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Décisions

CA Rennes, 2e ch. com., 15 mars 2000, n° 99-02477

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sodiloc (SA)

Défendeur :

Casino France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bothorel

Conseillers :

M. Van Ruymbeke, M. Poumarede

Avoués :

SCP Chaudet & Brebion, SCP Bazille & Genicon

Avocats :

Mes Rolland, Gast.

T. com. Morlaix, du 24 févr. 1999

24 février 1999

EXPOSE DES FAITS - PROCEDURE - OBJET DU RECOURS

Le 30 avril 1991, Bernard Le Hénaff, qui s'est substitué la société Sodiloc (franchisé) constituée par lui avec des membres de sa famille, et Rallye Super (franchiseur) concluaient un contrat de franchise. Le 17 janvier 1994, la société Sodiloc informait par courrier la société Casino France, qu'elle résiliait le contrat de franchise.

Le 26 Août 1994, la société Sodiloc faisait assigner la société Casino France aux fins d'annulation du contrat et d'expertise en vue de l'apurement des comptes. Par jugement rendu le 26 juillet 1995, Le tribunal de commerce de Morlaix a ordonné une expertise afin d'apurer les comptes et en particulier de fixer la créance du franchiseur.

Par jugement rendu le 24 février 1999, le tribunal de commerce de Morlaix a rejeté la demande en nullité du contrat de franchise présentée par la société Sodilac et la condamnée à payer à la société Casino France 203.851,57 francs au titre des factures impayées, outre les intérêts de droit à compter du jour de la signature du contrat d'expertise, ainsi que 20.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par acte du 31 mars 1999, la Société Sodiloc a formé appel de ce jugement.

MOYENS PROPOSÉS PAR LES PARTIES

A l'appui de son appel, la société Sodiloc fait valoir que:

- son consentement a été vicié,

- le franchiseur, qui ne justifie d'aucun préjudice, a failli à ses obligations et engagé sa responsabilité.

En conséquence, elle demande à la Cour de lui décerner acte du règlement de la somme de 203.851,57 francs, d'annuler le contrat, de condamner la société Casino France à lui payer 3.600. 000 francs de dommages et intérêts, outre les intérêts et de rejeter les demandes présentées par la société Casino France. Enfin elle réclame 50.000 francs au titre l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Casino France fait valoir que :

- le consentement de la société Sodiloc n'a nullement été vicié,

- elle a rempli ses obligations comme Rallye Super,

- les prix n'étaient ni indéterminés, ni imposés,

- sa créance est justifiée et elle justifie d'un préjudice important lié à la rupture du contrat.

Elle conclut à la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a rejeté les demandes de la société Sodiloc et 1'a condamnée à lui payer 203.851,57 francs au titre des factures impayées, outre les intérêts de droit à compter du jour de la signature du contrat d'expertise, mais sollicite la capitalisation des intérêts sur cette somme, 3.878.100 francs et 500.000 francs de dommages intérêts pour perte de marge et atteinte à son image de marque, outre les intérêts, 200.000 francs à titre de dommages intérêts pour procédure abusive et injustifiée ainsi que 50.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Considérant que la chronologie des faits est la suivante :

- de 1982 à 1987, Bernard Le Hénaff a occupé diverses fonctions au sein du groupe Rallye,

- à compter du 1er décembre 1985, il a occupé la fonction de chef de magasin, avec le statut d'agent de maîtrise, au Rallye Super de Chateaulin,

- à compter du 2 février 1987, il a pris la direction du Rallye Super du Guilvinec,

- le 30 juillet 1990, Bernard Le Hénaff écrivait à Rallye Super afin de se porter candidat comme franchisé, faisant valoir qu'il avait épargné 500.000 francs à cet effet et qu'il souhaitait créer sa propre entreprise,

- le 4 août 1990, Rallye Super lui répondait qu'elle n'était pas restée inactive face à sa candidature, puisqu'elle lui avait fait plusieurs propositions, lesquelles n'avaient pas abouti soit par préemption de Super U, soit par la médiocrité des études de marché,

