CA Paris, 4e ch. B, 30 juin 2000, n° 1997-03785
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Eden des Marques (SA), Parfumerie Avantage (SARL)
Défendeur :
Parfums Christian Dior (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
Mmes Mandel, Regniez
Avoués :
Me Hardouin-Herscovici, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Jourde, Catala.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par les sociétés Eden des Marques et Parfumerie Avantage d'un jugement rendu le 8 janvier 1997 par le tribunal de commerce de Paris dans un litige les opposant à la société Parfums Christian Dior.
Eden des Marques et Parfumerie Avantage qui exploitent des magasins de parfumerie (aux enseignes Eden des Marques Parfumerie Avantage à Colombes pour la première, et Parfumerie Avantage à Saint-Denis pour la seconde) sont l'une et l'autre animées par M. Zilberman qui en assure la gestion à partir du local où est établi le siège de Parfumerie Avantage, 2 passage de l'Aqueduc à Saint-Denis.
Imputant des impayés à ces sociétés avec lesquelles elle avait passé des contrats de distribution exclusive, Christian Dior, après deux mises en demeure en dates des 2 août et 11 août 1995, a adressé le 29 août 1995 une lettre de résiliation dans laquelle elle visait le nom des trois parfumeries à Parfumerie Avantage, 2 passage de l'Aqueduc à Saint-Denis.
Par acte du 4 mars 1996, Eden des Marques et Parfumerie Avantage ont fait assigner Christian Dior devant le tribunal de commerce de Paris auquel elles demandaient de :
- dire que le contrat concernant la société Eden des Marques n'avait jamais été résilié, et condamner Christian Dior à payer à celle-ci la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts,
- constater que les sommes dues par Parfumerie Avantage avaient été réglées et déclarer nulle la résiliation du contrat concernant cette société (faisant valoir que la résiliation aurait été faite de mauvaise foi sur le prétexte d'impayés minimes, et pendant la période des vacances d'été au cours de laquelle il n'avait pas été possible de régulariser la situation).
Elles ont par la suite l'une et l'autre réclamé des dommages-intérêts de montants plus élevés (300 000 F pour Eden des Marques et 220 000 F pour Parfumerie Avantage).
Christian Dior a conclu au débouté, soutenant que la résiliation avait été régulièrement adressée au lieu où était centralisée la gestion des deux sociétés. Elle a réclamé que les demanderesses soient condamnées sous astreinte à lui restituer la totalité des produits Christian Dior et du matériel publicitaire en leur possession, et demandé également qu'elles soient solidairement condamnées à lui payer la somme de 60 000 F à titre de dommages-intérêts.
Par le jugement entrepris le tribunal a :
- dit que le contrat liant Eden des Marques à Christian Dior n'avait pas été résilié,
- condamné Christian Dior à payer à Eden des Marques la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts,
- débouté Parfumerie Avantage de ses demandes et condamnée celle-ci sous astreinte à restituer à Christian Dior ses produits et matériels publicitaires,
- dit que Parfumerie Avantage et Christian Dior supporteraient les dépens par moitié.
Ayant interjeté appel Eden des Marques et Parfumerie Avantage prient la cour :
" Concernant la société Eden des Marques :
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que le contrat la liant à la société Parfums Christian Dior n'est pas résilié.
