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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 16 août 2000, n° 99-00250

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Chevalier, Bouziat

Défendeur :

Forest

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Puechmaille

Conseillers :

Mme Warein, M. Gouilhers

Avoués :

Mes Tracol, Le Roy des Barres

Avocats :

Me Hervet, Me Bayeron, Gerigny.

T. com. Nevers, du 14 oct. 1998

14 octobre 1998

Faits et procédure

M. Bouziat et Mme Valleix, associés au sein d'une Société de fait, ont, par contrat du 15 décembre 1990, autorisé Mme Forest à exercer une activité professionnelle d'agence matrimoniale sous enseigne "Relations Conseil". Par ce contrat, ils s'engageaient à lui fournir un certain nombre de prestations en contrepartie desquelles Mme Forest a versé un droit fixe d'entrée de 40.000 francs ainsi qu'une redevance mensuelle indexée annuellement, d'un montant de 500 francs. Ce contrat conclu pour une durée de 3 années et renouvelable par tacite reconduction pouvait être dénoncé pour un certain nombre de causes, en respectant un délai de préavis de 6 mois. En cas de dénonciation, le bénéficiaire de la franchise devait restituer le fichier clientèle, cesser de faire usage de l'enseigne, et ne pas se réinstaller dans une activité semblable ou similaire, pendant 5 ans dans un rayon de 50 kms autour de toute ville possédant un cabinet "Relations Conseil" ;

Le 14 février 1997, Mme Forest a dénoncé ledit contrat ;

Les associés désignés ci-dessus l'ont alors assigné devant la formation de référé du Tribunal de Commerce de Nevers pour obtenir la somme de 20 645,69 francs à titre de rappel de redevance et de préavis, et pour faire appliquer la clause de non-concurrence ;

Par ordonnance du 22 mai 1997, le juge des référés leur a donné satisfaction en assortissant l'interdiction d'exercice professionnel d'une astreinte de 500 francs par jour d'infraction constatée, mais cette ordonnance a été réformée par arrêt de la Cour de céans en date du 15 novembre 1999, qui a décidé que de telles décisions excédaient les pouvoirs du juge des référés ;

De son côté, Mme Forest a saisi le Tribunal de Commerce pour voir prononcer la résiliation du contrat pour non-respect des obligations contractuelles. Elle sollicitait également la restitution des sommes versées en exécution du contrat, ainsi que l'annulation de la clause de non-concurrence.

Par jugement du 14 octobre 1998, le Tribunal de Commerce a prononcé la résolution du contrat aux torts de M. Bouziat et Mme Valleix, dit que Mme Forest en avait cependant tiré un certain bénéfice, et condamné M. Bouziat et Mme Valleix à rembourser à Mme Forest la moitié du droit de fixe de 40.000 francs ainsi que la totalité des redevances mensuelles, avec intérêts au taux légal à compter de leur perception. Il a également alloué à Mme Forest une indemnité de 4.000 Francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Tant Melle Virginie Bouziat qui vient aux droits de son père décédé que Mme Valleix ont interjeté appel de ce jugement, dont Mme Forest est également appelante à titre incident ;

Moyens et prétentions des parties :

A l'appui de leur recours, les deux appelantes soutiennent en premier lieu que Mme Forest a régulièrement exécuté le contrat pendant 6 années sans jamais faire la moindre observation et sans remettre en cause la qualité et la consistance du savoir-faire qui lui était communiqué. Elles ajoutent que les prestations fournies par la Société "Relations Conseil" sont loin d'avoir été inconsistantes annonces regroupées à l'en-tête de la Société ce qui augmente la confiance des clients, réunions régulières, conseils variés etc...

