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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 15 septembre 2000, n° 1997-15575

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Valerie (SARL)

Défendeur :

Caroll International (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

M. Bouche, M. Savatier

Avoués :

SCP Gibou- Pignot-Grappotte-Benetreau, Me Bodin-Casalis

Avocats :

Mes Schaf-Codognet, Rouer Berns.

T. com. Paris, 19e ch., du 22 mai 1997

22 mai 1997

LA COUR,

Les sociétés Cofintex et SMRA aux droits de laquelle se trouve la société Caroll International ont conclu en 1986 avec Mademoiselle Peltier, exerçant en nom propre puis comme responsable de la SARL Valérie, un contrat de franchise par lequel les premiers ont concédé à la seconde, la franchisée, l'enseigne et la marque Caroll pour la ville de Remiremont et un périmètre de 25 kms autour de celle-ci et se sont engagées à lui fournir des prestations en ce qui concerne notamment l'information et la présentation de la collection, les promotions et les publicités.

Un nouveau contrat de franchise a été conclu entre la société Caroll et la société Valérie le 1er février 1992 pour une durée de trois ans expirant le 31 janvier 1995, renouvelable à l'issue de cette période triennale, d'année en année par tacite reconduction.

Le contrat s'est ainsi poursuivi, son dernier renouvellement étant intervenu au 31 janvier 1996 pour une période d'une année.

Ayant mis en place un nouveau système de distribution reposant sur des contrats de dépôt, la société Caroll a fait connaître le 23 janvier 1996 à la société Valérie qu'elle n'entendait cependant pas conclure avec elle un contrat de dépôt, qui n'était pas adapté au potentiel limité de sa zone de chalandise et qu'elle résiliait le contrat de franchise au 20 mai 1996.

De son coté, invoquant des manquements contractuels la société Caroll dans le cadre du contrat de franchise et faisant remarquer que le contrat s'était renouvelé pour un an à compter du 1er janvier 1996, la société Valérie a, par exploit du 17 mai 1996, assigné la Société Caroll pour obtenir la résolution judiciaire du contrat aux torts et griefs de celle-ci avec effet au 31 août 1996 et sa condamnation à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 800.000F pour perte de son chiffre d'affaires, préjudice commercial et détérioration de son image commerciale et celle de 300.000F pour refaire ses agencements.

Ayant constaté son erreur quant à la date de fin du contrat, la société Caroll a par lettre du 23 juillet 1996, résilié le contrat de franchise à effet au 31 janvier 1997 en respectant le préavis de six mois.

Un accord est intervenu entre les parties sur le seul point de la date de cessation du contrat de franchise qui a été fixée au 31 août 1997, le litige continuant de se développer au plan judiciaire.

Par jugement rendu le 22 mai 1997, le tribunal de Commerce de Paris a débouté la société Valérie de ses demandes en retenant que le franchiseur était libre de modifier son mode de distribution; qu'aucune indemnité n'était prévue au contrat qui comportait une obligation de moyens et non de résultat; que la société Valérie n'apportait pas la preuve d'un préjudice lié à la réorganisation de la distribution de son franchiseur et que les travaux réalisés en 1986 étaient amortis. Les premiers juges ont condamné la société Valérie à payer la somme de 12.000F à la société Caroll sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Valérie a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions en date du 8 novembre 1999 auxquelles il est renvoyé, la société Valérie appelante fait valoir qu'elle est fondée à être indemnisée des manquements contractuels caractérisés commis à son encontre pendant la durée du contrat de franchise par la société Caroll concernant le renouvellement périodique de la collection, les modes de commandes et les livraisons, l'information des franchisés et la promotion des produits Caroll et conclut à l'infirmation de la décision entreprise.

Se fondant sur les éléments comptables et financiers qu'elle produit, la société Valérie chiffre à 800.000F la somme dont elle réclame le versement à la société Caroll en réparation du préjudice résultant de la perte de son chiffre d'affaires, de son préjudice commercial et de la détérioration de son image de marque. Elle ajoute avoir procédé en 1992 à l'agencement de sa boutique de sorte que l'amortissement ne peut être retenu et réclame à ce titre la somme de 300.000F; elle demande enfin la somme de 25.000F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions en date du 20 avril 2000 auxquelles il est renvoyé, la société Caroll International intimée, conclut à la confirmation du jugement déféré et au débouté des demandes de la société Valérie en priant la Cour de la condamner à lui payer la somme de 10. 000F au titre des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elle conteste l'existence des manquements contractuels que lui impute la société Valérie en affirmant être fondée à modifier le système de commandes; elle objecte qu'elle a réparé les erreurs de livraison, qu'elle a assuré l'information de la société Valérie et qu'elle n'a commis aucune discrimination dans les opérations promotionnelles qui, réservées aux succursales et aux dépositaires, ne pouvaient bénéficier à la société Valérie.

