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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 17 mars 2000, n° 99-12.699

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Automobiles Peugeot (SA)

Défendeur :

Souchon (ès qual.), Wissous Automobiles (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grellier

Conseillers :

MM. Monin-Hersant, Pimoulle

Avoués :

SCP Bourdais Virenque, SCP Varin Petit

Avocats :

Mes Poudenx, Portolano.

CA Paris n° 99-12.699

17 mars 2000

Selon jugement prononcé le 31 mai 1999, le Tribunal de commerce d'Evry a débouté Me Souchon ès qualités de sa demande de voir la SA Peugeot déclarée gérante de fait de la société Wissous Automobiles et de ses demandes fondées sur les dispositions des articles 180 et 182 de la loi du 25 janvier 1985 ; cette juridiction a cependant, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, la SAP ayant commis une faute en n'exécutant pas ses obligations résultant du contrat de concession, condamné la SA Peugeot à verser entre les mains de Maître Souchon, ès qualités, la somme de 20 900 000 F en réparation du préjudice causé à la société Wissous Automobiles, outre la somme de 100 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;

La SA Peugeot a régulièrement interjeté appel de ce jugement dont elle demande l'infirmation ; la SA Peugeot sollicite le débouté de Maître Souchon ès qualités de toutes ses demandes à son encontre ainsi que sa condamnation à lui payer la somme de 150 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.

Maître Alain-François Souchon, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SA Wissous Automobiles conclut pour sa part à la condamnation de la société Peugeot SA à combler l'intégralité du passif de la société Wissous Automobiles, en application de l'article 180 de la loi de 1985, en ce compris l'intégralité des frais de procédure, outre la déclaration de redressement judiciaire de la société Peugeot SA, en sanction de son redressement judiciaire de la société Peugeot SA, en sanction de son comportement au regard de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 ;

Me Souchon, subsidiairement dans l'hypothèse où la société Peugeot SA ne serait pas déclarée dirigeant de fait, sollicite condamnation de la société appelante à lui rembourser la somme de 29 985 000 F outre tous frais de procédure ;

Il réclame enfin, au titre des frais irrépétibles de la société Peugeot 100 000 F pour la première instance et 200 000 F pour l'instance d'appel ;

Ceci exposé :

Considérant que la compréhension du litige implique le rappel des circonstances de fait suivantes :

- Le Tribunal de commerce d'Evry a ouvert le 24 septembre 1997, une procédure de redressement judiciaire envers la SA Wissous Automobiles, concessionnaire de la SA Automobiles Peugeot et désigné les organes de la procédure de la façon suivante :

- Me Libert, administrateur judiciaire

- Me Souchon, représentant des créanciers,

- Me Warin en qualité de juge-commissaire ;

Sur cette même décision, une période d'observation d'un mois renouvelée a été prévue ;

Par jugement du 24 novembre 1997, cette même juridiction a prononcé la liquidation judiciaire, Me Souchon étant désigné liquidateur ;

Or, par ordonnance du 16 octobre 1997, confirmée le 28 mai 1998 par la juridiction consulaire, le juge-commissaire avait déclaré illégale la résiliation du contrat de concession, intervenu le 22 septembre 1997 à l'initiative du concédant ;

Me Souchon ès qualités de mandataire liquidateur a sollicité condamnation de la SA Peugeot au comblement du passif de la SA Wissous Automobiles, outre déclaration de la société appelante en redressement judiciaire au titre de l'article 182 de la loi du 25 janvier 1985 : subsidiairement, Maître Souchon a, en cours de procédure, sollicité condamnation de la SA Peugeot au paiement des mêmes sommes sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, ainsi qu'au montant des dettes dites " article 40 " et aux frais de procédure collective ;

Les premiers juges ont partiellement fait droit aux prétentions du mandataire liquidateur en retenant que durant la période d'observation de la SA Wissous Automobiles, la SA Peugeot Automobiles avait commis une faute dans l'(in)exécution du contrat de concession, la qualité de dirigeant de fait de la société Wissous Automobiles par la SA Peugeot Automobiles étant écartée ;

