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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 13 septembre 2000, n° 1999-01431

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Bernard

Défendeur :

France Acheminement (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

MM. Grimaud, Charras

Avoués :

Me Chateau, SCP Sorel-Dessart-Sorel

Avocats :

Mes Ludot, Zerbib.

T. com. Toulouse, du 15 févr. 1999

15 février 1999

M. Rodolphe Bernard a relevé appel, pour les dispositions le concernant, du jugement du Tribunal de Commerce de Toulouse en date du 15 février 1999 qui a déclaré irrecevable sa demande d'indemnisation à l'encontre de la SARL France Acheminement.

Le 27 juin 1996 M. Rodolphe Bernard a conclu avec la SARL France Acheminement un contrat de franchise de trois années, renouvelable par tacite reconduction, moyennant un droit d'entrée de 97 686 F TTC, pour assurer la distribution de colis selon une tournée rattachée au secteur de Paris à compter du 2 septembre 1996. Par avenant du 28 novembre 1996, les parties ont convenu de modifier le secteur géographique pour celui de Laon, moins important, et le droit d'entrée a été ramené à 85 626 F TTC. Au début de mars 1997, M. Rodolphe Bernard a cessé toute activité au motif que le chiffre d'affaires réalisé n'était pas celui qui lui avait été promis et que ce chiffre ne permettait pas d'assumer les charges de l'entreprise. Le 9 avril 1997 les parties ont résilié le contrat, elles ont transigé sur la rupture qui s'est faite moyennant le remboursement du droit d'entrée de 97 686 F et elles ont renoncé à tout recours à raison du contrat.

M. Rodolphe Bernard fait grief au jugement d'avoir déclaré son action irrecevable alors que la convention du 9 avril 1997 ne fait pas mention d'une contestation et qu'en toute hypothèse elle n'a pas été exécutée. Sur le fond M. Rodolphe Bernard fait valoir que le contrat relève des dispositions de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 dite loi Doubin, qu'il n'a pas reçu dans les 20 jours précédant la signature du contrat les informations lui permettant de s'engager en connaissance de cause, que les documents prévus au décret d'application du 4 avril 1991 ne lui ont pas été remis, que le contrat est donc nul. Il invoque par ailleurs la nullité pour dol au motif qu'il n'a pas été fait d'étude à propos du contrat qu'il a conclu et que la SARL France Acheminement lui a fait croire à des chiffres d'affaires mensongers. II conclut à la recevabilité de son action, à l'annulation du contrat, à la restitution de la somme de 85 626 F avec intérêts au taux légal à compter du 11 juin 1996 sur la somme de 42 813 F et intérêts au taux légal à compter du 25 août 1996 sur la somme de 42 813 F, au paiement de 500 000 F à titre de dommages et intérêts, à la garantie de la SARL France Acheminement pour le cas de condamnations pouvant résulter des garanties octroyées dans le cadre des concours financiers relatifs au contrat de franchise, au paiement de 15 000 F au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile, à la distraction des dépens au profit de Me Château.

La SARL France Acheminement rappelle que la transaction est destinée à prévenir une contestation née ou à naître, qu'elle a autorité de la chose jugée entre les parties, et elle estime que la décision d'irrecevabilité prononcée par le jugement entrepris doit être confirmée. Sur le fond elle considère que les dispositions de la loi Doubin ont été respectées car les documents complets ont été remis à M. Rodolphe Bernard le 6 juin 1996 alors que le contrat a été signé le 27 juin suivant. S'agissant du dol, elle fait valoir qu'elle n'est tenue que d'une obligation de moyens et qu'il appartient au franchisé, commerçant indépendant, d'étudier la faisabilité de son entreprise et de faire preuve de dynamisme. Sur ce dernier point elle soutient que d'autres franchisés du secteur de Laon réalisaient de bien meilleurs chiffres que M. Rodolphe Bernard. Elle s'oppose à toutes les prétentions de M Bernard et elle forme un appel incident pour obtenir 50 000 F de dommages et intérêts en considération de la procédure et 10 000 F au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile avec distraction des dépens au profit de la SCP Sorel Dessart.

