commerçant soit libre de décider tant du volume de ses dépenses que de l'affectation des ressources qu'il tire de son activité, ce que ne permettaient pas, sur ce dernier point, ces " accords de règlement ",
Attendu qu'il sera en conséquence fait droit aux prétentions de Maître Berthe, en qualité, sur ce point,
SUR LES FAUTES DE GESTION
Attendu qu'il ressort des pièces de la procédure qu'en dépit de l'assèchement de la trésorerie des SARL Cigamont et Mont Alma à leur seul profit, les SA Z Groupe Zannier et Zannier ont néanmoins continué à livrer des marchandises à ces entreprises alors qu'elles savaient qu'elles étaient dans l'impossibilité absolue d'en payer le prix,
Attendu qu'un tel comportement, qui ne pouvait que précipiter la déconfiture de ces entreprises en permettant aux SA Z Groupe Zannier et Zannier de profiter, cependant, de leurs structures de vente, est constitutif d'une faute de gestion majeure, ces sociétés s'assurant ainsi tout à la fois, dans un total mépris de leurs partenaires économiques qu'elles précipitaient dans la ruine et des autres créanciers qu'elles privaient de toutes possibilités d'être payés, le paiement de leurs créances et la diffusion de leurs marchandises,
Attendu qu'il convient en conséquence de retenir la faute ainsi commise par les SA Z Groupe Zannier et Zannier dans la gestion de fait des SARL Cigamont et Mont Alma qui a contribué, dans les termes des dispositions de l'article 180 de la loi du 25 janvier 1985, à l'insuffisance d'actif de ces sociétés,
SUR LA CONDAMNATION DES SA Z GROUPE ZANNIER ET ZANNIER
Attendu qu'il apparaît que la faute commise par les SA Z Groupe Zannier et Zannier dans la gestion des ressources des sociétés Cigamont et Mont Alma a, de manière incontestable, transformé la situation précaire de ces sociétés sur le plan financier en état de cessation de paiements, ce que le Tribunal de commerce de Mont de Marsan a d'ailleurs constaté dans le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la SARL Cigamont en fixant la date de cessation de paiements de cette société au mois de mai 1992,
Attendu qu'il résulte d'autre part de l'examen des états de créances des sociétés Cigamont et Mont Alma et des bilans de ces sociétés que celle-ci ne possédaient, au jour de leur redressement judiciaire, qu'un actif très faible au regard des créances déclarées et non contestées,
Attendu que le jugement dont appel sera en conséquence purement et simplement confirmé en ce qu'il a fixé le montant de la condamnation solidaire des sociétés Z Groupe Zannier et Zannier à la somme de 2 500 000 F, ce montant prenant en compte tant l'insuffisance d'actif constaté que la part des sociétés Cigamont et Mont Alma dans l'accroissement de leur passif après la cessation de leurs relations avec les sociétés du groupe Zannier,
Attendu que cette décision sera cependant réformée en ce qu'elle a débouté Maître Berthe, en qualité, de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du code civil,
SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES
Attendu qu'il sera enfin fait droit, en équité, à la demande de Maître Berthe, en qualité, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
Par ces motifs, Et ceux non contraires des premiers juges, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Reçoit la SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier en leur appel de la décision rendue le 4 juillet 1997 par le Tribunal de commerce de Mont de Marsan ; Les déboute de leurs moyens d'appel ; Confirme ce jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives aux intérêts dus sur la condamnation au principal ; Faisant droit, sur ce point, à l'appel incident de Maître Berthe, en qualité ; Dit que les intérêts dus sur la condamnation au principal porteront eux-mêmes intérêts au taux légal dans les conditions fixées par les dispositions de l'article 1154 du code civil ; Condamne solidairement, la SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier à payer à Maître Berthe, en qualité, la somme de 50 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette comme inutiles ou mal fondées toutes demandes plus amples ou contraires des parties ; Condamne solidairement la SA Z Groupe Zannier et la SA Zannier aux entiers dépens et autorise la SCP Piault-Carraze, Avoués associés, à recouvrer directement ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.