CA Bordeaux, 2e ch., 15 mars 2000, n° 98-00486
BORDEAUX
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Peslerbe
Défendeur :
AC (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Frizon de Lamotte
Conseillers :
Melle Courbin, M. Ors
Avoués :
SCP Casteja-Clermontel, SCP Michel Puybaraud
Avocats :
Mes Lhommeau, Ramarony-Vin.
Par jugement du 28 novembre 1997, le Tribunal de Commerce de Bordeaux a débouté Madame Peslerbe de ses demandes, a dit que le contrat de franchise consenti a Madame Peslerbe le 20 juin 1995 a été régulièrement résilié par la société 2 AC le 7 février 1996, pour non paiement de redevances de franchise, a condamné Madame Peslerbe à payer à 2AC 19.296 F, avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1996 sur 9.648 F et à compter de la signification du jugement sur 9.648 F, outre 3.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile.
Madame Peslerbe a interjeté appel le 20 janvier 1998, aux termes de conclusions signifiées le 18 mai 1998, elle demande la réformation du jugement, la nullité du contrat de franchise, pour non respect de l'obligation d'information précontractuelle résultant de la loi du 31 décembre 1989 dite "loi Doubin" ;
Elle demande le remboursement des mensualités encaissées soit 67.536 F, 50.000 F de dommages et intérêts pour préjudice moral et 30.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La société 2AC, aux termes de dernières conclusions du 24 décembre 1999, demande la confirmation du jugement, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;
Elle demande pour ce fait 50.000 F et 10.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Attendu qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1989, dite Doubin ; "toute personne qui met à la disposition d'une autre personne un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité, est tenue préalablement à la signature de tout contrat signé dans l'intérêt commun des deux parties de fournir à l'autre partie, un document donnant des informations sincères, qui lui permette de s'engager en connaissance de cause" ;
Que ce document et le projet de contrat sont communiqués 20 jours avant la signature du contrat, précise le dernier alinéa de l'article ;
Que toutefois les contrats ne peuvent être annulés du simple fait que les avants projets de contrat n'ont pas été communiqués avant la signature sans rechercher si le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement du franchisé ;
Attendu que Madame Peslerbe a été employée par l'Agence France Alliance Conseil SARL, à partir du 15 février 1991 ; que par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 mars 1998, Monsieur Gonzales, "Directeur Gérant" de Atlantic Alliance-Conseil - AAC, invoquant la fermeture du bureau à Nantes lui a proposé une mutation à Paris, qu'elle a refusée ; qu'elle a été licenciée le 31 mars 1995 ; qu'un contrat de franchise a été signé le 1er avril 1995 entre AAC représentée par Monsieur Gonzales, gérant, et Madame Peslerbe, avec exclusivité sur les départements 44 et 49 ;
Que le Tribunal de Commerce de Tours, par jugement du 6 juin 1995, a prononcé la liquidation judiciaire de AAC ; que Monsieur Gonzales, le 15 juin 1995, a donné l'autorisation à l'entreprise Flyss de Nantes soit l'entreprise de Madame Peslerbe d'exploiter deux marques "Atlantic Alliance Conseils" et "Club Atlantic Rencontres" dont il disait être propriétaire, puis, le 30 juin 1995, a déclaré apporter les deux marques déposées à l'INPI à la société 2AC dont le siège social est 36 rue Fernand Marin à Bordeaux ;
Que Madame Peslerbe a signé, le 20 juin 1995, un contrat de franchise avec 2AC représentée par sa gérante Madame Thomas ;
Que les droits exclusifs attachés au contrat lui ont été accordés pour les départements 44 et 49 ;
Que la SARL 2 AC, constituée par Monsieur Gonzales et Madame Thomas a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux le 5 juillet 1995 ;
Attendu que 2 AC a versé aux débats un "compte rendu de réunion du 14 juin 1995", intitulé réunion chez Madame Thomas à la demande des conseillères et franchisées de la SARL Atlantic Alliance Conseils, soucieuses de leur situation après leur licenciement par le mandataire liquidateur de AAC ; qu'il y est dit que Madame Thomas constitue sa propre société à Bordeaux, la SARL 2 AC, le 15 juin 1996, que les personnes présentes, salariés de AAC et deux franchisées Madame Peslerbe et Madame Héroult ont demandé à bénéficier du savoir-faire et de l'expérience de Madame Thomas, a être franchisées ; qu'à la deuxième page de ce compte rendu il est dit que "les ex-collègues" de Madame Thomas ont répondu avoir une parfaite connaissance de la situation et de leurs secteurs, que la loi Doubin ne s'imposait pas, qu'elles ont demandé à Madame Thomas de ne pas signer de contrat pré-contractuel avant la signature du contrat de franchise et indiqué que c'est en toute connaissance qu'elles signeraient le contrat de franchise ;