Sur quoi

Attendu qu'aux termes de l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ;

Attendu qu'après avoir signé le 27 juin 1996 un contrat de franchise pour une durée de trois années, les parties ont signé le 9 avril 1997 une convention de résiliation par laquelle le franchisé n'est plus tenu d'aucune obligation et " renonce à tout recours qu'il pourrait être fondé à exercer à quelque titre que ce soit envers la SARL France Acheminement et découlant directement ou indirectement du contrat en vigueur jusqu'à la date de résiliation " ; que la SARL France Acheminement prend les mêmes engagements de renonciation à tout recours contre l'exploitant ; que les parties conviennent de la résiliation " sans indemnité, préavis, ni autre formalité que le remboursement du droit d'entrée soit la somme de 97 686 F " ; que cette convention, destinée à prévenir tout litige à raison de la rupture anticipée du contrat, a bien les caractères d'une transaction ;

Attendu cependant que si la transaction a autorité de chose jugée entre les parties, une partie ne peut l'opposer à l'autre que si elle en exécute les conditions ; qu'en l'espèce non seulement la SARL France Acheminement ne conteste pas n'avoir pas rempli l'obligation de remboursement du droit d'entrée, mais elle s'y oppose dans le cadre de la présente instance ; que M. Rodolphe Bernard est donc fondé à invoquer l'exception d'inexécution de la transaction et à voir écarter le moyen d'irrecevabilité ; que le jugement entrepris sera réformé de ce chef et l'action de M. Rodolphe Bernard sera jugée recevable ;

Attendu que le contrat conclu entre les parties le 27 juin 1996 est soumis, comme elles en conviennent, aux dispositions de la loi n° 89-1008 du 31 décembre 1989 dite loi Doubin : que l'article 1 de cette loi exige qu'il soit fourni, vingt jours minimum avant la signature du contrat ou avant le versement de la somme exigée préalablement à la signature du contrat pour obtenir la réservation d'une zone, des informations sincères permettant au cocontractant de s'engager en connaissance de cause ; que l'article 1 du décret du 4 avril 1991 détaille les informations à fournir ;

Attendu que M. Rodolphe Bernard soutient en premier lieu que les documents ne lui ont pas été remis dans le délai légal ; qu'il déclare n'en avoir eu connaissance que le 11 juin 1996 qui serait la date de la signature du contrat ; que la SARL France Acheminement lui oppose qu'il a eu connaissance des documents le 6 juin 1996 comme en atteste la signature de la fiche de renseignements et que le contrat aurait été signé le 27 juin ; que les parties sont donc contraires en fait

Attendu que la fiche de renseignements signée de M. Rodolphe Bernard à la date du 6 juin 1996 porte mention qu'au terme d'un entretien il " sera remis" les documents prévus par la loi Doubin et le décret pris pour son application ; que cette mention ne vaut pas preuve que les documents ont effectivement été remis le 6 juin ; que par ailleurs le contrat signé par les parties porte la date du 27 juin 1996 et le lieu de Toulouse et qu'il mentionne le versement de la somme de 40 500 F HT au moyen d'un chèque bancaire ; que ce chèque du 28 juin 1996 porte en lieu d'émission Toulouse et il a été débité le 27 du compte de M. Rodolphe Bernard à l'agence du Crédit Mutuel de Reims ; que ce chèque n'a manifestement pas été émis le 28 juin mais auparavant; qu'il s'en déduit que le chèque et le contrat qui en justifie la remise ont été antidatés; que la preuve n'est donc pas rapportée par la SARL France Acheminement qu'elle a communiqué à M. Rodolphe Bernard les documents nécessaires à l'appréciation de son engagement dans le délai légal ;

Attendu en outre que la SARL France Acheminement ne conteste pas n'avoir pas porté à la connaissance de M. Rodolphe Bernard l'intégralité des documents prévus pour son information tels que l'évolution de la société depuis 5 ans, les comptes des deux derniers exercices (seul l'exercice 1994 a été renseigné), la liste exhaustive des entreprises faisant partie du réseau d'exploitants avec l'indication, pour chacune d'elles, du mode d'exploitation convenu ;