Approuvant sur ce point l'analyse du tribunal, la société Peugeot Automobiles fait grief aux premiers juges d'avoir retenu à son encontre des éléments permettant de retenir des faits dont elle serait responsable et d'avoir, ainsi, résilié le contrat de concession après l'ouverture du redressement judiciaire, alors qu'elle justifie d'une résiliation antérieurement à cette date : qu'au surplus rien ne permet de tenir pour sensée l'évaluation du montant du préjudice, déterminé par les premiers juges en fonction seulement d'une fixation d'astreinte, étrangère au présent litige et résultant d'une ordonnance qui ne lui avait pas été notifiée ;

Me Souchon pour réfuter l'argumentation de la société appelante persiste en ses moyens déjà soumis à l'appréciation du tribunal : il fait ainsi valoir qu'est recevable sa demande formulée au titre de l'article 1382 du Code civil dans la mesure seulement où la personne poursuivie n'est pas un dirigeant de droit ou de fait, les articles 180 et suivants de la loi 1985 étant, dans cette hypothèse, exclus ;

Me Souchon soutient principalement que la société Peugeot doit être qualifiée de dirigeant de fait et être condamnée à l'insuffisance d'actif et à la sanction de l'article 182 de la loi ; il se fonde à cet effet sur le règlement européen auquel aucune exemption ne permet de déroger ; il soutient encore que les clauses et comportements issus du contrat de concession sont constitutifs d'une direction de fait ; qu'ainsi l'économie de la SA Wissous Automobiles a été totalement déséquilibrée ; qu'il se livre, au soutien de son argumentation juridique à une analyse de l'ensemble des contrats passés entre les parties, analyse de laquelle il résulte qu'en imposant ses objectifs et ses critères, dans l'ensemble des actes de gestion de la société intimée, la société appelante est bien le dirigeant de fait de cette dernière ;

Que dans l'hypothèse où ne s'appliquerait pas les articles 180 et suivants de la loi de 1985, rien n'interdit de faire application de l'article 1382 du Code civil, les fautes de la société Peugeot SA étant largement démontrées ; qu'ainsi l'appelante a objectivement empêché Wissous Automobiles de s'approvisionner à de meilleurs prix, alors que les mêmes produits contractuels étaient offerts à la vente avec le consentement du constructeur sur d'autres territoires de l'Union ; que cette faute est également exemplaire de la direction illégale du constructeur sur son réseau ; qu'ainsi un prix d'achat est imposé pour les concessionnaires situés sur le territoire français et une pratique contractuelle empêche, de fait, les ventes croisées à l'intérieur du réseau européen de la SA Peugeot ; que ces faits s'analysent en des refus de vente constitutifs de fautes ; qu'en effet ces approvisionnements ne pouvaient être refusés ;

Que Maître Souchon fait encore valoir que la société appelante a résilié le contrat de concession de manière illégale et a empêché l'administrateur en ne faisant pas le nécessaire pour remettre le contrat en application ; que ces fautes ont directement provoqué la liquidation de l'entreprise et sont le lien de causalité exclusif de la liquidation puisqu'aucun plan n'était plus envisageable compte tenu de la résiliation illégale et du comportement déloyal de l'appelante ; qu'enfin le préjudice doit être calculé ;

- soit, comme l'a fait le tribunal de commerce, en considération du montant de la marge brute nécessaire à Wissous Automobiles pour couvrir ses frais fixes et ses charges d'exploitation qu'il convient de multiplier par le nombre de jours compris entre la décision, exécutoire sur minute, du juge-commissaire et la date normalement prévue pour la fin de la période d'exploitation, du 16 octobre 1997 au 20 avril 1998 soit 100 000 F x 209 = 20 900 000 F (ce qui ne peut être confondu avec la liquidation d'une astreinte),

- soit par le remboursement des sommes perdues par Wissous et liées aux fautes cumulées d'Automobiles Peugeot, entraînant un total de 21 120 000 F ;

Sur quoi, la COUR,

Considérant que les dernières conclusions échangées par les parties seront déclarées recevables pour avoir été signifiées conformément aux principes directeurs du procès, notamment celui de la contradiction :

Considérant que Maître Souchon fait, pour l'essentiel, valoir que le contrat de concession Peugeot en vigueur dans son réseau de distribution est en contradiction avec les règlements d'exemption communautaires applicables et que ces pratiques contractuelles non exemptées seraient constitutives d'une gestion de fait ;