Elle conteste l'existence du préjudice commercial invoqué par la société Valérie en rappelant que celle-ci, en sa qualité de franchisée, exploite son fonds de commerce sous sa seule responsabilité et ne justifie ni de la détérioration de son image de marque ni de son préjudice commercial. Elle s'oppose à la demande relative aux dépenses concernant la boutique qu'elle dit être amorties.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il ne peut être contesté que le nouveau contrat de franchise consenti le 1er février 1992 par la société Caroll International à la société Valérie pour une durée déterminée de trois ans se terminant le 31 janvier 1995 contenait une clause de tacite reconduction d'année en année, à défaut de dénonciation de l'une des parties; que n'ayant pas été dénoncé le contrat s'est effectivement poursuivi par tacite reconduction pour une durée d'un an, pour expirer au 31 janvier 1996; que c'est donc de manière erronée que la société Caroll a cru pouvoir par lettre du 23 janvier 1996 mettre fin au contrat de franchise pour le mois de mai 1996; qu'à juste titre dans l'assignation en date du 16 mai 1996, délivrée pour obtenir la résolution judiciaire du contrat de franchise aux torts et griefs de la société Caroll, la société Valérie relève cette erreur; qu'elle ne saurait cependant se plaindre des conditions dans lesquelles il a été mis fin au contrat, dès lors d'une part qu'après le constat de son erreur la société Caroll a par lettre du 23 juillet 1996, notifié la résiliation du contrat à effet au 31 janvier 1997 en respectant le préavis contractuel de six mois; que surtout, postérieurement à ce courrier un accord partiel portant exclusivement sur ce point est intervenu entre la société Caroll et la société Valérie pour fixer à la date du 31 août 1996 la date de cessation des effets du contrat de franchise litigieux.

Considérant que pour débouter la société Valérie de demandes qu'elle forme en vue d'obtenir l'indemnisation des préjudices qu'elle affirme avoir subis dans l'exécution du contrat de franchise qui la lie à la société Caroll, le tribunal retient que cette dernière a rempli ses obligation de franchiseur, qu'elle avait toute liberté de modifier son mode de distribution et que la société Valérie n'apporte pas la preuve d'un préjudice lié à la réorganisation de la distribution de son franchiseur.

Considérant qu'il n'est pas contesté que les relations contractuelles liant les parties se sont déroulées pendant plusieurs années dans des conditions conformes à leurs intérêts réciproques, la société Caroll remplissant normalement les obligations qu'elle avait souscrites à l'égard de son franchisé, la société Valérie, que cependant en avril 1995, comme elle l'explique dans ses écritures, la société Caroll a constaté que le réseau de franchise qu'elle avait mis en place vingt ans auparavant ne répondait plus aux exigences du marché actuel; que pour faire face à la concurrence des grandes chaînes spécialisées dans le prêt à porter, elle a instauré un nouveau système de distribution reposant sur des contrats de dépôt dans lequel le dépositaire reçoit les marchandises qu'il est chargé de vendre ;

Considérant que la société Caroll reconnaît qu'elle a progressivement résilié les contrats de franchise conclu et les a remplacés par des contrats de dépôt pour adapter ses points de vente aux nécessités du nouveau système de distribution.

Considérant que la société Valérie ne critique pas le choix fait par la société Caroll du nouveau système de distribution mis en place avec des contrats de dépôt mais fait justement valoir que, n'ayant pas été intégrée au nouveau système de dépositaire, elle était en droit jusqu'à l'expiration du contrat de franchise de bénéficier des prestations auxquelles la société Caroll s'était engagée selon l'article 4.2 du contrat de franchise conclu avec la société Valérie.