- dans ce même courrier, Rallye Super lui faisait remarquer que la somme de 500.000 francs se révélait souvent insuffisante pour créer un supermarché neuf,

- en définitive, le 30 avril 1991, Bernard Le Hénaff qui s'est substitué la société Sodiloc, et Rallye Super concluaient un contrat de franchise, Bernard Le Hénaff ayant démissionné le 23 novembre 1990,

- le 13 septembre 1993, Bernard Le Hénaff se portait candidat pour la reprise d'un second point de vente en franchise, à Riec sur Belon,

- le 25 novembre 1993, Rallye Super et la société Sodiloc signaient un avenant au contrat d'origine par suite du rapprochement avec la société Casino France, le franchiseur proposant au franchisé un nouveau contrat applicable à compter du 1er décembre 1993 et se substituant au contrat d'origine,

- l'avenant précisait qu'à l'issue d'une période d'observation de six mois destinée à permettre au franchisé de prendre connaissance du bénéfice résultant pour lui des nouvelles conditions, le franchisé s'engageait à remettre au franchiseur au plus tard le 30 avril 1994 le nouveau contrat dûment signé qui lui a été communiqué,

- dans l'hypothèse d'un refus par le franchisé de donner suite, l'avenant prévoyait que le contrat initial serait purement et simplement résilié, moyennant un préavis d'un mois, sans indemnité de part et d'autres, chacune des parties reprenant sa liberté,

- le 17 janvier 1994, la société Sodiloc informait par courrier la Société Casino France qu'elle résiliait le contrat de franchise en date du 20 février 1994,

- par courrier du 9 février 1994, la société Casino France en prenait acte et informait la société Sodjloc des modalités d'exécution de la résiliation (dépose de l'enseigne...), réclamant le règlement de la somme de 791.045,39 francs au titre des impayés,

- selon le registre du commerce, la société Sodiloc a changé d'enseigne le 21 février 1994, prenant celle de Super U,

- par courrier du 26 juillet 1994, la société Casino France la mettait en demeure de lui régler sa créance s'élevant à 590.514,55 francs, puis, le 23 août 1994, lui réclamait 541.826,49 francs,

- le 3 août 1994, la société Sodiloc répondait au courrier du 26 juillet en réclamant l'état de son compte, puis le 17 août, sollicitait 483.364,84 francs au titre des remises de coopération et des produits accessoires dus au titre de 1993, dont elle justifie par la production d'un courrier émanant de la Société Casino France daté du 13 janvier 1994,

La loi du 31 décembre 1989

Considérant qu'aux termes, de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi exclusivité pour l'exercice de son activité est tenue, préalablement à la signature de tout contrat signé dans l'intérêt commun des deux parties, de fournir à l'autre un document donnant des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ;

Considérant que le même article prévoit que le document ainsi que le projet de contrat doivent être communiqués 20 jours au minimum avant la signature du contrat ou, le cas échéant, avant le versement de la somme prévue ;

Considérant cependant que la nullité du contrat n'est encourue que si le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé ;

Considérant que le franchisé ne verse aucun document de nature à démontrer avoir été victime d'un dol ou d'une erreur, alors que :

- il connaissait le franchiseur depuis des années, puisqu'il a travaillé et eu des responsabilités en son sein avant de s'engager, ayant même dirigé un supermarché,

- il connaissait bien le secteur de la distribution et le fonctionnement des grandes surfaces, en particulier celles liées au franchiseur,

- il connaissait de même le fonctionnement du réseau et s'est engagé en parfaite connaissance de cause, ayant disposé des informations nécessaires à l'implantation d'un supermarché sous forme de franchise bien avant la conclusion du contrat,

- une étude de marché a été réalisée par le franchiseur le 28 janvier 1991, analysant l'environnement géographique, démographique et commercial du point de vente projeté,

- cette étude portait sur le marché local et était accompagnée d'un document comptable prévisionnel et de plans élaborés par une agence d'architecture liée au franchiseur,