Elles demandent par conséquent à la Cour de réformer la décision entreprise en déboutant Mme Forest de sa demande de résolution du contrat, et en la condamnant à leur payer la somme de 20.645,69 francs qui correspond au terme du contrat de franchise, aux 6 mois et demi de redevance dues (15 jours de février 1997 plus 6 mois de préavis), et 4 mois de redevances impayées ;

Se fondant sur la clause de non-concurrence, qu'elles estiment être tout à fait licite car limitée dans le temps et dans l'espace, et nécessaire pour sauvegarder l'intérêt de leur Société, elles demandent à la Cour de faire interdiction à Mme Forest d'exercer une activité concurrentielle sous peine d'une indemnité de 500 francs par jour d'infraction constatée ;

Elles demandent encore à la Cour de condamner Mme Forest à leur payer la somme de 20.000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qu'elles prétendent avoir subi de son fait, ne serait-ce que parce qu'elle a conservé les fichiers du cabinet ;

Elles demandent enfin à la Cour de la condamner à leur payer une indemnité de 10.000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Mme Forest sollicite au contraire la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts du franchiseur et fait valoir à cet effet que le savoir-faire n'a jamais fait l'objet d'une communication permanente ni d'un recyclage entre début 1990 et fin 1996, et que le franchiseur s'est soustrait à son obligation d'assistance technique en ne fournissant pas les moyens nécessaires au développement et la pérennité du concept, en ne donnant pas la formation indispensable, en se contentant d'adresser à ses franchisés des courriers dénués de toute utilité et d'organiser des réunions sans intérêt ;

Cependant, elle estime que son préjudice a été sous-estimé par les premiers juges et, soutenant avoir été confrontée à une situation financière catastrophique, et ne percevoir actuellement que le RMI, elle demande que lui soit allouée la somme de 180.000 francs à titre de dommages et intérêts ;

Enfin, en ce qui concerne la clause de non-concurrence, elle soutient quelle est nulle car elle lui interdit toute activité, n'est pas indispensable à la préservation des intérêts des franchiseurs, et n'est pas conforme aux prescriptions communautaires. Elle sollicite donc sur ce point la confirmation du jugement déféré ;

Elle réclame enfin, par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, une indemnité de 10.000 francs ;

Sur quoi, LA COUR :

Attendu que force est de constater que les parties se placent l'une et l'autre sur le terrain de la résiliation (et non de la résolution s'agissant d'un contrat à exécution successive qui ne peut faire l'objet d'une remise en état complète pour le passé), ce qui signifie qu'elles admettent la validité de l'engagement contractuel et n'envisagent que l'exécution plus ou moins complète des obligations contractuelles, susceptible de justifier ladite résiliation et d'ouvrir droit, le cas échéant, à des dommages et intérêts ; que dans cette perspective, il y a lieu de considérer que c'est à titre de dommages et intérêts que les premiers juges ont accordé à Mme Forest le remboursement de la somme de 20.000 francs (la moitié du droit d'entrée acquitté au moment de la conclusion du contrat) ainsi que des redevances versées depuis l'origine, ce qu'il n'a pas chiffré mais qui représente semble-t-il, au vu des pièces versées aux débats, une somme d'environ 90.000 francs ;

Attendu qu'il appartient donc à la Cour de rechercher si les obligations contractuelles en cause ont été ou non respectées, si leur inexécution éventuelle justifie ou non la résiliation du contrat, et si le préjudice éventuellement causé est ou non suffisamment réparé par les modalités retenues par les premiers juges ;