- d'infirmer le jugement en ce qu'il a limité à 50 000 F le montant du préjudice subi par la société Eden des Marques du fait de la rupture abusive du contrat la liant à la SA Parfums Christian Dior,
Concernant la société Parfumerie Avantage
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé mal fondée sa demande de nullité de la résiliation unilatérale du contrat de distributeur agréé la liant à la SA Parfums Christian Dior,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de la SA Parfums Christian Dior,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à restituer à la SA Parfums Christian Dior la totalité du matériel publicitaire et de démonstration sous astreinte,
Statuant à nouveau,
- de condamner la SA Parfums Christian Dior à payer la somme de 1 130 000 F à titre de dommages et intérêts à la société Eden des Marques,
- de dire et juger nulle la résiliation unilatérale du contrat de distributeur agréé liant la SA Parfums Christian Dior à la société Parfumerie Avantage,
En tout état de cause,
- de dire et juger abusive la résiliation du contrat de la société Parfumerie Avantage,
- de condamner la SA Parfums Christian Dior, à payer la somme de 1 004 166,7 F à titre de dommages et intérêts à la Société Parfumerie Avantage
- d'ordonner le rétablissement de l'agrément de la société Parfumerie Avantage, sous astreinte de 5 000 F par jour de retard de livraison à compter d'un délai de 8 jours suivant la commande de la société Parfumerie Avantage, cette mesure d'astreinte prenant effet au jour de l'arrêt à intervenir,
- d'ordonner la parution de l'arrêt à intervenir aux frais de la SA Parfums Christian Dior dans deux revues professionnelles au choix des Sociétés Eden des Marques et Parfumerie Avantage, à savoir Cosmétiques News et Cosmetica,
- de condamner Christian Dior à leur payer une indemnité de 20 000 F pour leur frais irrépétibles ".
Christian Dior prie la Cour :
" D'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit fondée Eden des Marques en sa demande tendant à voir constater que le contrat la liant à Parfums Christian Dior n'est pas résilié,
- dit Eden des Marques partiellement fondée en ses autres demandes,
- condamné Parfums Christian Dior à payer à Eden des Marques la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts,
- dit Parfums Christian Dior mal fondé en ses demandes contre Eden des Marques et l'en a déboutée.
Et statuant à nouveau,
- condamner Eden des Marques et Parfumerie Avantage à restituer à Parfums Christian Dior la totalité du matériel publicitaire et de démonstration ainsi que les stocks de produits Parfums Christian Dior se trouvant en leur possession sous astreinte de 5 000 F par jour de retard,
- confirmer le jugement pour le surplus.
Y ajoutant,
Dire qu'en continuant la vente des produits Parfums Christian Dior Parfumerie Avantage a commis une faute.
La condamner à payer à Parfums Christian Dior la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. "
Pour un plus ample exposé, la cour vise expressément les dernières conclusions signifiées respectivement par les appelantes et par l'intimée le 4 mai 2000.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que Christian Dior qui reprochait à Eden des Marques et à Parfumerie Avantage, le non-paiement de lettres de change et factures s'élevant à 67 004,17 F a résilié leurs contrats après deux mises en demeure infructueuses des 2 et 11 août 1995 par une lettre du 29 août 1995 adressée à Parfumerie Avantage ;
Considérant que s'agissant d'Eden des Marques, le tribunal a estimé que les contrats visant les points de vente de cette société n'avaient pas été valablement résiliés, la lettre de résiliation ayant été adressée à la seule Parfumerie Avantage ;
Considérant que Christian Dior poursuit la réformation du jugement de ce chef, soutenant qu'elle était fondée à n'adresser une lettre de résiliation qu'à Parfumerie Avantage à l'attention de M. Zilberman, celui-ci étant l'animateur des deux sociétés et centralisant leur gestion au siège de Parfumerie Avantage ; qu'elle expose qu'il existait une très étroite communauté d'intérêts entre les sociétés Eden des Marques et Parfumerie Avantage et que M. Zilberman, à l'adresse de Parfumerie Avantage, s'était toujours présenté comme leur mandataire commun ; qu'elle invoque en outre l'apparence résultant de la pratique contractuelle antérieure et du propre comportement de M. Zilberman ;
Mais considérant que le tribunal a justement repoussé cette argumentation ; que Christian Dior qui avait conclu plusieurs contrats concernant plusieurs sociétés n'est pas fondée à se prévaloir d'une prétendue apparence s'agissant d'un professionnel avisé qui exerce en outre un contrôle rigoureux des activités des entreprises appartenant à son réseau de distribution sélective ;