Que ce document est signé par Madame Pontus "le secrétaire de réunion", et non par les deux "ex-franchisées" Madame Peslerbe et Madame Héroult et les 4 ex-collègues dont Madame Pontus ; qu'il ne peut établir la renonciation certaine de Madame Peslerbe à se prévaloir des dispositions de la loi Doubin ; qu'il n'y a pas lieu en conséquence de rechercher si ce document est constitutif d'un faux ;
Attendu que le 1er avril 1995, lors de la signature d'un premier contrat avec AAC, Madame Peslerbe n'avait pas bénéficié du délai de 20 jours pour prendre connaissance de documents ;que la brève durée de ce contrat, deux mois avant le prononcé de la liquidation judiciaire, ne permet pas d'établir que Madame Peslerbe a ainsi reçu les informations sincères qui lui permettaient de s'engager en toute connaissance de cause ; que sa situation d'employée salariée antérieure au 1er avril 1995 est différente, sauf à démontrer le contraire, de celle de "franchisée" ;
Que l'information et la possibilité pour la contractante de la compléter éventuellement était d'autant plus nécessaire que la société nouvelle devait exercer la même activité que la société AAC, dont la liquidation judiciaire avait été prononcée quelques jours plus tôt et exploiter deux marques exploitées par AAC ;
Attendu que 2AC, société nouvellement créée, ne peut se prévaloir de la concession à la franchisée de deux marques déposées et enregistrées 8 jours plus tôt seulement, ni d'un savoir-faire particulier, ni "de méthodes expérimentées", sauf à démontrer, ce qu'elle ne fait pas, qu'elle a repris le fonds de la société en liquidation judiciaire, ou qu'elle a mis au point ce savoir-faire ou ces méthodes invoquées avant la signature du contrat ;
Attendu que le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement de Madame Peslerbe ;que le contrat du 20 juin 1995 est nul ;
Attendu que Madame Peslerbe est recevable à solliciter le montant des sommes versées par elle, en exécution de ce contrat mais ne justifie pas des mensualités encaissée par 2AC ; qu'en l'absence de preuve qu'il lui appartient d'établir, elle est déboutée de sa demande ;
Que Madame Peslerbe est irrecevable à demande restitution des 50.000 F versés en exécution du 1er contrat du 1er avril 1995, signé avec AAC, société mise en liquidation judiciaire, dont le mandataire liquidateur n'est pas partie à la présente procédure ;
Que Madame Peslerbe ne justifie pas en outre de la déclaration de sa créance ;
Qu'elle est déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour préjudice moral non justifié ;
Attendu que 2AC invoque de faits de concurrence déloyale contre Madame Peslerbe qui a continué à utiliser la marque Club Atlantique Rencontre postérieurement à la lettre de résiliation du contrat du 7 février 1996 ;
Qu'elle produit un procès-verbal de constat du 9 mai 1996, établi à la requête de Monsieur Gonzales par un huissier qui s'est rendu 28 rue Boisnet à Angers, a constaté à la droite de la porte d'entrée l'existence d'une plaque avec la mention "Club Atlantic Rencontres", et dans le couloir sur la première porte à droite une autre plaque portant les inscriptions 2 AC, et Atlantic Rencontres ; que Madame Peslerbe a utilisé le 30 avril 1996 un contrat type à en-tête Club Atlantic Rencontre ; que toutefois, ainsi que l'a dit le Tribunal, 2AC a pris acte de la dépose des plaques et affiches portant la dénomination de ses marques ; que la lettre du 25 juillet 1996 dont l'auteur serait Madame Peslerbe n'établit pas un fait de concurrence déloyale à l'égard de 2AC ;
Qu'au surplus 2AC ne justifie pas d'un quelconque préjudice ; qu'elle est déboutée de sa demande reconventionnelle ;
Attendu que 2AC, qui succombe totalement en sa thèse, doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel ;
Qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame Peslerbe les frais irrépétibles de procédure ;
Par ces motifs : LA COUR, dit Madame Peslerbe fondée en son appel, réformant le jugement et statuant à nouveau, dit nulle contrat du 20 juin 1995, déboute Madame Peslerbe de sa demande en paiement de 67.536 F et 50.000 F de dommages et intérêts, condamne 2AC à payer à Madame Peslerbes 5.000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, déboute 2 AC de sa demande en paiement pour faits de concurrence déloyale et d'indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, condamne 2AC aux entiers dépens, application étant faite des disposition de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.