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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 7 mars 2000, n° 98-0003812

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Segui

Défendeur :

Grands Moulins de Paris (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ottavy

Conseillers :

Mme Minini, Poli-Sonntag

Avoués :

SCP Jougla-Jougla, SCP Argellies-Travier

Avocats :

Mes Atlan, Deby.

T. com. Montpellier, du 24 juin 1998

24 juin 1998

Faits et procédure :

Par acte sous seing privé en date du 8 octobre 1987, Eric Segui, boulanger-pâtissier, a souscrit auprès de la société Toulousaine de Minoterie, un contrat de franchise "formule légère" par lequel la société Toulousaine de Minoterie a concédé à son partenaire le droit exclusif d'utiliser, à titre d'enseigne, la marque " La Ronde des Pains ", déposée à l'INPI le 26 septembre 1986 sous le numéro 815.829 ainsi que tout le matériel de boulangerie PVL Ronde des Pains pour une durée de deux ans renouvelable par tacite reconduction. Par acte sous seing privé en date du mois de septembre 1990 un contrat de franchise "formule complète" a été conclu entre les parties pour une durée de 5 ans renouvelable par tacite reconduction.

Par acte sous seing privé en date du 23 octobre 1989, Eric Segui a souscrit un contrat de prêt auprès de la Caisse Auxiliaire de Trésorerie et de Crédit pour un montant de 350 000 F remboursable sur une durée de 10 ans, s'engageant aux termes de ce même acte, en contrepartie dudit prêt et en considération du cautionnement de la société Les Grands Moulins de Paris de ses engagements, à se fournir exclusivement auprès de la société Toulousaine de Minoterie pendant la durée dudit prêt.

Le 17 décembre 1991, la société Les Grands Moulins de Paris a absorbé sa filiale la Société Toulousaine de Minoterie.

Invoquant le non-respect de l'engagement de fourniture exclusive à compter du mois de mai 1994, la société Les Grands Moulins de Paris a attrait Eric Segui, par exploit d'huissier en date du 4 avril 1995, devant le tribunal de commerce de Montpellier, aux fins d'obtenir sa condamnation au paiement des sommes de 115 320 F avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 1994 pour manquement à son obligation de se fournir exclusivement prévue au contrat du 23 octobre 1989, de 25 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée, de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure, outre les entiers dépens et voir ordonner l'exécution provisoire de la présente décision.

Suivant jugement en date du 27 mars 1997, le tribunal de commerce de Montpellier a désigné Monsieur Dewintre en qualité d'expert avec mission de déterminer si la société Grands Moulins de Paris a respecté les termes de son contrat en facturant les fournitures de farines à Eric Segui et notamment en appliquant la clause selon laquelle " les prix des farines seront révisables en fonction des conditions normales du marché et du libre jeu de la concurrence ".

Suite à la demande reconventionnelle d'Eric Segui tendant au paiement de la somme de 147.255 F à titre de dommages et intérêts, la société Les Grands Moulins de Paris a demandé en sus de ses demandes initiales la condamnation d'Eric Segui au paiement de la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts pour avoir utilisé abusivement, pendant la durée contractuelle et pendant 14 mois après la rupture du contrat, la marque La Ronde des Pains sans contrepartie, avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir. Elle a par ailleurs sollicité auprès du tribunal de commerce de Montpellier la condamnation d'Eric Segui à lui payer la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Suivant jugement en date du 24 juin 1998 le tribunal de commerce de Montpellier a condamné Eric Segui à payer à la société Les Grands Moulins de Paris en deniers ou en quittances valables la somme principale de 115.320 F avec intérêts de droit à compter du 27 septembre 1994 pour manquement à son obligation de se fournir exclusivement prévue au contrat du 23 octobre 1989. Il a dit et jugé qu'Eric Segui est fautif de ne pas avoir mis en œuvre la procédure contractuellement prévue dans les contrats et en conséquence l'a débouté de sa demande reconventionnelle, il a enfin condamné Eric Segui au paiement des sommes de 5.000 F à titre de dommages-intérêts pour utilisation de l'enseigne et de 6.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre les entiers frais et dépens.

Vu l'appel formé par Eric Segui et ses conclusions en date du 4 novembre 1998 tendant, par infirmation du jugement déféré, à débouter Les Grands Moulins de Paris de toutes leurs demandes, fins et conclusions, à constater que le contrat liant les parties lui permettait de résilier ledit contrat à tout moment en cas de manquement de son cocontractant à ses obligations, à dire et juger que la rupture du contrat est imputable aux Grands Moulins de Paris en raison de leur discrimination tarifaire, et à les condamner à lui payer les sommes de 147.255 F à titre de dommages et intérêts, 200.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Il précise qu'il y a contradiction entre la clause du contrat imposant le recours à l'arbitrage en cas de désaccord sur le prix et la clause autorisant une partie à résilier le contrat à tout moment en cas de manquement aux obligations contractuelles, et qu'ainsi, son choix d'appliquer la clause de résiliation immédiate sans avoir mis en œuvre la procédure d'arbitrage ne peut lui être reproché.

Vu l'appel incident de la société Les Grands Moulins de Paris et ses conclusions en date du 18 juin 1999 tendant à infirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté sa demande relative à des dommages et intérêts complémentaires pour utilisation de l'enseigne " La Ronde des Pains " après la rupture unilatérale du contrat, et en conséquence, à condamner Eric Segui à lui payer la somme de 150.000 F à titre de dommages et intérêts, ainsi que la somme de 40.000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, outre les entiers dépens, et à confirmer pour le surplus ledit jugement.

Elle estime en effet qu'Eric Segui a maintenu l'enseigne " La Ronde des Pains " pendant plus d'un an après la rupture unilatérale de son engagement d'achat exclusif, et que cette utilisation de l'enseigne sans contrepartie lui a causé un préjudice.