Attendu, en ce qui concerne le premier point, que c'est Mme Forest qui est demanderesse à la résiliation, les appelantes se prévalant pour leur part de la dénonciation du contrat qui a été faite dans ses termes même, ainsi que du préavis qui doit être respecté en pareil cas ; qu'à cet égard, force est de constater que si la Société "Relations Conseil" a fourni à Mme Forest un certain nombre de services (mise à disposition de contrats types, de papier à lettre personnalisé, formation initiale technique etc.), elle s'est montrée en revanche fort défaillante sur les points suivants : promotion de la marque (aucune action de promotion au niveau régional en dehors de l'utilisation de la marque pour personnaliser les annonces matrimoniales), connaissance du marché local (aucune étude personnalisée tenant compte notamment des activités concurrentielles n'a été menée), formation permanente (qui, au vu des pièces versées aux débats, s'est réduite à quelques réunions sans consistance au cours desquelles jamais le moindre professionnel de la communication, de la gestion ou de la psychologie n'a été appelé à intervenir); que par ailleurs un bon nombre des conseils donnés par courrier aux franchisés ne constituent que des recommandations de bon sens ou des encouragements à la limite de la puérilité mais ne réalisent pas le transfert d'un savoir-faire spécifique ; que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont prononcé la résiliation du contrat, et que leur décision doit être confirmée sur ce point; que c'est également à bon droit qu'ils ont débouté Mme Chevalier et Melle Bouziat de leur demande tendant au paiement de redevances impayées et des redevances dues pendant le préavis ;

Attendu, en ce qui concerne le préjudice subi, que par l'effet des restitutions ordonnées par les premiers juges, c'est une somme supérieure à 100000 francs qui a été allouée à Mme Forest ; qu'au vu des pièces versées aux débats, dans la mesure où il en ressort que si l'intéressée a cessé son activité de conseil matrimonial, c'est non en raison de la clause de non-concurrence mais de l'effondrement de cette activité, laquelle n'est pas entièrement due aux carences du franchiseur puisque malgré ces carences, Mme Forest avait pu pendant plusieurs années dégager des gains relativement conséquents, il apparaît que les premiers juges ont fait une exacte appréciation de ce préjudice ; que la décision déférée sera donc confirmée sur ce point également ;

Attendu que les appelantes ne pourront pas voir satisfaite leur demande de dommages et intérêts, Mme Forest n'ayant commis aucune faute dont elle leur devrait réparation, et n'ayant pas agi de manière abusive à leur encontre ;

Attendu,en ce qui concerne la clause de non-concurrence,que du fait de la durée de l'interdiction (5 ans) et de son étendue (50 km autour de toutes les localités dans lesquelles un cabinet "Relations Conseil" est exploité, et non pas seulement de la localité où est exploité le cabinet du franchisé), cette clause est de nature à interdire au franchisé d'exercer l'activité qui est la sienne, à le déposséder de la clientèle qu'il a lui même constituée en réalisant une sorte d'expropriation forcée au bénéfice du franchiseur, et à lui interdire de fait d'user de la faculté de dénonciation unilatérale prévue par le contrat en le contraignant à demeurer durablement dans la franchise, ce qui porte atteinte tant à la liberté du travail qu'à la liberté du commerce et de l'industrie ;que c'est donc à juste titre que cette clause, dont en outre l'utilité pour une entreprise qui n'a pas de véritable savoir-faire spécifique et dont la marque est fort peu notoire est largement sujette à caution, a été (semble-t-il) considérée comme nulle par les premiers juges ;que c'est par conséquent à bon droit que Mme Valleix et Melle Bouziat ont été déboutées de leur demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction à Mme Forest d'exercer une activité concurrentielle pendant 5 années dans toute localité où est exploité un cabinet "Relations Conseil" ;

Attendu que les premiers juges ont fait une exacte application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile qu'il y a lieu d'ajouter à leur décision en condamnant Mme Valleix et Melle Bouziat à payer à Mme Forest la somme de 5.000 francs au même titre ; que succombant en appel, elles seront en revanche déboutées de la demande qu'elles ont formée sur ce fondement ;

Attendu qu'elles devront également supporter les dépens du recours ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, en matière sociale et après en avoir délibéré, En la forme, déclare recevables tant l'appel principal que l'appel incident ; Au fond, Confirme le jugement déféré ; Ajoutant, Rejette toutes demandes plus amples ou contraires comme inopérantes ou mal fondées ; Condamne Mme Valleix et Melle Bouziat à payer à Mme Forest la somme de 5 000 francs par application de l'article 700 du Nouveau Code de procédure civile ; Les condamne aux dépens du recours, et dit qu'ils seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.