Considérant qu'il est manifeste qu'ayant pris la décision de ne pas intégrer la société Valérie au nouveau système de distribution en refusant de lui consentir un contrat de dépôt, qu'elle lui avait cependant proposé le 10 mai 1995, en lui faisant connaître le 23 janvier 1996 que le contrat de dépôt n'était pas adapté au potentiel limité de sa zone de chalandise, la société Caroll ne s'est plus, à partir de cette date, considérée à l'égard de la société Valérie, tenue des obligations découlant du contrat de franchise, qui était cependant toujours en cours;que la prise de position de la société Caroll écartant son franchisé du système du contrat de dépôt, que rien ne permettait à la société Valérie de prévoir, compte tenu de l'ancienneté de leurs relations contractuelles, a été accompagnée de la décision de mettre fin au contrat de franchise à la date erronée de mai 1996; que ce fait démontre la volonté déterminée de la société Caroll de se désintéresser du sort de la société Valérie et caractérise une attitude fautive dont la société Caroll est totalement responsable.

Considérant qu'il est évident que le système de commande et de livraison qui a été imposée à la société Valérie à partir de 1995 à partir d'un catalogue et du minitel pour les réassortiments est contraire aux dispositions de l'article 4.2 du contrat de franchise qui prévoit le renouvellement périodique de la collection des produits sélectionnés par des réunions d'information et de présentation de la nouvelle collection; que la société Caroll a remplacé ses obligations par un autre type de service qui, non seulement n'était pas contractuel à l'égard de la société Valérie, mais n'était pas adapté aux modes d'exploitation de la société Valérie qui demeurait un franchisé Caroll.

Considérant qu'en effet le franchisé qui est un commerçant indépendant, maître de la collection qu'il choisit dans une gamme de produits spécifiques; qu'il ne peut préparer la saison suivante sans présentation de la collection ni obtenir des réassortiments en s'adressant à un minitel qui s'intègre au système du contrat de dépôt, contrat dans lequel les stocks sont gérés par le fabricant qui décide des produits qu'il déposera, que ce mode de fonctionnement n'est pas adapté au contrat de franchise qui a lié les parties.

Considérant que la société Caroll tente de minimiser les manquements caractérisés relevés dans les courriers des 5 avril et 17 avril 1996 par la société Valérie concernant les livraisons, qui concernent de nombreuses pièces manquantes (jupes, pantalons livrés sans la veste correspondante) ainsi que la mauvaise qualité d'articles de soie.

Qu'affirmant que les livraisons partielles des achats de la collection été ont été complétées et que les pièces de soie, de mauvaise qualité ont été remplacées et ont fait l'objet d'une remise de 30%, la société Caroll prétend que ces erreurs ont été réparées, qu'elles ne sont pas significatives et n'expriment que les aléas de la distribution spécialisée; que cette argumentation est inopérante pour écarter les griefs justifiés de la mauvaise exécution du contrat par le franchiseur.

Considérant que le fait qu'elle ait changé son système de distribution ne dispensait pas la société Caroll de respecter les obligations contractuelles qui se trouvaient maintenues avec la société Valérie dans le cadre du contrat de franchise; que les livraisons partielles et de mauvaise qualité reconnues par la société Caroll en dépit de la remise que celle-ci à consentie pour tenter d'en effacer les effets n'ont pas permis au franchisé une commercialisation normale que le franchiseur, responsable de ces manquements, ne peut les qualifier de simples aléas.

Considérant que la société Valérie reproche encore à juste titre à la société Caroll d'avoir méconnu l'obligation édictée à l'article 5 du contrat concernant les opérations publicitaires qui, selon ce texte devaient conduire le consommateur vers les franchisés Caroll.

Qu'en effet la société Caroll a organisé une opération "Fête du Printemps" le 20 mars 1996 sans avoir avisé la société Valérie de cette opération promotionnelle de sorte que la société Valérie l'a apprise cette opération mise en place dans les boutiques Caroll des villes proches de Remiremont et comportant des prix préférentiels, à la suite d'une plainte d'une de ses clientes qui avait vu le tailleur, par elle acheté dans la boutique de la Société Valérie, exposé à un prix nettement inférieur dans une autre boutique Caroll.

Considérant que la société Caroll soutient de manière inexacte que l'éloignement des magasins n'autorise pas la société Valérie à se plaindre, la distance entre les différents magasins concernés seraient-ils situés dans des départements différents restant faible; que d'ailleurs la clientèle est attentive aux prix pratiqués pour une même marchandise aisément identifiable comme le sont les produits Caroll dans les diverses boutiques d'un secteur géographique limité, comme c'est le cas en l'espèce.