La société Les Grands Moulins de Paris précise que le contrat pouvait être résilié à tout moment pour inexécution par l'une des parties de ses obligations mais que, en cas de désaccord entre les parties portant spécifiquement sur le prix et ses conditions de révision, une procédure d'arbitrage était prévue préalablement à toute résiliation et qu'elle devait être analysée comme posant une dérogation au principe général de la résiliation à tout moment. Elle estime ainsi qu'Eric Segui doit supporter les conséquences de sa défaillance pour avoir dénoncé non pas les prix mais le contrat lui même au motif que la tarification n'était pas compétitive sans rechercher à mettre en œuvre la procédure contractuellement prévue en cas de désaccord sur le prix.

Sur ce :

Motifs de la décision :

Eric Segui affirme avoir respecté la clause du contrat de franchise qui permettait à l'une ou l'autre des parties de résilier ledit contrat à tout moment en cas de manquement de son cocontractant à l'une de ses obligations, invoquant à cet effet que la société Les Grands Moulins de Paris, en raison de ses discriminations tarifaires, n'a pas respecté son obligation. Il prétend ainsi avoir été libéré de son obligation d'approvisionnement exclusif et pouvoir solliciter la condamnation de son franchiseur à lui payer des dommages et intérêts pour discriminations tarifaires.

II résulte en effet de l'analyse des deux contrats de franchise que l'une ou l'autre des parties pouvait, à tout moment, résilier ces contrats en cas de manquement par l'autre partie à l'une des obligations principales mises à sa charge.

Cependant, dans le cas présent Eric Segui n'a jamais procédé à la résiliation des contrats en invoquant des manquements de son cocontractant à une ou des obligations déterminées. Il a en fait et sans invoquer de motifs cessé tout approvisionnement auprès de la société Les Grands Moulins de Paris en mai 1994 et a fait connaître par la suite, et sur injonction délivrée par le franchiseur de reprendre les approvisionnements, que la rupture du contrat était motivée par l'application de tarifs supérieurs à ceux pratiqués à l'égard de commerçants exerçant en libre concurrence (lettres en date des 5 et 17 octobre 1994).

Or, il avait été prévu dès la signature des contrats " qu'à défaut d'accord entre les parties sur les prix des produits et des farines, ces prix seraient déterminés par expert désigné par Monsieur le Président du Tribunal de commerce de Paris ou de Toulouse saisi sur la requête de la partie la plus diligente ".

Eric Segui qui n'a pas mis en œuvre cette procédure d'arbitrage seule de nature à permettre de déterminer si les prix pratiqués à son égard étaient supérieurs à ceux pratiqués à l'égard des autres franchisés ou à l'égard des boulangers indépendants et qui a cessé tous ses approvisionnements sans préalablement démontrer l'inexécution par Les Grands Moulins de Paris de ses engagements, doit supporter l'application de la sanction prévue au contrat en cas de non-respect des engagements de fourniture exclusive sans pouvoir rétroactivement et à partir des conclusions tirées de l'expertise judiciaire, justifier le bien fondé de la rupture des approvisionnements par l'application de tarifs discriminatoires.

Eric Segui ne peut par ailleurs solliciter des dommages et intérêts en raison de la seule application, durant l'exécution du contrat de 1990 à 1994, de tarifications discriminatoires déterminées à partir des seules indications comparatives fournies au cours des investigations expertales, dès lors que les contrats conclus avec Les Grands Moulins de Paris étaient des contrats complexes qui comportaient non seulement la livraison des farines dont les tarifs font l'objet de critiques mais aussi la mise à disposition de matériels et d'autres produits, les avantages liés à l'enseigne et des garanties financières (cautionnement du prêt) et qui avaient donc pour but de faciliter au franchisé l'exploitation de son activité professionnelle dans des conditions qui n'ont jamais fait l'objet d'une quelconque critique (Eric Segui ayant conservé d'ailleurs les avantages liés à l'utilisation de l'enseigne et au bénéfice du cautionnement postérieurement à la cessation des approvisionnements).

En conséquence, la Cour confirme le jugement déféré en ce qu'il a mis à la charge d'Eric Segui le règlement de l'indemnité prévue en cas de rupture de l'engagement de fourniture exclusive et en ce qu'il a débouté Eric Segui de sa demande en paiement de dommages et intérêts.

Devant la Cour et en formant appel incident, la société Les Grands Moulins de Paris invoque à nouveau l'existence d'un préjudice commercial résultant de l'utilisation par Eric Segui de l'enseigne " La Ronde des Pains " postérieurement à la rupture du contrat portant sur la fourniture exclusive.

Mais la société ne démontre nullement l'existence d'un préjudice alors qu'il a été justifié du retrait de l'enseigne dans un délai normal après la mise en demeure et avant l'issue de l'instance engagée à cet effet.

La Cour confirme donc de ce chef le jugement.

Par contre, la Cour écarte toute indemnisation appliquée à tort par les premiers juges au titre d'une résistance abusive non démontrée à l'encontre d'Eric Segui. De même et compte tenu de la situation économique des parties, il n'est pas équitable d'accorder à la société Les Grands Moulins de Paris une indemnité au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Vu l'article 696 du nouveau code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après en avoir délibéré. Reçoit les appels en la forme. Confirme le jugement rendu le 24 juin 1998 par le tribunal de commerce de Montpellier sauf en ses dispositions accordant à la société Les Grands Moulins de Paris les sommes de 5 000 F à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et de 6 000 F au titre des frais non taxables exposés, qui sont supprimées. Rejette toutes autres demandes. Condamne Eric Segui aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile avec distraction au profit de la SCP d'Avoués Argellies-Travier.