Attendu en conséquence que M. Rodolphe Bernard n'a reçu que des informations partielles et qu'il n'a pas disposé du temps nécessaire à l'appréciation de la portée de ses engagements ; que de ce fait son consentement a été vicié et la nullité du contrat doit être prononcée ;

Attendu qu'en conséquence de la nullité, la SARL France Acheminement doit restituer le montant du droit d'entrée versé par M. Rodolphe Bernard ; que ce montant s'élève à 40 500 F payés par chèque daté du 28 juin 1996 et 57 186 F payés par chèque du 26 août 1996, soit au total 97 686 F TTC; que lors du changement de secteur, la SARL France Acheminement a remboursé 12 060 F TTC ; qu'il reste du 85 626 F TTC en principal ; que les intérêts sont dus à compter de la mise en demeure de payer ; qu'il n'est pas justifié d'une mise en demeure préalable à l'assignation du 20 mai 1997 ; que les intérêts au taux légal seront donc alloués à compter de cette dernière date ;

Attendu que M. Rodolphe Bernard demande une indemnisation de 500 000 F correspondant aux emprunts qu'il a contractés, à la différence entre le chiffre d'affaires qui lui aurait été promis et celui réellement réalisé, au préjudice résultant du dol dont il aurait été victime ;

Attendu que M. Rodolphe Bernard fait grief à la SARL France Acheminement de n'avoir pas réalisé d'étude de faisabilité relative au secteur qui lui était confié, seul ayant été établi un compte de résultat prévisionnel avec un chiffre d'affaires de 400 000 F et un bénéfice imposable de 148 640 F ;

Attendu que le résultat de M. Rodolphe Bernard est en disproportion flagrante avec les prévisions de la SARL France Acheminement;que certes les études de la SARL France Acheminement ne constituent pas un engagement de sa part et qu'elle justifie que deux franchisés réalisaient de meilleures performances que M. Rodolphe Bernard sur le même secteur; qu'il n'en demeure pas moins que la SARL France Acheminement devait intégrer dans ses prévisions l'inexpérience de M. Rodolphe Bernard, franchisé débutant, et qu'elle a manifestement induit en erreur son partenaire sur les résultats qu'il pouvait espérer dans un avenir proche ;que le dol est donc constitué ;

Attendu que M. Rodolphe Bernard a été conduit à emprunter la somme de 150 000 F, prêt qui a été remboursé par anticipation; qu'il a souscrit un contrat de location de véhicule; qu'il a été privé des bénéfices qu'il escomptait de son activité ; que l'indemnisation le concernant sera arrêtée à la somme de 250 000 F ;

Attendu qu'une demande en réparation suppose la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité ; que M. Rodolphe Bernard demande à être garanti par avance "de toutes condamnations pouvant résulter des garanties octroyées dans le cadre des concours financiers relatifs au contrat de franchise"; que si une faute a été commise par la SARL France Acheminement dans la conclusion du contrat de franchise, le préjudice tel qu'il est invoqué, de même que le lien de causalité, sont purement éventuels que la demande de garantie sur des condamnations futures ne saurait être accueillie ;

Attendu qu'il convient d'appliquer l'article 700 NCPC à hauteur de 15 000 F ;

Attendu que les dépens sont à la charge de la partie qui succombe ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris dans ses dispositions concernant M. Rodolphe Bernard ; Statuant à nouveau, Déclare recevable l'action de M. Rodolphe Bernard ; Déclare nul le contrat de franchise conclu entre M. Rodolphe Bernard et la SARL France Acheminement ; Ordonne la restitution par la SARL France Acheminement de la somme de quatre vingt cinq mille six cent vingt six francs TTC (85 626 F ou 13 053,60 euros) avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 1997 ; Condamne la SARL France Acheminement à payer à M. Rodolphe Bernard deux cent cinquante mille francs (250 000 F ou 38 112,25 euros) à titre de dommages et intérêts ; Condamne la SARL France Acheminement à payer à M. Rodolphe Bernard quinze mille francs (15 000 F ou 2 286,74 euros) au titre de l'article 700 Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la SARL France Acheminement aux dépens Autorise Me Château à faire application de l'article 699 Nouveau Code de Procédure Civile ;