Considérant que l'argument tiré de ce que cette opération promotionnelle était réservée uniquement aux succursales et dépositaires de sorte que la société Valérie n'avait pas à en être informée n'est pas pertinent; que dans le cadre du contrat de franchise il appartenait à la société Caroll de donner toute information sur les produits sélectionnés ainsi que sur les idées de promotion; qu'en cas particulier la société Caroll devait laisser à sa franchisé la liberté de s'associer ou non à cette opération publicitaire spécifique mais non pas l'en écarter systématiquement.

Considérant que l'attitude de la société Caroll démontre que sans en respecter les obligations elle a laissé perdurer à l'égard de la société Valérie un contrat de franchise; que la violation caractérisée de ses obligations de franchiseur ont entraîné pour la société Valérie non seulement une baisse certaine de son chiffre d'affaires, mais une atteinte à son image de marque altérée auprès de ses clientes qui lui ont fait grief de pratiquer des prix supérieurs aux autres magasins à l'enseigne Caroll.

Considérant que contrairement à la décision du tribunal qui sera infirmée, la société Caroll a commis des manquements caractérisés au contrat de franchise qui l'a liée à la société Valérie jusqu'au 31 août 1996 date convenue entre les parties pour la cessation de leurs relations;qu'il est établi que la société Caroll qui a reconnu ses manquements ne peut les justifier par la mise en place d'un nouveau système de distribution dans lequel elle n'a pas intégré la société Valérie; qu'en conséquence, la société Valérie est en droit de solliciter l'indemnisation du préjudice résultant des fautes commises par la société cocontractante en lien direct avec le dommage causé.

Considérant que la société Valérie réclame la somme de 800. 000F à titre de dommages-intérêts pour son préjudice commercial, la perte du chiffre d'affaires et la détermination de son image de marque.

Considérant que pour démontrer la perte de son chiffre d'affaires, la société Valérie produit un tableau récapitulatif pour les années 1993 à 1996 qui mentionne respectivement pour chacune des années considérées un chiffre d'affaires de 788.332F, de 765.852F, 786.124F et 43.546F; que ce dernier chiffre correspond au titre de l'année 1996 au seul mois de janvier, aucune autre indication ne figurant pour les autres mois de l'année 1996 durant laquelle, en dépit des difficultés réelles que la société Valérie a rencontrées pour passer ses commandes et recevoir livraison des produits, la société Valérie a cependant effectué des ventes et réalisé un chiffre d'affaires nécessairement supérieur à celui qui figure sur le document récapitulatif incomplet pour l'année 1996.

Considérant que la détérioration de l'image de marque de la société Valérie est établie par de très nombreuses attestations de clientes qui exposent n'avoir pu obtenir des produits de la marque Caroll en dépit des demandes verbales réitérées passées téléphoniquement en leur présence par la société Valérie auprès de la société Caroll qui n'a pas effectué le réassortiment réclamé par la franchisée.

Considérant que la Cour d'appel dispose en tenant compte des difficultés rencontrées par la société Valérie pour s'approvisionner auprès de la société Caroll durant les mois qui ont précédé la résiliation du contrat, des éléments chiffrés communiqués concernant le chiffre d'affaires réalisé au cours du contrat de franchise, des éléments suffisants pour chiffrer à la somme de 200. 000F l'indemnité due à la société Valérie pour réparer le préjudice qu'elle a subi en lien de causalité avec les fautes contractuelles commises par la société Caroll à son égard.

Considérant en revanche que la société Valérie n'est pas justifiée à réclamer la somme de 300.000F au titre du réaménagement de sa boutique; qu'à juste titre la société Caroll fait valoir que les travaux réalisés en 1986 étaient amortis lors de la cessation des relations contractuelles et que la société Valérie n'établit pas avoir été tenue, comme elle le soutient, de changer en 1992 la décoration du magasin au motif que le concept Caroll aurait été entièrement revu à cette date; que la demande présentée à ce titre par la société Valérie ne saurait être accueillie.

Considérant que la société Caroll qui succombe et sera condamnée aux dépens ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Qu'en revanche l'équité commande d'allouer à la société Valérie la somme de 10. 000F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs, LA COUR, déclare recevable l'appel de la société Valérie. Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré. Statuant à nouveau, Condamne la société Caroll International à payer à la société Valérie la somme de 200.000F à titre de dommages-intérêts et celle de 10.000F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs. Condamne la société Caroll au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.