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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 29 juin 2000, n° 1998-06571

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Sentor (SA)

Défendeur :

Lancome France (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Main

Conseillers :

M. Faucher, Mme Riffault

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet

Avocats :

Mes Fabbian, Henriot Bellargent.

T. com. Paris, du 19 janv. 1998

19 janvier 1998

LA COUR est saisie de l'appel formé par la société Sentor contre un jugement contradictoire rendu le 19 janvier 1998 par le Tribunal de commerce de Paris, qui, dans un litige concernant le refus opposé par la société Lancome d'intégrer la société Sentor dans son réseau de distribution, a débouté la société Sentor de toutes ses demandes à payer à la société Lancome 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

La société Sentor, appelante, expose que la société Lancome France a opposé un refus à la commande passée le 10 novembre 1994, en se bornant à affirmer la licéité de son réseau de distribution sélective et en contestant son droit de soumettre à l'appréciation des Juges la validité de la notation inscrite sur sa fiche d'évaluation, qui constitue l'examen préalable de tout candidat à l'admission à ce réseau. Elle précise que sur les quatre chapitres d'appréciation, seul le chapitre " localisation " n'atteint pas les 50 points minimum requis par la société Lancome France pour l'attribution de l'agrément, alors que la notation en cause qui s'élève seulement à 45 points, résulte d'une erreur manifeste et d'un abus de droit de l'intimée ;

Elle demande à la Cour

- de réformer les notations faites par la société Lancome au titre de la rubrique " localisation " et de dire qu'elle atteint à ce titre une note d'au moins " 50 ",

- de dire que la société Sentor remplit les conditions suffisantes pour être admise au réseau de distribution sélective de la société Lancôme,

- de condamner cette dernière à lui livrer la commande passée le 10 novembre 1994 et toute commande ultérieure sous astreinte de 5 000 F par jour de retard à compter de la signification de la décision,

- de la condamner à lui payer 250 000 F de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de ce refus de vente, 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Lancôme France, intimée, réplique qu'elle ne refuse pas a priori son agrément à la société Sentor au motif que le magasin litigieux est implanté dans un centre commercial mais parce qu'après vérification sur place, elle a estimé que la localisation du point de vente ne répondait pas à ses critères, et déclare en avoir jamais contesté la compétence des tribunaux judiciaires pour exercer un contrôle sur l'appréciation qu'elle porte sur les candidatures qui lui sont soumises.

Elle observe que la licéité du système de distribution sélective des produits Lancôme n'est pas en cause, pas plus que son droit d'établir sa propre grille d'appréciation conforme aux exigences du maintien du prestige de ses produits, et soutient que la société Sentor n'apporte pas la preuve des détournements de pouvoir et des abus qu'elle allègue.

Elle demande à la Cour de confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise, de débouter la société Sentor de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer 25 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Considérant que la société Sentor, qui exploite un fonds de commerce de bijouterie, parfumerie et parapharmacie dans la zone commerciale des Ailes à Vichy, a demandé le 5 août 1994 à la société Lancôme France, par lettre recommandée avec accusé de réception, de faire partie de son réseau de distribution ; que la visualisation du point de vente ayant eu lieu le 17 novembre 1994, la société Lancôme France a opposé un refus à cette demande d'agrément, que la société Sentor estime abusif ;

Considérant que pour être licites au regard de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 et de l'article 81 du Traité de Rome, les critères auxquels est subordonné l'agrément des distributeurs de produits cosmétiques de luxe tels que ceux de la société Lancôme France doivent être objectifs et de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme et appliqués de façon non discriminatoire ;

Considérant que le système de distribution de la société Lancôme France repose sur un certain nombre de critères de sélection, définis dans un document intitulé " Conditions générales d'agrément Lancôme " sur la base des critères habituellement retenus pour la distribution des parfums et produits de luxe ;

Que la société Sentor, qui ne met pas en cause la licéité du réseau de distribution sélective mis en place par la société Lancôme France, fait grief à cette dernière d'avoir abusé de son droit d'établir une grille d'appréciation des candidatures à l'intégration dans son réseau de distribution, en portant la note éliminatoire 45/100 au chapitre " localisation " de cette fiche d'appréciation ;

Considérant que ce chapitre comporte quatre notations

- qualité des commerces environnants, notée 20/30,

- potentiel d'attraction de l'environnement, notée 10/30,

- flux, passage, circulation, notée 5/20,

- qualité de chalandise, notée 10/20 ;

Considérant qu'il est mentionné sur la fiche de notation que " la visualisation sur place a fait apparaître de graves incompatibilités en ce qui concerne la localisation : magasin situé dans un parc d'activité commerciale à l'extérieur de la ville. Les vitrines, bien qu'immenses, donnent directement sur le parking, la visibilité du contenu de celle-ci sera réduite du fait des voitures stationnées à mois d'un mètre de la façade. Avis défavorable " ;

Que les photographies versées aux débats par la société Sentor confirment l'existence d'un parking aménagé devant les vitrines du magasin, sur toute la longueur de sa façade ;

Que le parc d'activités commerciales dans lequel la société Sentor exerce son activité comprend majoritairement un ensemble de soldeurs à l'enseigne notamment Halle à la maison, Halle aux enfants, Halle aux vêtements, Halle aux papiers peints, Halle aux tissus, ainsi qu'une grande surface à vocation essentiellement alimentaire à l'enseigne Cora ;

Considérant que les critères relatifs à la localisation et à l'installation du point de vente, ainsi qu'à l'aménagement de ses vitrines constituent des exigences légitimes du producteur, propres à garantir une présentation conforme à l'image de la marque et à offrir au consommateur un cadre en harmonie avec le caractère luxueux et exclusif des produits en cause, le maintien d'une image de marque de prestige sur le marché des produits cosmétiques de luxe constituant un facteur essentiel de concurrence; qu'en l'espèce, la société Lancôme France a pu considérer sans commettre d'abus ni d'erreur manifeste que l'environnement extérieur du point de vente et la localisation géographique de la société Sentor ne correspondaient pas à la clientèle de produits de luxe qu'elle recherche ;

Considérant que la société Lancôme France a aussitôt fait connaître au candidat évincé les conclusions défavorables du rapport d'évaluation du point de vente ; qu'il ne peut lui être reproché de n'avoir pas donné suite [à] la candidature de la société Sentor, ni à la commande que celle-ci lui avait adressée le 10 novembre 1994 ;

Considérant que les griefs formés par la société Sentor ne sont pas établis ; qu'il convient de confirmer la décision entreprise ;

Considérant qu'il est équitable que la société Lancôme France soit indemnisée de ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs : Confirme la décision entreprise, en toutes ses dispositions, y ajoutant, Déboute la société Sentor de toutes ses demandes, La condamne à payer 20 000 F à la société Lancôme France pour ses frais irrépétibles d'appel, La condamne aux dépens d'appel, Admet la SCP Taze Bernard & Belfayol Broquet, avoué, à bénéficier des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.