- il était ainsi parfaitement en mesure d'apprécier la portée de son engagement,

- un compte d'exploitation prévisionnel est par nature aléatoire et son absence de réalisation ne signifie pas qu'il a été élaboré avec un manque de sérieux, des aléas tenant à la capacité de gestion et de commercialisation du commerçant (franchisé) entrant en ligne de compte lors de son activité commerciale, et ce indépendamment du franchiseur,

- il a exécuté le contrat, sans émettre aucune contestation, durant plus de 2 ans ;

Considérant que le fait que le franchisé, qui a pêché par excès d'optimisme, ait limité son apport à 500.000 francs pour un investissement de 10.000.000 de francs et ait connu des besoins en fonds de roulement relève de sa propre responsabilité; qu'il ne peut reprocher au franchiseur, qui avait attiré son attention sur la faiblesse des fonds injectés par le franchisé et agi ainsi avec prudence, sa propre absence d'apports personnels et de fonds propres ;

Considérant que le rapport de l'expert judiciaire révèle que :

- le chiffre d'affaires réalisé pour la première année s'est élevé à 30.968.000 francs (sur 12 mois) au lieu d'une prévision de 39.925.000 francs, et n'a que faiblement progressé durant les deux années suivantes,

- l'écart est de 23% pour la première année;

Considérant que la société Casino France a fait valoir devant l'expert que :

- les informations communiquées par le franchiseur l'ont été de manière objective, à savoir le développement de la commune de Loctudy par la création d'un port de plaisance et la réalisation de plusieurs projets (maison de retraite, ensemble immobilier et centre de thalasso-thérapie), aussi ne peut-il être tenu pour responsable de la non réalisation de ces projets qui figuraient bien au départ dans le plan de développement de la commune de Loctudy,

- le franchisé ne pouvait ignorer cette situation,

- 1'étude s'est fondée sur les éléments connus à l'époque ;

Considérant que l'expert a observé, à ce propos, que de tels projets ne pouvaient produire effet qu'à long terme ;

Considérant cependant que selon l'expert et les comptes examinés, le résultat brut a été conforme aux prévisions; qu'il s'agit, selon l'expert, de la véritable unité de mesure d'efficience commerciale de l'entreprise, le chiffre d'affaires n'étant qu'un moyen ;

Considérant que le franchisé ne justifie nullement d'une carence du franchiseur dans l'exécution de ses obligations, qu'il s'agisse de son assistance, de l'approvisionnement en marchandise ou de sa politique de prix ; qu'il ne démontre pas davantage que ;

- le changement d'interlocuteurs au sein de l'entreprise du franchiseur ait perturbé sa propre activité,

- le projet d'extension envisagé le 22 mars 1993 par Rallye Super ait été la conséquence d'une erreur initiale liée aux dimensions du magasin ;

Considérant que les témoignages produits, qui émanent du personnel du franchisé, ne sont guère probants; que le fait que des livraisons ponctuelles n'aient pu intervenir ou qu'elles aient été défectueuses, sauf à démontrer que ce phénomène est général (ce qui n'est pas le cas en l'espèce), ne suffit à caractériser un manquement du franchiseur dans l'exécution de ses obligations, ce type d'événements étant fréquent dans le cadre de l'activité normale d'un supermarché ;

Considérant que le fait que des franchisés bretons aient fait part à Rallye Super de leurs difficultés le 8 février 1994 est sans incidence sur la validité du présent contrat de franchise, ceux-ci ayant dénoncé la concurrence et souhaité de meilleures promotions et une meilleure information ;

Considérant que la signature de l'avenant permettait au franchisé de sortir du réseau, celui-ci bénéficiant d'un délai d'observation de 6 mois pour se déterminer sur la poursuite et la reprise du contrat en parfaite connaissance de cause ;