Or, considérant que l'organisation du réseau de distribution des véhicules Peugeot impose des contraintes, énumérées par le contrat de concession et justifiées par les règlements d'exemption communautaires; que ces règlements prévoient en effet dans quelles conditions un certain nombre de clauses seront exemptées des sanctions prévues par l'article 85 paragraphe 1er du traité de Rome ;

Considérant que la clause d'objectifs, également querellée par Maître Souchon contribue, dans l'intérêt du consommateur final, à maintenir une concurrence effective entre les concessionnaires et à permettre la fluidité des marchés locaux ainsi qu'à empêcher la paralysie des règles de commerce nées de l'exclusivité réciproque à laquelle les parties s'engagent mutuellement ; qu'une telle clause n'est donc pas non plus contraire à l'article 85 § 1er du traité de Rome ; qu'au surplus elle est prévue par les règlements d'exemption 123-85 et 1475-95, lesquels prévoient que le fournisseur peut fixer, seul ou pas, le niveau des stocks ;

Considérant qu'il n'existait dans le contrat litigieux aucune restriction à la liberté d'approvisionnement du concessionnaire en pièces de rechange, y compris après signature du contrat du 20 août 1996 ; que les restrictions invoquées par Me Souchon résultent de la mise en œuvre d'un système que justifie l'intérêt et la sécurité du consommateur ; qu'aucune instruction du concédant et constructeur ne limitait la liberté de la SA Wissous Automobiles dans le commerce des véhicules d'occasion ;

Considérant que les contraintes imposées à cette dernière par le concédant ne peuvent, en toute hypothèse s'analyser en une direction de fait qui est seulement caractérisée lorsqu'est exercée, en toute indépendance, une activité positive de gestion et de direction; que les conséquences du contrat de concession, ci-dessus analysées ne sont pas, en elles-mêmes suffisantes, en l'absence de tout abus manifeste, à caractériser une gestion de fait ; que la SA Wissous Automobiles a en effet toujours bénéficié d'une liberté totale concernant l'organisation de sa comptabilité, de sa gestion et de son activité;

Considérant qu'aucune faute de gestion dans les rapports de la SA Peugeot avec son concessionnaire n'est démontrée;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Me Souchon, ès qualités, sera débouté de ses demandes fondées sur les articles 180 et 182 de la loi du 25 janvier 1985;

Considérant, sur les demandes formées au titre de l'article 1382 du Code civil, que pour s'opposer à leur irrecevabilité invoquée par la SA Peugeot, Me Souchon, ès qualités, fait valoir que le régime général de la responsabilité pour faute est seul applicable, si la cour estimait que la SA Peugeot n'est pas dirigeant de fait ;

Considérant que ce moyen est explicité par Me Souchon à partir de la 59e page de ses dernières conclusions, tendant essentiellement à démontrer que la société Peugeot a eu l'entière maîtrise de l'activité économique, et par conséquent financière et comptable, de la SA Wissous Automobiles ;

Qu'il s'ensuit que la responsabilité civile de la société appelante, au demeurant fondée sur des éléments de fait analysés, tels que les conditions générales et pratiques de vente, au soutien de la démonstration de la direction de fait par la SA Peugeot, ne peut être, quelle qu'en soit la présentation formelle, cumulée avec l'action qu'il a engagée de façon expresse et principale sur le fondement des articles 180 et 182 de la loi de 1985;

Qu'il s'ensuit que les prétentions formées par Maître Souchon, ès qualités, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil seront déclarées irrecevables;

Considérant qu'il sera statué sur la demande formée au titre de l'article 700 NCPC dans la mesure précisée au dispositif ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Maître Souchon, ès qualités, de ses demandes fondées sur les articles 180 et 182 de la loi du 25 janvier 1985 ; Réforme pour le surplus et, statuant à nouveau, Déboute Maître Souchon, ès qualités de toutes ses demandes ; Le condamne à payer à la société Automobiles Peugeot la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 NCPC ; Condamne Maître Souchon, ès qualités au dépens qui pourront être recouvrés par la SCP Bourdais Virenque, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du NCPC.