Considérant que Christian Dior invoque vainement devant la cour l'article IX du contrat de distributeur agréé selon lequel " Lorsque le distributeur agréé, qui contrôle plusieurs points de vente, bénéficie de la centralisation de la gestion commerciale ou de la facturation sur un seul compte, chaque entité juridique regroupée sous ce numéro de compte sera codébiteur conjoint et solidaire, aux conditions stipulées dans nos conditions générales de vente, des sommes dues par l'une d'entre elles et plus généralement du solde débiteur du compte " ; que cette disposition n'affecte pas les modalités de la résiliation puisqu'elle ne concerne que le paiement des marchandises livrées ; qu'elle est en outre sans intérêts en l'espèce alors qu'aux trois magasins exploités par les deux sociétés appelantes, correspondaient trois comptes distincts qui sont d'ailleurs distinctement visés dans la lettre de résiliation ;
Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que le contrat liant Christian Dior à Eden des Marques n'avait pas été valablement résilié ;
Considérant que le Tribunal doit également être approuvé d'avoir dit que l'article VII des contrats de distribution exclusive permettant la résiliation anticipée 8 jours après l'envoi d'une mise en demeure restée infructueuse, Parfumerie Avantage n'était pas fondée à critiquer la résiliation qui lui avait été notifiée ; qu'en effet cette société ne conteste pas les impayés ayant suscité cette mesure ; qu'alors qu'elle avait reçu début août deux mises en demeure explicites auxquelles elle n'a pas donné suite, elle ne peut pas reprocher à Christian Dior d'avoir appliqué la clause de résiliation anticipée prévue au contrat ; qu'elle prétend à tort que Christian Dior aurait agi abusivement à son égard en tirant parti de la période de vacances, alors que cette période ne l'autorisait nullement à se soustraire à ses obligations élémentaires de paiement ;
Considérant qu'Eden des Marques avait réclamé en première instance que Christian Dior soit condamnée à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts dont 270 000 F correspondant à sa perte de marge sur les produits Christian Dior et 70 000 F correspondant à la perte de marge sur les produits d'autres marques qu'elle aurait pu vendre avec ceux de Christian Dior si celle-ci avait continué à l'approvisionner ; que le tribunal lui ayant alloué une indemnité de 50 000 F, elle interjette appel de ce chef et porte à 1 130 000 F (dans le dispositif de ses écritures) le montant de sa demande, exposant que cette somme correspond à la marge qu'elle a perdue parce qu'elle a été empêchée de vendre des produits Christian Dior depuis septembre 1995 ;
Considérant que Christian Dior qui réclame la réformation du jugement en ce qu'il a fait droit à la demande de dommages-intérêts d'Eden des Marques ne présente aucune argumentation précise à cet égard, se bornant à affirmer - sans justifier pour ce qui concerne Eden des Marques - que celle-ci aurait continué à vendre des produits portant sa marque qu'elle se serait procurés de façon irrégulière ; que la cour ne dispose pas en l'état des éléments nécessaires pour statuer sur la demande de dommages-intérêts d'Eden des Marques ; qu'il convient d'ordonner la mesure d'expertise que sollicite subsidiairement Eden des Marques en lui allouant à titre de provision la somme de 100 000 F ;
Considérant que Parfumerie Avantage qui forme une demande en paiement de la somme de 1 004 1667 F de dommages intérêts en sera déboutée dès lors qu'ont été repoussées ses contestations de la mesure de résiliation prise à son encontre ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a ordonné sous astreinte de restituer les produits et matériels publicitaires de Christian Dior en sa possession ; que ces contestations de la validité de la résiliation étant écartées, Parfumerie Avantage sera déboutée de sa demande tendant à voir ordonner le rétablissement de son agrément comme distributeur agréé de Christian Dior ;
Considérant qu'il résulte de constats d'huissier établis à l'initiative de Christian Dior que Parfumerie avantage a continué à commercialiser des parfums Christian Dior malgré la résiliation de son contrat et le rejet par les premiers juges de ces contestations visant cette résiliation ; que ces constats d'achats dressés en avril et décembre 1999 font état de la vente par Parfumerie Avantage de quatre flacons de parfum Christian Dior ; que les vérifications faites sur le champ par Christian Dior ont démontré que l'un de ces flacons avait été initialement livré à la société Annine, également animée par M. Zilberman, et distributeur agréé de Christian Dior à Asnières ;