Considérant que le rapport annuel de Casino pour l'année 1998 montre que ce réseau se développe et comporte un nombre important de franchisés, ce qui infime les affirmations du franchisé selon lesquelles Casino a cherché à liquider son réseau de franchisés; que le changement d'enseigne traduit une volonté d'évolution et de mise à jour d'un savoir-faire, dans un secteur soumis à une forte concurrence ;

Considérant ainsi que le franchisé ne démontre nullement que son consentement, éclairé, ait été vicié par une erreur ou par un dol ; que le franchiseur n'a pas davantage engagé sa responsabilité civile; que les demandes d'annulation pour vice du consentement et de demandes de dommages intérêts seront par conséquent rejetées ;

L'ordonnance du 1er décembre 1986

Considérant que sont incompatibles avec les dispositions de l'ordonnance du 1er décembre 1986 les pratiques tendant à restreindre la liberté de fixation des prix par les franchisés et transformant les prix conseillés en prix imposés ;

Considérant que le franchisé, qui a précisément bénéficié de compensations financières ou de rétrocessions de ristournes en fin d'année, ne démontre pas qu'il ait subi des dysfonctionnements résultant d'une politique de revente d'articles à marge prétendument négative; que les prix de revente n'étaient nullement imposés par le franchiseur ;

Considérant en effet que le franchisé ne produit aucune pièce à l'appui de ses seules affirmations sur une pratique, contestée par le franchiseur, de prix d'achats indéterminés et imposés; que le franchisé, qui fixait librement sa marge commerciale, ne démontre nullement que le franchiseur ait commis des abus, ni qu'il ait agi de mauvaise foi; que ce dernier n'imposait pas de prix de revente an franchisé, ni, a fortiori, de marge négative ;

Considérant que les demandes d'annulation sur le fondement de telles pratiques, qui ne sont pas démontrées, seront par conséquent rejetées ;

Considérant que la Société Casino France est mal fondée à réclamer des dommages intérêts sur l'absence d'exécution du contrat jusqu'à son terme, puisque, aux termes de l'avenant 25 novembre 1993, le franchiseur à proposé au franchisé un nouveau contrat applicable à compter du 1er décembre 1993 et se substituant au contrat d'origine; que, dans l'hypothèse d'un refus par le franchisé d'y donner suite après une période d'observation, l'avenant prévoyait que le contrat initial serait purement et simplement résilié, moyennant un préavis d'un mois, sans indemnité de part et d'autres, chacune des parties reprenant sa liberté ;

Considérant de surcroît que le franchiseur n'a nullement été désorganisé par la rupture du contrat ; qu'il ne démontre avoir subi aucune atteinte à son image commerciale, dans un secteur soumis à la concurrence ; que la rupture, acceptée par lui ainsi que le prouve le courrier qu'il a adressé au franchisé le 9 février 1994, n'a pas été brusque ;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer la décision déférée, qui a justement fixé la créance de la Société Casino France à 203.851,57 francs au titre des factures impayées (montant justement retenu par l'expert), outre les intérêts de droit à compter du jour de la signature du contrat d'expertise, et qui a été exécuté, (du moins en principal) ; que les intérêts ne sauraient en conséquence être capitalisés (d'autant que le montant de la créance n'a pu être fixé qu'après expertise judiciaire) ; que la société Sodiloc, qui échoue en son recours, n'est fondée à réclamer ni des dommages intérêts, ni le remboursement de ses frais irrépétibles et supportera la totalité des dépens ;

Considérant que si la société Casino France n'apporte pas la preuve du préjudice qu'est censé lui occasionner la procédure qu'elle estime abusive, engagée par la société Sodiloc, il serait en revanche inéquitable de laisser à sa charge les nouvelles sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 30. 000 francs, cette somme s'ajoutant aux frais irrépétibles justement alloués par les premiers juges ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, confirme le jugement déféré, condamne en outre la société Sodiloc à verser à la société Casino France 30.000 francs en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, rejette toutes autres demandes, condamne la société Sodiloc aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés selon les dispositions de article 699 du nouveau code de procédure civile.