Considérant que Christian Dior, soutenant que Parfumerie Avantage en s'approvisionnant auprès de distributeurs agréés alors que leur contrat interdit à ceux-ci de vendre les produits à d'autres que des consommateurs, s'est rendue complice de la violation de leurs obligations contractuelles, a désorganisé son réseau et a ainsi commis une faute en réparation de laquelle elle réclame la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Considérant que Parfumerie Avantage expose vainement qu'elle était en droit de continuer à vendre des produits Christian Dior, le jugement ayant rejeté ses contestations de la résiliation n'ayant pas été assorti de l'exécution provisoire ; qu'en s'approvisionnant de manière irrégulière auprès d'un distributeur agréé dont elle savait qu'il lui était interdit de vendre à d'autres que des consommateurs, elle a en effet commis une faute désorganisant le réseau de Christian Dior et engageant sa responsabilité à l'égard de celle-ci ; que le préjudice en résultant pour Christian Dior sera exactement réparé au vu des éléments du dossier par l'allocation d'une somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ;
Considérant que les mesures de publication sollicités par les appelantes ne sont pas nécessaires ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Eden des Marques une indemnité de 12 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne les dommages intérêts alloués à la société Eden des Marques ; Réformant de ce chef, statuant à nouveau et ajoutant : Avant dire droit sur le montant des dommages-intérêts dus par la société Christian Dior à la société Eden des Marques, Ordonne une expertise, Commet en qualité d'expert Monsieur Philippe Guilguet, 6 Place Denfert Rochereau, 75014 Paris tèl au 01.43.27.05.20 fax 01.42.79.89.13 avec mission : - d'entendre contradictoirement les parties et de consigner leurs explications, - de se faire remettre ou présenter tous documents utiles détenus par elles ou par des tiers, - de s'adjoindre tout sapiteur de son choix si besoin est, - de rechercher si la société Eden des Marques a commercialisé des produits Christian Dior postérieurement au 29 août 1995, - de déterminer, dans la mesure du possible, la quantité des produits ainsi commercialisés et le chiffre d'affaires réalisé, - de donner son avis sur la marge brute perdue par la société Eden des Marques s'agissant de la commercialisation de produits Christian Dior postérieurement au 29 août 1995, - de fournir à la cour tous éléments de nature à permettre la détermination du préjudice subi par la société Eden des Marques, - de répondre dans la limite de ces chefs de mission, aux dires des parties et de leur faire part de ses premières conclusions ; Dit que l'expert sera mis en œuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 à 284 du nouveau Code de procédure civile, et qu'il devra déposer son rapport au greffe de la cour avant le 30 mars 2001 ; Désigne Madame Mandel en qualité de magistrat chargé de suivre les opérations d'expertise ; Dit que la société Eden des Marques devra consigner au greffe de la cour la somme de 30 000 F à valoir sur les honoraires de l'expert avant le 15 août 2000 ; Dit que cette somme devra être versée au régisseur d'avances et de recettes de Paris, 34 quai des Orfèvres (75055) Paris Louvre SP ; Condamne la société Parfums Christian Dior à payer à titre de provision à valoir sur ses dommages-intérêts, la somme de 100 000 F à la société Eden des Marques ; Dit que la société Parfumerie Avantage en s'approvisionnant irrégulièrement en produits Christian Dior auprès de distributeurs agréés de celle-ci s'est rendue complice de la violation de leurs obligations et a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle ; La condamne de ce chef à payer à la société Christian Dior la somme de 50 000 F à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société Parfums Christian Dior à payer à la société Eden des Marques la somme de 12 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Fait masse des dépens d'appel exposés à ce jour ; Dit que la société Parfums Christian Dior et la société Parfumerie Avantage supporteront respectivement le tiers de ces dépens ; Condamne la société Parfums Christian Dior au surplus des dépens ; Admet la SCP Hardouin Herscovici au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.